Un travail de thèse est un travail où se versent sciences, connaissances, théories, outils, méthodologies, normes, rigueur, résultats mais également une partie de soi. Ces graines ne donnent forme qu’à travers une articulation trouvant sens dans la passion et l’amour que nous portons à notre sujet de thèse et à son objet d’étude.
Le courage d’amener à terme et à destination ce travail de recherche s’appuie sur de longs moments de réflexion puisant leurs forces en des ressources psychologiques. C’est avec une inspiration transcendante que nous élaborons ce travail de thèse profondément marqué par deux courants épistémologiques qui semblent en apparence s’opposer mais qui dans notre recherche s’associent pour se compléter : le constructivisme social et la psychologie positive. Ces deux courants se rencontrent dans l’étude des ressources psycho-sociales qui permettent à l’individu à la fois de trouver sens à sa vie mais également d’apprendre à se construire tout au long de la vie dans une démarche d’exploration de soi et de mobilisation de ses ressources psychologiques (Sovet, Annovazzi, Ginevra, Kaliris, & Lodi, 2018). Même si les deux courants diffèrent profondément dans leurs méthodes de recherche, leur intérêt commun pour l’étude des ressources psychologiques mobilisées à différentes étapes de la vie pour retrouver une authenticité dans le bien-être fait leur complémentarité.
Des ressources adaptatives pour l’orientation tout au long de la vie
« C’est ce qui fait l’Homme c’est sa faculté d’adaptation ». Socrate, le monde grec – Ve s av.J.-C.
Il n’est ni original ni nouveau d’affirmer que le monde change et change vite. Il n’est pas surprenant de voir que le marché et l’environnement de travail le sont aussi. Des avancées technologiques à la fois fondamentales, majeures et déterminantes ont été réalisées à travers la digitalisation et la généralisation des technologies de l’information et de la communication à travers le monde entier (Schwab, 2016). Au cœur de tous ces changements, de multitudes de recherches se sont focalisées sur la centralité du travail et le sens qui lui est afféré, ainsi que sur la transformation de la nature des carrières des travailleurs. Une attention particulière fut également portée sur la capacité des individus à traiter efficacement les transitions professionnelles (Di Fabio & Maree, 2016 ; Maree, 2017a).
Modification du travail et des parcours professionnels
De prime à bord, il peut sembler inutile de faire un plaidoyer sur la centralité du travail et sur les métamorphoses de ce qu’il représente à travers les progrès sociétaux. Sauf qu’il nous paraît incontournable de montrer l’évolution de ce concept qui de nos jours est sujet de polémique. La mise en contexte de la signification du travail nous permet de mieux appréhender les angles de recherche et de positionnement épistémologique de la psychologie de l’orientation.
Le travail est aujourd’hui perçu tantôt source de bonheur et d’épanouissement, tantôt source de souffrance (Aubrey, 1994). Depuis déjà une quarantaine d’années, Sartin (Sartin, 1977) observait que le travail n’était plus sacralisé par les jeunes générations et représentait davantage un moyen légal de gagner l’argent nécessaire à leur sécurité plutôt qu’un moyen pour se réaliser. Dans le même sens, Frances (1986) constatait que les jeunes n’étaient plus inspirés par le travail. Ces derniers, à l’opposé de la réalisation de soi, perçoivent le travail comme un lieu d’aliénation et de destruction de soi (Fournier & Gaudron, 2006). Dans son ouvrage « le travail : une valeur en voie de disparition », Méda (2010) appuie l’idée selon laquelle la valeur travail est fortement en déclin dans les sociétés industrialisées et qu’il existe bien d’autres ressources comme moyen privilégié d’épanouissement personnel. Pour Aubrey (1994), le travail est devenu un lieu de confrontation de l’homme avec lui-même et avec ses semblables. De son côté, Rifkin (1996) dresse pour l’avenir une vision assez pessimiste du travail. Il soutient que les changements perpétrés, au cours des dernières décennies, dans l’organisation du marché du travail ne pourront plus afférer un rôle à l’individu dans la société. Il devient alors nécessaire pour l’individu de se connaitre et de se construire selon un processus de réflexivité continue (Guichard, 2016 ; Savickas & Guichard, 2016) plaçant le bien-être et le sens de la vie comme des éléments de plus en plus centraux dans la construction des choix de ses orientations professionnelles (Bernaud, 2016 ; Sovet, Carrein, Jung, & Tak, 2014).
Dans les sociétés industrialisées et post-modernes, le sens même du travail requiert différentes significations qui sont parfois paradoxales. Travailler dans l’économie globale postmoderne comporte donc un niveau de risque plus élevé, puisque les emplois ont évolué et les organisations elles-mêmes tendent vers des réseaux d’organisation (Savickas, 1997). Si, au cours du 20e siècle, les organisations servaient de « cadres de confinement » pour les travailleurs ; ces derniers, au cours de l’ère postmoderne, doivent non seulement construire leur histoire professionnelle, mais être aussi les protagonistes de l’action de construction de soi et de leur vie. La transformation du sens et de la valeur travail se sont accompagnées d’un changement dans les carrières et les parcours professionnels.
N’étant plus associée à la sécurité, à la stabilité, à la continuité ou à la progression, mais référant plutôt à l’incertitude, à l’imprévisibilité, à l’insécurité et à l’adaptation face à des situations de transitions (Bujold & Gingras, 2000), la carrière est dorénavant envisagée selon une perspective d’adaptabilité entre la personne adulte et son environnement. Le terme carrière prendrait alors en compte non seulement l’évolution de la vie professionnelle d’une personne et la perception que celle-ci a de son cheminement (Schein, 1984), mais également la capacité de la personne à utiliser des stratégies d’adaptation à de nouveaux contextes professionnels en mouvance. Fugate, Kinicki, et Ashforth (2004, p.24) parlent même de « travailleur protéiforme », affirmant que « pour réussir dans le milieu de travail d’aujourd’hui, les travailleurs doivent être adaptables et gérer plusieurs identités ». Ces modifications dans les différentes formes de carrière questionnent même l’objet d’étude de l’orientation professionnelle. S’agit-il alors d’étudier l’orientation de l’individu dans son cheminement de carrière, dans sa trajectoire professionnelle, dans son parcours professionnel ou dans son parcours de vie ? Si le terme « trajectoire professionnelle » définit un passage d’un statut à un autre – qui peut concerner les apprentissages, les stages, les périodes de chômage, la retraites, des modifications diverses dans les formes du travail ainsi que des interruptions diverses (formation, maladie, prison…) ; le terme de « parcours », moins rigide permet de sortir d’une approche uniquement déterministe (Bourdieu & Passeron, 1964) à l’entrée et durant le parcours des études.
Dans la trajectoire, peu de place est réservée à l’aménagement de transitions, étant donné sa rigidité et son déterminisme. Les étapes de la vie se succèdent dans un cadre spatio-temporelle connu d’avance. Bourdieu manifestait déjà en 1979 un intérêt considérable aux trajectoires en avançant que les individus ne se déplaçaient pas au hasard dans l’espace social. Dans un monde où règnent l’organisation, la planification, la succession structurée des rôles, l’homme ne peut être défini qu’à travers sa trajectoire. Or cette modernité organisatrice de continuités orientées se fonde progressivement dans l’ère postmoderne pour céder la place à l’imprévisibilité, à l’incertitude et au probable. De ce fait, l’évolution vers l’approche par les parcours permet de considérer une logique plus complexe, qui remet en analyse la causalité du parcours (Boutinet, 2014).
Le parcours est souvent entendu comme étant une trajectoire particulièrent lorsque le parcours n’emprunte pas les voies et les étapes qu’il aurait dû franchir à un moment donné. On lui confère ainsi le nom de parcours atypique embrassant la logique de la singularité d’une vie expérientielle.
Pour Savickas et al. (2010), l’expression « parcours professionnel » semble mieux adaptée pour rendre compte du caractère aléatoire des vies professionnelles de chacun. Celle-ci permet mieux d’appréhender les choix professionnels à la fois par des déterminismes sociaux, par des intérêts, par une réalité contextuelle et par des logiques intrapsychiques. Le terme de parcours, permet ainsi d’expliquer différemment l’approche de la production de l’action relative à l’orientation professionnelle et semblent répondre plus aux exigences de flexibilité des organisations. Ces parcours deviennent alors imprévisibles, incertains et hétérogènes (Mercure & Spurk, 2003 ; Palmade, 2003). Dès lors, l’orientation scolaire et professionnelle se trouve face à de nouveaux défis, à tel point que certains auteurs parlent même de changement de paradigme (Savickas et al., 2009) que nous aborderons ultérieurement.
La gestion des transitions université-emploi : un défi de taille pour l’orientation professionnelle
Le terme « transition » est de plus en plus utilisé dans la littérature sur le développement de carrière (Hartung, Savickas, & Walsh, 2015a), reflétant la plus grande attention portée par les chercheurs aux stratégies développées par les individus pour faire face aux changements de leur vie. Les études actuelles sur la transition université-emploi tiennent de plus plus compte des besoins et des ressources des jeunes qui leur permettent à la fois d’explorer leur environnement et leurs intérêts et de définir des moyens pour s’intégrer au marché du travail (Domene, Landine, & Stewart, 2015).
Qu’est-ce qu’une transition ?
Du latin transitio, transition signifie « passage » et comme tout passage celle-ci peut être définie par son caractère transitoire, momentané, ponctuel et intermédiaire. Les passages transitionnels sont « de nature, d’enjeux, d’empans temporels et de conséquences différents » (Baubion-Broye & Almudever, 1998). Ceux-ci s’inscrivent bien dans « une logique temporelle » comportant une origine et une fin plus ou moins floue » et à laquelle se livre l’individu (Boutinet, 2007, p. 226).
La théorie de la transition a été créée parce qu’il existait « un besoin de développer un cadre qui faciliterait la compréhension des adultes en transition ». Pour Guichard (2007), la transition est un changement qui marque le vécu de la personne par la transformation et le changement dans ses conduites, ses rôles et ses représentations. Ainsi la transition a quatre acceptations majeures dans le domaine de l’orientation (Guichard, 2007) :
❖ Passage d’une étape à une autre de l’existence ou de la carrière professionnelle,
❖ Changement dans la vie de la personne provoqué par un événement surgissant de manière aléatoire dans l’un des domaines de vie de l’individu, ou bien l’absence d’un événement normalement attendu,
❖ Transformation du contexte dans lequel évolue et interagit l’individu,
❖ Le passage régulier de l’individu d’un contexte d’activité à un autre.
Ces aspects du processus transitionnels ne sont pas sans conséquences pour l’individu. Ils entrainent chez lui une certaine dissonance en l’affectant à la fois positivement et/ou négativement (Guichard, 2007). Anderson, Goodman, Schlossberg et Goodman (2012, p.59) estiment que la transition part des principes suivants : « elle est vécue continuellement par les adultes, les réactions de ces derniers aux transitions dépendent du type de transition, de la perception de celle-ci, le contexte dans lequel elle se produit et son impact sur leur vie ; et qu’une transition n’a pas de point final ». Elle est plutôt un processus au fil du temps qui comprend des phases d’assimilation et d’évaluation continue au fur et à mesure que les gens emménagent, à travers et hors de celui-ci (Anderson, Goodman, & Schlossberg, 2012, p 59).
Les différents modèles de transition
Les différentes études sur les formes de transitions : transitions normatives (Havighurst, 1972 ; Levinson et al., 1978), transitions écologiques (Bronfendenner, 1979), transitions psychosociales (Parkes, 1971 ; Masdonati & Zitoun ; 2012), transitions « personnalisantes » (Baubion-Broye & Almudever, 1998) et transitions événementielles (Schlossberg, 1981, 1984, 2005) représentent des tentatives différentes mais parfois convergentes pour étudier les transitions tantôt dans une démarche interactive, tantôt dans une démarche singulière. Nous nous étalerons particulièrement dans ce qui suit sur les transitions psychosociales et événementielles qui constituent le cœur de notre travail.
Les transitions psychosociales, concept élaboré en 1971 par Parkes, révèlent l’importance des processus psychologiques en jeu dans les changements affectant la vie de l’individu. Deux concepts fondamentaux soutiennent les transitions psychosociales : l’espace de vie dans lequel s’articule la perception des changements (champ psychologique) et les présomptions et attentes sur le monde. Les modifications dans ses présomptions du monde comme par exemple difficulté de travailler avec son diplôme d’études dans certaines filières d’étude, amèneront l’individu à introduire des modifications conséquentes dans son espace de vie. Il introduira alors des modifications internes et externes visant à améliorer son adaptation avec son environnement (Parkes, 1971).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
1 DES RESSOURCES ADAPTATIVES POUR L’ORIENTATION TOUT AU LONG DE LA VIE
1.1 INTRODUCTION
1.2 MODIFICATION DU TRAVAIL ET DES PARCOURS PROFESSIONNELS
1.3 LA GESTION DES TRANSITIONS UNIVERSITE-EMPLOI : UN DEFI DE TAILLE POUR L’ORIENTATION PROFESSIONNELLE
1.3.1 Qu’est-ce qu’une transition ?
1.3.2 Les différents modèles de transition
1.3.3 Les transitions université-emploi
1.4 L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES JEUNES DIPLOMES DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR : UN DEFI DE PLUS POUR L’ORIENTATION PROFESSIONNELLE
1.4.1 L’approche socio-professionnelle de l’insertion
1.4.2 L’approche multidimensionnelle de l’insertion professionnelle
1.4.3 L’approche de construction de soi comme modèle transitionnel
1.5 LES TENTATIVES DE REPONSE AUX PROBLEMATIQUES DU 21IEME SIECLE : L’EVOLUTION DES PARADIGMES DE CONSEIL EN ORIENTATION
1.5.1 Le paradigme adéquationniste et l’orientation professionnelle
1.5.2 Le paradigme du développement de la carrière
1.5.3 Le paradigme du constructionnisme social : le life-design : réponses aux problématiques du XXIe siècle
1.6 L’ADAPTABILITE DE CARRIERE : UNE RESSOURCE PSYCHOSOCIALE CAPITALE POUR LA TRANSITION UNIVERSITE-EMPLOI
1.6.1 Présentation du concept
1.6.2 La mesure de l’adaptabilité de carrière
1.6.3 Les travaux de recherche sur l’adaptabilité de carrière et les transitions professionnelles
1.7 SYNTHESE DU CHAPITRE 1
2 DES RESSOURCES PSYCHOLOGIQUES POUR LE DEVELOPPEMENT DES RESSOURCES ADAPTATIVES
2.1 INTRODUCTION
2.2 QUE SONT LES RESSOURCES EN PSYCHOLOGIE ?
2.3 LES DIFFERENTS MODELES DES RESSOURCES EN PSYCHOLOGIE
2.3.1 La théorie du Job Demand Resources de Bakker et Demerouti (2007)
2.3.2 Le modèle des ressources de carrière de Hirschi (2012)
2.4 LA PSYCHOLOGIE POSITIVE A L’ŒUVRE DES RESSOURCES PSYCHOLOGIQUES
2.4.1 L’apport de la psychologie positive
2.4.2 Les différentes ressources psychologiques en psychologie positive
2.5 LES FORCES DE CARACTERE : DES RESSOURCES PSYCHOLOGIQUES AU CENTRE DE LA PSYCHOLOGIE DE L’ORIENTATION ET DE LA PSYCHOLOGIE POSITIVE
2.6 SYNTHESE DU CHAPITRE 2
3 LES FORCES DE CARACTERE COMME RESSOURCES PSYCHOLOGIQUES POUR L’ORIENTATION TOUT AU LONG DE LA VIE
3.1 LES DIFFERENTES CONCEPTIONS DES FORCES
3.1.1 Les théories sur les forces
3.1.2 Les forces et la personnalité
3.1.3 Forces, vertus, valeurs et morale
3.2 LE MODELE VALEURS EN ACTION (VEA) DES FORCES DE CARACTERE
3.2.1 Les origines du modèle
3.2.2 La conceptualisation du modèle
3.2.3 Les vertus et les forces de caractère du modèle VEA
3.3 LE VIA-IS : UN OUTIL DE REFERENCE POUR L’EVALUATION DES FORCES DE CARACTERE
3.3.1 Présentation de l’outil
3.3.2 La structure du VIA-IS
3.3.3 Les études sur les forces de caractère
3.4 SYNTHESE DU CHAPITRE 3
4 LE BONHEUR DES INDIVIDUS AU CŒUR DES PREOCCUPATIONS DE L’ORIENTATION TOUT AU LONG DE LA VIE
4.1 LE BONHEUR A TRAVERS LES CULTURES
4.1.1 Le bonheur dans les traditions philosophiques occidentales : de l’antiquité à nos jours
4.1.2 Le bonheur dans les cultures orientales asiatiques
4.1.3 Le bonheur chez les penseurs musulmans
4.2 LES DETERMINANTS SOCIO-ECONOMIQUES DU BONHEUR
4.2.1 Relation entre indicateurs économiques et bien-être
4.2.2 Relations entre facteurs sociaux et bien-être
4.2.3 La santé et le bien-être
4.3 LES MODELES DU BONHEUR ET SES DIMENSIONS
4.3.1 Le bonheur hédonique et le bien-être subjectif (Diener, 1984)
4.3.2 Le bonheur eudémonique et le bien-être psychologique (Ryff &Keyes, 1995)
4.3.3 Vers des modéles intégrateurs : du bien-être à l’épanouissement
4.4 LES DIFFERENTS OUTILS DE MESURE DU BIEN-ETRE
4.4.1 Les échelles de mesure du bien-être subjectif
4.4.2 L’échelle de Ryff pour la mesure du bien-être psychologique
4.4.3 Les échelles de mesure de l’épanouissement
4.5 SYNTHESE DU CHAPITRE 4
5 MISE EN COMMUN DES DIFFERENTS CONCEPTS ET OBJECTIFS DE LA THESE
5.1 RELATION ENTRE FORCES DE CARACTERE ET BIEN-ETRE
5.1.1 Les forces de caractère et la satisfaction de la vie
5.1.2 La force de la spiritualité et le bien-être
5.1.3 Connaissance, utilisation des forces de caractère et et bien-être
5.2 FORCES DE CARACTERE, ADAPTABILITE DE CARRIERE ET SATISFACTION DE LA VIE
5.3 ADAPTABILITE DE CARRIERE ET BIEN-ETRE
5.4 SYNTHESE DU CHAPITRE 5
6 LES CARACTERISTIQUES CULTURELLES ET SOCIO-ECONOMIQUES DE LA TUNISIE
CONCLUSION GENERALE