Les SAFER : des sociétés anonymes, des missions d’intérêt général
D’un opérateur foncier agricole à un opérateur foncier rural et périurbain
De la LOA à la LAAF : 60 années d’évolution
Les Sociétés d’Aménagement Foncier et d’Établissement rural (Safer) ont été créées par la Loi n° 60-808 du 5 août 1960 d’orientation agricole (LOA)* . Cette loi constitue la genèse d’une longue série de lois d’orientations agricoles qui ont eu pour objectif de moderniser l’agriculture française au cours de la deuxième moitié du XXème siècle.
Les Safer, des opérateurs fonciers au service de la nouvelle politique agricole
Au sortir de la seconde guerre mondiale la France est confrontée à une grave pénurie alimentaire, la production agricole est déficitaire et la population rationnée. Pour endiguer cette situation, des mesures d’urgence sont adoptées afin de sortir de cette crise (Gauvrit 2012b). Si les effets sur la production se font ressentir de manière positive dès le début des années 1950, ces évolutions ont eu un impact néfaste sur la profession. La population agricole de plus en plus âgée exerce son activité dans des conditions difficiles et n’arrive plus à se rémunérer correctement. De plus, les successions entraînent un morcellement des exploitations et une diminution de leur surface moyenne. Dans le même temps l’expansion industrielle du pays accélère l’exode rural, les petits paysans ainsi que les ouvriers agricoles quittent les campagnes et la main d’œuvre agricole devient rare (Coulomb 1988). Se créent alors de fortes disparités entre les gros producteurs qui profitent de la nouvelle politique des prix instaurés et les petits paysans qui ne parviennent plus à subsister. Pour la France, la réforme de ce secteur représente des enjeux majeurs sur les plans économiques et politiques, car elle doit permettre d’entrer dans le marché agricole européen de manière compétitive et productive. La modernisation de l’agriculture se base alors sur la modification des structures d’exploitation grâce à l’adoption de techniques modernes qui allieront à la fois productivité et viabilité économique (Gauvrit 2012a). C’est dans ce contexte qu’a été élaborée la LOA de 1960 avec pour objectif « l’autosuffisance alimentaire, la réduction du déficit commercial agricole et l’amélioration des conditions de vie des paysans ». Ce texte complété, par la LOA de 1962, définit également un modèle d’exploitation de type familial : « L’exploitation à deux unités de travail humain (UTH)* » (Bernardi et Boinon 2009). La politique menée était alors pensée de la manière suivante : l’État encadre et la profession met en œuvre.
Ces lois, demandées de manière insistante par les syndicats des jeunes agriculteurs, ont établi une réelle politique des structures qui a rendu possible la modernisation de l’agriculture Française. Les Safer instituées par l’art. 15 de la LOA de 1960 : « Des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural […] peuvent être constituées en vue d’acquérir des terres ou des exploitations agricoles ou forestières librement mises en vente par leurs propriétaires […]. », constituaient alors un outil incontournable de cette nouvelle politique foncière. Les Safer sont nées de la volonté de la profession agricole et plus particulièrement de Centre National des Jeunes Agriculteurs (CNJA), syndicat des jeunes agriculteurs, qui a demandé dès 1959 la création d’une société foncière, par l’intermédiaire d’une note remise au premier ministre Michel Debré par son secrétaire général Michel Debatisse (Buchou et al. 1999). Les dispositions de cette première LOA ont ensuite été enrichies rapidement par la loi n° 62-933 du 8 août 1962 complémentaire à la loi d’orientation, qui a institué dans son article 7 un droit de préemption au profit des Safer : « Il est institué au profit des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) prévues à l’article 15 de la loi n° 60-808 du 5 août 1960 d’orientation agricole, un droit de préemption en cas d’aliénation à titre onéreux de fonds agricoles ou de terrains à vocation agricole […] .». La création de ces nouvelles sociétés répondait alors à un double objectif ; d’une part aménager des exploitations viables par l’acquisition d’exploitations et de parcelles pour installer des jeunes agriculteurs, mais aussi d’une autre part réguler le marché foncier spéculatif par des actions sur les prix et l’utilisation du droit de préemption dans le but d’orienter les terres agricoles vers ceux qui en ont le plus besoin à savoir les jeunes agriculteurs en cours d’installation (Coulomb 1999). Les premiers temps les Safer avaient donc une mission purement agricole, avec comme but principal de faciliter l’agrandissement, la restructuration des exploitations mais surtout faciliter l’installation de jeunes agriculteurs (Buchou 1975). Rapidement efficace dans cette mission, comme le démontrent les chiffres de leur activité de l’année 1963. En effet, seulement trois ans après leur création, les Safer avaient réalisé 17 000 acquisitions pour une superficie de 21 000 hectares, ce qui a permis la constitution de 300 nouvelles exploitations agricoles et l’agrandissement de 700 déjà existantes (Heimann et Rivier 2013). Depuis leur création, elles jouent donc un rôle prépondérant en facilitant l’accession des agriculteurs à la propriété.
Un acteur incontournable de l’aménagement du territoire et du développement rural
Peu de temps après leur établissement, à partir des années 70, les Safer ont su faire évoluer leurs activités et le législateur leur a confié progressivement des nouvelles missions. Ainsi entre le milieu des années 1970 et le milieu des années 1980, elles sont devenues des acteurs de l’aménagement du territoire et des partenaires des collectivités. Si leur mission agricole a été renforcée durant cette période, elles ont également participé au développement des réseaux autoroutiers, ferroviaires et des canaux de navigations. En effet l’impact de ces grands projets structurants sur les terres agricoles étant important, la Safer y a été associée afin d’empêcher la déstructuration des exploitations et le déséquilibre des marchés fonciers ruraux. A titre d’exemple lors de la constitution du réseau autoroutier national, elles ont acquis à l’amiable les biens mis en vente dans un périmètre représentant au minimum vingt fois l’emprise de l’ouvrage (Levesque 2013). Ces évolutions des missions ont été accompagnées par deux nouveaux textes de loi :
• La loi n°77-1459 du 29 décembre 1977 qui a redéfini les objectifs liés à l’exercice du droit de préemption et mis en place l’obligation de motiver les décisions de préemption et de rétrocession ;
• La loi n° 80-502 du 4 juillet 1980 d’orientation agricole, qui a élargi le domaine d’exercice du droit de préemption.
L’année 1990 va ensuite marquer un tournant décisif pour l’activité des Safer qui vont devenir des véritables opérateurs fonciers en milieu rural. Par le vote de la loi n° 90-85 du 23 janvier 1990 complémentaire à la loi n° 88-1202 du 30 décembre 1988 relative à l’adaptation de l’exploitation agricole à son environnement économique et social, les parlementaires vont lui confier de nouvelles missions. Ce texte leur permet notamment de travailler pour les collectivités par l’intermédiaire du concours technique mais aussi de réorienter des biens agricoles vers des usages non agricoles en vue de favoriser le développement rural et la protection de la nature et de l’environnement. C’est à partir des années 1990 que les Safer vont voir leurs domaines d’intervention sans cesse étendus (Sencebe 2012).
Neuf ans plus tard, les lois n° 99-574 du 9 juillet 1999 d’orientation agricole et n° 99-533 du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire dite loi Voynet (LOADDT) vont ajouter un volet environnemental aux actions de la Safer. Si dès les années 1980 ces dernières ont pris part à la protection de l’environnement et des paysages en intervenant pour le compte du conservatoire des espaces littoraux et des rivages lacustres (CELRL) ou d’autres acteurs de la protection environnementale, ce texte leur a attribué une nouvelle mission de protection de l’environnement et des paysages (Levesque 2013). L’apport le plus significatif de la loi d’orientation agricole est l’ajout à l’art. L. 143-2 du code rural d’un nouvel objectif susceptible de fonder le droit de préemption pour des motifs environnementaux : « L’exercice de ce droit a pour objet, dans le cadre des objectifs définis à l’article L. 1 : […] 8° La protection de l’environnement, principalement par la mise en œuvre de pratiques agricoles adaptées, dans le cadre de stratégies définies par l’État, les collectivités territoriales ou leurs établissements publics ou approuvées par ces personnes publiques en application du présent code ou du code de l’environnement ; ».
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Table des matières
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
I. LES SAFER : DES SOCIETES ANONYMES, DES MISSIONS D’INTERET GENERAL
A. D’UN OPERATEUR FONCIER AGRICOLE A UN OPERATEUR FONCIER RURAL ET PERI-URBAIN
1. De la LOA à la LAAF : 60 années d’évolution
a) Les Safer, des opérateurs fonciers au service de la nouvelle politique agricole
b) Un acteur incontournable de l’aménagement du territoire et du développement rural
2. Le groupe SAFER : un réseau national, un ancrage local
a) Missions et fonctionnement
b) Une politique commune adaptée aux territoires
B. LA SAFER CORSE
1. Historique et structure de l’entreprise
a) Un contexte politique fort, l’émergence du syndicalisme agricole et la gestion des biens faillis
b) Fonctionnement et instances
2. Un opérateur foncier rural et périurbain
a) Sa stratégie
b) Son activité
II. L’OBSERVATION FONCIERE : UNE ANALYSE NECESSAIRE DU MARCHE FONCIER RURAL ET PERI-URBAINS
A. LA CONNAISSANCE DU TERRITOIRE
1. Transparence du marché foncier
a) Obligation d’information généralisée et contrôle systématique
b) Régulation du marché foncier : l’exercice du droit de préemption
2. Démocratie foncière
a) Surveillance et veille foncière
b) Alerter et informer
B. LES GEOMARCHES : UN NOUVEL INDICATEUR DES DYNAMIQUES FONCIERES
1. De la libération du foncier agricole à sa nécessaire régulation
a) Un marché foncier étroit, morcelé et sous influence urbaine
b) Les nouvelles stratégies d’intervention foncière : « zéro friche »
2. Un nouvel outil d’observation et de régulation du marché foncier : les GéoMarchés
a) Définition et fondement de la démarche
b) La création d’un référentiel de prix juste
III. MON STAGE
A. ÉLABORATION DES GEOMARCHES
1. Méthodologie
a) Travail préparatoire
b) Méthode de production de la donnée GéoMarché
2. Avancée du projet
a) Délimitations des périmètres des GéoMarchés
b) Numérisation des GéoMarchés
B. PARTICIPATION A L’ACTIVITE DE LA STRUCTURE
1. Autres missions
a) Participations aux opérations foncières
b) Participation aux missions d’ingénierie
2. Retour sur mon expérience professionnelle
a) Un parfait complément à ma formation universitaire
b) La découverte du monde professionnel
CONCLUSION
LEXIQUE
BIBLIOGRAPHIE & WEBOGRAPHIE
ANNEXES
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