Les sciences économiques et sociales, une discipline aux finalités sociales et politiques

Les sciences économiques et sociales, une discipline aux finalités sociales et politiques 

Mon objet d’étude porte sur la contribution des sciences économiques et sociales (SES) à la socialisation politique des lycéen.ne.s. Les sciences économiques et sociales font partie des disciplines scolaires affichant ouvertement des finalités sociales et politiques puisqu’elles doivent non seulement transmettre des connaissances scientifiques aux élèves mais également participer à leur formation citoyenne. Le préambule des nouveaux programmes élaborés en 2019 fixe parmi les objectifs des professeur.e.s de « contribuer à la formation civique des élèves grâce à la maîtrise de connaissances qui favorisent la participation au débat public sur les grands enjeux économiques, sociaux et politiques des sociétés contemporaines ». Cette mission est également centrale pour l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (Apses) pour qui « les SES visent à permettre au plus grand nombre de lycéen.ne.s d’être capable d’expliquer et de comprendre, grâce aux sciences sociales, la réalité économique et sociale de leur temps ». Cette association qui regroupe plus d’un tiers des enseignant.e.s de la discipline se montre d’ailleurs très critique vis-à-vis des programmes et dénonce notamment leur « manque d’interrogation des réalités économiques et sociales » et l’inscription du terme « neutralité axiologique » dans le préambule.

A chaque réforme, les programmes de SES connaissent en effet de nombreuses querelles idéologiques. Celles-ci ont donné lieu à de nombreuses analyses sociologiques. (Harlé, 2010 ; Chatel, Grosse, 2015 ; Martinache, 2018, 2019 ; Chatel, 2018). Trois conceptions de l’enseignement des SES s’opposent dans l’espace public : une première défendue par l’Académie des Sciences Morales et Politiques (ASMP) qui souhaite un enseignement qui fasse la promotion de l’entreprise et du marché, une seconde défendue par l’APSES qui défend un enseignement transdisciplinaire qui part de questions socialement vives pour transmettre des connaissances et une troisième défendue par une association minoritaire (CDP-SES) qui voit dans cet enseignement la transposition didactique des fondamentaux des trois disciplines du supérieur. Néanmoins, si les curricula formels et les modalités d’évaluation contraignement fortement l’enseignement dispensé, leur mise en œuvre par les professeur.e.s est tout aussi importante pour comprendre ce qui se joue pendant les cours de SES. Jérôme Deauvieau (2009) nous éclaire sur cet aspect grâce à son enquête sur les pratiques des professeurs de SES qui débutent dans le métier. Grâce à celle-ci, il a mis en évidence que les cours dialogués mis en place pour favoriser la participation de tou.te.s peuvent provoquer des « malentendus cognitifs » chez les élèves les plus en difficulté dans les disciplines scolaires. En effet, lorsque sont abordées des questions socialement vives, ces lycéen.ne.s peinent à distinguer leur expérience personnelle des savoirs établis scientifiquement et leurs interventions peuvent s’apparenter à un « activisme langagier ». La question du rapport aux savoirs et de leur réception par les élèves ayant émergé au sein des sciences de l’éducation, elle reste cependant étudiée à l’aune de son décalage avec la norme scolaire. Alice Simon (2018) a pourtant constaté que bien que les instruments cognitifs permettant de justifier son opinion politique soient inégalement distribués chez les enfants selon leur origine sociale, les jugements de valeur et les savoirs sur la politique se construisent simultanément. Ainsi le racisme subi par certains élèves peut leur fournir des repères sur le champ politique.

Un angle mort : le rôle des savoirs transmis en SES dans la socialisation politique des lycéen.ne.s 

A l’instar des autres disciplines du secondaire, l’appropriation et le recyclage par les élèves des savoirs transmis en SES n’est pourtant jamais interrogée en tant que telle alors que se développent depuis une décennie de nombreuses recherches sur le rôle de l’école (Boone, 2013 ; Lignier et Pagis, 2017 ; Simon, 2018), des dispositifs scolaires visant à soutenir la participation des jeunes (Becquet, 2009, 2013, Mazeaud, 2012) et de l’éducation civique (Bozec, 2018 ; Douniès, 2019) dans la socialisation politique enfantine et juvénile. De plus, les recherches actuelles en science politique ont tendance à se focaliser sur les représentations enfantines du politique et la politisation des jeunes adultes (Geay, 2009 ; Muxel, 2018 ; Peugny, 2012 ; Tiberj, 2017). La tranche d’âge des 15-18 ans suscite moins d’intérêt chez les politistes alors que le « jeunissement, où le bénéfice du desserrement relatif de l’autorité des aînés n’a pas pour contrepartie nécessaire des prises de responsabilités » (Bordiec, 2018) est une période durant laquelle les jeunes doivent « négocier leur autonomie vis-à-vis des parents, en adoptant les goûts et les pratiques des pairs, des copains et des copines tandis que, dans le même temps, s’inculquent les règles du « bon » genre puis, au lycée, celles des différenciations sociales » (Détrez, 2014). Les choix d’études effectués en seconde et en terminale sont de surcroit des paliers d’orientation déterminants dans la construction de leur parcours étudiant ou/et professionnel futur (Landrier, Nakhili, 2010). Du côté de la sociologie, le lycée professionnel a été beaucoup plus investigué (Denave, Renard, Noûs, 2020 ; Depoilly, 2014 ; Jarty, Kergoat, 2018 ; Jellab, 2008 ; Lemarchant, 2017) que le lycée général ces vingt dernières années. Les travaux ayant pour objet les SES se sont pour leur part focalisés sur l’histoire de la discipline (Chatel, Grosse, 2015), les controverses idéologiques autour des programmes (Harlé, 2010 ; Martinache, 2018 ; Rozier, 2018) et les pratiques enseignantes (Deauvieau, 2009), laissant dans l’ombre la manière dont les élèves s’emparent de cet enseignement.

Pourtant, différents éléments tendant à penser que l’enseignement des SES peut jouer un rôle plus important que d’autres expériences scolaires, étant donné que dans le domaine des politiques d’éducation et de jeunesse, « l’individu en formation reste une figure dominante de l’action publique […], le plus souvent associée à celle de l’usager contraint ou assujetti, à des savoirs et à des comportements » (Becquet, 2018). Lorsque Establet et al. (2005) avaient demandé aux lycéen.ne.s de citer des moments scolaires permettant le développement de qualités telles que l’esprit critique, le respect de l’autre et la curiosité, les lycéen.ne.s mentionnaient d’ailleurs spontanément le contenu de leurs enseignements. La sociologie et l’économie sont les disciplines qui revenaient le plus fréquemment chez celleux ayant suivi la filière ES. Elise Tenret (2011) avait constaté que les élèves de la filière ES étaient aussi plus nombreux.ses que les élèves des autres filières à ne pas adhérer à certains discours méritocratiques. Les thèses de Sébastien Michon (2008) et de Camille Masclet (2015) ont également montré au niveau de l’enseignement supérieur que les études en sciences humaines et sociales (SHS) pouvaient être des vecteurs de la socialisation politique des étudiant.e.s. Les SES ne sont certes pas une matrice de socialisation aussi puissante que des filières d’études universitaires comme la médecine ou même la sociologie (Millet, 2003). En premier lieu, leur volume horaire est moins important (1h30 en seconde, 4h en première, 6h en terminale), leur poids dans l’évaluation finale moins élevé (5% pour celleux qui les abandonnent en première, 16% pour celleux qui les suivent encore en terminale) et elles se retrouvent par conséquent concurrencées par d’autres logiques d’apprentissage. Elles ont aussi pour spécificité de reposer sur différentes traditions épistémologiques (principalement l’économie, la sociologie, la science politique), ce qui rend plus difficile l’acquisition des méthodes propres à chacune. Les SES touchent cependant un public plus large que les filières de SHS avec 426 986 élèves concerné.e.s par cet enseignement en seconde (75,4% des élèves de seconde), 169 959 en première (30,5% des élèves de première, 44,0% des élèves de première générale) et 123 583 en terminale (22,1% des élèves de terminale, 32,9% des élèves de terminale générale), si on se réfère aux chiffres produits par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP, 2020a, 2020b). Elles demeurent donc un espace de formation d’habitudes intellectuelles, mentales ou comportementales pouvant infléchir leurs catégories de pensée et leurs manières d’agir. D’une part, les cours de SES peuvent potentiellement fournir des connaissances sur l’univers politique spécialisé, développer un intérêt pour celui-ci voire participer à la formation de comportements politiques. D’autre part, ils portent en germe des clés de lecture du monde social et des rapports de domination qui le structurent, ce qui invite à dépasser, sans pour autant la négliger, une approche trop restrictive du politique.

L’économie ou l’apprentissage d’un lexique technique aux effets ambivalents

Nous nous intéresserons donc pour commencer à la manière dont l’économie a été vécue par les élèves de première et a pu générer chez elleux des dispositions politiques. S’intéresser à la réception de cette matière par les élèves nous a permis de se rendre compte combien la mathématisation et la technicisation de la science économique pouvait conduire à démotiver certain.e.s élèves et les amener à penser que cette discipline n’est pas faite pour elleux. Lorsque les chapitres de microéconomie et de macroéconomie parviennent à susciter l’adhésion des lycéen.ne.s, ses effets sur leur politisation sont également réduits car bien que le vocabulaire transmis puisse leur être utile pour comprendre certains termes employés dans les médias, les savoirs partagés ne permettent pas forcément de mieux comprendre les débats économiques qui traversent la société.

Avant de s’attarder sur leur expérience, iel faut avoir conscience que l’enseignement des SES varie d’une classe à l’autre, en fonction des élèves qui composent la classe et des choix effectués par l’enseignant.e. Comme l’a montré Anne Barrère avec le concept d’« artisanat intellectuel » (2002, 2017), les professeur.e.s disposent d’une large liberté pour construire leurs cours et doivent sans cesser adapter leurs séances pour faire face à l’hétérogénéité des adolescent.e.s qui composent leur classe. Cette autonomie du corps enseignant est toutefois encadrée par le programme. Au-delà du bulletin officiel qui fait office de curriculum formel, une culture professionnelle propre aux enseignant.e.s de SES est transmise au travers des formations initiales et continues délivrées, des attendus du concours, des recommandations de l’inspection et des différents espaces de mutualisation. Si ces différents points de passage participent à l’uniformisation des pratiques, les professeur.e.s gardent une marge de manœuvre, du fait du principe de liberté pédagogique et de leurs dispositions antérieures. Ainsi les professeurs peuvent choisir l’ordre dans lequel iels souhaitent réaliser les chapitres, ce qui implique souvent de ne pas traiter certains chapitres, étant donnée la lourdeur des programmes et les nombreux imprévus qui surviennent chaque année. Outre le fait que les élèves observé.e.s n’appartiennent pas au même milieu social, iels n’ont donc pas étudié les mêmes chapitres. Concernant l’économie, les élèves de Madame Guyader et de Monsieur Giordano avaient étudié les chapitres autour du marché tandis que mes élèves ont étudié les chapitres portant sur le financement des agents économiques et sur la monnaie. On peut toutefois repérer des similarités dans la réception qui en est faite par les lycéen.ne.s et sur sa faible capacité à développer un intérêt pour les politiques économiques.

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Table des matières

Introduction
Les sciences économiques et sociales, une discipline aux finalités sociales et politiques
Un angle mort : le rôle des savoirs transmis en SES dans la socialisation politique des lycéen.ne.s
La problématique de recherche
La méthode choisie et les données récoltées
Présentation du mémoire
1. L’économie ou l’apprentissage d’un lexique technique aux effets ambivalents
Un goût pour la microéconomie contrasté selon les autres spécialités choisies
Des effets de la microéconomie sur la politisation très limités
… quand d’autres enseignements rapprochent de l’actualité
Un enseignement de la macroéconomie pouvant s’avérer trop
technique et démotivant
Un enseignement de la macroéconomie pouvant à certaines
conditions susciter la curiosité des élèves
2. La sociologie, une discipline qui fait écho au quotidien des élèves
Une discipline jugée accessible et proche de leur quotidien
Les résistances et obstacles au savoir sociologique
Des regards sexués sur la socialisation genrée
Une appréhension personnelle ou distancée de la sociologie
3. La science politique, un langage qui s’apprend
Quand la science politique renforce la mise en retrait du jeu politique
… et conforte le sentiment de compétence des plus disposé.e.s à en parler
Quand la science politique renforce ou familiarise les élèves à la vie politique
Conclusion
Synthèse du mémoire
Limites du mémoire
Bibliographie
Annexes
Grille d’entretien pour les élèves de Loubet et de Sainte-Ursule
Exemple d’un entretien retranscrit avec Eytan, élève de première au
lycée Sainte-Ursule
Feuille distribuée aux élèves de première des lycées Loubet et SaintUrsule pour les aider à réaliser un carnet de terrain
Feuille distribuée aux élèves de première du lycée Montaigne pour les
aider à réaliser un entretien en binôme

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