Les rituels d’entrée de classe : des rituels spécifiques ?
Définition sociologique et pédagogique d’un rituel
Les rites et rituels jalonnent la vie des individus, adultes comme enfants. C’est grâce aux valeurs communes représentées, rappelées et renouvelées par les rituels tels que les rites funéraires ou les cérémonies (Meirieu, 2015) que les sociétés se définissent et se perpétuent. Selon la définition du Larousse, les rituels sont définis par un « ensemble de règles et d’habitudes fixées par la tradition », « une manière d’agir propre à un groupe social (…) et qui revêt un caractère invariable ». Ainsi, nous retrouvons dans cette définition, les notions de cadre et de collectif qui permettent la pérennisation des sociétés dans le temps et l’intégration des nouveaux arrivants dans ces sociétés. Au cœur de la définition du rituel se trouve également la notion de répétition, les références au « caractère invariable » et à « l’habitude » exprimant cet aspect inhérent au rituel. Un rituel est donc un fait répété, reproduit sur une longue durée pour devenir un repère fixe et constructif. L’école, institution sociale centrale où les jeunes membres de la société se développent et se forment, n’est pas exempte de rituels, bien au contraire. Les rituels pédagogiques accompagnent les élèves tout au long de leur parcours scolaire, de la maternelle à la fin de leur scolarité. Bien que certains chercheurs pensent que les rituels sont en train de disparaître à l’école (Montandon, 2015), nombreux sont ceux que nous retrouvons au sein des établissements et, plus particulièrement, au sein des cours.
Ce dossier se concentre sur les rituels d’entrée en classe en cours de langue, c’est-à-dire ceux qui interviennent dans les premières minutes d’un cours spécifique aux enjeux communicatifs importants. Ces rituels se définissent par leur temporalité particulière, puisqu’ils sont mis en œuvre en début d’heure, ainsi que par leur rapport à l’espace qui diffère, par exemple, des rituels intervenant au cours de l’heure de cours où les élèves sont déjà en classe et assis. En effet, si la notion de rituel d’entrée en classe peut paraître être synonyme d’activité de warm up, ou d’échauffement, elle ne saurait se réduire à cette simple définition, car il n’existe pas un mais plusieurs rituels d’entrée en classe qui débutent, en fait, dès la mise en rang dans le couloir. Ainsi, l’espace dans lequel ces rituels ont lieu ne se cantonne pas à la salle de classe, mais s’étend du couloir, au passage de la porte et à l’entrée dans la salle de classe. Ils prennent donc en compte la circulation des élèves, leur installation en classe et leur mise au travail, ou échauffement. Néanmoins, bien qu’il est important de prendre en compte le caractère singulier de ces habitudes d’entrée de classe, le terme de rituel utilisé rappelle que certaines de leurs fonctions et qualités sont communes à tous rituels. Pour bien comprendre la portée et les enjeux de ces rituels d’entrée de classe, il est donc important de les étudier au regard des rituels pédagogiques de façon plus générale.
Les bienfaits des rituels d’entrée en classe pour le cours qui va suivre
Tout comme pour les repères traditionnels servant de cadre à la société, les rituels à l’école servent avant tout à créer un cadre de travail permettant l’instauration de bonnes conditions d’apprentissage. Dans cette optique, les rituels d’entrée en classe sont l’occasion de mettre en scène et en pratique les règles et les codes qui régissent le cours de langue de façon à ce que les élèves les intègrent. Ces règles et comportements codifiés sont démontrés et pratiqués par les élèves qui les ritualisent tout au long de l’année, comme des rappels en début de séance de la façon dont le cours va se dérouler. C’est ce qui crée le cadre de travail et ce qui délimite les comportements autorisés. De plus, un rituel se doit d’être positif. Il n’existe pas pour sanctionner mais trouve sa valeur dans ce qu’il autorise comme le rappelle Philippe Meirieu (Meirieu, 2015). C’est dans cette logique que le rituel d’entrée en classe doit être pratiqué : pour instaurer et/ou répéter les limites du cadre de travail en cours d’anglais au sein duquel les élèves évolueront le reste de l’heure. L’entrée en classe a également de spécial le fait qu’elle met en scène le passage de l’extérieur à l’intérieur de la salle de classe. Il existe donc un cadre physique concret prédéterminé que les élèves ne peuvent nier lorsqu’ils entrent en classe. C’est ce qu’Amigues et Zerbato appellent le « milieu donné » (Amigues & Zerbato-Poudou, 2009, p.104). Ce cadre peut cependant ne pas suffire s’il n’est pas accompagné du cadre symbolique qui le complète. C’est en ce sens que les rituels apportent leurs bienfaits, car ils permettent d’instaurer le cadre symbolique utile à la création de l’environnement de la classe dans son ensemble, c’est-à-dire comme lieu d’apprentissage délimité physiquement par des murs et du mobilier, et comme un ensemble de limites, de codes et de règles qui signifient les comportements autorisés et les réflexions adéquats au cours d’anglais qui va suivre. Le milieu donné s’oppose donc au « milieu construit » par les apprenants en pratiquant le rituel (Amigues & Zerbato-Poudou, 2009, p.104). C’est une étape importante du cours puisqu’elle permet de mettre les élèves dans les bonnes « conditions mentales et physiques » pour l’apprentissage (Montandon, 2015). Amigues et Zerbato parlent «d’effets psychiques durables » (Amigues & Zerbato-Poudou, 2009, p.122), ce qui démontre que les rituels d’entrée en classe agissent aussi bien sur le comportement physique, comme par exemple le fait d’entrée dans le calme, de s’asseoir, d’enlever son manteau etc., mais aussi sur la disposition mentale des apprenants qui doivent adopter une posture de travail et de réflexion (Meirieu, 2015). Les vertus des rituels d’entrée en classe sont donc multiples. De cette manière, les rituels d’entrée en classe fonctionneraient comme des tremplins permettant de lancer le reste de la séance et facilitant l’accès aux stratégies d’apprentissage.
Dans ce cadre codifié, les rituels définissent les identités des individus qui y prennent part. A l’école, ces identités sont celles de l’enseignant et de l’élève, ce que Denis Jeffrey résume en un « ordre scolaire », faisant écho à l’existence d’une hiérarchie entre les deux statuts (Jeffrey, 2015, p.102-103). Le rituel est alors vu en tant qu’ « acte d’institution », pour reprendre le concept de Pierre Bourdieu, pour qui le rituel d’institution « signifie à quelqu’un son identité au sens où il la lui exprime et la lui impose en l’exprimant à la face de tous et en lui notifiant avec autorité ce qu’il est et ce qu’il a à être » (Bourdieu, 1982, p.60). A travers le rituel, l’ordre scolaire ainsi que les rôles définis de l’enseignant et de l’élève sont donc mis en scène et exposés aux yeux de tous afin d’être mieux intégrés. La relation enseignant-apprenant qui détermine le contrat didactique est de cette façon institué, donnant à l’enseignant le rôle de meneur de la classe. Ce contrat didactique est représenté dans l’organisation même du rituel puisque, comme Christine DeloryMomberger l’analyse, l’enseignant est « l’ordonnateur » du rituel et l’élève en est le « destinataire » (Delory-Momberger, 2005, p.80). Les deux termes utilisés sont pertinents puisqu’ils mettent en avant la hiérarchie ou l’ordre scolaire, pour reprendre le terme de Denis Jeffrey. De cette manière, les rituels permettent d’instituer les identités des individus présents dans la classe, puis de les maintenir dans leur relation hiérarchique (Delory-Momberger, 2005, p.80) .
Cette définition de rôles est d’autant plus importante que la part du mimétisme est essentielle dans l’apprentissage, comme le rappelle Christiane Montandon, qui analyse les « interactions ritualisées produites par les gestes de l’enseignant » amenant à un « habitus des élèves » (Montandon, 2015, p.68). L’enseignant est donc à l’origine de rituels qui seraient une mise en écho des comportements initiés par l’enseignant luimême. Ainsi, par mimétisme, les élèves intègrent les bonnes habitudes et les bons réflexes qui créent le cadre grâce à une relation verticale professeur-élève. C’est ce que Danièle Moore et Diana-Lee Simon appellent le « contrat de la classe où l’enseignant est maître », une relation unilatérale qu’elles critiquent et remettent en question à l’instar des observations qu’elles ont faites et où elles ont remarqué que les élèves déviaient souvent de ce cadre où chaque rôle est défini. C’est ce qu’elles ont conceptualisé comme la « déritualisation », c’est-à-dire le refus des élèves à rester dans ce cadre fixe imposé par les rituels de gestion de la parole par exemple. (Moore & Simon, 2002, p.1-2) Ce point de vue apporté par Moore et Simon pose la question de la rigidité du cadre crée par les rituels, notamment ceux d’entrée en classe. En effet, comme elles l’expliquent, la déritualisation fait partie des imprévus et aléas inhérents à un cours de langue où la communication est centrale (Moore & Simon, 2002, p.13). Cela signifie que le cadre mise en place à travers les rituels doit faire preuve d’assez de souplesse pour accueillir ces imprévus et ne pas trop contraindre les apprenants au risque de perdre ses bienfaits. C’est dans cette optique qu’Amigues et Zerbato-Poudou suggèrent une « rupture du contrat » contrôlée par l’enseignant et sécurisée par la « fonction contractuelle du rituel ». Par conséquent, par le biais du cadre qu’il permet de créer, le rituel aide à gérer les imprévus et à manipuler la relation enseignant-élève sans craindre la prise de risque. Il est donc possible de mettre en place un rituel d’entrée en classe où l’enseignant délèguerait des responsabilités aux apprenants, ou où il s’effacerait au profit d’une relation horizontale entre apprenants en toute confiance (Amigues & Zerbato-Poudou, 2009, p.130-131).
Les bienfaits pour le groupe classe
En plus de participer à la mise en place d’un cadre constructif et bienfaiteur, les rituels ont également une fonction fédératrice. Ils servent à créer un « collectif d’apprenants » aux valeurs communes qui avancera dans la même direction au cours des séances (Meirieu, 2015). Cette dimension fédératrice est nécessaire dans l’environnement scolaire, notamment au collège où, contrairement à la maternelle et au primaire, les élèves sont regroupés en classes arbitrairement constituées qui se déplacent de cours en cours et de salle en salle au gré de leurs emplois du temps. Le terme de classe prend donc plusieurs significations allant d’un groupe d’individus assemblés au hasard, à un essaim d’élèves partageant un emploi du temps commun et se déplaçant ensemble dans l’établissement, à finalement un groupe classe participant à la même heure, au même cours avec le même professeur pour apprendre les mêmes choses. Bien qu’étant constitués des mêmes élèves, ces trois concepts de la classe ne s’équivalent pas puisqu’ils présentent des enjeux différents.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. Les rituels d’entrée de classe : des rituels spécifiques ?
a. Définition sociologique et pédagogique d’un rituel
b. Les bienfaits des rituels d’entrée en classe pour le cours qui va suivre.
c. Les bienfaits pour le groupe classe
d. Les bienfaits pour l’élève en particulier
II. Mise en œuvre de rituels d’entrée de classe en cours d’anglais dans des classes de 6e et de 3e
a. Les rituels d’entrée de classe communs aux deux niveaux
b. Les warm up avec la classe de 6e : comment canaliser leur énergie, créer une coopération et les rassurer en anglais ?
La respiration et les techniques de Neuro Gym Tonik
Les questions
c. Les warm up avec la classe de 3e : comment susciter leur motivation et créer une dynamique de groupe au niveau de tous ?
La vidéo
Les News of the Day
III. Les rituels d’entrée en classe et le point de vue des élèves
a. L’évaluation du point de vue des élèves sur les rituels d’entrée en classe pratiqués.
b. Les résultats de la classe de 6e5
c. Les résultats de la classe de 3e3
CONCLUSION
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