La mort a toujours suscité une attention particulière. Elle constitue cette réalité indéniable en ce sens qu’elle est inéluctable, incontournable. Et comme le dit L.-V. THOMAS « Elle touche l’ensemble de la parenté, la classe d’âge, l’alliance et toute la communauté » .
Depuis des siècles, l’homme a tenté par tous les moyens dont il disposait de l’éradiquer en vain. C’est pourquoi, elle est un phénomène qui côtoie chaque jour tous les êtres vivants. Elle est naturelle comme la naissance, la soif, la faim, le rire… Les hommes la vivent de différentes manières selon leur localité ou leur religion. Elle est de ce fait éminemment culturelle et consacre la fin de la vie sur terre. Perçue sous cet angle, elle fait l’objet d’une peur certaine chez les êtres humains. En effet, une fois qu’elle s’introduit dans une famille en faisant une victime, l’angoisse, la tristesse, se substituent à la joie, à la convivialité, etc. La peur du devenir du disparu anime alors tous les esprits. Pour ceux qui croient en l’au-delà, elle est un trait d’union entre la vie sur terre et celle de l’au-delà. Les textes religieux par exemple ainsi que les religions « traditionnelles » en font état. Fidèle à sa nature d’Etre culturel, l’homme a cherché à l’entourer d’un ensemble d’événements culturels, de rituels qui exposent dans la plupart des cas la diversité des conceptions. En effet, savoir que les hommes doivent tous mourir ne suffit pas pour rassurer l’individu sur sa propre mort. Il faut un ensemble de représentations ainsi que toute une série d’actions rituelles pour colmater la brèche provoquée par la disparition d’un être humain. En Afrique, la mort est sacralisée, de ce fait ritualisée. On parlerait même d’une mort dite africaine comme le rapporte L.-V.THOMAS dans son ouvrage intitulé La mort africaine : idéologie funéraire en Afrique noire . En effet, en Afrique, la mort n’est ni niée, ni ignorée ; bien au contraire, elle est affirmée puisque le noir transforme la mort en un événement qui porte sur l’apparence individuelle, donc épargne en fait l’espèce social. C’est la croyance en l’omniprésence des ancêtres donc en l’au-delà. Ceci permet à l’africain de l’accepter, de l’assumer mieux de l’ordonner en l’insérant dans un système culturel qui se constitue de concepts, de valeurs, de rites et de croyances. En Afrique comme l’affirme THOMAS « la mort est la vie, perdante, mal jouée » . La vie devenant ainsi la mort domptée non point d’ abord au niveau biologique mais social. Les différentes ethnies sénégalaises en fonction de leur lieu d’implantation, de leurs croyances et représentations ont des façons différentes de préparer le mort à l’ensevelissement, l’inhumation. Dans le cas précis, les Mankañ installés au Sud du Sénégal à la frontière avec la Guinée Bissau et qui font l’objet de notre étude, n’échappent pas à cette règle. En effet, tout un rituel entoure le repos de l’âme d’un membre de cette communauté. Ce qui, à nos yeux, présente un intérêt sociologique qui motive cette étude.
En définitive, la détermination des différents rites funéraires en milieu mankañ exige d’abord la définition d’un cadre général et d’une méthodologie claire en rapport avec les exigences de la sociologie, qui est avant tout une science. Par conséquent, cette première partie se compose de deux chapitres : Nous exposerons d’abord la revue de la littérature, la problématique, les objectifs de l’étude, les hypothèses, l’élucidation des concepts et les modèles théoriques. Puis, nous mettrons en exergue la méthodologie utilisée pour mener à bien cette étude. Pour cela la détermination du champ d’étude, le choix des méthodes et techniques d’observation et de collecte, la pertinence du sujet et l’exposition des difficultés s’imposent.
CADRE THEORIQUE
Revue critique de la littérature
Lorsqu’un chercheur entame un travail de recherche, il a souvent l’impression qu’il n’y a rien sur le sujet. Mais, cette opinion résulte généralement d’une mauvaise information car selon R.QUIVY et L.V.CAMPENHONDT, dans Manuel de Recherche en Sciences Sociales : « il est peu probable que le sujet traité n’ait jamais été abordé par quelqu’un d’autre auparavant, au moins en partie ou indirectement. Tout travail s’inscrit dans un continuum et p eut être situé dans ou par rapport à des courants de pensée qui le précèdent et l’influencent ». De ce point de vue, on peut se rendre compte de l’importance cruciale que revêt la recherche documentaire. En effet, il est d’un apport considérable pour le chercheur de prendre connaissance des travaux antérieurs portant sur des objets comparables afin qu’il puisse connaître ce qui rapproche ou distingue ceux-ci de son propre travail. Ainsi, au cours de l’élaboration de notre travail, nous avons eu à consulter un certain nombre d’ouvrages, d’articles et de documents parmi lesquels nous pouvons citer L’homme et l a mort d’E. MORIN. En effet, l’homme après avoir occultée la mort, refoulée de sa vie, recommence à oser l’affronter, soutient cet auteur, même si elle demeure le traumatisme par excellence. MORIN, dans son ouvrage, s’efforce de montrer que la société fonctionne non seulement malgré et contre la mort, mais surtout qu’elle n’existe que par elle. Elle est en effet à la source des grands mythes religieux – immortalité, résurrection, réincarnation – donc de la culture. Ainsi, avoir conscience de l’horizon nécessaire de sa mort, est ce qui distingue l’homme de l’animal.
D’ailleurs, dit MORIN, dans l’avant propos de son livre, le mystère premier n’est pas la mort, mais l’attitude de l’homme devant la mort. Tous les êtres vivants, hommes ou animaux, ont une certaine connaissance de la mort, la preuve en est qu’ils la fuient. Mais, l’originalité humaine, c’est que le langage, la conscience réflexive, permettent de se penser mortel soi-même comme sont mortels ceux que l’on a connus. La mort n’a pas d’être, elle est réelle cependant et elle arrive sans qu’on puisse la retenir. L’être humain a ai nsi acquis une conscience de la mort comme destruction de son individualité et pas seulement la destruction physique mais la destruction de son moi subjectif. Dès la préhistoire, se sont mises en place trois données contradictoires et absolument liés : d’abord la conscience de la mort et l’impuissance de l’homme, ensuite l’horreur et le traumatisme qu’elle suscite chez les vivants ; et enfin, la possibilité de surmonter cette horreur dans une survie, une réincarnation, l’immortalité ou la résurrection. Et selon MORIN, la conscience nie la mort et la reconnaît en même temps : elle nie la mort comme anéantissement, mais elle la reconnaît comme événement. En définitive, l’homme, ayant toujours nié la mort, réapprend peu à peu à l’accepter en ne la considérant plus comme une fin, mais juste un passage et ce passage est assuré par les rituels qui colmatent la peur provoquée par l’horreur de la mort. C’est, dans cette même lancée que se place J. ZIEGLER. L’auteur a construit son livre sur le contraste entre la culture des noirs brésiliens « le candomblé » où la mort est honorée, intégrée et la culture industrielle de l’Occident qui tente de nier la mort.
Selon l’auteur, les rites permettent aux morts de rester détenteurs de la vie et précepteurs des vivants dans une communauté qui, relie le ciel et la terre et dans le contexte des noirs brésiliens du XIX siècle, les rites permettent d’effectuer le voyage mais aussi de mettre en corrélation les deux mondes. En effet, la mort, imposant une limite à notre existence, institue le temps. Elle confère une place et un sens à chaque instant de vie, d’où elle singularise chaque vie et lui donne sa signification. Au moment où nous mourons, nous faisons le constant douloureux de notre inachèvement. Il y’aurait encore tant de choses à v ivre, de voyages à f aire, tant d’activités à entreprendre. Notre désir est infini, mais notre vie est finie. Cependant notre mort est une possibilité de vie offerte à ceux qui viennent après nous . Mais cette égalité, entre le monde d’ici-bas et celui de l’au-delà, est insupportable pour cette société de consommation, la première selon l’auteur à refuser un statut au défunt. Cependant, la mort niée, resurgit en folie et l’homme privé de sa finitude, cesse d’être un sujet actif de l’histoire.
De ce fait, tout au long de ces deux ouvrages, l’idée de la mort comme passage d’un monde vers un autre, a été développé. En effet, la mort devient un élément bénéfique à l’humanité, car elle assure la survie de l’espèce. Libérer la mort et la réintégrer au devenir social, cette revendication qui commence à grandir, fera plus que tout autre pour changer la vie en histoire, c’est la mort qui instaure la liberté. Ces auteurs ont démontré que les rituels participent au passage du défunt d’un état à un autre. Il s’établit ainsi un rapport morts/vivants, caractérisé par des échanges dans un arcane de rites qui ont tous une certaine signification dans la communauté. R. JAULIN suit la même lancée lorsqu’il nous parle de la mort et des rituels chez les Sara du Tchad.
En effet, dans son ouvrage, La mort Sara : l’ordre de la vie ou la pensée de la mort au Tchad, nous nous sommes beaucoup plus intéressée à la troisième partie intitulée « la mort Sara » et qui traite de la mort et des rituels funèbres dans cette communauté du Tchad. Chez les Sara, l’acte de la mort englobe une multitude d’attitudes et des mécanismes permettant à des niveaux différents de compenser la perte de l’être aimé et de créer un équilibre. Pour cette ethnie, la mort n’est jamais naturelle et à défaut de pouvoir saisir le sorcier qui, par définition, est l’assassin, on impute parfois le crime au conjoint. Les sorciers et plus particulièrement les sorcières sont ainsi accusés dans la majorité des décès. Pauvre sorcière en définitive, dont la société a besoin pour croire en la vie et se persuader que la mort est un accident qui trouble l’ordre social mais, est nécessaire à son dynamisme et sa perpétuité.
Ce qui est intéressant dans l’œuvre de JAULIN, c’est que l’ethnologie qu’il défend se veut résolument morale et se refuse des grandes théories à tendance universaliste car, elle implique une grande intimité avec la communauté étudiée. Elle recommande donc non seulement l’enquête de terrain mais comme MALINOWSKI, une longue immersion parmi ceux qu’on veut décrire et dans des conditions les plus voisines de celles des habitants : vêtements, modes de vie, usage de la langue locale. Une telle immersion n’empêche pas d’analyser les faits notés avec la plus grande rigueur et de leur donner une interprétation locale et véridique et comme il le dit « ici et maintenant ».
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Table des matières
Introduction
Première partie : Cadre théorique et méthodologie
Chapitre 1 : Cadre théorique
Chapitre 2 : Méthodologie
Deuxième partie : Présentation générale du champ d’étude
Chapitre 3 : Présentation du champ d’étude
Chapitre 4 : . Présentation des objets d’étude
Troisième partie : Analyse et interprétation des données de l’étude
Chapitre 5 : Les rites funéraires traditionnels
Chapitre 6 : L’interrogatoire du mort
Conclusion
Bibliographie
Table des matières
Annexes