« Lorsque le dernier arbre aura été abattu, le dernier fleuve pollué, le dernier poisson capturé, vous vous rendrez compte que l’argent ne se mange pas. » (Chef Seattle, 1854)
L’histoire de conservation de la nature et des ressources naturelles remonte à la nuit des temps, lorsque l’homme protégeait les forêts et les espaces naturels pour son propre bien. Au Liban, au 2ème siècle après J.C., l’Empereur Hadrien délimita des réserves forestières de cèdres, de sapins, de genévriers et de chênes pour son usage personnel, et interdit à tout autochtone d’y prélever. Environ 180 inscriptions gravées sur les rochers (stèles d’Hadrien) témoignent aujourd’hui de cet héritage (Abdul-Nour, 2001). En France, au moyen-âge, la chasse était un privilège de la noblesse et des dignitaires de l’État ou du clergé. Les Seigneurs protégeaient leurs privilèges de chasse (les forêts) et certaines zones étaient réservées à la chasse royale (Garner et Moriceau, 2004). Dans la péninsule arabe, les sociétés nomades interdisaient jadis la coupe des arbres en désert pour assurer l’ombre à leurs troupeaux (Bagader et al., 1994).
Très rapidement cet élan relatif de protection se transforma en besoin réel de conservation, un besoin émanant d’une conscience de l’homme que sa subsistance était étroitement liée à celle de la nature (Chanvallon, 2009). C’est ainsi que les initiatives de conservation écologique au vrai sens du terme se succédèrent au fil du temps. Depuis la réserve naturelle de Fontainebleau en 1861 (Lazzarotti, 2011), jusqu’aux sites « Alliance Zéro Extinction » (AZE) (Ricketts et al., 2005), la démarche de conservation se positionna au cœur des priorités scientifiques et témoigna d’une avancée remarquable. Adressant non seulement la question de protection écologique en soi, mais aussi les aspects socioéconomiques liés aux biens et aux services fournis par les écosystèmes naturels aux sociétés et à l’économie, la problématique de conservation s’installa au carrefour de l’interdisciplinarité (Legay, 2006).
Les réseaux d’aires protégées dans la conservation de la biodiversité Méditerranéenne : quels rôles, quels défis ?
Les écosystèmes méditerranéens sont défiés par la présence et les activités humaines. Des milieux dégradés qui reçoivent de plus en plus l’attention des aménageurs, aux aires protégées cible de la préoccupation des gestionnaires, la restauration et la conservation de la biodiversité demeurent la finalité.
Marginalisée des considérations nationales, surtout en termes de prise de décisions et lors de l’élaboration de politiques territoriales, la biodiversité représente le maillon faible de la chaîne des considérations environnementales, notamment en Méditerranée (un des hotspots de biodiversité mondiale) et au Liban (un des 10 mini hotspots de la Méditerranée). L’importance de la prise en compte des aspects de conservation de la biodiversité et des écosystèmes naturels dans les politiques territoriales demeure ainsi prioritaire afin de maintenir les processus écologiques naturels qu’ils supportent et de préserver les valeurs et les atouts qu’ils apportent aux hommes.
Les aires protégées constituent les piliers fondamentaux des stratégies nationales et internationales de conservation de la biodiversité. Elles sont à la fois au cœur de la résilience des écosystèmes et de l’équilibre des systèmes écologiques, et agissent comme des refuges pour les espèces en fournissant un espace propice pour l’évolution naturelle. Elles sont ainsi considérées comme l’un des meilleurs outils pour la conservation des écosystèmes et de la biodiversité dans le monde. Néanmoins, bien que le nombre d’aires protégées ait connu une croissance rapide au cours des 20 dernières années, la mesure dans laquelle celles-ci représentent, maintiennent et préservent les principales richesses écologiques est encore mal appréhendée, et d’importantes lacunes demeurent dans leur couverture de la biodiversité mondiale (en général) et méditerranéenne (en particulier).
Répondant aux exigences de la convention pour la biodiversité et dans le but de conserver in situ ses écosystèmes naturels hautement reconnus pour leur richesse spécifique, le Liban a entamé la désignation d’aires protégées depuis 1930 afin de concrétiser la protection de sa biodiversité. Jusqu’à ce jour, plus qu’une centaine d’aires protégées réparties entre protections légales (réserves naturelles, forêts protégées, sites et monuments naturels), désignations internationales (réserves de biosphères, sites RAMSAR, sites du patrimoine mondial de l’UNESCO) et désignations locales (Hima) sont établies le long du territoire. Toutefois, les enjeux clés de la biodiversité restent encore dispatchés dans des écosystèmes fortement soumis à une pression anthropique peu ou pas contrôlée. Si le réseau actuel regroupe 15 réserves naturelles, 32 sites et monuments naturels, 27 forêts protégées, 15 Himas, 3 réserves de biosphère, 4 sites RAMSAR et 5 sites du patrimoine mondial de l’UNESCO, seules les réserves naturelles et les sites naturels disposent d’un cadre juridique bien qu’incomplet. Il n’existe ni de critères propres aux différentes catégories d’aires protégées ni de mécanismes de désignation bien définis.
Une analyse spatiale de la distribution des aires protégées au Liban basée sur la superposition de la carte du réseau actuel d’aires protégées sur les cartes des zones à importance écologique de conservation (IPA et IBA), la carte des sols, la carte du mode d’occupation des sols, la carte des étages de végétation et la carte des étages bioclimatiques, montre que ce réseau ne couvre pas les principales richesses écologiques que l’on retrouve sur le territoire, notamment les zones importantes pour les plantes, les zones importantes pour les oiseaux, les phryganes d’altitudes, les milieux naturels ouverts, les matorrals, les formations rupestres, les sols basaltiques, les étages de végétation pré-steppiques, etc. La désignation actuelle des aires protégées semble répondre à une configuration sociopolitique opportuniste plutôt qu’écologique et ces aires seraient principalement vouées à la conservation de quelques espèces phares (Cedrus libani principalement), ou d’habitats d’espèces protégées ou vulnérables (Caretta caretta, Chelonya midas, etc.). Au-delà de cette considération écologique de base, les critères orientant le choix de conservation semblent totalement absents ou subjectifs.
Dans un contexte où conserver la biodiversité et les écosystèmes naturels revient à les classer par ordre prioritaire d’intervention, où tout doit être pris en compte dans les politiques d’aménagement et de conservation, il s’agit surtout de proposer une démarche objective permettant d’orienter les mesures de protection pour les rendre plus efficaces. Cette démarche, basée sur une combinaison de descripteurs écologiques et socio-économiques, permettrait surtout d’orienter les initiatives de conservation (au Liban en particulier) et de prioriser la conservation de la biodiversité ainsi que la désignation des aires protégées qui jusqu’à ce jour se fait au cas par cas.
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Table des matières
CHAPITRE 1. Introduction générale et problématique
CHAPITRE 2. Méthodologie générale
CHAPITRE 3. Les réseaux d’aires protégées dans la conservation de la biodiversité Méditerranéenne : quels rôles, quels défis ?
Article 1. Pertinence of protected areas networks in biodiversity conservation strategies: Insights from an eastern Mediterranean context
CHAPITRE 4. La conservation de la biodiversité Méditerranéenne continentale : au carrefour entre descripteurs écologiques et socioéconomiques
Article 2. What indicators for ecosystems conservation?
Orienting conservation priorities and protected areas designation in Mediterranean continental environments
CHAPITRE 5. « MedConserve », un outil d’aide à la décision pour orienter la désignation des aires protégées en contexte méditerranéen continental
Article 3. Compiling key ecological and socioeconomic indicators into a decision
support tool to orient protected areas designation in Mediterranean-type continental environments
CHAPITRE 6. Synthèse générale
CHAPITRE 7. Conclusion et perspectives
Bibliographie citée
Annexes