Les réseaux électriques insulaires et la production éolienne
La production éolienne et les réseaux insulaires comptent un grand nombre de spécificités par rapport à la production conventionnelle et les réseaux continentaux respectivement. Une connaissance approfondie de leurs caractéristiques est nécessaire afin d’analyser par la suite l’interaction des deux ensembles.
Principales caractéristique des réseaux insulaires
La principale caractéristique des réseaux insulaires est sa taille, très limitée. Nous pouvons distinguer deux types de réseaux insulaires :
• Les « petits » systèmes isolés, devant produire sur place l’ensemble de l’électricité qu’ils consomment comme ceux de la Nouvelle Calédonie, La Guadeloupe, Madère, etc. ;
• Les systèmes autonomes disposant d’une interconnexion synchrone limitée comme celui de la Corse (interconnexion en courant alternatif Sardaigne-Corse).
Par opposition aux réseaux interconnectés, les réseaux insulaires se caractérisent par :
• Une faible puissance de court-circuit : les niveaux de tension utilisés pour le transport dans la plupart des réseaux insulaires sont plus faibles par rapport à ceux des réseaux interconnectés. En plus, ces réseaux comptent un faible nombre de groupes fonctionnant en parallèle et une faible puissance unitaire. Tout cela conduit à des valeurs de puissance de court-circuit faibles;
• Une grande sensibilité aux variations de la production : le rapport entre l’inertie du groupe le plus puissant avec celle de la totalité du réseau est grand. C’est pourquoi, dans un réseau insulaire le choix d’utiliser une puissance unitaire plus ou moins importante conduira à fixer une réserve primaire plus importante par rapport à la puissance produite à un instant donné ou dégrader la qualité, en terme de probabilité de délestage de charge.
• Une limitation de la capacité de nouveaux moyens de production : cet intitulé est lié au précédent. En effet, la puissance maximale des groupes de production dans les réseaux insulaires est limitée d’après des mécanismes technico économiques, ce qui conduit à un coût d’installation par kilowatt plus grand.
Les deux dernières caractéristiques présentées ci-dessus, conduisent à que l’incident dimensionnant pour définir la réserve primaire de puissance ou énergie réglante d’un réseau insulaire soit considérable en pourcentage par rapport à la puissance totale produite dans le réseau à un instant donné. Cela est contraire à ce qui se passe dans un réseau interconnecté, dans lequel la réserve primaire a des valeurs très faibles par rapport à la puissance totale produite dans le réseau. De plus, les probabilités de l’occurrence du défaut dimensionnant au niveau d’un réseau insulaire sont très élevées par rapport à celles d’un réseau interconnecté.
Afin de disposer d’une certaine quantité de réserve primaire, les groupes de production doivent fonctionner à des valeurs de puissance inférieures à la puissance nominale en réduisant ainsi l’efficacité du processus de transformation de l’énergie (le point de fonctionnement optimal étant proche de la puissance nominale). Nous soulignons que ces marges de réserve dans les réseaux insulaires sont importantes en proportion. Ceci occasionne des coûts de réserve primaire très importants et a une incidence importante sur le prix de revient de l’énergie électrique dans ce type de réseau. Il est donc nécessaire, dans la mesure du possible, de réduire au maximum ces marges de réserve, en conservant autant que possible la fiabilité du réseau. En conséquence, dans les réseaux insulaires, la marge de réserve par rapport aux défauts va être très faible, voir nulle. Il est donc courant de s’appuyer sur le délestage de charge comme un moyen permettant de retrouver l’équilibre productionconsommation lors d’un incident grave dans le réseau. On peut trouver dans ces types de réseau des procédures que l’on ne retrouve pas dans un réseau interconnecté, telle qu’une modification mensuelle de l’ordre de délestage (délestage tournant) cherchant à éviter que cette mesure ne touche toujours les mêmes clients.
En plus de ces inconvénients qui rendent plus difficile de faire face aux incidents du système, les réseaux insulaires sont dépourvus de certains avantages que l’ont trouve sur les systèmes interconnectés :
• La possibilité d’employer des centrales de production plus grandes et moins chères;
• Le foisonnement de la charge due à une demande différente des multiples régions ou systèmes pendant le jour. Cela permet de prévoir la consommation électrique avec une plus grande fiabilité et ainsi de mieux programmer les moyens de production.
Exemples illustrant les différences entre le réseau européen et un réseau insulaire
Afin d’observer plus clairement les principales différences décrites précédemment, nous allons comparer certaines données du réseau de Guadeloupe fournies par le gestionnaire du réseau (EDF-SEI) avec celles du réseau européen, publiées par l’Union pour la Coordination du Transport de l’Electricité (UCTE) [UCTE, 2007]. La production totale de l’année 2006 pour le réseau interconnecté de l’UCTE a été de 2619560 GWh. Celle du réseau de Guadeloupe pour la même année a été de 1530 GWh. La puissance moyenne produite par l’ensemble des groupes de production connectés à ces réseaux est de 299 GW pour le réseau européen et de 174,6 MW pour le réseau de la Guadeloupe. La puissance moyenne produite dans le réseau européen est donc 1712 fois la puissance moyenne produite dans le réseau de la Guadeloupe. Le groupe de production le plus puissant dans le réseau européen est une tranche nucléaire avec Réacteur à Eau sous Pression (REP) de dernière génération du type N4. La puissance d’une telle tranche est de 1450 MW. Au niveau de la Guadeloupe les groupes les plus puissants sont deux groupes charbon bagasse de 32 MW chacun (18,3% de la puissance moyenne en 2006). La puissance de fonctionnement de ces groupes est déterminée selon la période de la journée. Pour une période de consommation intermédiaire les groupes charbonbagasse sont limités à une production d’environ 23 MW. La réserve primaire européenne est déterminée, dans le manuel d’opération de l’UCTE, par la perte simultanée des deux plus gros groupes, soit deux tranches N4 en même temps (3000 MW) [UCTE, 2004]. En Guadeloupe ces règles sont déterminées par EDF-SEI. Elles varient en fonction de la production dans le réseau. Pour une production intermédiaire, la réserve primaire corresponde à environ 23 MW.
La gestion des réseaux insulaires
Nous avons observé dans les paragraphes précédents que les réseaux insulaires ont plusieurs particularités par rapport aux réseaux interconnectés. En conséquence, la gestion de ce type de réseau est différente. Le gestionnaire du réseau doit assurer une bonne qualité du produit « électricité » en veillant à ce que les éléments composant le système fonctionnent dans les limites pour lesquelles ils ont été conçus. Il doit également assurer une continuité du service, même dans les périodes critiques, tout en conservant un équilibre entre les marges de sécurité et les coûts d’exploitation. Cette dernière contrainte est très importante au niveau des réseaux insulaires où le gestionnaire du réseau est obligé d’avoir des marges de sécurité plus petites que dans les réseaux interconnectés, afin de pouvoir atteindre une viabilité économique à des prix acceptables. Les grandeurs des éléments connectés au réseau qu’il faut particulièrement surveiller sont les efforts mécaniques dans les machines, la tension, le courant et la fréquence. Le maintien de ces grandeurs à l’intérieur de certaines limites permettra un bon fonctionnement du réseau et de l’ensemble de ses équipements. Ceci s’obtient en grande partie avec le contrôle de la puissance active et de la puissance réactive échangées dans le réseau.
Réglage de la fréquence et contrôle de la puissance active
Le contrôle de la puissance active produite par les groupes de production est lié au réglage de la fréquence du réseau. Cette fréquence doit être maintenue à l’intérieur de certaines limites afin de respecter les conditions techniques de fonctionnement du réseau.
Tout changement dans la consommation est vu par le système comme une variation au niveau du couple électromagnétique et toute variation de la production est observée comme une variation du couple mécanique. Pour conserver l’équilibre et ainsi une fréquence constante dans le réseau, la production doit s’adapter à tout moment aux variations de la consommation. Si la consommation excède la production, le système est en déséquilibre, la vitesse des machines et, par voie de conséquence, la fréquence du réseau baissent. A contrario, si c’est l’offre qui est supérieure à la demande, le système voit les groupes accélérer et la fréquence augmenter.
Les réseaux insulaires disposent d’un faible nombre de groupes de production reliés. On a donc une valeur faible pour la somme des inerties Ji dans l’équation (2-1). En plus, l’inertie de chaque groupe a un poids relatif important et ainsi une grande influence dans le bilan production-consommation du réseau. Une perte de groupe peut conduire à des variations de fréquence pouvant aller jusqu’à plusieurs Hertz, voir même un écroulement de fréquence, si les mesures de défense envisagées ne sont pas bien dimensionnées.
Afin de réduire les variations de fréquence, la principale mesure de défense consisteà prévoir une réserve de puissance, pour équilibrer la puissance délivrée par les générateurs et la consommation à chaque instant. Cette mesure de protection est très chère et doit être par conséquence limitée. D’autres mesures, touchant le consommateur, comme la mise en marche du délestage automatique de charges sont utilisées assez régulièrement dans les réseaux insulaires. Dans les réseaux électriques trois niveaux de réserve de puissance différents existent, chacun lié à une action de contrôle différente. On les présente par la suite.
Régulation primaire
La régulation primaire de fréquence est destinée à faire face aux déséquilibres de dynamique rapide tels que la perte d’un groupe de production. Elle permet de retrouver l’équilibre production-consommation après une perturbation, si toutefois la réserve primaire disponible est suffisante. Cette régulation doit assurer la stabilisation de la fréquence à une valeur proche de la valeur nominale et dans une échelle de quelques secondes. La réserve de puissance utilisée dans la régulation primaire de fréquence est constituée d’abord de l’inertie mécanique des rotors de tous les groupes fonctionnant en synchronisme ainsi que de la réserve conservée au niveau de certains groupes de production. Ces groupes, pouvant libérer une réserve de puissance très rapidement, sont exploités à des valeurs de production inférieures à la puissance nominale. La régulation primaire est effectuée par l’intermédiaire d’une boucle de régulation de vitesse située dans chacun des groupes de production participant à cette régulation. Cette boucle de régulation est une partie du régulateur de la Figure 2.1 et est montrée en détail dans la Figure 2.2. Pour un groupe donné, le régulateur de vitesse agit sur les organes d’admission du fluide moteur à la turbine, par l’intermédiaire d’une variation de la position de la vanne ΔY, conduisant à une augmentation ou à une réduction de la puissance produite par le groupe.
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Table des matières
Chapitre 1 Introduction Générale
1.1 Contexte économique et politique
1.1.1 EDF Systèmes Electriques Insulaires (EDF-SEI)
1.1.2 Electricité et Eau de Calédonie (EEC GDF Suez)
1.2 Les risques climatiques
1.3 Structure du document
Chapitre 2 Les réseaux électriques insulaires et la production éolienne
2.1. Introduction
2.2. Principales caractéristique des réseaux insulaires
2.2.1 Exemples illustrant les différences entre le réseau européen et un réseau insulaire
2.3 La gestion des réseaux insulaires
2.3.1 Réglage de la fréquence et contrôle de la puissance active
2.3.2 Réglage de la tension et contrôle de la puissance réactive
2.4 Marges de sécurité et niveaux de risque acceptés
2.5 Synthèse sur les conditions techniques de raccordement de groupes de production dans les réseaux insulaires
2.5.1 Tension de raccordement
2.5.2 Domaine de fonctionnement en tension et en fréquence
2.5.3 Contraintes de fonctionnement en puissance réactive et participation au réglage de tension
2.5.4 Tenue face aux creux de tension
2.5.5 Participation au réglage de fréquence
2.6 La production éolienne dans les îles et ses principaux effets
2.6.1 Disponibilité de la ressource
2.6.2 Tenue face aux variations de fréquence
2.6.3 Participation au réglage de fréquence
2.6.4 Déconnexion pour vents trop forts
2.6.5 Tenue face au creux de tension
2.6.6 Participation au réglage de tension
2.7 Point de vue sur la participation des éoliennes à la régulation de fréquence
2.8 Conclusion
Chapitre 3 Adaptation des lois de commande pour les éoliennes en vue de les faire participer aux services systèmes
3.1 Introduction
3.2 Modèle de l’éolienne
3.2.1 Modèle aérodynamique et mécanique
3.2.2 Modèle de la partie électrique
3.3 Principes de contrôle du système éolien dans une stratégie de production maximale de puissance
3.3.1 Principes généraux
3.3.2 Zone d’optimisation de la puissance produite (zone 1)
3.3.3 Zone de limitation de la vitesse (zone 2)
3.3.4 Zone de limitation de la puissance (zone 3)
3.3.5 Architecture générale de la commande
3.4 Synthèse des correcteurs pour la boucle de vitesse
3.4.1 Contrôle de la vitesse par action sur le couple électromagnétique
3.4.2 Contrôle de la vitesse par action sur l’angle d’orientation des pales
3.5 Limitation de la puissance de l’éolienne
3.6 Participation au réglage de la fréquence
3.7 Ajout d’un effet inertiel
3.8 Participation au réglage de la tension
3.9 Conclusion
Chapitre 4 Etude des réseaux faibles en présence de production éolienne
4.1 Introduction
4.2 Description des modèles
4.2.1 Systèmes d’entrainement classiques
4.2.2 Alternateurs et système d’excitation
4.2.3 Description du modèle la charge
4.2.4 Description du modèle de production décentralisée
4.3 Etudes dynamiques sur l’intégration de la production éolienne dans un réseau faible
4.3.1 Définition des scénarii de référence
4.3.2 Influence des différents types de commande de l’éolienne sur le comportement dynamique du réseau
4.3.3 Ajout d’un effet inertiel
4.3.4 Analyse du scénario d’étude en prenant en compte les limites de dP/dt
4.3.5 Analyse du réseau en fonction du type de production conventionnelle
4.3.6 Etude de l’influence de la réserve éolienne sur le comportement dynamique du réseau
4.4 Transcription des modèles sur EUROSTAG
4.4.1 Comparaison des modélisations
4.4.2 Initialisation du modèle
4.5 Conclusions
Chapitre 5 Conclusion
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