Les signaux de QS n’informent pas seulement sur la densité de population

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Les signaux de QS n’informent pas seulement sur la densité de population

Bien que les QSSs soient communément admis comme des systèmes de réponse à la densité de population, il convient d’indiquer que certains biologistes les considèrent avant tout comme des moyens de sonder les propriétés physico-chimiques d’un environnement. Par exemple, Redfield avance que ces systèmes sont moins des systèmes de QS mesurant et régulant des propriétés de groupe que des systèmes de diffusion sensing, permettant à une cellule de mesurer la vitesse à laquelle un signal émis s’éloigne d’elle et de décider en conséquence si la production d’exofacteurs aura un effet écologique optimal ou non (Redfield, 2002). Il est à cet égard intéressant de noter que si deux populations sont identiques en nombre par unité de volume, mais que l’une est confinée dans un milieu clos, tandis que l’autre est dans un milieu ouvert et très fluide, les deux populations ne réagiront pas au même quorum. En effet, dans le premier milieu, la probabilité qu’un signal se lie à un récepteur sera supérieure à celle du deuxième milieu, et le quorum reflété y sera donc plus petit. Néanmoins, selon West et al., le QS et le diffusion sensing ne sont pas deux théories mutuellement exclusives dès lors que l’on considère que les QSSs régulent des comportements sociaux en réponse à de multiples facteurs environnementaux, dont des facteurs de densité et de diffusion (West et al., 2012). D’ailleurs, il est aujourd’hui assez bien établi qu’un signal de QS véhicule de multiples informations sur un environnement (Cornforth et al., 2014; Moreno-Gámez et al., 2017; Chu, Groisman and Levchenko, 2019). Par exemple, la température et le pH du milieu peuvent influer sur la stabilité du signal de QS (Horswill et al., 2007) ou sur la conformation 3D de son récepteur, et donc sur son affinité vis à vis du signal (Do et al., 2019). Des facteurs abiotiques peuvent donc influer sur la chronologie de la transduction synchronisée d’un signal de QS. Une vision unificatrice de ces théories consisterait à dire que les QSSs ont évolué pour déclencher un comportement, social ou non, dans les conditions environnementales ayant prouvé par le passé offrir davantage de succès à ce comportement qu’à d’autres traits, conditions dont la densité de population est un facteur prépondérant.

Importance du QS

En écologie

Les communautés microbiennes réalisent des processus fondamentaux sur Terre. Les communautés microbiennes dans les sols et les mers participent aux cycles géochimiques et celles
de nos microbiotes influencent notre santé et notre bien-être (Bertrand et al., 2015; Gilbert et al., 2018). Les processus propres à ces communautés émergent des interactions entre leurs différentes espèces constitutives. En tissant bon nombre de ces interactions et en coordonnant leurs réponses associées, le QS contribue fortement aux dynamiques sociales des communautés microbiennes.
L’étude du QS peut alors se révéler utile à la compréhension de l’évolution et de l’émergence des processus collectifs propres aux communautés microbiennes qui façonnent notre planète.

En médecine

Le QS est aussi très intéressant selon des considérations plus anthropocentristes, notamment puisque l’humain est un holobionte, constitué d’au moins autant de cellules somatiques humaines que de cellules microbiennes (ratio estimé à 1,3 cellule bactérienne par cellule somatique) (Sender, Fuchs and Milo, 2016) sans compter les virus qu’ils lui sont associés et qui dépasseraient ce nombre de cellules microbiennes d’au moins un ordre de magnitude (Reyes et al., 2010). En régulant certains comportements des microbes qui nous composent, nous influencent, et nous assistent, le QS apparaît comme une composante importante de notre biologie, bien que ce processus ne soit pas inscrit dans notre code génétique (Wu and Luo, 2021). Cette composante est d’ailleurs si importante qu’elle n’oeuvre pas tout à fait en parallèle des réseaux de régulation et de signalisation strictement codés par notre propre génome. En effet, la coévolution homme-microbes a notamment donné lieu à un phénomène fascinant : l’inter-influence par voie de signaux moléculaires. Concrètement, certains signaux de QS produits par nos microbiomes interagissent directement avec certaines protéines humaines et a contrario, certaines de nos hormones peuvent, en tant qu’ersatz de signaux de QS, être interprétées par des récepteurs microbiens (Ismail, Valastyan and Bassler, 2016; Lee et al., 2018; Kim et al., 2020; Wu and Luo, 2021) (plus de détails en section 2.7). Par ailleurs, en plus de pouvoir apporter un éclairage sur certains pans de notre propre biologie émergeant de l’interaction avec nos microbiotes, l’étude du QS dans les écosystèmes formés par l’humain et ses résidents microbiens pourrait mener à des applications médicales importantes. À titre d’exemple, des effets bénéfiques pour la santé ont été imputés à certaines molécules de QS dans un contexte d’immunomodulation (Landman et al., 2018) ou d’équilibre du microbiote intestinal (Thompson et al., 2015). A contrario, beaucoup de pathogènes humains deviennent virulents en réponse au QS. Ainsi, la recherche de signaux de QS enrichis spécifiquement dans des contextes infectieux pourrait aboutir à des stratégies thérapeutiques visant à court-circuiter la voie de communication par laquelle certains pathogènes résistants aux antibiotiques deviennent virulents (Jiang et al., 2019). Parmi ces stratégies anti-QS, l’administration d’enzymes dites de Quorum Quenching, connues pour dégrader certains signaux de QS constituerait une option radicale mais peu prudente et onéreuse, tandis que l’administration d’analogues de signaux de QS, créant une compétition inhibitrice pour leurs récepteurs dédiés, semble offrir une option plus réaliste ayant déjà fait l’objet d’une preuve de concept chez la souris (Adiliaghdam et al., 2019). Outre le QS intra-humain, le QS environnemental s’avère être aussi extrêmement intéressant d’un point de vue anthropocentrique car il régule des processus microbiens directement liés à des problématiques sociétales majeures. Par exemple, les biofilms, spores et autres voies de virulence régulés par le QS chez les pathogènes d’animaux et de plantes sont autant de facteurs à risque pour la sécurité alimentaire et les rendements agronomiques. D’autre part, la conjugaison et la compétence régulées par le QS contribuent significativement à la diffusion des gènes de résistance aux antibiotiques (Von Wintersdorff et al., 2016). Enfin, puisque le QS initie souvent la production collective de molécules antimicrobiennes, une détection systématique des QSSs et des gènes qu’ils régulent pourrait mener, selon une perspective plus optimiste, à l’enrichissement de notre pharmacopée (Hoover et al., 2015; Brotherton, Medema and Greenberg, 2018; Rued et al., 2021).

En biologie évolutive

Le quorum sensing offre enfin des questions stimulantes sur le plan de la biologie évolutive. Par exemple, comment expliquer la stabilité évolutive de systèmes complets de quorum sensing alors que des tricheurs capables d’intégrer le signal de communication sans le produire peuvent émerger d’une population ? Si le cadre théorique de la sélection de parentèle peut expliquer la pérennité de QSSs intra-spécifiques, comment expliquer la stabilité évolutive de QSSs inter-spécifiques (Diggle, Gardner, et al., 2007) ? Si un signal inter-spécifique reflète la densité d’une communauté bactérienne hétérogène, comment expliquer la sélection du gène producteur de ce signal sachant que son récepteur seul permettrait à moindre coût de s’adapter aux dynamiques de population des autres espèces de la communauté ? Se pourrait-il que les réponses d’un collectif d’espèces à une haute concentration d’un signal interspécifique puisse bénéficier à un microorganisme d’une espèce donnée au point d’exercer une pression de sélection pour sa contribution à l’accumulation de cette molécule ?
Se pourrait-il, d’autre part, qu’en ne produisant pas un signal inter-spécifique, un tricheur soit désavantageusement exclu d’un collectif hétérogène mutualiste ? De façon intéressante, le quorum
reflété par une haute concentration d’un signal inter-spécifique peut très bien correspondre à des représentants d’une seule espèce émettrice de ce signal tout comme à ceux d’une multitude d’espèces émettrices. Existerait-il alors des environnements dans lesquels un collectif d’espèces différentes pourrait se substituer à une fraction de la population d’une seule espèce pour le même succès évolutif du trait déclenché en réponse au quorum ? La sortie des biofilms multi-espèces ou mono-espèce à haute densité d’individus apparentés ou non semblerait en constituer en exemple (Bridges and Bassler, 2019). En outre, certaines cassettes génomiques correspondant à un QSS ssocié à ses gènes cibles sont mobiles et pourraient également abonder dans ce sens. Selon une perspective encore plus excitante, la co-évolution entre espèces différentes aurait-elle pu donner lieu à des réponses différentes et complémentaires à un quorum hétérogène, de sorte qu’un QSS interspécifique ne soit évolutivement stable que dans un contexte social diversifié ? Autrement dit, certains signaux de quorum sensing pourraient-ils, dans certains environnements, orchestrer une division des tâches parmi un consortium d’espèces différentes ? À ces égards, les études du laboratoire de Xavier suggérant un rôle de l’AI-2 dans l’équilibre d’un microbiote intestinal sain sont fascinantes (Thompson et al., 2015). Dans un autre registre, comment expliquer la sélection d’une autolyse déclenchée par une haute densité de population ? Ou comment penser l’évolution des QSSs et des systèmes de signalisation eucaryotes vers des modalités d’inter-influence dans le cadre des co-évolutions bactéries-plante ou bactéries-animal ? Ces questions fascinantes illustrent bien que le QS constitue un cadre théorique excitant pour les évolutionnistes. L’étude approfondie de sa diversité et de ses implications écologiques dans des contextes multi-espèces apparaît alors essentielle pour penser cette évolution sur des bases concrètes solides.

Limites de la recherche sur le QS et objectifs de thèse

Ce petit tour d’horizon du QS, qui sera approfondi plus en détails dans le chapitre suivant, permet d’ores et déjà de saisir l’importance capitale du QS dans l’adaptation des micro-organismes à leur environnement social et physico-chimique, dans les interactions entre micro-organismes parents ou non, et dans la régulation de processus microbiens d’intérêt médical tels que la virulence ou la production de molécules naturelles aux propriétés antimicrobiennes. Cependant, un certain nombre de limitations, à la fois d’ordres technique et culturel sont inhérentes à la recherche sur le QS depuis les années 70 :
• la majorité des connaissances sur le QS est issue de l’étude en culture d’une poignée seulement de micro-organismes modèles (e.g. Bacillus subtilis, Staphylococcus aureus, Streptomyces griseus, Vibrio cholerae, Pseudomonas aeruginosa, Escherichia coli …) représentatifs de seulement 3 phyla bactériens (Firmicutes, Protéobactéries, Actinobactéries).
• la recherche du QS est particulièrement biaisée vers la biologie des pathogènes humains.
• bien qu’une transition soit en train de s’opérer depuis le milieu des années 2010 vers une étude du QS dans des contextes multi-espèces, la majorité des comportements microbiens régulés par le QS furent observés en mono-culture.
• les implications systémiques du QS dans les communautés microbiennes demeurent ainsi assez méconnues, et sont davantage abordées d’un point de vue théorique que sous le prisme de réelles données biologiques.
• enfin, l’écrasante majorité des QSSs étudiés concernent des QSSs chromosomiques. Les QSSs portés par des MGEs et notamment par des phages représentent un nouveau champ de recherche largement sous-exploré.
Face à ces limitations, la bioinformatique pourrait tirer son épingle du jeu en propageant les connaissances accumulées sur les génomes historiquement étudiées dans le cadre du QS à d’autres séquences d’ADN sous-explorées, aujourd’hui disponibles grâce à l’explosion récente de la quantité de génomes et de MGEs séquencés et grâce au développement de la métagénomique, une technique de séquençage environnemental permettant d’accéder aux génomes de micro-organismes cohabitant au sein d’une même communauté. Un premier pas vers l’enrichissement des connaissances actuelles sur le QS pourrait alors consister à développer des méthodes bioinformatiques de détection et d’inférence fonctionnelle de gènes de QS, puis de les appliquer aux génomes de lignées sousétudiées, aux génomes environnementaux assemblés par métagénomiques (MAGs), et aux MGEs.
Comme le QS est avant tout un processus d’interaction entre entités microbiennes, un deuxième pas pourrait concerner la comparaison des gènes de QS préalablement détectés entre génomes. En effet, une idée intuitive, dont la trivialité sera néanmoins éprouvée au cours du chapitre suivant, pourrait consister à dire que si deux génomes codent des QSSs dont les composantes sont très similaires en terme de séquence, il pourrait être envisageable que ces deux génomes puissent émettre et reconnaître au moins une molécule de QS en commun, justifiant alors la prédiction d’un lien de communication entre ces deux génomes. En somme, identifier qui communique comme qui pourrait permettre d’inférer qui communique avec qui, malgré de nombreuses limitations à surmonter dans ces inférences. Appliquées aux MAGs d’un même environnement, ces prédictions de liens de communication pourraient alors déverrouiller un troisième pas d’ordre écologique en permettant la reconstruction d’un réseau de communication hypothétique propre à chaque environnement, dans lequel chaque noeud (MAG) serait annoté par des labels taxonomique et d’abondance. L’analyse des topologies globale et locale de chacun des réseaux environnementaux ainsi générés, suivie de la comparaison de ces réseaux entre eux pourrait alors permettre de gagner en compréhension sur les possibles rôles écologiques du QS.

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Table des matières

1. Introduction générale sur la communication microbienne par voie de Quorum Sensing (QS)
1.1. Bref historique de la découverte du QS, un mécanisme de biocommunication densité dépendant
1.2. Les signaux de QS n’informent pas seulement sur la densité de population
1.3. Importance du QS en écologie, en sciences appliquées et en biologie évolutive
1.4. Limites de la recherche sur le QS et objectifs de thèse
2. Propriétés des gènes et signaux de QS à considérer pour détecter, prédire les fonctions et comparer des systèmes de QS en bioinformatique
2.1. Base génétique du QS : des gènes émetteurs aux gènes récepteurs
2.2. Diversité des signaux de QS : les « langues » et les « dialectes »
2.3. Spécificité des signaux de QS : des « langues » plus ou moins secrètes
2.4. Hiérarchie intragénomique des systèmes de QS : adaptabilité des micro-organismes
« polyglottes »
2.5. Lien entre similarité de séquences entre protéines de QS et probabilité d’émission ou de reconnaissance d’une molécule de QS en commun
2.6. Combinatoire de gènes de QS entre deux génomes distincts et modalités de communication : de la communication bilatérale à la manipulation et l’espionnage
2.7. Coévolution bactéries-eucaryotes et signalisation inter-domaines
3. Détection de variants de gènes de QS dont les signaux associés sont de petites molécules de QS par des méthodes classiques de recherche d’homologues
• article 1 : Rich Repertoire of Quorum Sensing Protein Coding Sequences in CPR and DPANN Associated with Interspecies and Interkingdom Communication
4. Identification systématique de systèmes de QS dont les signaux sont des oligopeptides
4.1. Détection de variants de gènes de QS par des méthodes classiques de recherche
d’homologues
• article 2 : Beyond arbitrium: identification of a second communication system in Bacillus phage phi3T that may regulate host defense mechanisms
4.2. Détection de nouveaux gènes de QS par une nouvelle méthode basée sur une signature de critères génomiques, structurels et biochimiques
• article 3 : RRNPP_detector : a tool to detect RRNPP quorum sensing systems in chromosomes, plasmids and phages of gram-positive bacteria
5. De la détection de nouveaux systèmes de QS à leur inférence fonctionnelle
• article 4 : Large-scale identification of viral quorum sensing systems reveals density-dependent sporulation-hijacking mechanisms in bacteriophages
6. Génomique comparative des systèmes de QS et inférence de réseaux de communication……
• chapitre de livre : Microbial Communication Networks: Sketching a Method for Analyzing the Communication of Bacteriophages Inside Environmental Communities
7. Travaux en cours
7.1. Détection de variants divergents de gènes de QS associés à de petites molécules de QS par des recherches itératives d’homologues et des critères de conservation de synténie
7.2. Vers une inférence à large échelle des fonctions régulées par QSSs dont le récepteur est à une composante
8. Conclusions et perspectives
9. References
10. Annexes
• article 5 : Interspecific interactions that affect ageing: age-distorters manipulate host ageing to their own evolutionary benefits

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