La notion de peine
ย ย Ainsi, le terme ยซpeineยป vient du grec ยซpoinรฉยป ou ยซpoinรจยป selon diffรฉrentes transpositions, ainsi que du latin ยซpoenaยป. La ยซpeineยป dรฉsignerait ainsi le ยซprix d’un meurtreยป ou le ยซprix du sangยป. D’autres significations font de la peine une ยซranรงon destinรฉe ร racheter un meurtreยป, une ยซexpiationยป, une ยซvengeanceยป ou un ยซchรขtimentยป. ยซLa poinรฉ est le chรขtiment et la rรฉparation dus pour la violation du serment. Les formes comparables, hors du grec, [โฆ] se rapportent toutes ร la punition: c’est le cas du latin ยซpoenaยป, terme du droit criminel, emprunt ancien ร la forme grecque ยซpoinaยป […]ยป prรฉcise ainsi Le vocabulaire des institutions indo-europรฉennes. Ici, ce sont donc deux notions de la peine qui sont prรฉsentรฉes ร travers les origines รฉtymologiques du terme: la sanction et la rรฉparation. Quand bien mรชme il semblerait que la rรฉparation soit acquise par la sanction, selon une conception vindicative de la peine ancienne, la peine a plusieurs origines รฉtymologiques qui renvoient ร diffรฉrents fondements, ce qui complexifie encore davantage sa comprรฉhension. Au regard d’une dรฉfinition de la peine moderne, peut-รชtre pourrions nous identifier sa nature et ses contours. Si l’on s’en tient au Vocabulaire juridique de Gรฉrard CORNU, la peine est dรฉfinie comme ยซle chรขtiment รฉdictรฉ par la loi ร l’effet de prรฉvenir et, s’il y a lieu, de rรฉprimer l’atteinte ร l’ordre social qualifiรฉe d’infractionยป. Plusieurs รฉlรฉments de cette dรฉfinition permettent ainsi de dรฉterminer ce qu’est une peine aujourd’hui. Cette dรฉfinition renvoie tout d’abord ร diffรฉrentes caractรฉristiques de la peine. Ainsi, l’un des caractรจres les plus fondamentaux de la peine est sa lรฉgalitรฉ, issue du principe de lรฉgalitรฉs des dรฉlits et des peines proposรฉ par le juriste italien BECCARIA. Le critรจre essentiel de la peine est la loi: ce qui fait une peine est sa consรฉcration dans la loi. Le principe de lรฉgalitรฉ est inscrit ร l’article 8 de la Dรฉclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (DDHC) qui dispose que ยซla Loi ne doit รฉtablir que des peines strictement et รฉvidemment nรฉcessaires, et nul ne peut รชtre puni qu’en vertu d’une Loi รฉtablie et promulguรฉe antรฉrieurement au dรฉlit, et lรฉgalement appliquรฉeยป. Le principe de lรฉgalitรฉ criminelle a donc d’autres incidences. Un comportement ne pourra รชtre qualifiรฉ d’infractionnel, et dรจs lors รชtre punissable, que si un texte le prรฉvoyait antรฉrieurement ร la commission de cette infraction, de la mรชme maniรจre que la durรฉe d’une peine doit รชtre strictement fixรฉe par la loi. L’article 8 de la DDHC prรฉvoit รฉgalement d’autres caractรจres attachรฉs ร la peine, ร savoir sa stricte et รฉvidente nรฉcessitรฉ, ainsi que sa proportionnalitรฉ. Si ces deux principes peuvent puiser leur origine dans ledit article, c’est avant tout la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui y fait rรฉfรฉrence. La lรฉgalitรฉ criminelle est aussi ร mettre en corrรฉlation avec le principe d’รฉgalitรฉ de la peine qui indique que, la loi รฉtant la mรชme pour tous les citoyens, la peine doit l’รชtre tout autant, sous rรฉserve que celle-ci soit adaptรฉe ร la personnalitรฉ du dรฉlinquant ou que l’individu puisse รชtre responsable de ses actes. Ainsi, seule la peine encourue est identique pour tous tandis que la peine prononcรฉe et la peine exรฉcutรฉe pourront faire l’objet d’adaptation. Il s’agit du principe hautement important aujourd’hui de personnalisation de la peine, ou devrait-on dire d’individualisation, au regard de la formulation utilisรฉe dans les derniers textes pรฉnaux. Un autre caractรจre fondamental de la peine est sa personnalitรฉ. Toute peine est personnelle mais il ne faut toutefois pas confondre ce principe avec celui de personnalisation ou d’individualisation de la peine. Une peine personnelle signifie que l’on ne peut pas condamner un individu pour une infraction qu’il n’a pas commise. Seul l’infracteur reconnu en tant que tel est punissable. Aussi, si la peine prรฉsente des caractรจres permettant de prรฉciser sa nature, elle revรชt รฉgalement des fonctions et poursuit des finalitรฉs. La question des fonctions et finalitรฉs de la peine est essentielle, puisque, nous le verrons, elle concerne directement les sens de la peine. Il importe que nous effectuions une distinction de ces deux notions. En effet, dans les thรฉories de la peine d’hier et d’aujourd’hui, comme dans la loi, des confusions ont souvent lieu entre ces deux termes qui ont pourtant des significations diffรฉrentes. Le terme ยซfonctionยป renvoie ร un ยซservice d’un but supรฉrieur et communยป, ou est ยซparfois synonyme plus vaguement de missionยป. Le Littrรฉ parle ยซd’action propre ร chaque emploiยป. Pour le professeur Michel VAN DE KERCHOVE, la fonction de la peine ยซ[…] se distingue de ses objectifs ร la fois par le fait qu’elle n’a pas en elle-mรชme un caractรจre intentionnel et par le fait qu’elle ne dรฉsigne pas un idรฉal poursuivi, mais un rรดle effectivement rempli. Elle se distingue cependant aussi partiellement des effets de la peine, ร la fois par le fait que la fonction se rรฉfรจre ร un rรดle caractรฉristique et essentiel de la peine, par le fait qu’elle dรฉsigne un rรดle auquel elle semble particuliรจrement adaptรฉe, et enfin par le fait qu’elle se rรฉfรจre ร un rรดle rรฉpondant positivement aux exigences du systรจme auquel elle appartientยป. Les fonctions traduisent donc ce ร quoi la peine sert. Elles sont une rรฉalisation. Quant aux finalitรฉs, celles-ci traduisent ce vers quoi la peine tend. Elles sont un projet. Pour le terme ยซfinalitรฉยป, il s’agit de ยซce ร quoi est ordonnรฉe une action et l’action d’y tendre; ce qu’il s’agit d’obtenir; ce qui est attendu d’une entreprise pour finirยป, du ยซcritรจre important pour juger de l’orientation, des tendances, de la nature et de la valeur d’une rรฉforme, d’une opรฉration commerciale, d’un montage financier, de toute activitรฉ consciente et organisรฉeยป. Il nous importe de prรฉsenter succinctement les fonctions et finalitรฉs traditionnelles de la peine, et de les approfondir respectivement dans les dรฉveloppements du prรฉsent รฉcrit. S’agissant des fonctions de la peine, certaines ont รฉtรฉ classiquement reconnues comme telles par la doctrine ou le lรฉgislateur, tandis que d’autres fonctions, nouvelles, se rรฉvรจlent et interrogent. Si la peine est qualifiรฉe de ยซchรขtimentยป c’est parce qu’elle est ร la fois afflictive et infamante, ce qui renvoie ร l’une des premiรจres fonctions de la peine, ร savoir la rรฉtribution. La peine est afflictive, en ce qu’elle impose une souffrance ร l’auteur d’une infraction, dans sa libertรฉ, ses droits ou son patrimoine, et infamante car elle en appelle ร la rรฉprobation gรฉnรฉrale de la sociรฉtรฉ envers l’individu condamnรฉ, ce qui se fait notamment aujourd’hui par la publicitรฉ de la dรฉcision judiciaire rendue. Elle impose donc ยซune souffrance qui varie au grรฉ des sanctions, ellesmรชmes fluctuantes en fonction de la gravitรฉ de l’infraction commiseยป. A la diffรฉrence de la fonction rรฉtributive tournรฉe vers le passรฉ, la peine comporte รฉgalement une fonction devenue primordiale aujourd’hui, celle de resocialisation, tournรฉe vers l’avenir du dรฉlinquant. Renforcรฉe aujourd’hui par le principe d’individualisation, la resocialisation du dรฉlinquant doit รชtre permise par une peine adaptรฉe ร sa personnalitรฉ et ร sa situation matรฉrielle, familiale et professionnelle. La peine doit ainsi รชtre utile pour le condamnรฉ et lui permettre de se rรฉinsรฉrer dans la sociรฉtรฉ une fois celle-ci effectuรฉe. Cette fonction humaniste de la peine est aujourd’hui l’une des clรฉs de voรปte de notre systรจme rรฉpressif, notamment sous l’influence de la pensรฉe du magistrat Marc ANCEL. La fonction d’intimidation de la peine fait รฉgalement partie des fonctions essentielles de la peine. Les thรฉories classiques de la peine l’ont considรฉrablement dรฉveloppรฉe, notamment sous la plume de BECCARIA et de BENTHAM. L’auteur britannique affirmera que ยซle but principal des peines, c’est de prรฉvenir des dรฉlits semblablesยป. Aujourd’hui, cette fonction est scindรฉe en deux avec d’une part, la dissuasion gรฉnรฉrale, applicable ร tout individu dans une sociรฉtรฉ et d’autre part, la dissuasion spรฉciale qui s’adresse aux individus dรฉjร condamnรฉs afin qu’ils ne rรฉitรจrent pas leur comportement infractionnel. Une fonction neutralisatrice ou รฉliminatrice est รฉgalement reconnue ร la peine, mรชme si la neutralisation est aujourd’hui relative puisque la peine capitale n’existe plus en France et que la peine de rรฉclusion criminelle ร perpรฉtuitรฉ n’est plus vรฉritablement mise en ลuvre. Toutefois, la neutralisation des condamnรฉs par la peine se poursuit encore aujourd’hui, notamment par la peine privative de libertรฉ qui sรฉpare les condamnรฉs du reste de la sociรฉtรฉ. S’il est vrai que cette fonction est traditionnellement reconnue ร la peine, il faut nรฉanmoins reconnaรฎtre qu’elle fait appel ร des notions positivistes, se fondant sur la dangerositรฉ des dรฉlinquants. Dรจs lors, elle revรชt une certaine forme d’ambiguรฏtรฉ. D’autres fonctions tendent ร se dรฉvelopper et c’est notamment le cas de la fonction rรฉparatrice de la peine qui peut รชtre illustrรฉe par la crรฉation de la sanction-rรฉparation ร l’article 131-8-1 du Code pรฉnal. Cette fonction peut รฉgalement faire รฉcho au dรฉveloppement de la justice restaurative en France. S’agissant des finalitรฉs de la peine, elles dรฉpendent globalement des diffรฉrentes reprรฉsentations de la peine que vรฉhicule un Etat de droit et des diffรฉrents objectifs de la politique pรฉnale de cet Etat, ร une รฉpoque donnรฉe. Aujourd’hui, en France, les finalitรฉs de la peine se rattachent essentiellement ร la prรฉvention de la rรฉcidive, ร la protection de la sociรฉtรฉ et ร la restauration de l’รฉtat social antรฉrieurement ร la commission de l’infraction. La peine se donne ainsi pour finalitรฉ gรฉnรฉrale de concilier les intรฉrรชts de la sociรฉtรฉ, du condamnรฉ et de la victime. Ainsi, au regard des caractรจres, fonctions et finalitรฉs de la peine, il devrait รชtre possible d’รฉtablir des critรจres de la peine. Didier FASSIN retranscrit ainsi l’un des discours du philosophe britannique HART en tant que prรฉsident de l’Aristotelian Society en 195913. Celui-ci reconnaรฎt ainsi cinq critรจres au chรขtiment: ยซIl doit impliquer une souffrance ou d’autres consรฉquences normalement considรฉrรฉes comme dรฉsagrรฉables; il doit rรฉpondre ร une infraction contre des rรจgles lรฉgales; il doit s’appliquer ร l’auteur rรฉel ou supposรฉ de cette infraction; il doit รชtre administrรฉ intentionnellement par des รชtres humains autres que le contrevenant; il doit รชtre imposรฉ par une autoritรฉ instituรฉe par le systรจme lรฉgal contre lequel l’infraction a รฉtรฉ commiseยป. Ainsi, une peine serait celle qui est appliquรฉe par une autoritรฉ publique dans le seul but de rรฉprimerย l’auteur d’une infraction lรฉgalement prรฉvue. Toutefois, si cette dรฉfinition permet en effet d’รฉtablir des critรจres formels de la peine, elle ne prend pas en compte des รฉvolutions de notre droit de la peine et du dรฉveloppement de nouvelles formes de sanction, pรฉnale ou non. Aujourd’hui, les contours de la peine ne sont plus parfaitement nets et certaines sanctions peuvent rรฉpondre positivement ร certains critรจres de la peine sans pour autant en รชtre une. Aussi, si la peine est une sanction pรฉnale, toute sanction pรฉnale n’est pas une peine. Le dรฉveloppement des mesures de sรปretรฉ dans notre arsenal pรฉnal rend poreux les contours de la peine. Elles peuvent se rejoindre dans leur mise en ลuvre mais elles ne font pas appel aux mรชmes fondements. La peine se fonde sur la responsabilitรฉ morale de l’auteur d’une infraction, ร savoir sa culpabilitรฉ, ร la diffรฉrence des mesures de sรปretรฉ qui se fondent sur sa responsabilitรฉ sociale, ร savoir sa dangerositรฉ. L’une appelle donc ร la punition tandis que l’autre en appelle au traitement.
Les sens de la peine
ย ย Etymologiquement, la question du sens ร donner aux sens de la peine n’est pas chose aisรฉe… D’aprรจs le Littrรฉ, le terme ยซsensยป a plusieurs dรฉfinitions. Il est notamment dรฉfini comme une ยซsignification, une maniรจre de comprendreยป, comme ยซune directionยป ou encore comme ยซla facultรฉ de comprendre les choses et d’en juger sainementยป. Dans son ouvrage Sens et non-sens de la peine, Michel VAN DE KERCHOVE cherche ร rรฉpondre ร la question du sens en faisant une analogie avec les questions que nous nous posons au sujet du sens de notre existence: ยซQue sommes-nous? D’oรน venons-nous? Oรน allons-nous? A quelles conditions notre existence est-elle rรฉussie ou notre vie est-elle ยซbonneยป?ยป. C’est ainsi en terme de ยซsignificationsยป et ยซdirectionยป que l’on s’intรฉressera aux sens de la peine. Il ne s’agira donc pas de savoir ce qu’est la peine mais ce qu’elle veut dire et oรน elle semble se diriger. Si la question des sens de la peine emporte forcรฉment celle de la dรฉtermination de la nature et des contours de la peine, c’est parce que les sens stricto sensu de la peine s’intรฉressent ร ses fonctions et finalitรฉs. La dรฉtermination des fonctions et finalitรฉs de la peine, c’est dรฉjร donner du sens ร la peine. Autrement dit, les sens de la peine s’intรฉressent aux questions du ยซpourquoiยป (quia peccatum) et du ยซpour quoiยป (ne peccetur). Aussi, dans le prรฉsent รฉcrit, nous ne chercherons pas ร identifier de maniรจre prรฉcise les sens de la peine mais plutรดt ร mettre en lumiรจre ce que sont ces fonctions et finalitรฉs, ce sur quoi elles se fondent. Il s’agira รฉgalement de s’intรฉresser aux transformations dont elles ont fait l’objet, au regard des รฉvolutions du droit de la peine. Ces รฉvolutions doivent notamment รชtre prises en compte au regard des diffรฉrents paradigmes punitifs qui ont gouvernรฉ notre conception de la pรฉnalitรฉ, mais รฉgalement au regard des effets de la peine et des reprรฉsentations que la personne condamnรฉe, la sociรฉtรฉ et la victime peuvent s’en faire. C’est ร cet รฉgard que nous parlons des sens de la peine et non du sens de la peine: le sens de la peine pour le condamnรฉ ne correspondant ni ร celui poursuivi par le lรฉgislateur, ni ร celui perรงu par la victime ou la sociรฉtรฉ. Cette analyse est acceptรฉe par certains auteurs comme le professeur Claire SAAS qui affirme que ยซle sens de la peine ne peut certainement plus รชtre saisi au singulier, tant la nature des sanctions pรฉnales et les modes d’amรฉnagements se sont multipliรฉs au cours des quinze derniรจres annรฉes. Il apparaรฎt fuyant, fugace, et certainement multiple selon que l’intรฉressรฉ est celui qui propose, dรฉfend, prononce, amรฉnage, subit, accepte, accompagne ou regarde la peineยป. Ainsi, s’il est vrai qu’il faut parler de plusieurs significations de la peine, parce que celle-ci a une signification diffรฉrente pour chaque intรฉressรฉ au regard de ses effets, il faut toutefois parler d’une pluralitรฉ d’orientations de la peine. Ces orientations sont avant tout le fruit des diffรฉrents thรฉories pรฉnales d’hier qui ont รฉtรฉ et qui continuent d’รชtre la ยซboussoleยป de la peine. Cependant, ces orientations sont รฉgalement celles choisies par le lรฉgislateur et les acteurs de la politique pรฉnale qui sont en train de tracer le chemin que prendra la peine de demain. La tรขche ne sera sans doute pas aisรฉe et peut-รชtre nous perdrons nous quelque peu sur ce sentier mais l’intรฉrรชt est grand. Tout d’abord, parce qu’il s’agit d’un domaine que le lรฉgislateur avait dรฉlaissรฉ mais dans lequel il tend ร s’immiscer de plus en plus, notamment depuis les annรฉes 2000. Cette question du sens de la peine a รฉtรฉ explicitement posรฉe ร travers la consรฉcration dans les textes de ses fonctions et finalitรฉs, ร l’issue de la loi nยฐ2014-896 du 15 aoรปt 2014 relative ร l’individualisation des peines et renforรงant l’efficacitรฉ des sanctions pรฉnales. Cette question semble encore รชtre prรฉoccupante pour le lรฉgislateur puisque l’un des rapports au sujet de la rรฉforme de la justice ร venir se nomme ยซsens et efficacitรฉ de la peineยป. Cela fait notamment รฉcho ร la situation alarmante de nos prisons, sources de ce nouvel intรฉrรชt qu’ont le lรฉgislateur et les pouvoirs publics pour le sens de la peine. Ensuite, si nous nous sommes intรฉressรฉs ร ce sujet, c’est avant tout parce qu’il pose l’une des questions les plus fondamentales du droit pรฉnal: Que veut dire la peine et dans quelle direction va telle? Tout praticien du droit pรฉnal ne devrait-il pas se poser cette question? Ne devrait-il pas se demander si le sens tel qu’il est poursuivi par le lรฉgislateur et les acteurs de la politique pรฉnal correspond ou non ร celui qui est rรฉellement perรงu? La peine rรฉussit-elle ร concilier les intรฉrรชts du condamnรฉ, de la sociรฉtรฉ et de la victime, et avoir du sens pour chacun d’entre eux? Pourquoi devrait-on parler d’une pluralitรฉ de sens de la peine? La profondeur de ces questionnement est d’une grande complexitรฉ et la prรฉsente dรฉmonstration ne peut avoir l’ambition d’apporter une rรฉponse ร chacune de ces question. Toutefois, il aura, nous l’espรฉrons, le mรฉrite de rรฉvรฉler les divergences qui peuvent exister entre le sens chimรฉrique et le sens perรงu, le sens thรฉorique et le sens pratique de la peine. Ainsi peut-รชtre rรฉsumรฉ cette problรฉmatique: ยซCe constat demeure valable aujourdโhui comme si le langage dans lequel s’est constituรฉe la rationalitรฉ pรฉnale moderne avait perdu son รฉvidence et son caractรจre opรฉratoire, comme si un fossรฉ sโรฉtait creusรฉ entre les justifications classiques de la peine et les pratiques au sein de lโinstitution pรฉnaleยป. Dรจs lors, dans une approche ร la fois tรฉlรฉologique, il nous faut nous intรฉresser au sens idรฉal de la peine, tel qu’il est poursuivi par le lรฉgislateur qui l’a rรฉcemment consacrรฉ dans la loi pรฉnale, en se fondant notamment sur l’ensemble des modรจles punitifs proposรฉs par la pensรฉe pรฉnale moderne, depuis le siรจcle des Lumiรจres (Partie I). Cette รฉtude du sens thรฉorique devra รชtre accompagnรฉe de celle des sens ou reprรฉsentations faites de la peine par le condamnรฉ, la victime et la sociรฉtรฉ, et des consรฉquences que celles-ci peuvent avoir sur l’รฉvolution de la peine et ses perceptions (Partie II).
La rรฉtribution: entre essence et fonction de la peine
ย ย En vรฉritรฉ, bien plus qu’une simple fonction, la rรฉtribution constitue l’essence mรชme de la peine, comme ont pu le dire certains auteurs, comme Pierrette PONCELA pour qui ยซla notion de rรฉtribution est l’autre nom de la peine: punir c’est toujours rรฉtribuerยป Autrement dit, une peine sans punition ne peut รชtre puisque c’est l’acte rรฉtributif qui constitue en lui mรชme la pรฉnalitรฉ. Par la rรฉtribution, la peine est ร la fois afflictive et infamante. Ainsi, BECCARIA et BENTHAM embrassaient cette conception rรฉtributive de la peine en ce qu’ils la voyaient tous deux comme ยซun mal, une douleur infligรฉe ร l’auteur de l’infractionยป. Toutefois, pour les deux auteurs, ce caractรจre afflictif de la peine devait essentiellement servir ร prรฉvenir la commission d’une nouvelle infraction. En effet, pour ces auteurs, la peine devait faire craindre une souffrance importante, la souffrance apparente devant mรชme รชtre plus fortement ressentie par l’opinion publique que la souffrance rรฉellement subie par le condamnรฉ. Bien entendu, ce mal ne peut รชtre exรฉcutรฉ sans raison et de maniรจre gratuite. Dans le cas contraire il ne pourrait รชtre qualifiรฉ de chรขtiment ou de peine. Ainsi, il se fonde, selon Michel VAN DE KERCHOVE, ยซsur une certaine idรฉe de la justice qui veut que l’on considรจre le mal inhรฉrent ร l’acte constitutif de l’infraction et qu’on lui fasse correspondre un mal au moins symboliquement รฉquivalent ร titre de sanction, de la mรชme faรงon que le bien inhรฉrent ร une action appelle un bien correspondant ร titre de rรฉcompenseยป. Il y a rรฉellement une idรฉe d’รฉchange qui apparaรฎt. Cette idรฉe d’รฉquivalence entre l’action et la rรฉaction s’exprime originellement par la vengeance, au sens de vendetta, qui a pu รชtre constatรฉe par les anthropologues et les historiens dans toutes les sociรฉtรฉs humaines, sur tous les continents. Ainsi, CUSSON rappelle que celle-ci existait chez les Grecs de l’รฉpoque homรฉrique, tout comme elle existait chez les tribus germaniques, les Hรฉbreux, les Amรฉrindiens, les sociรฉtรฉs europรฉennes mรฉdiรฉvales… Toute civilisation humaine, ร un moment de son histoire, a donc pratiquรฉ la vengeance. La littรฉrature scientifique s’accorde pour dire que la vengeance, notamment en rรฉponse ร un homicide familial, n’รฉtait pas le seul fait d’une passion vindicative dont les auteurs de fictions et rรฉcits romanesques raffolent mais bien une obligation coutumiรจre dont il fallait s’acquitter comme on doit s’acquitter d’une dette, sous peine d’รชtre dรฉshonorรฉ. L’exemple qui illustre ce rapprochement sans รฉquivoque entre la pรฉnalitรฉ et la vengeance est la loi du talion dont les premiers signes ont รฉtรฉ retrouvรฉs ร ce jour dans le Code de Hammurabi du royaume de Babylone, et dont la formule ยซoeil pour ลil, dent pour dentยป prรฉsente le principe d’รฉquivalence du crime et de la peine. Par consรฉquent, le rapport que cultivent la peine moderne et la vengeance ne peut รชtre un rapport d’indiffรฉrence. Ce rapport est primitif, voire culturel, et beaucoup aujourd’hui ne rรฉalisent pas l’influence qu’a encore la vengeance dans les couloirs des Palais de justice. ยซLes raisons que l’on avait de se venger ne sont pas tellement diffรฉrentes de celles que nous avons de punirยป poursuit ainsi Maurice CUSSON. Pour autant, il serait incorrect d’affirmer que la peine et la vengeance ne font qu’un, puisque la premiรจre repose sur un socle de lรฉgitimitรฉs que la seconde รฉcarte de par sa nature mรชme, quand bien mรชme nous aurions pu constater que la vengeance n’รฉtait pas qu’animรฉe par la colรจre et qu’elle รฉtait รฉgalement le fruit d’une pression sociale qui contraint l’offensรฉ ร agir. La lรฉgitimรฉ sur laquelle repose la peine est double: d’une part, la lรฉgitime de la peine est avant tout morale en ce que la peine s’applique ร l’auteur d’une infraction qui a librement choisi de ne pas respecter le contrat social qui l’engageait avec le reste de la sociรฉtรฉ, et d’autre part, elle est lรฉgale, puisque c’est ainsi que sont qualifiรฉs les termes de l’incrimination et l’autoritรฉ qui prononce la peine. Par ยซmoralยป, nous n’entendons pas que la peine se fonde sur la morale mais que l’acte infractionnel ne respecte pas la moralitรฉ, conformรฉment aux valeurs sociales protรฉgรฉes dans une sociรฉtรฉ donnรฉe. Cette double lรฉgitimitรฉ est mise en lumiรจre par Didier FASSIN qui la tire des critรจres du chรขtiment, entendu comme peine, รฉnoncรฉs par le philosophe du droit britannique HART dans son discours en tant que prรฉsident de l’Aristotelian Society en 1959, et que nous avons dรฉjร retranscrit dans les propos introductifs de cet รฉcrit. D’aprรจs HART, la dรฉfinition du chรขtiment repose sur cinq critรจres: ยซil doit impliquer une souffrance ou d’autres consรฉquences normalement considรฉrรฉes comme dรฉsagrรฉables; il doit rรฉpondre ร une infraction contre des rรจgles lรฉgales; il doit s’appliquer ร l’auteur rรฉel ou supposรฉ de cette infraction; il doit รชtre administrรฉ intentionnellement par des รชtres humains autres que le contrevenant; il doit รชtre imposรฉ par une autoritรฉ instituรฉe par le systรจme lรฉgal contre lequel l’infraction a รฉtรฉ commiseยป.
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Table des matiรจres
PARTIE I. L’orientation de la peine: le sens idรฉal de la peine?
CHAPITRE I. La consรฉcration des fonctions et finalitรฉs de la peine par le lรฉgislateur
SECTION 1. Les fonctions de la peine
SECTION 2. Les finalitรฉs de la peine
CHAPITRE II. Les รฉcueils du sens textuel de la peine
SECTION 1. Une dรฉfinition incohรฉrente des fonctions et finalitรฉs de la peine
SECTION 2. Une dรฉfinition รฉquivoque des fonctions et finalitรฉs de la peine
PARTIE II. Les reprรฉsentations de la peine: le sens rรฉel de la peine?
CHAPITRE I. La perte de sens de la peine pour le condamnรฉ
SECTION 1. L’รฉchec de la prison: signe de la perte de sens de la pรฉnalitรฉ
SECTION 2. Les distorsions de la pรฉnalitรฉ: peine prononcรฉe et peine exรฉcutรฉe
CHAPITRE II. La privatisation de la peine par la victime et la sociรฉtรฉ
SECTION 1. La progression de la victime dans le paradigme punitif
SECTION 2. Les reprรฉsentations de la peine par la sociรฉtรฉ et ses dangers
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