Les représentations privées et publiques de la figure d’écrivain

Les représentations privées et publiques de la figure d’écrivain: un outil pour une sociologie critique du littéraire

L’écriture énonce un aspect du phénomène humain total. Elle expose la venue au monde, l’engagement au monde et à soi-même d’un être humain dans sa singularité irréductible.

L’histoire des conditions socioéconomiques de production, de diffusion et de légitimation des oeuvres littéraires québécoises du 1ge siècle n’est plus à faire, tout comme l’exploration générale du processus d’institutionnalisation du littéraire qui s’étend avant et après 190057. Dans le cas du travail de Daniel Mativat, celui-ci a offert une synthèse remarquable des conditions du métier d’écrivain, abordant, en conclusion, le développement d’un imaginaire littéraire :

Pris dans un système où les lois du marché sont perpétuellement faussées et le contrôleidéologique presque omniprésent, [l’écrivain] cherche lui aussi son statut exact dans la société. Impuissance et révolte, découragement et exaltation, aliénation et exil intérieur, mal d’ écrire et sentiment d’ imposture, l’écrivain du 1ge siècle prend déjà conscience du décalage inévitable qui prend parfois des allures de théâtralisation entre la fiction de son personnage social et la réalité économique de sa profession.

Cette question, qui n’est jamais abordée de front en cours d’ouvrage, permettrait cependant d’arrimer ce que l’on appelle généralement les connaissances empiriques au monde des idées, à l’imaginaire que les écrivains développent autour de leurs pratiques. Quant à Lucie Robert, elle montre que, de la fin du I8e siècle au milieu du 20e siècle, les projets programmatiques de la littérature québécoise abondent et que les conditions pratiques du littéraire tendent à se modifier sur une longue durée (systèmes de souscriptions, développement de la structure éditoriale, création d’un réseau de bibliothèques, rétribution des auteurs, etc.). En suivant ces deux recherches, nous observons que les écrivains du 1ge siècle apparaissent comme des individus fortement scolarisés qui « [a]vant même d’ écrire, [ … ] connaissent la valeur socialement reconnue à la pratique de l’ écriture, qu’ il s’agisse de valeur esthétique, culturelle ou historique. [Qu’ ils] sont des « héritiers ,,59». En dépit que des conditions sociales favorables soient à la base de l’exercice de leur profession, la vérité est que le deuxième emploi est une condition même du métier d’écrivain:

Il existe un lien étroit entre les pratiques dominantes d’ écriture à une époque donnée et le choix principal d’un emploi par les écrivains. La grande majorité des écrivains du 1ge siècle se retrouve ainsi dans les professions religieuses et les professions libérales: députés, hauts fonctionnaires, journalistes-éditeurs-propriétaires de journaux, pamphlétaires et prêtres constituent un contingent d’ orateurs et de politiciens qui inscrivent l’ écriture dans le prolongement de l’ action politique. À leurs yeux, la littérature est sans conteste un « moyen de renommée et de célébrité ».

À la lumière de ces connaissances, il n’en demeure pas moins que tout un pan du phénomène d’institutionnalisation du littéraire au Québec reste à observer dans des sources privées afin de comprendre comment l’enjeu financier s’arrime avec l’enjeu de « l’ imaginaire littéraire ».

Autrement dit, selon ces deux chercheurs, la problématique première des écrivains québécois du 1ge siècle ne serait pas celle d’un imaginaire littéraire qu’ ils connaissent déjà à force de lectures et d’échanges, mais celle de la légitimation par la reconnaissance monétaire.

Une sociologie de la littérature qui prenne en compte l’écrivain dans ses dimensions internes et externes, dans sa totalité, s’avère nécessaire, mais exigeante. Nous souhaitons élaborer une « sociologie critique » du littéraire en faisant le pont entre ce que d’aucuns interprètent comme des données empiriques émanant des conditions réelles de production, de diffusion et de légitimation et des données abstraites, relevant du monde des idées, des croyances et des mythes. Comme nous l’évoquions en introduction, ce sont étonnamment les recherches de Goldmann qui, à rebours, pourraient fournir les meilleures assises théoriques et méthodologiques à notre étude :

La pensée n’est qu’un aspect partiel d’une réalité moins abstraite: l’homme vivant et entier; et celui-ci n’est à son tour qu’un élément de l’ensemble qu’est le groupe social.

Une idée, une oeuvre ne reçoit sa véritable signification que lorsqu’elle est intégrée à l’ensemble d’une vie et d’un comportement. De plus, il arrive souvent que le comportement qui permet de comprendre l’oeuvre n’est pas celui de l’ auteur, mais celui d’un groupe social (auquel il peut ne pas appartenir) et notamment, lorsqu’ il s’agit d’ouvrages importants, celui d’ une classe socialé.
À la suite de Goldmann, Paul Bénichou nous rappelle que la critique sociologique « perd son temps à supputer une influence des réalités économiques sur la littérature. [ … ] Ce sont les passions des hommes vivant en société et des groupes qu’ ils composent qui fournissent à la littérature ses tâches et son aliment63 ». Les passions humaines se soustraient difficilement à notre compréhension du littéraire dans ses rapports au social. En effet, elles expliquent parfois le choix d’un engagement plutôt qu’un autre. Elles teintent les trajectoires d’écrivains, leurs stratégies au sein du champ littéraire64. On devine, à la suite de Gusdorf, que bien des écrivains investissent leurs discours de ces passions et d’une plus-value qui dépasse le cadre littéraire:

L’ écriture littéraire, sous toutes ses formes, est une oeuvre de salut. Par la création d’une oeuvre, l’homme, ayant pris la parole, s’ajoute à la nature et la marque de son sceau.
L’ écriture contribue à la transfiguration du monde; elle suscite un monde autre et le même, destiné à survivre tel qu’ il a été défini, alors que les formes de la nature se corrompent et disparaissent. Écrire est défier la mort, faire voeu d’immortalitë.
La critique littéraire, même si elle s’appuie sur l’ histoire économique et sur certaines données factuelles nécessaires à ses démonstrations ne doit jamais perdre cette perspective fondamentalement humaine: le désir de transformer le monde en s’ inscrivant dans une époque et dans un lieu. Tantôt ce sont des ethnologues qui cherchent à comprendre leur univers personnel et social au prisme de leurs représentations personnelles et intimes de l’expérience littéraire.

Parfois, ce sont des passeurs qui, pour les autres et leur communauté, agissent comme des entremetteurs entre cette compréhension du monde et la connaissance objective. Qu’ advient-il de la transformation du monde ? Elle opère au moment où nous les voyons critiquer le savoir normatif de l’ institution littéraire.

Comment pouvons-nous en rendre compte? La pensée de Jacques Rancière dans Les mots de l ‘histoire reprend cette question en adoptant le point de vue de l’historien: « La poétique du savoir historien est la réponse à une question de politique du savoir qui pourrait s’énoncer dans sa candeur ou sa brutalité: comment donner aux rois une bonne mort, une mort scientifiqué ? ». Comment l’historien de la littérature peut-il rendre compte autant de la vie dans ses mouvements  constants jusqu’à la mort que de la Vie littéraire ? Nous proposons d’étudier les triples dimensions de la vie littéraire: le temps, l’espace et l’engagement.

D’abord, le temps, cette donnée cyclique qui permet en synchronie ou en diachronie de tracer l’évolution des représentations de la figure d’ écrivain. Dans un aller-retour entre les deux perspectives, nous pouvons constater s’ il y a ou non un changement sur une longue durée, à l’instar du travail de Claude Abastado sur les mythes de l’écriture67. Si la synchronie permet de comprendre le mythe dans deux publications ou rédactions simultanées (par exemple la parution en 1863 des Anciens Canadiens de Aubert de Gaspé, père et des Forestiers et voyageurs de Joseph-Charles Taché), la diachronie permet de mesurer l’efficacité du mythe et l’évolution des représentations qui y sont liées. De fait, Abastado met de l’avant des exemples du mythe dès le 18e siècle pour en arriver à un aboutissement à la fin du 1ge siècle, où la figure du Poète est remplacée par celle du Livre. Le discours ne porte plus strictement sur l’écrivain, mais sur la

Littérature. Un passage s’opère de l’ethnologue au critique des lettres, de la vie privée à la vie publique. C’est le temps des grandes oeuvres, donc, mais aussi le temps à plus petite échelle.

Celui de la vie quotidienne qui se bouscule et dont on doit tirer le meilleur parti pour écrire: « Au souper, je pensais: lorsque j ‘aurai ramassé Élodie de l’ église, je m’enfermerai dans ma bibliothèque. La belle heure pour écrire: les enfants dormiront. Plus de brouhaha qui ferait peur aux pensées. » C’est ainsi que le temps s’immisce entre les paragraphes, les phrases et les mots d’une lettre. Pour rendre justice à ces individus (leur donner « une bonne mort », dirait Rancière), il faut aussi écrire l’histoire de ces moments où ils n’avaient pas le temps de faire, de lire ou d’écrire comme ils le souhaitaient. En ethnologue des lettres, les écrivains témoignent de l’influence de cette dimension temporelle sur la vie littéraire.

Ensuite, celle de l’espace, des lieux, des liens qui unissent les acteurs entre eux. À cheval entre le mouvement et le temps, la métaphore du jeu, selon Bernard Lahire, « semble particulièrement adaptée pour désigner des activités qui, comme la littérature, se pratiquent à des degrés d’ investissement très différents, mais qui, globalement, concernent des individus ne pouvant se permettre de passer tout leur temps à jouer à ce jeu », précisément pour des raisons économiques. Cependant, qu’est-ce qui peut motiver un homme comme Arthur Buies, par exemple, à s’adonner à un métier qui, de son propre aveu, exige beaucoup de semaisons mais dont on récolte peu ? Francis Parmentier apporte une explication en le décrivant « comme un homme de mouvement, non seulement au plan intellectuel, appelant de ses voeux le changement [ … ] et dont la lenteur l’enrage et le désespère, mais homme de mouvement aussi au plan physique. [ … ] Cette agitation, pour ne pas dire cette fébrilité, marque le rythme de ses écrits et de sa correspondance [ … fo ». De fait, rares sont les longues lettres de Buies. Comme s’ il passait toujours en coup de vent, et c’est probablement ce qu’ il faisait.

Caractéristique d’un passeur des lettres, Buies assure une circulation des idées en tous lieux. Mais le passage n’ appartient pas qu’à la route, pas plus que la fébrilité ne marque le mouvement d’un lieu à un autre. Les lieux investissent aussi les dédicaces, si nombreuses au 1ge siècle: « À M. J.-M. LeMoine de la Société Royale du Canada. C’est sous les ombrages enchanteurs de  » Spencer Grange « , que j ‘ai appris à aimer les recherches historiques. Cet opuscule est votre bien: je vous le dédie’. » Par cette dédicace, nous reconnaissons la portée si concrète des lieux qui inspirent les hommes de lettres. Fédérateur, James MacPherson Le Moine faisait de sa résidence de « Spencer Grange » le lieu de rencontre des illustres participants de la section française de la Société royale du Canada . Que لاle passeur des lettres voyage ou qu’ il ouvre sa porte à ses comparses, l’objectif est le même: sortir l’ imagination et l’ inventivité de la sphère privée pour lui assurer une transition vers la sphère publique. Selon Anthony Glinoer et Vincent Laisney, reconstruire l’ensemble des lieux et des liens sociaux de la vie littéraire : implique une mobilisation générale et une exploitation différentielle des sources. Les documents bruts et contemporains (correspondances, journaux intimes), en raison de leur plus grande fiabilité, sont des matériaux de premier choix pour en faire l’histoire. Les documents raffinés et lointains (souvenirs, fictions) se prêtent mieux à l’exploration de ses représentations.

Sociologie du littéraire et ligne de vie

La représentation: entre le réel et l’imaginaire

Le concept de représentation relève de champs disciplinaires et d’ applications variés.

Nous en présenterons trois définitions. D’abord, les représentations servent à connaître et à appréhender le monde. Ensuite, elles se fondent tant sur l’abstraction que l’empirie, puisqu’ elles participent à et des pratiques et qu’ elles les éclairent. Finalement, elles font le pont, par la communication écrite et orale, entre la sphère privée et la sphère publique.

Pour les chercheurs en psychologie sociale, les représentations offrent une mesure des valeurs et des opinions d’individus sur des questions sociales. Ce faisant, elles correspondent à: des ensembles de connaissances, attestées ou illusoires, relatives à l’environnement des individus. Ces connaissances ont la particularité d’avoir été collectivement produites selon des processus socialement déterminés. Elles orientent les perceptions de l’environnement, les actions individuelles ou collectives et les communications .

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Table des matières

Introduction 
Ethnologues, passeurs et critiques
Des pratiques fonnelles et infonnelles
Un imaginaire littéraire en exil
Première partie: La constitution de la figure d’écrivain
Chapitre 1 Les représentations privées et publiques de la figure d’écrivain: un outil pour une sociologie critique du littéraire 
Sociologie du littéraire et ligne de vie
La représentation: entre le réel et l’ imaginaire
La figure: point de convergence des représentations
Circulations du littéraire : de la lettre à l’ oeuvre
L’écriture de soi: correspondances, journaux intimes et autres manuscrits
Les réseaux : aux origines de l’institution littéraire
Nonnes et marginalités
Échanges de la sphère privée à la sphère publique
Existere : échanges de soi à soi
Prolifer: échanges intergénérationnels
Natura : échanges internationaux et ère du temps
Chapitre 2 La construction historiographique de la figure d’écrivain du 1ge siècle 
L’écrivain et ses contemporains: silhouettes biographiques, portraits et origines littéraires (1860-1899)
Le rôle social de l’écrivain
Les vies en récit
L’écrivain en ses origines et en ses possibles littéraires
L’écrivain national à l’épreuve du patriotisme (1900-1919)
L’écrivain face à l’Autre: interprétation intergénérationnelle et comparaison internationale (1920-1959)
L’écrivain comparé (1920-1939)
L’écrivain et ses épithètes (1940-1959)
Un écrivain qui se fait: archives et inscription sociale (1960-1989)
Les biographies et les critiques universitaires
L’ Histoire de la littérature française du Québec et les essais littéraires
L’écrivain en interaction: décloisonnement des perspectives et renouvellement des objets (1990-2017)
Espaces publics: la sociologie de la littérature et de l’écrivain
Espaces privés: correspondances d’ écrivain et réseaux littéraires
Deuxième partie: Être écrivain de la sphère privée à la sphère publique
Chapitre 3 L’ethnologue des lettres 
Une ethnologie de l’intimité et de la création littéraire
Joseph Marmette : le romancier en peintre de la vie moderne
Louis Fréchette: le poète en flâneur et en exilé
Être dans le monde: la vie littéraire comme expérience intime
Alfred Garneau: l’oiseau caché
Arthur Buies : l’ orphelin marginal
Chapitre 4 Le passeur des lettres
Le sens du social: l’écrivain québécois comme sociologue de la littérature
Arthur Buies : sociologie et conception didactique de la littérature
Vivre de sa plume: la (con)quête d’un public
Une conception didactique de la littérature
Louis Fréchette: le prosateur en modèle littéraire
Se définir par ses luttes
Devenir un modèle littéraire entre le savant et le populaire
Alfred Garneau: archiver et conserver
Le goût de l’archive: la littérature comme lieu de mémoire
De la vérité historique dans le roman
Joseph Marmette : entre censure et autocensure
Chapitre 5 Le critique des lettres 
La critique littéraire et les affinités électives
Alfred Garneau: lecteur de soi, lecteur des autres
Arthur Buies : le critique en son époque
Au coeur de l’ institution: l’écrivain et ses stratégies de légitimation
Joseph Marmette : le romancier en esthète
Louis Fréchette: pouvoir et figure médiatique
Chapitre 6 Lignes de vie et mythographie de la vie littéraire 
Joseph Marmette : l’écrivain en quête de singularité
Alfred Garneau: l’érudition et la solitude nécessaires
Arthur Buies : une sociabilité de la confession
Louis Fréchette: la réunion des contraires
Conclusion
Représentations privées de la figure d’écrivain
Représentations publiques de la figure d’écrivain
Bibliographie

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