Les ressources et leurs impacts sur la dynamique de population

Il est souvent difficile d’établir des relations causales entre dynamique de population et changement d’activités humaines (dans cette étude : déprise agricole et augmentation de la fréquentation touristique). La difficulté provient bien souvent du fait que ces changements interviennent sur des périodes relativement longues par rapport aux études habituellement menées. Pourtant, c’est une des voies les plus pertinentes pour rendre efficaces des plans de gestion en faveur de la biodiversité. Ceci peut se faire à grande échelle, notamment au travers de changements de politique agricole (Barber et al 2001, Davis 2005, Driscoll et al. 2005, Rodewald & Yahner 2001), ou plus localement, par exemple par une politique de gestion d’espaces protégés. Si plusieurs études ont mis en évidence une corrélation entre le déclin des populations d’oiseaux spécialistes des milieux agricoles et l’enfrichement (Delgado & Moreira 2000), peu d’études ont décrit les processus impliqués et les paramètres démographiques affectés.

C’est particulièrement le cas chez le Crave, espèce pour laquelle plusieurs hypothèses ont été avancées pour tenter d’expliquer le déclin des populations : persécutions directes, tel le prélèvement pour des collections privées ou publiques comme celles constituées par les Muséum au XIXème siècle (Owen 1989), changements climatiques (Owen 1989, Reid et al. 2003a) ou encore changements des pratiques agricoles. Cette dernière hypothèse est celle qui a été majoritairement citée (Berrow et al. 1993, Blanco et al. 1998, Bullock et al. 1983, Cook et al. 2001, Cullen 1989, Dendaletche 1991, Garcia-Dory 1989, McCanch 2000, McCracken et al. 1992, Meyer et al. 1994, Owen 1989, Rolfe 1966, [Article n°1]). Paradoxalement, pour le Crave, nous ne disposons pas d’éléments sur les processus démographiques affectés lors des changements des pratiques agricoles. Les analyses publiées concernent seulement des corrélations entre variations inter-annuelles locales de populations et variations climatiques (Owen 1989, Reid et al. 2003a). Une étude à long terme menée sur Islay a par exemple mis en évidence que le paramètre démographique affecté était la production de jeunes : La pluviométrie hivernale est corrélée négativement, et les températures estivales corrélées positivement, au succès reproducteur (Reid et al. 2003a). En dehors de la portée scientifique de ces résultats, cela apporte peu d’information pour la mise en place de politiques de conservation et d’outils pour le gestionnaire. Ainsi, s’il est légitime de s’interroger sur le devenir de ces populations dans un contexte de changement climatique, le gestionnaire peut surtout intervenir à une échelle locale et notamment en intervenant éventuellement sur certaines dynamiques naturelles comme la fermeture des milieux.

Les relations entre les changements d’usage des sols au sein du paysage et la dynamique des populations animales qui y vivent font intervenir une série complexe de processus reliant les caractéristiques des habitats et du paysage à la démographie de la population et qui peut être définie sous le terme de « relation espèce-habitat ». Chaque individu de la population est confronté à des choix quant aux habitats où il peut s’alimenter, s’abriter et se reproduire. L’ensemble de ces choix constitue la sélection de l’habitat et conditionne pour une grande part la survie de l’individu et son succès reproducteur. Ces décisions prises en fonction de caractéristiques spatiales (par exemple la fidélité au site de reproduction) ont alors souvent des répercussions au niveau temporel car elles peuvent conditionner toute la vie de l’individu. L’ensemble de ces décisions individuelles affecte à la fois la dynamique de la population et sa distribution spatiale. Les décisions de sélection de l’habitat sont fonction de paramètres propres à l’individu (besoin en ressources, condition physiologique, expérience…) et de paramètres de son environnement qui conditionnent la possibilité de subvenir à ses besoins : l’abondance, la distribution et l’accessibilité des ressources mais aussi la distribution de prédateurs, de compétiteurs ou de congénères.

Site de reproduction

Lors de la sélection de l’habitat chez les oiseaux, le nombre de sites potentiels d’installation du nid peut se révéler le principal facteur limitant de la dynamique des populations. Cette limitation peut intervenir à deux niveaux : soit en limitant le nombre de couples reproducteurs, ce qui affecte alors directement la taille de la population, soit en affectant le succès reproducteur, dans le cas où il existe de la variabilité de qualité entre emplacements ou des variations temporelles de disponibilité des sites. Ceci est particulièrement notable dans le cas d’espèces aux exigences très particulières vis-à-vis de leur site de nidification (cf. revues de Newton 1994, 1998, Pöysä & Pöysä 2000). Le Crave, dont le nid est exclusivement construit dans des cavités obscures, en fait potentiellement partie (McKay 1993). D’ailleurs, au Pays de Galles, un programme d’installation de nichoirs et d’aménagement de sites artificiels (mines de cuivre) a permis une augmentation de près de 18 % de la population reproductrice (Cross et al. 1993) .

Dés éléments concordants : Plusieurs éléments suggèrent, à Ouessant, une possible limitation de la population reproductrice par le nombre de sites de reproduction disponibles :
● La population Ouessantine, lorsqu’elle était plus importante (jusqu’à 80 individus), n’a jamais compté plus de couples reproducteurs qu’actuellement, soit entre 10 et 13 couples, [Article n° 1] suggérant que plusieurs individus n’arrivaient pas à accéder à la reproduction faute probablement de site.
● Au cours de la période 1996-2005, la majorité des sites a été réutilisée d’une année à l’autre et les changements annuels ont été relativement rares. Si au total 17 sites de reproduction ont été recensés durant cette période (Fig. I-1), fréquemment au sein d’un même territoire, un couple a pu occuper deux sites distincts. Un couple peut parfois construire deux nids la même année, mais au final un seul site est utilisé. Les données de recensements réalisés par le passé et pour lesquels les sites sont identifiés (1972, 1979, 1982 et de 1984 à 1994, [Article n° 2], Kerbiriou et le Viol 2002) indiquent que la majorité des emplacements utilisés à cette époque correspondent aux sites notés entre 1995-2005 [Article n° 3].
● A Ouessant, certains oiseaux (marqués) en âge de se reproduire ont été observés formant un couple sans territoire fixe, parfois même un à deux ans avant qu’ils ne se reproduisent. Leur accès au statut de reproducteur s’est effectué lors de la disparition d’un couple, en utilisant alors le site laissé vacant.
● La prospection minutieuse de l’ensemble des grottes de l’île n’a pas permis de faire apparaître de sites potentiels supplémentaires. Un site potentiel a été défini a priori comme une grotte ou fissure possédant une corniche autorisant l’installation d’un nid (20 x 20 cm) à l’obscurité et sans suintement d’eau au-dessus de l’emplacement.

Une approche expérimentale : Pour tester l’hypothèse d’une limitation du nombre de couples nicheurs par la disponibilité en sites de reproduction, des sites artificiels ont été créés. Ainsi une opération de pose de nichoirs artificiels a été menée en décembre 2002 dans des grottes ne possédant pas de corniches (Fig. I-1). Cependant, deux des six nichoirs, pourtant situés à plus de 10 mètres au dessus du niveau des plus hautes mers, ont été arrachés, révélant ainsi que certains de ces sites étaient exposés à de fortes houles. Les quatre autres nichoirs n’ont pas été utilisés par des couples reproducteurs durant les trois saisons de reproduction suivantes.

Cette non-utilisation par des couples peut soit :
● révéler que la population n’est pas limitée par le nombre de sites de reproduction,
● être dûe à une dynamique de « re-colonisation » qui n’a pu être observée durant cette courte période car la population n’aurait pas été suffisamment excédentaire. Sans limitation des sites de reproduction, les classes d’âge des oiseaux n’ayant pas encore atteint la maturité sexuelle constitueraient théoriquement 39 %1 de la population. Cette prédiction suggère qu’il existe une « limitation », lorsque la proportion d’oiseaux ne se reproduisant pas est supérieure à 39 %. Or actuellement à Ouessant, selon les années, entre 35 et 50 % d’oiseaux ne sont pas reproducteurs. La proportion d’oiseaux en âge de se reproduire, mais n’accédant pas au statut de reproducteur, peut donc être nulle ou relativement faible certaines années.
● indiquer que les sites artificiels ne sont tout simplement pas aussi attractifs que des sites naturels. Ainsi, il est possible que les Craves convoitent principalement des sites sur lesquels il y a eu par le passé une occupation, ou mieux un succès reproducteur. Cette information publique conditionne la sélection des sites de reproduction chez de nombreuses espèces (Doligez et al. 2002, Valone & Templeton 2002). Les résultats de l’expérience menée aux Pays de Galles révélaient d’ailleurs un taux d’occupation assez faible (17 %) des sites aménagés. Enfin la non attractivité de ces nichoirs provient peutêtre de leur installation. Lors d’une rencontre organisée entre plusieurs associations de gestionnaires d’espaces accueillant des populations de Craves (anglais : RSPB, Parc National du Pembrokeshire, Corwall Trust et français : Bretagne-Vivante), les spécialistes anglais (Ian Jonhnstone, Claire Mucklow et Julie Webber) ont conclu que les nichoirs installés à Ouessant n’étaient probablement pas disposés suffisamment profondément dans les grottes. Malheureusement, pour des raisons techniques, l’escalade dans ces grottes étant difficile, il n’a pas été possible d’atteindre des sites plus optimaux.

Sélection de l’habitat et dynamique démographique

Habitat du Crave et usages associés

En Europe, la majorité des études axées sur la caractérisation des habitats utilisés par les Craves pour leur alimentation soulignent l’importance des pâturages ainsi que de certains habitats naturels comme les pelouses littorales ou les systèmes arrière-dunaires (Blanco et al. 1998, Bignal et al. 1996a, Bullock et al. 1983, Madders et al. 1998, McCanch 2000, Mc Craken et al. 1992, Rolando et al. 1994, Robertson et al. 1995, Ravayrol 1995, Farinha 1991, Whitehead et al. 2005, Curtis 1989, Roberts 1985, Warnes 1982, Warnes & Stroud 1989). A priori, l’utilisation des pâtures par les Craves peut résulter soit d’une sélection :
● de la structure de végétation, comme par exemple la hauteur de la végétation qui pourrait interférer avec les techniques de chasse.
● des espèces de proies présentes (thématique abordée dans le chapitre 1.3).

Dans le contexte de fort déclin des pratiques agropastorales observé à Ouessant et dans le but de proposer des scénarios d’évolution et de viabilité de la population, il apparaît nécessaire :
1) de connaître les habitats utilisés et sélectionnés actuellement par les Craves,
2) de décrire les usages associés à ses habitats,
3) de simuler leur évolution,

Habitats utilisés par les Craves.
En 20 ans de fonctionnement de l’observatoire permanent de l’avifaune mis en place par le Centre d’Etude du Milieu d’Ouessant, les Craves n’ont été observés en alimentation, à de rares exceptions près (5 en 20 ans, parmi les dizaines de milliers d’observations du registre ornithologique du Centre d’Etude du Milieu d’Ouessant), que dans la bande littorale. De plus, alors que les milieux broussailleux, buissonnants et les zones humides représentent actuellement près de 45 % de la superficie de l’île, les Craves n’y ont jamais été observés s’alimentant.

Dans le but de décrire l’utilisation des différents types de végétation au cours d’un cycle annuel, les Craves ont fait l’objet d’un suivi quantifié sur la bande littorale à partir d’une grille à mailles de 250 mètres de côté. Seuls les 123 carrés présentant des surfaces d’habitats susceptibles d’être fréquentés (milieux ouverts) ont été visités (fig. I-2). Le protocole a consisté à noter, lors de chaque sortie sur le terrain, la présence ou l’absence de Crave. Lorsqu’un secteur est prospecté, l’état (absence ou présence quantifiée de Crave) est considéré comme parfaitement déterminé à un temps t sur un carré donné. La plus petite unité de temps étant la tranche horaire, nous faisons l’hypothèse qu’aucun individu ne peut être noté simultanément sur deux carrés pour une même heure. De plus, pour chaque observation, seul le premier comportement observé pour un individu ou un groupe est considéré. De 1996 à 2003, sauf rares exceptions, ces carrés ont été prospectés au minimum chaque année, une fois par mois. Sur cette même période, c’est en moyenne 189 jours/an qui ont donné lieu à des prospections soit 75626 carrés prospectés et 11436 comportements de Craves notés. Dans la majorité des observations d’oiseaux en alimentation, le type de végétation prospecté a été noté (95 % des cas sur la période 1995-2003).

Les différentes catégories de végétation ont été établies selon des critères de hauteur (< 5 cm / 5 cm-15 cm / 15 cm – 40 cm / > 50 cm), de recouvrement du tapis végétal, d’utilisation en tant que pâture ou de la prédominance de ligneux versus herbacées (tableau I.1). Les relevés de terrain associés à une photo-interprétation (orthophoto de l’Institut Géographique National 2000) ont permis d’élaborer une cartographie des habitats à l’échelle de la frange littorale. Cette cartographie a été intégrée à un Système d’Information Géographique (S.I.G.), sous forme d’une couche vectorielle de polygones. Compte tenu de la résolution de l’orthophoto, les chemins n’ont pu dans un premier temps être numérisés en tant que surface et ont donc été numérisés en tant que linéaire. Une base de données associée à leurs caractéristiques telles que leur largeur ou leur état (en herbe, ornière, sol nu) a été constituée à partir des relevés de terrain. La couche d’information relative au linéaire de chemin a été actualisée par la base de données « chemin », permettant ainsi l’élaboration d’une couche de polygones relative aux chemins. Cette couche a ensuite été intégrée à la couche relative aux huit autres habitats.

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Table des matières

INTRODUCTION
SITE D’ETUDE
Déprise agricole et processus d’enfrichement
Augmentation de la fréquentation touristique
Labels et statuts de protection
MODELE BIOLOGIQUE
Description de l’espèce
Le Crave, une espèce emblématique
CHAPITRE I : Les ressources et leurs impacts sur la dynamique de population
1.1. Site de reproduction
1.2. Sélection de l’habitat et dynamique démographique
1.2.1 Habitat du Crave et usages associés
1.2.1.1 Habitats utilisés par les Craves
1.2.1.2 Sélection de l’habitat par les couples reproducteurs
1.2.1.3 Effet de la distance sur l’accès aux habitats par les couples reproducteurs
1.3. Ressources alimentaires et dynamique de population
1.3.1 Régime alimentaire
1.3.2 Sélection des proies
1.3.3 Biomasse d’invertébrés et succès reproducteur
1.3.4 Survie juvénile et biomasse d’invertébrés
CHAPITRE II : Impact de l’enfrichement sur la dynamique de population
2.1 Relation entre évolution de l’enfrichement et dynamique de la population de Craves sur Ouessant au cours des 50 dernières années
2.1.1 Evaluation de l’entretien des pâtures
2.1.1.1 Estimation de la charge de bétail
2.1.1.2 Evaluation de la pression de pâturage
2.1.1.3 Estimation des capacités de charge des prairies sur l’île d’Ouessant
2.1.2 Evaluation de l’impact des pratiques pastorales passées sur la population de Craves
2.1.2.1 Impact potentiel du pâturage côtier sur le succès reproducteur
2.1.2.2 Constitution du modèle
2.2 Dynamique actuelle d’enfrichement et devenir de la population
2.2.1 Evaluation de la dynamique d’enfrichement actuelle et future
2.2.2 Viabilité de la population de Crave dans un contexte d’enfrichement
CHAPITRE III :Limitation de l’accès aux ressources occasionnée par la fréquentation touristique estivale et son impact sur la dynamique de population
3.1 Réponses individuelles des Craves aux dérangements occasionnés par les touristes
3.1.1. Impact des touristes sur la répartition spatiale des Craves
3.1.1.1 Distance de fuite
3.1.1.2 Relation entre fréquentation touristique du littoral et répartition des Craves
3.1.2 Impact de la fréquentation touristique sur l’utilisation des habitats par les Craves
3.1.3 Impact de la fréquentation touristique sur le comportement alimentaire
3.1.4 Evaluation de la réduction du temps d’alimentation
3.2 Impact de la fréquentation touristique sur la dynamique et la viabilité de la population
3.2.1 Impact de la fréquentation touristique sur la survie
3.2.2 Impact de la fréquentation touristique sur la viabilité de la population
3.3 Propositions de gestion pour limiter l’impact négatif du dérangement touristique
CHAPITRE IV : Impact de la fréquentation touristique sur les habitats du Crave et sa dynamique de population
4.1 Impact du piétinement sur les habitats du Crave
4.1.1 Discrimination des pelouses rases naturelles et des pelouses rases d’origine anthropique
4.1.2 Evaluation des dynamiques de piétinement
4.1.2.1 Dynamique de création de pelouses rases suite à la fréquentation littorale
4.1.2.2 Dynamique d’érosion du couvert végétal suite à la fréquentation littorale
4.2 Impact du piétinement sur la dynamique de population de Craves
4.2.1 Evaluation de l’importance des pelouses rases d’origine anthropique au sein des territoires
4.2.2 Impact du piétinement en termes de démographie
CONCLUSION

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