Les sociétés du savoir
Le phénomène de la globalisation des marchés affecte tous les domaines de l’activité humaine et en raison du potentiel économique qu’il représente, le secteur de la recherche fondamentale en santé n’y échappe pas: «tous les pays développés sont aujourd’hui confrontés aux enjeux de leur insertion dans une économie mondialisée, généralement associée à la notion de société du ou des savoirs. » En conséquence, nous assistons à la naissance de nouvelles entreprises qui mettent en marché toute une gamme de produits et de services reliés aux biotechnologies Issues de la recherche fondamentale.
Occasionnellement, l’utilisation de ces innovations suscite des inquiétudes quant à leur innocuité pour la santé humaine ou celle des écosystèmes, ou à leur impact sur le mode de vie des communautés. Parfois, c’est la structure institutionnelle dans laquelle se développent ces innovations qui fait l’objet de critiques ; elles questionnent notamment le brouillage des frontières entre les investissements publics et privés en recherche biomédicale, et l’acceptation sans autre forme de procès des considérations d’affaires parmi les motivations déterminantes de l’avancement des sciences.
Les intentions, les enjeux
En comparant les façons de faire et les finalités des gens et des institutions impliquées, soit en recherche fondamentale ou en entreprise privée, on est amené à questionner, à craindre même, le mouvement de privatisation de certains secteurs de la recherche fondamentale qui se dessine actuellement. Le mouvement déjà amorcé soulève des enjeux importants tels que : la difficulté de favoriser la participation citoyenne aux orientations de la recherche; une exploitation par l’entreprise privée de biens publics; une ingérence du secteur privé dans les orientations de la recherche; une prise de contrôle de la libre circulation des connaissances; une certaine perversion de l’esprit scientifique et universitaire; un retrait des bailleurs de fonds gouvernementaux du financement de la recherche qui n’est pas susceptible de générer des applications technologiques.
Une première identification de ces enjeux nous paraît nécessaire à l’étape de la définition de la problématique, afin d’explorer les dilemmes qui peuvent se présenter dans l’exercice des logiques décisionnelles gouvernementale ou démocratique, et qui peuvent intervenir dans les jugements de valeurs portés par les chercheurs sur les exigences hétérorégulatoires qui encadrent l’activité des chercheurs universitaires.
Le contexte culturel
Nous ne pouvons taire l’idée de culture scientifique et de son métissage avec d’autres groupes fonctionnels de la société, un phénomène qui se dégage de la dynamique contemporaine et que nous verrons apparaître dans nos résultats. En effet, Helga Nowotny mentionne que la science ne peut plus être considérée comme un espace autonome clairement distinct des sphères de la société, de la culture et surtout de l’ économie . De plus, l’auteure réfère indirectement à des phénomènes d’acculturation: la socialisation de la science découle de la scientification de la société. Il existe désormais des communautés scientifiques élargies et des controverses socio-scientifiques plus pressantes parce que la société dans son ensemble a subi l’influence d’une science dont on veut bien admettre que la culture propre autonomiste, réductionniste et auto-régulée a évolué vers une culture plus populiste .
D’un côté, ce populisme inquiète, car dans le processus d’acculturation entre la culture affairiste étatique et la culture universitaire, il représente le contexte social dynamisant ces échanges. Effectivement, les caractéristiques de l’ ère postmoderne comme le culte du présent, la consommation personnalisée, la croyance aux microrécits, l’absence de tabous au sens où l’entendrait Hans Jonas, pourraient menacer une méthode scientifique rigoureuse et une science solide.
Une affaire de sentiments
En poursuivant la mise en contexte des enjeux éthiques potentiels, il est intéressant de faire appel à Francis Fukuyama lorsqu’il réfère au rôle des émotions humaines dans la dynamique d’évaluation éthique, qui sont étouffées au profit de la rationalité: «c’est la palette propre aux émotions humaines qui engendre les objectifs, les buts, les désirs, les peurs, les aversions et le reste, et c’est là que se situe la source des valeurs humaines. » .
Ainsi, le gouvernement et les leaders économiques du secteur privé font ensemble le choix de la valeur économique, une priorité qu’ils justifient par la bienfaisance utilitariste qu’elle procure à la société dans la production de biens de consommation. La rationalité instrumentale sous-jacente à cette légitimation morale finit par tenir lieu de délibération, voire de débat éthique; les enjeux éthiques qui ne se définissent pas en termes de progrès socio-économique sont plus ou mois systématiquement ignorés, du moins ils ne sont pas mis en discussion dans la sphère publique. Est ainsi facilitée la continuité des projets de recherche répondant aux objectifs, aux buts et aux désirs de la culture affairiste, qui deviennent progressivement ceux de la culture universitaire.
Le chercheur entre l’arbre et l’écorce
À l’évidence, ces structures socio-économiques encouragent le partenariat d’affaires entre le secteur de l’entreprise privée et le milieu universitaire. Conséquemment, cela initie des questionnements sur les enjeux politiques, sociaux, économiques et éthiques qui concernent l’utilisation des ressources de la recherche fondamentale. Curieusement, les gens de la recherche ne s’expriment pas ouvertement sur ce sujet. À notre connaissance, peu de documents relatent les sentiments que cette dynamique affairiste pourrait susciter chez les chercheurs. Évidemment, les gens de la recherche n’ obtiennent pas leur diplôme des écoles de marketing et les gens d’affaires sont rarement issus des laboratoires de recherche. Autrement dit, il serait logique d’imaginer que les aspirations d’un étudiant ou d’un chercheur en science ne soient pas les mêmes que leurs collègues du secteur des Hautes Études Commerciales. Pourtant, la société semble rechercher des compétences entrepreneuriales chez un individu dont l’identité culturelle est au départ purement scientifique.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 :PROBLÉMATIQUE
1.1 Les sociétés du savoir
1.2 La pensée, l’action et la finalité
1.3 Les intentions, les enjeux
1.4 Le contexte culturel
1.5 Une affaire de sentiments
1.6 Le chercheur entre l’arbre et l’écorce
1.7 Méthodologie
1.8 Définitions
CHAPITRE 2 :RÉSULTATS DES QUESTIONNAIRES ET DES ENTREVUES
2.1 Chercheur et entrepreneur : les contrastes
2.2 Le citoyen : comment est-il perçu ?
2.3 Les ministères
2.4 Le chercheur ses publications et la société
2.5 La loi et l’éthique
2.6 Recherche et développement : risques et dividendes
2.7 La vocation académique, une motivation à la performance ?
2.8 Le rôle de la société, la réputation du chercheur et les métarécits
2.9 Le rôle du gouvernement
CHAPITRE 3 :ANALYSE
3.1 Savoir, utilité et reconnaissance
3.2 La liberté expérimentale
3.3 Responsabilité et profit en recherche
3.4 Le moteur de la recherche
3.5 Une réputation déficiente face à la société
3.6 Le rôle du gouvernement
CHAPITRE 4 :DISCUSSION
4.1 Actualisation des cadres logiques
4.2 Le cadre logique de la science: une entité culturelle
4.3 Le choc des cultures
4.4 Acculturation
4.5 Autorégulation et hétérorégulation actualisées
4.6 La réputation du chercheur en péril
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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