Les sociétés civiles contre les maux de la démocratie

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La démocratie représentative brésilienne au prisme de ses dysfonctionnements

S’il est une conviction partagée parmi les analystes de la démocratie participative, c’est celle des anomalies du système représentatif brésilien, dont les institutions sont souvent définies à partir d’une série de catégories qui attesteraient de leurs dysfonctionnements, au premier rang desquelles figure le clientélisme. Le système politique brésilien constituerait un problème que les dispositifs participatifs auraient pour objectif de résorber. Si la mise en lumière des limites du système représentatif est, plus généralement, au cœur des théories politiques visant à accréditer la démocratie participative113, ce phénomène prend des contours particuliers dans la sociologie brésilianiste, dans la mesure où il rejoint les « lieux communs savants »114 consacrés par la sociologie de l’Etat. Analyser les interprétations scientifiques du système représentatif brésilien permet de comprendre l’héritage sur lequel s’appuient les travaux ayant pour objet la démocratie participative.

Les sociétés civiles contre les maux de la démocratie

Les participationnistes se réfèrent aux oeuvres dites « classiques » pour définir le système représentatif brésilien et reproduisent la thèse d‟une anomalie démocratique. Par opposition à un Etat excluant, les dispositifs participatifs représenteraient une « promesse » de démocratisation et ce d‟autant plus que leur genèse est attribuée à des acteurs extérieurs à l‟Etat, c‟est-à-dire à une société civile ayant pour dessein d‟améliorer le fonctionnement étatique par la diffusion d‟une nouvelle « culture politique »158.

Une genèse mouvementiste et « culturelle »

Du fait de la trajectoire des principaux représentants de ce courant, le participationnisme brésilien hérite des principaux cadres d‟interprétation de la sociologie de l‟action collective latino-américaniste, à savoir l‟approche « culturelle » des « nouveaux mouvements sociaux ».
Parallèlement à ses travaux sur la démocratie participative, Evelina Dagnino, professeur de science politique à Campinas, a publié plusieurs ouvrages relatifs à l‟influence des mouvements sociaux urbains sur le renouvellement démocratique173. De même, Leonardo Avritzer a débuté sa carrière académique en étudiant les organisations associatives, pour se concentrer, dans un second temps, sur les dispositifs participatifs locaux, parmi lesquels le budget participatif de Porto Alegre174. On comprend mieux pourquoi ces auteurs proposent une genèse mouvementiste de la démocratie participative175.
Dans sa synthèse sur les « institutions participatives dans le Brésil démocratique », Leonardo Avritzer retrace le processus d‟émergence des dispositifs participatifs. Selon lui, « la participation, dans le Brésil démocratique, a pour point de départ l‟émergence d‟une nouvelle culture civique. Nées dans les années 1970, les associations ont commencé à croître en intensité et en densité, dans l‟ensemble du Brésil et ont transformé la sphère publique »176. Ces « nouveaux acteurs » associatifs se distingueraient des organisations communautaires et de loisirs des années 1960, de par leurs revendications de redistribution des ressources publiques et de par leur posture revendicative, ce que l‟auteur nomme une « nouvelle culture politique ». En outre, l‟institutionnalisation de la démocratie participative aurait été permise par les changements opérés au sein de la « société politique », plus précisément par l‟arrivée au pouvoir du PT. Selon Leonardo Avritzer, « les acteurs politiques qui ont le plus oeuvré à la généralisation de la participation étaient ceux qui s‟identifiaient le plus avec la tradition participative qui a émergé dans la société civile177 ». Ici l‟apparition de la démocratie participative est datée – elle correspond à la transition démocratique ; elle est expliquée par les pratiques de certains acteurs, c‟est-à-dire les associations « volontaires ». Le PT est également présenté comme un acteur de premier plan, dans la mesure où il a, durant ses premières années de formation, partagé les luttes des acteurs associatifs, tout en reproduisant leurs modes d‟organisations dans sa structuration locale178. Cette généalogie de la démocratie participative est largement inspirée des travaux réalisés sur le seul budget participatif de Porto Alegre, lesquels mettent en lumière le rôle joué par l‟Union des associations d‟habitants de Porto Alegre (UAMPA) et le PT dans la formation de ce même dispositif179. Leonardo Avritzer propose ainsi une histoire de la démocratie participative en généralisant les observations réalisées autour de Porto Alegre, négligeant ainsi les multiples expériences menées dans le pays à partir des années 1960.
Une généalogie similaire se retrouve dans les travaux d‟Evelina Dagnino sur la « société civile ». Dans un article portant sur la « consolidation de la société civile », Evelina Dagnino, Ana Claudia Chaves Teixera et Carla Almeida Silva présentent les mobilisations sociales de la transition démocratique comme une nouveauté, marquant une rupture avec les « mobilisations par le haut » et la « citoyenneté régulée » qui dominaient jusqu‟alors180. Ces mobilisations seraient, en outre, à l‟origine de la constitution des « espaces publics », entendus comme l‟ensemble des dispositifs de participation du public. Selon ces auteures, « avec le retour à la démocratie, le nouveau profil et contenu de la participation de la société civile, qui était en cours de construction depuis les années 1970, a ouvert la possibilité de créer des espaces publics. Ces espaces publics renvoient aux diverses expériences de relation entre la société civile et l‟Etat qui permettent une démocratisation de la prise de décision par les pouvoirs publics, par le biais de la participation effective des acteurs sociaux […]. Les expériences de gestion participative ont acquis une force et une pertinence comme nouveau paradigme de l‟administration publique et comme expression d‟une nouvelle forme de participation de la société civile après les élections de 1988, quand des candidats, qui s‟étaient engagés sur ces propositions, ont gagné les élections. Les candidats provenaient du Parti des Travailleurs et des partis de la gauche traditionnelle »181. Prenant part à une même lutte pour la démocratisation du régime, ces « nouveaux acteurs » partageraient une « culture » commune du public.
De plus, l‟analyse développée par Leonardo Avritzer et Evelina Dagnino s‟inscrit dans une approche dite « culturelle » de l‟action collective182, la culture politique constituant un ensemble de représentations et de pratiques incorporées et /ou contestées par les acteurs composant une société. Leonardo Avritzer définit: « la culture politique comme la lutte publique autour du sens des pratiques politiques qui créera de nouveaux comportements institutionnels dans le régime politique. Je postulerai […] que chaque société a une culture politique dominante et que dans chaque société l‟on observe des tentatives de contestation de la culture politique dominante par des actions au sein de l‟espace public »183. Pour Leonardo Avritzer, l‟analyse culturelle implique une étude du sens conféré aux pratiques des acteurs politiques et sociaux.
Pour sa part, Evelina Dagnino se concentre davantage sur les représentations et les conceptions défendues par les acteurs politiques et sociaux. Selon elle « souligner les implications culturelles signifie reconnaître la capacité des mouvements sociaux à produire de nouvelles visions de la société démocratique, dans la mesure où ils identifient l‟ordre social existant comme limitatif et excluant par rapport à leurs valeurs et leurs intérêts »184. S‟ils n‟entendent pas la culture politique tout à fait de la même façon, tous deux insistent sur l‟importance des conceptions des « nouveaux acteurs », que celles-ci soient définies comme « de nouvelles « visions » ou une « lutte pour le sens des pratiques politiques ». Aussi, l‟approche culturelle recoupe une analyse cognitive, mettant l‟accent sur les représentations et les « projets » défendus par les sociétés civiles, par opposition à la « culture politique » dominante dans le champ politique.

Revisiter la genèse de la démocratie participative brésilienne

La genèse proposée par les participationnistes brésiliens dépend, en partie, des dispositifs étudiés par les auteurs, c‟est-à-dire des expériences jugées les plus « réussies », généralement élaborées « par le bas » et mises en oeuvre par les gouvernements du PT. Les nouveaux acteurs sont ainsi considérés comme d‟autant plus centraux que les recherches se sont principalement concentrées sur les expériences qu‟ils ont conduites. Le budget participatif de Porto Alegre constitue d‟ailleurs l‟étalon à l‟aune duquel sont analysés les autres dispositifs187.
Mais si l‟on ne se concentre pas sur certains dispositifs pour en déduire la genèse de la démocratie participative, si l‟on se demande, en revanche, comment la participation a émergé comme catégorie d‟action publique, il devient possible d‟écrire une autre histoire, qui suppose de ne pas restreindre l‟analyse aux nouveaux acteurs ou aux seuls dispositifs les plus connus. Il apparait nécessaire de réintégrer les institutions, les acteurs étatiques et les processus politiques dans l‟étude de la naissance d‟une catégorie, la participation, qui recouvre des dispositifs et des expériences multiples. Cette approche implique également de ne pas faire de la définition de la démocratie participative un préalable à l‟analyse mais de privilégier une étude du sens que cette notion a acquis au cours de son institutionnalisation.

Une analyse non culturelle de la genèse de la démocratie participative

Inverser la perspective d‟analyse suppose également de rompre avec l‟approche culturelle adoptée par les participationnistes. Ces derniers opposent l‟action des sociétés civiles au système, qui correspond à la culture politique dominante au sein du champ politique, approche qui ne rend pas compte de la complexité de l‟émergence de la démocratie participative.
En inscrivant l‟analyse de la démocratie participative dans la lignée des « classiques » de sociologie politique, les auteurs participationnistes mettent en avant une lecture socio-historique qui rappelle ce que les institutions politiques nationales doivent à une histoire singulière. Mais cette approche repose sur un paradoxe : alors qu‟elle met l‟accent sur les « matrices culturelles » historiquement consolidées, que l‟on peut comprendre comme des institutions au sens sociologique du terme203, elle prend relativement peu en compte les institutions étatiques, entendues dans leur sens 202. Paul Veyne, Comment on écrit l‟histoire, Paris, Seuil, 1978. 203. Sur l‟institutionnalisme sociologique en science politique, voir Peter Hall et Rosemary Taylor, « La science politique et les trois néo-institutionnalismes », Revue française de science politique, vol. 47, n°3-4, 1997, p. 469-496.
organisationnel, à l‟image des administrations, ministères et autres secrétariats. Tout se passe, en effet, comme si la « culture politique » dominante était reproduite par des individus dans un vide institutionnel. Ce paradoxe est particulièrement évident dans la définition que Leonardo Avritzer donne la culture politique, qu‟il présente comme « un facteur structurel ». Selon lui, « la tradition hiérarchique qui est le propre des sociétés ibériques » précède « le transfert acritique d‟institutions représentatives ». Elle a créé une tension entre la culture politique et les institutions représentatives, qui rendrait les secondes peu effectives204. N‟ayant donc pas de réelle influence sur les pratiques des acteurs politiques, les institutions politiques sont peu prises en compte dans la notion de culture politique. Mais cette approche ne permet pas de voir ce que l‟émergence de la démocratie participative doit à l‟action des administrations nationales, qui contribuent à l‟institutionnalisation de la catégorie « participation » à partir des années 1960, notamment par l‟importation de la théorie du « développement des communautés » dans le domaine des politiques sociales. Pour comprendre comment la participation devient une catégorie de l‟action publique, il faut donc s‟émanciper d‟une conception de l‟« Etat », défini à partir de ses seules carences ou comme une superstructure incorporée par les élus, et considérer ce dernier dans sa complexité et sa matérialité, c‟est-à-dire comme un ensemble hétérogène d‟acteurs et d‟institutions205 qui participent à la construction du politique et des politiques publiques.
En second lieu, nous avons souligné que l‟approche culturelle recoupe une analyse cognitive. La thèse selon laquelle les « valeurs » et les « idées » jouent un rôle majeur dans l‟instauration des dispositifs sera interrogée à partir de l‟étude des conférences des femmes à Recife et à Londrina. Ces dernières permettent d‟analyser les conceptions de la participation défendues par le PT et les organisations féministes, soit deux groupes d‟acteurs qui, pour Evelina Dagnino, défendent le projet « démocratique-participatif ». Selon elle, les organisations féministes et féminines composent ce qui est appelé le « champ éthico-politique », notion qui désigne « un espace commun d‟articulation [entre les mouvements populaires urbains] et d‟autres mouvements sociaux plus explicitement culturels, tels que les mouvements ethniques, de femmes, d‟homosexuels, écologiques et des droits humains, dans la recherche de relations plus égalitaires à tous les niveaux, permettant la définition d‟une vision distincte, élargie, de la démocratie »206. Dans cette perspective, les organisations prenant part au champ des mouvements sociaux partageraient une vision commune de la démocratisation de la société et de la vie politique brésilienne. L‟analyse de la genèse des conférences des femmes permettra de mettre en lumière le caractère relatif de cette conception commune, dans la mesure où, à Recife et Londrina, les organisations féminines et féministes ne défendent pas nécessairement la participation du public durant la démocratisation du régime mais investissent cette question, dans des conditions particulières.

La participation au service du développement

Au Brésil, l‟introduction de procédures « participatives » débute dans les années 1950, avec la diffusion du développement communautaire comme technique d‟intervention sociale, par la suite, institutionnalisée sous le régime militaire. Le développement des communautés constitue, pour Marie-Hélène Bacqué et Yves Sintomer, l‟un des idéaux-types composant la mosaïque participative. Il « vise à ce que les citoyens ne participent pas seulement à la prise de décision mais qu‟ils contribuent à la réalisation des projets adoptés à travers des ONG et des organisations communautaires. Il se base sur l‟empowerment des participants, mettant en particulier l‟accent sur les membres des groupes les plus démunis »210. Les expériences menées sous l‟égide du développement des communautés, des années 1950 à 1970, préparent l‟apparition d‟un impératif participatif à partir des années 1980. Il convient donc de revenir sur le contexte d‟apparition de cette technique de gouvernement du social qui va de pair avec la consécration des quartiers populaires comme public de la participation.

Les origines du développement des communautés au Brésil

Un triple processus favorise la propagation du développement des communautés, comme technique de mise en oeuvre des politiques sociales, au Brésil. En premier lieu, les milieux catholiques développent, à partir des années 1940, des expériences de travail communautaire pour répondre à l‟exacerbation des conflits dans les milieux ruraux et participent ainsi à la valorisation de la « communauté » comme unité de développement social. En second lieu, les programmes d‟aide au développement, financés par les organisations internationales et le gouvernement américain, contribuent à la diffusion du développement des communautés comme technique d‟intervention auprès des plus démunis. Enfin, la naissance du groupe professionnel des assistants sociaux, revendiquant un rôle dans la mise en oeuvre des politiques sociales, accélère sa légitimation.
En 1945, la fin de l‟Etat nouveau et le retour à la démocratie sont suivis d‟une recrudescence des conflits sociaux, en particulier dans les milieux ruraux. La constitution des ligues paysannes dans le Nordeste, organisés autour du Parti communiste brésilien (PCB), se double d‟une politisation de la question agraire qui révèle l‟ampleur de la pauvreté paysanne211. La marginalité urbaine connait également un accroissement dans les années 1950, alors que le pays s‟industrialise. C‟est dans ce contexte que des interventions auprès des populations rurales et urbaines sont menées par l‟Eglise catholique, afin de diffuser des méthodes d‟« organisation communautaire ». L‟on peut citer l‟exemple du Service d‟assistance rurale, organisation de jeunes hommes catholiques qui intervient dans la commune de São Paulo de Potengi dans le Rio Grande do Norte, à partir de 1949, pour la création d‟infrastructures collectives et l‟éducation de la population212. Cette initiative s‟appuie sur une conception communautariste de l‟organisation sociale, inspirée de l‟humanisme de Jacques Maritain et du personnalisme communautaire d‟Emmanuel Mounier. Plus globalement, la pensée communautariste gagne de l‟influence au sein de l‟Eglise catholique à la suite de la création de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) en 1952213. Elle acquiert une dimension politique à partir des années 1960, lorsqu‟une partie de l‟Eglise catholique adhère à la théologie de la libération.
Dans le même temps, l‟Etat fédéral brésilien conclut des accords avec le gouvernement américain et les organisations internationales, en particulier l‟ONU et l‟OEA, pour la mise en oeuvre de programmes de développement, dans un contexte où le développementalisme devient un programme de gouvernement. Ces accords se traduisent par le déploiement de « missions rurales », réalisées sous l‟égide du ministère de l‟Education de 1949 à 1955, avec pour objectif la « modernisation » des milieux ruraux par l‟alphabétisation des populations et la construction d‟infrastructures collectives214. Ces actions contribuent à l‟importation de la notion de développement des communautés telle que la définit l‟ONU. En 1956, le Conseil Economique et Social de l‟organisation en propose la définition suivante : « le processus par lequel les efforts du peuple lui-même est uni aux autorités gouvernementales pour améliorer les conditions économiques, sociales et culturelles des communautés, intégrer ces communautés dans la vie nationale et les former à contribuer pleinement au progrès du pays »215. Le développement des communautés est alors appréhendé comme une technique de mise en oeuvre des programmes sociaux et économiques visant la synergie des ressources publiques et privées pour l‟accompagnement du développement national. Il se traduit notamment par l‟intégration des populations rurales et de leur ressources dans la réalisation des travaux d‟infrastructures (pont, routes etc.)

Les pratiques de participation selon le développement des communautés

Selon Maria Luiza de Souza, les programmes de développement communautaires reposent sur trois concepts : le développement, la communauté et la participation226. Après avoir présenté les deux premières notions, nous nous attacherons plus longuement aux conceptions de la participation qui sous-tendent les expériences menées dans les années 1950 et 1960.
Au Brésil, le développement des communautés survient alors que l‟industrialisation et la modernisation économique sont au coeur du projet développementaliste de l‟Etat, en particulier sous le mandat de Juscelino Kubitschek (1956-1961). Il répond ainsi à une conception du développement où la population doit être éduquée pour participer à l‟effort de la « nation », à une époque où l‟économie épouse le nationalisme. Le développement désigne alors la poursuite du progrès technique pour assurer la croissance économique. Mais, dans les milieux de la gauche chrétienne et de l‟assistance sociale, on développe en opposition à cette conception « économiste » du développement une acception plus sociale. Celle-ci renvoie, dans la lignée des travaux du Père Lebret, à la poursuite d‟un développement « humaniste et solidaire », reposant sur l‟insertion des plus démunis dans des « communautés », afin d‟améliorer leurs conditions de vie227.
En second lieu, les communautés constituent l‟unité de base à partir de laquelle il s‟agit de promouvoir le développement. La notion de communauté désigne un espace territorial, en particulier les lieux d‟habitation et de vie des populations, mais également un espace de pauvreté. Les communautés sont alors principalement associées aux quartiers et espaces de vie des plus démunis, dans les milieux urbains et ruraux. Cette acception est présente à la fois dans les programmes d‟aide au développement et les initiatives menées par l‟Eglise catholique. Afin d‟assurer le développement, économique ou social, les communautés sont appelées à « participer ». La participation des populations recoupe toutefois des objectifs et des pratiques variés, qui dépendent des conceptions du développement privilégiées. Plus précisément, trois conceptions, qui s‟interpénètrent parfois, peuvent être distinguées dans les diverses expériences menées dans les années 1950 et 1960, sous l‟égide du développement des communautés.
La première vise avant tout « l‟éducation » des populations, entendue comme la diffusion de nouvelles formes d‟organisation, de mode de pensée ou de pratiques professionnelles. Il s‟agit, par l‟intervention communautaire, d‟amener les acteurs à renouveler leurs conceptions du collectif ou de diffuser de nouvelles techniques d‟organisation sociales ou professionnelles. On retrouve ici les campagnes d‟éducation menées par le ministère de l‟Education conjointement avec les organisations internationales dans les années 1950, au cours desquelles des notions d‟hygiène et de nouvelles techniques agricoles sont enseignées aux populations rurales, pour la modernisation de l‟agriculture228. Les interventions de l‟Eglise catholique dans les zones agraires s‟inspirent également de cette première conception.
Des expériences d‟un second type visent à assurer la rationalisation et l‟efficacité des politiques sociales. Elles peuvent donc être qualifiées de « gestionnaires ». Elles mettent en synergie les ressources humaines et matérielles des « communautés » et des autorités publiques, pour l‟exécution des politiques sociales, sur un territoire donné, afin de réduire leurs coûts d‟exécution. Les pratiques d‟entraides collectives (mutirões) menées dans le cadre de l‟aide au développement qui désignent, par exemple, la construction d‟infrastructures collectives par la main d‟oeuvre locale, sont illustratives de ce second type229.
Enfin, une troisième conception lie la participation à un objectif de politisation des inégalités sociales. Qualifiée d‟« hétérodoxe » par Safira Bezerra Amman, cette conception ambitionne d‟intégrer des populations démunies pour assurer une redistribution des ressources publiques. Les expériences des années 1950 et 1960 relevant de ce troisième type sont aujourd‟hui les plus connues, car les plus étudiées. On peut citer les « audiences populaires » instaurées à Recife à partir de 1956, que nous allons brièvement présenter puisqu‟il s‟agit de la première expérience participative menée dans l‟un des cas que nous étudions.

La participation au service de la démocratisation du régime

Si, des années 1950 à la fin des années 1970, la participation des citoyens est principalement orientée vers le développement économique et/ ou social, celle-ci est progressivement associée à la démocratisation du pays, dans les années 1980. La démocratie devient le cadre d‟interprétation à partir duquel la « participation » des administrés à la fabrique de l‟action publique est pensée et justifiée. Cette redéfinition s‟opère dans un contexte de refondation institutionnelle, à laquelle participent les acteurs politiques et associatifs naissants mais également des cadres du régime militaire. Mais elle ne mène pas à faire table rase des pratiques stabilisées sous le régime militaire : on reconduit, en partie, les « répertoires » de la participation, consolidés sous l‟égide du développement des communautés.

La démocratisation : un cadre de justification commun

En ouvrant le jeu politique, la libéralisation politique permet une remise en cause des définitions antérieures de la participation du public. Durant la transition démocratique, la refondation des institutions constitue le principal objet de discussion entre anciens et nouveaux acteurs. C‟est dans ce cadre que la participation « populaire » (ré)émerge comme problème, associé à la démocratisation du régime et à sa forme institutionnelle. Cette reformulation peut être analysée comme le résultat du cycle de mobilisation qui anime les années 1980. Mais elle repose également sur l‟action des élites politiques jusqu‟alors marginalisées, et plus précisément des élus du PMDB263, durant le processus de rédaction de la Constitution de 1988.

La participation « populaire » contre la transition pactée

Dans les années 1980, la transition démocratique se déroule de manière graduelle et pactée264. En 1985, Tancredo Neves est nommé Président de la République par les parlementaires. En 1987, une Assemblée constituante est convoquée et réunit les députés et sénateurs élus en 1986. Cette transition « par le haut » est contestée dès 1983 par les acteurs qui composent la mobilisation des « diretas Já ». Si ces manifestations peuvent d‟abord être attribuées à la gauche du PMDB et à la CNBB265, elles regroupent par la suite un ensemble d‟organisations du mouvement social (organisations syndicales, féministes, associations de quartier et groupes de lutte anti raciste) ainsi que certains partis nouvellement créés, à l‟image du PT.
Ce cycle de mobilisation marque l‟émergence d‟acteurs associatifs et politiques revendiquant la tenue d‟élections directes mais également l‟instauration de mécanismes de « participation populaire ». Cette demande est plus explicitement exprimée lors des travaux de l‟Assemblée constituante. A ses marges, des comités et mouvements « pro-participation populaire » se forment dans plusieurs Etats fédérés du pays266 et à Brasilia. Leur composition varie amplement selon les Etats mais l‟on compte, parmi les principales organisations participantes, des groupes liés à l‟Eglise catholique et ayant adhéré à la théologie de la libération dans les années 1960 (la CNBB et la Commission brésilienne justice et paix), des organisations professionnelles (l‟Ordre des Avocats Brésiliens, OAB), des syndicats (la Centrale Unique des Travailleurs, CUT) ainsi que des membres du PT.
Ces comités jouent un rôle majeur dans la rédaction d‟« amendements populaires » envoyés à l‟Assemblée constituante et qui seront, pour certains d‟entre eux, intégrés à la Constitution de 1988267. Parmi les 122 amendements présentés, trois ont pour objet de créer des instruments de « participation populaire »268. L‟amendement populaire n° 22, présenté par la Commission justice et paix de Rio notamment269 et adopté par les Constituants, propose l‟introduction du référendum, du plébiscite et de l‟initiative législative populaire dans la Constitution, plaidant que « ce que l‟on veut, c‟est augmenter la participation directe de la société aux décisions d‟intérêts collectifs, au contrôle des actions qui influent sur la vie sociale, sur le contrôle des dépenses publiques et sur ce qui est nécessaire pour garantir les normes constitutionnelles »270. L‟amendement populaire n°56, présenté par des syndicats et une fédération d‟association de quartier du Minas Gerais271 mais rejeté par l‟Assemblée constituante, propose quant à lui la création de « Conseils de participation populaire » à l‟échelle municipale ou des quartiers pour que le « peuple […] participe directement à la définition des décisions sur les priorités locales et sur tout ce qui est d‟intérêt populaire »272.
Ces quelques exemples indiquent que, durant la transition démocratique, une « nouvelle conception » de la participation du public apparaît au sein de l‟espace social et politique. Elle est centrée sur la définition des arrangements institutionnels qui garantiraient une prise de décision « directe » par la population, via des instruments tels que les Conseils ou les référendums273. La participation est dorénavant envisagée à partir de la « décision », conception que l‟on retrouve dans les approches scientifiques de la démocratie participative.
Toutefois, l‟on peut s‟interroger sur la « nouveauté » des acteurs qui véhiculent cette conception. Certes, les années 1980 sont marquées par une effervescence militante qui se traduit par la formation d‟organisations associatives et syndicales revendiquant leur « autonomie » et une participation plus directe à la vie politique. Mais comme le souligne Camille Goirand, « l‟autonomie des nouveaux mouvements sociaux, si elle a été réelle, a surtout constitué une situation temporaire, liée au contexte très spécifique et transitoire créé par le changement de régime »274. De plus, la phase transitionnelle constitue une structure d‟opportunité politique pour un ensemble d‟acteurs, certains étant « nouveaux » et d‟autres, plus anciens mais marginalisés sous le régime militaire. Parmi ces derniers, l‟on compte les élus du PMDB, pour lesquels le retour à la démocratie implique de redéfinir l‟organisation de la fédération en privilégiant la décentralisation et la prise de décision au plus près des gouvernés.

Un « projet » participatif sous conditions

Dans les années 1980, des organisations féminines et féministes (ré)apparaissent à l‟échelle locale et nationale. Quatre types d‟acteurs peuvent être distingués : les organisations du « nouveau féminisme », les associations féminines de quartiers, les organisations réunies autour de la cause démocratique et des droits humains311, enfin les départements féminins des partis politiques. Ces diverses organisations participent plus généralement à la constitution d‟un « espace de la cause des femmes ». Cette notion, développée par Laure Bereni désigne « l‟ensemble des collectifs – et leur participantes – qui luttent au nom des femmes et pour les femmes, quels que soient les termes de la lutte et la sphère dans laquelle elle se déploie »312. Elle permet de penser l‟hétérogénéité des acteurs associatifs et politiques se revendiquant de la cause des femmes, mais également les liens qui les unissent. Au sein de cet espace, la participation des femmes à l‟action publique, par l‟instauration de dispositifs participatifs, n‟est pas envisagée de la même façon selon les acteurs, les périodes et les configurations locales. Les organisations féministes et féminines la revendiquent d‟autant plus que la configuration politique leur garantit de jouer un rôle de premier plan dans les dispositifs participatifs. Aussi, les conceptions qu‟elles défendent doivent être étudiées à la lumière des liens qui les unissent avec les acteurs politiques et des positions qu‟elles espèrent occuper au sein des dispositifs.

Les organisations féministes face à la démocratie participative à Recife

A Recife, dans les années 1980, la question de la participation à la définition des politiques publiques constitue un thème qui divise les militantes féministes. La création, par les gouvernements du PMDB, de Conseils des droits des femmes à l‟échelle locale et nationale est accueillie avec circonspection au sein des groupes « autonomes », relativement influents dans la capitale du Pernambouc. La participation ne constitue pas nécessairement une revendication des organisations féministes locales, qui n‟intègrent pleinement ce thème qu‟à partir des années 1990. L‟analyse des causes de cette évolution sera l‟objet de cette partie.

L‟autonomie du féminisme contre les dispositifs participatifs

Au Brésil, le « nouveau féminisme » apparaît avec la libéralisation du régime. Selon Céli Pinto, les organisations créées à partir de la fin des années 1970 se différencient du féminisme des décennies antérieures par leurs modes d‟action collective, c‟est-à-dire l‟action contestataire, ainsi que par les problèmes qu‟elles contribuent à politiser, tels que l‟avortement ou la violence domestique313.
A Recife, plusieurs groupes essaiment à la fin des années 1970, sous l‟influence de féministes exilées durant le régime militaire, en France et aux Etats unis surtout, mais également de militantes d‟opposition engagées dans les partis, légalisés ou non314. Créé en 1978, le groupe Ação Mulher se développe autour de groupes « de prise de conscience » avec l‟objectif d‟agir sur la subjectivité des femmes en politisant leur vécu de l‟espace privé. Il donne naissance à l‟une des principales ONG féministes locales, le SOS Corpo, fondé en 1981. Parallèlement, se forment des organisations composées de militantes issues des partis politiques, à l‟image de l‟Union des femmes, proche du Parti Communiste, pour laquelle l‟émancipation féminine va de pair avec le changement des structures économiques315. Ces deux types d‟organisations, les groupes d‟auto-conscience et les associations liées aux partis politiques, se différencient par le rapport qu‟elles entretiennent avec les formations partisanes. Selon les premières, les organisations féministes doivent rester « autonomes » vis-à-vis des organisations traditionnelles d‟intermédiation alors que pour les secondes, le multi positionnement constitue une stratégie politique. Cette divergence se double d‟un rapport différencié au champ politique : pour les premières, les organisations féministes sont plus influentes lorsqu‟elles agissent en dehors de l‟Etat, par nature patriarcal, alors que les secondes envisagent le changement institutionnel comme une condition de l‟émancipation féminine. D‟où l‟apparition d‟un clivage entre les courants « autonomes » et « institutionnels », clivage qui est, en Amérique latine, davantage significatif que la distinction entre essentialistes et différentialistes en France.
Dès lors, dans les années 1980, les organisations et militantes féministes se positionnent de manière différenciée sur la question de la participation à l‟action publique. En 1985, le gouvernement de José Sarney instaure un Conseil national des droits des femmes, lequel prévoit la désignation, par les organisations féministes, d‟une représentante du Nordeste316, une perspective qui fait débat lors de la rencontre régionale féministe organisée à Recife en 1985. Trois positions s‟affrontent : la première, défendue par les courants autonomes, consiste à rejeter le principe de participation au Conseil en raison des modes d‟action privilégiés par les organisations féministes, à savoir la politisation individuelle ; la deuxième, adoptée par des militantes proches du PMDB, associe le Conseil à une « conquête » des organisations féministes qui justifie leur présence ; la troisième, portée par des acteurs « autonomes » et « institutionnels », ne rejette pas le principe du Conseil, mais plutôt le poids des partis politiques en son sein. Ces approches contradictoires sous-tendent la discussion : L : Pourquoi devrions-nous laisser de côté nos peurs et entrer dans le Conseil ? S‟il y a des féministes qui veulent y aller, d‟accord. Mais les groupes, non. Ils doivent soutenir les personnes, mais il faut aussi reconnaître que certaines d‟entre nous n‟ont ni la volonté ni le désir de participer à la vie politique. On ne peut pas prendre le train en marche malgré elles. On ne peut pas dévaloriser celles qui ne veulent pas entrer dans cette histoire. Sinon, nous nions le mouvement féministe. Le mouvement a de l‟influence sans être au pouvoir. […]
C : Le mouvement féministe a proposé d‟influencer la politique, c‟est lui qui a créé le train en marche. Soit nous le dirigeons, soit d‟autres le dirigeront. Nous ne devons pas perdre ce train en marche donc nous devons participer au Conseil. La discussion doit se faire d‟organisations à organisations, avec d‟autres groupes. Le Conseil n‟est pas un cadeau, c‟est une conquête du mouvement. S‟il existe un Conseil à São Paulo, c‟est parce que le mouvement féministe a lutté pour cela. C‟était l‟un de nos objectifs. Nous étions dans un ghetto et très satisfaites de cela. Maintenant, nous sommes plus proches du pouvoir. Nous le voulons ou non ? […]
M: La question du Conseil est une question complexe. Aujourd‟hui, les femmes du PMDB et du PCB organisent des débats pour en discuter mais cela n‟aboutit à rien. Car le problème est que les personnes choisies [pour siéger au Conseil] n‟ont aucun lien avec le mouvement des femmes »317.
Les mêmes divergences animent également l‟espace de la cause des femmes à Recife, où en 1988, nait une fédération d‟organisations, le Forum de femmes du Pernambouc (FMPE318), sous l‟influence du SOS Corpo. Dans un premier temps, la nouvelle structure ne prend pas de position collective sur les dispositifs participatifs récemment créés, laissant à la libre appréciation des organisations et des militantes la composant le choix de participer ou non aux Conseils des droits des femmes instaurés dans les municipalités de Recife et les communes avoisinantes tels qu‟Olinda ou le Cabo Santo Agostinho319. Cette neutralité se double, plus généralement, d‟une moindre attention à la thématique de la participation à l‟action publique, qui ne constitue pas un objectif premier de la fédération. Un compte rendu de réunion de janvier 1989 en témoigne : « Compte rendu de la réunion Forum de femmes de Pernambouc du 5 janvier 1989. Discussion sur les Conseils des droits de la femme : Cette discussion a été proposée par Maria José du Conseil municipal d‟Olinda et a été coordonnée par Maria Betânia, membre du Conseil national. Le mouvement ne revendique plus aujourd‟hui la création de nouveaux conseils. Plusieurs ont été créés dans les Etats et les municipalités et ont fait l‟objet de critiques variées.
Les conseils du Cabo et d‟Olinda connaissent de nombreux problèmes en cette période. Celui du Cabo a été transformé en organisation civile sans fin lucrative, celui d‟Olinda est menacé par le changement de maire. De plus, le Conseil d‟Olinda est resté concentré dans les mains d‟une personne, Maria José, vu que les autres conseillères sont toujours absentes, y compris à cette réunion du Forum à laquelle elles ont été invitées »320. On peut bien sûr considérer que cette posture critique à l‟égard des conseils résulte du constat de leur inanité et qu‟elle ne remet pas en question le fait que les organisations du mouvement social défendent alors un « projet démocratique-participatif » reposant sur une prise de décision plus effective. Cette interprétation sous-estime toutefois les résistances qui traversent alors le FMPE face à ce qui est perçu comme une institutionnalisation de la cause des femmes. Pour certains de ses membres, la politisation des rapports de genre doit principalement passer par la constitution d‟organisations indépendantes des structures étatiques et des relations patriarcales qui les traversent. Le rejet des dispositifs participatifs est manifeste dans le discours de cette militante du Centre des femmes du Cabo, organisation membre du FMPE:
« La création du Conseil national des droits des femmes était un thème en discussion dans l‟ensemble du Brésil. Mais au Cabo, à ce moment-là, il ne pouvait y avoir deux organisations qui défendaient les droits des femmes au même moment. […] Le Conseil municipal des droits de la femme [du Cabo] n‟était pas une nécessité parce qu‟à ce moment-là, les femmes avaient à leur disposition une organisation qui discutait des questions des femmes, qui était le Centre des femmes du Cabo. Je crois que c‟était quelque chose qui venait plus du gouvernement. Soit vous fondiez un conseil dans votre municipalité, votre Etat, soit vous passiez pour un gouvernement arriéré, parce que vous ne discutiez pas des questions des femmes. Mais au Cabo, il y avait déjà une organisation qui représentait, durant ce moment historique, la question des femmes, donc on ne voyait pas la nécessité de créer une institution ayant pour mission de discuter de la même chose »321. Jusqu‟à la fin des années 80, la mise en place dispositifs participatifs constitue davantage un problème qui divise les militantes féministe à Recife, que la satisfaction d‟une revendication défendue par ces dernières.

Un renouvellement des inégalités socio-économiques

Les capitaux scolaires jouent un rôle plus déterminant pour l‟occupation du poste de « déléguée ». Les acteurs ayant un diplôme du secondaire et universitaire augmentent sensiblement et représentent 53 % des acteurs à Recife et 50 % à Londrina. Cette évolution est le reflet de deux facteurs. Le premier réside dans l‟auto-exclusion des plus démunies lors du processus de désignation des déléguées. Les personnes élues ont, en second lieu, davantage une trajectoire militante et/ou elles occupent un poste de direction au sein des organisations du mouvement social et des associations de quartier. La composition des assemblées reproduit les hiérarchies sociales qui traversent ces mêmes organisations.

Les mobilisations participatives

Pour comprendre comment et pourquoi des citoyennes investissent les assemblées, il nous faut d‟abord analyser le processus par lequel elles sont invitées à le faire, c‟est-à-dire la manière dont la tenue des conférences est diffusée auprès de la population locale. A la différence des convocations électorales, dont l‟organisation est relativement ritualisée – elles sont organisées au Brésil tous les quatre ans, en fin d‟année et dans des lieux fixes – les conférences des femmes se déroulent dans des lieux qui varient d‟une année sur l‟autre et selon un calendrier qui n‟est pas stabilisé. Leur moindre institutionnalisation impose donc aux acteurs administratifs d‟annoncer leur tenue, ce qui leur confère un rôle de premier plan dans ce que l‟on peut appeler, par analogie avec la période électorale, les « mobilisations participatives », que l‟on définira comme l‟action par laquelle certains acteurs travaillent à la familiarisation des pratiques participatives au sein de la population435. Comme en période électorale, ce travail de mobilisation ne consiste pas uniquement à emporter l‟adhésion des habitants à l‟égard de la participation mais il s‟appuie sur la mobilisation de ressources de toutes natures, à la fois idéologiques, matérielles et humaines436. Il constitue également une phase de sélection et de transmission d‟un mode de comportement légitime au sein des assemblées.

Traduction et transmission de la vertu participative dans les quartiers

La mobilisation initiée par les acteurs administratifs est relayée par des acteurs qui souhaitent se maintenir dans le dispositif et sollicitent des soutiens à cette fin. Nous nous attacherons plus précisément à analyser le rôle des entrepreneures de participation dans les quartiers, puisque c‟est principalement sous leur influence que des habitantes habituellement peu participantes investissent les conférences des femmes. Elles contribuent à une inversion du cens de la participation en activant des réseaux de sociabilité territorialisés, associatifs mais également amicaux et familiaux. Point important, la mobilisation qu‟elles assurent entraîne un travail de traduction des objectifs et du sens conféré à la participation. Par traduction, nous entendons un déplacement qui vise, comme le souligne Michel Callon, à « exprimer dans son propre langage ce que les autres disent et veulent, [et à] s‟ériger en porte-parole »461. Sous l‟influence des entrepreneures, la participation est individualisée et associée à leur élection.

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Table des matières

1ère Partie : Repenser la genèse de la démocratie participative au Brésil pour comprendre la participation des habitant(e)s
Chapitre 1.1 : La participation contre l’Etat : les interprétations scientifiques de la genèse de la démocratie participative au Brésil
Section I) La démocratie représentative brésilienne au prisme de ses dysfonctionnements
Section II) Les sociétés civiles contre les maux de la démocratie
Section III) Revisiter la genèse de la démocratie participative brésilienne
Chapitre 1.2 : Du développement des communautés à la participation « populaire ». Genèse d’une catégorie d’action publique
Section I) La participation au service du développement
Section II) La participation au service de la démocratisation du régime
Chapitre 1.3 : Une conception ou un moyen d’action ? La création des conférences des femmes à Recife et Londrina
Section I) Un « projet » participatif sous conditions
Section II) Entre socialisation et stratégie politiques
Section III) Le design des conférences : une négociation entre des objectifs pluriels
Conclusion de la 1ère partie : La participation des habitants des quartiers populaires : une nouveauté relative
2ème Partie : Une participation ponctuelle ancrée dans des rapports sociaux territorialisés
Chapitre 1.1 : Qui participe ? Sociographie des publics
Section I) Le « cens » de la participation politique
Section II) Une inversion partielle du cens de la participation durant les pré-conférences
Section III) La réintroduction d’un cens : la logique de la représentation
Chapitre 2.2 : La participation ponctuelle comme délégation
Section I) Les mobilisations participatives
Section II) Traduction et transmission de la vertu participative dans les quartiers
Section III) Les motivations plurielles d’une participation ponctuelle
Chapitre 2.3 : La délibération : la fabrique de « représentantes »
Section I) Des registres d’intervention situés
Section II) La sélection des identités et des représentantes légitimes : l’assemblée plénière des conférences
Conclusion de la 2ème partie : Des dynamiques autonomes de participation ?
3ème partie : L’engagement participatif : une intermédiation individuelle et collective
Chapitre 3.1 : La construction du leadership territorial
Section I) La poursuite d’une carrière participative
Section II) Les rétributions de la participation
Section III) L’insertion dans les politiques sociales : les politics dans l’exercice du leadership territorial
Chapitre 3.2 : L’intermédiation participative : négociation et contestation des relations au « guichet »
Section I) La prescription d’un rôle institutionnel
Section II) Négocier et contester les relations de guichet : l’appropriation d’un rôle
Section III) Une médiation aux contours clientélaires ?
Chapitre 3.3 : Une politisation contrastée
Section I) De la politisation à la professionnalisation politique : les trajectoires distinctes des représentantes de Recife et Londrina
Section II) Un engagement différencié en faveur de la cause des femmes
Conclusion de la 3ème partie : Un multi-positionnement participatif
4ème partie : Les conférences des femmes dans l’action publique
Chapitre 4.1 : Analyser les effets des dispositifs participatifs sur l’action publique
Section I) Les limites d’une analyse en termes de démocratisation
Section II) Réinsérer les dispositifs participatifs dans le quotidien administratif
Chapitre 4.2 : Les usages de la participation : la négociation des frontières sectorielles
Section I) La remise en cause des frontières sectorielles à Recife
Section II) La préservation des frontières administratives à Londrina
Chapitre 4.3 : Sélection des bénéficiaires des programmes publics et ré-enchantement du politique
Section I) La définition des bénéficiaires des programmes d’insertion professionnelle
Section II) Ré-enchanter la politique : la décision aux mains du peuple
Conclusion de la 4ème partie : La construction sociale des effets des dispositifs participatifs
Conclusion générale
Bibliographie

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