Les représentations sociales
La théorie des représentations sociales élaborée en 1961 par S. Moscovici (2004) n’a cessé de se développer tant au niveau conceptuel que méthodologique tout en démontrant sa capacité à s’articuler avec d’autres théories de psychologie sociale et de sociologie : champs sociaux (Bourdieu, 1979), attribution causale (Heider, 1958), identité sociale (Tajfel & Turner, 1979), domination sociale (Sidanius & Pratto, 1999). La notion de représentation sociale se définit comme étant un système de valeurs, de notions et de pratiques ayant une double vocation : « instaurer un ordre qui donne aux individus la possibilité de s’orienter dans l’environnement social, matériel et de le dominer » et « assurer la communication entre les membres d’une communauté en leur proposant un code pour leurs échanges et un code pour nommer et classer de manière univoque les parties de leur monde, de leur histoire individuelle ou collective » (S. Moscovici et al., 1969). Les recherches sur les représentations sociales se sont notamment intéressées à la construction, élaborée collectivement et partagée par les membres d’un même groupe, de la réalité de leur expérience sociale. Toutefois, même si de nombreux chercheurs ont soulignés l’importance d’effectuer des études sur les représentations sociales, les travaux qui prennent en compte les représentations des élèves restent minoritaires. Dans le milieu scolaire, les disciplines sont évaluées en référence à la fonction générale de l’école qui est d’assurer le développement intellectuel de ses élèves (Chambon, 1990). Aux yeux des parents, il apparaît alors que le travail scolaire ne concerne que quelques disciplines. Ainsi le statut scolaire accordé par les parents à l’EPS est conditionné par leurs convictions selon laquelle l’activité physique et sportive ne contribue que faiblement à développer le potentiel intellectuel de leurs enfants. Par ailleurs, les réponses des élèves obtenues révèlent que ceux-ci partagent la hiérarchie des disciplines établie par les parents. Cette convergence de vue concernant leur réalité scolaire atteste que sont intériorisées par les élèves des valeurs générales dont les parents participent à la transmission et à l’inculcation. Ce qui, de toute évidence, n’exclut pas le rôle de l’institution elle-même dans ces processus.
Les inégalités sexuées
L’existence d’inégalités entre hommes et femmes dans plusieurs sphères de la vie sociale sont aujourd’hui considérées comme un problème important dans les sociétés (Duru-Bellat, 2003). Les travaux en sciences humaines et sociales ont montré que ces inégalités reposait sur des rôles sexués qui une fois intériorisés constituent des « schémas de soi » servant de filtres cognitifs pour orienter les conduites (Eccles et al., 1990). En effet, le choix d’une activité d’accomplissement (discipline scolaire, activité sportive…) est directement lié aux attentes de succès des individus, ainsi que de la valeur qu’ils accordent à cette activité. Autrement dit, selon les attentes et les valeurs rapportées à notre identité sexuelle, nous avons tendance à valoriser les activités que l’on estime conformes à notre sexe. C’est ainsi que le curriculum scolaire des sujets est influencé par le « typage sexuel » des disciplines. L’EPS ne fait pas exception à ce marquage sexuel. En effet, il existe dans notre culture une croyance fortement ancrée selon laquelle le domaine du sport et des activités physiques est traditionnellement considéré comme plutôt masculin, et incompatible avec un rôle féminin (Fontayne et al., 2002). Même si le nombre de femmes sportives à progressivement augmenté ces dernières décennies, l’activité physique et sportive reste dominée par les hommes car le sport reste perçu comme une activité masculine. Par exemple, le fait que les adolescents soient significativement plus nombreux à faire du sport que les adolescentes (Fontayne et al., 2001) illustre l’idée que les individus développent des comportements conformes aux stéréotypes sexués (Chalabaev, 2006). La définition retenue du concept de stéréotype est celle de Leyens, Yzerbyt et Schadron (1996) : « croyances partagées concernant les caractéristiques personnelles, généralement des traits de personnalité, mais souvent aussi des comportements, d’un groupe de personne ». Si les ressources de l’agir prennent appuis sur les capacités biopsychologiques qui sont propres aux individus, elles peuvent être modulées par l’environnement social et par la propre action de l’individu. Les stéréotypes peuvent alors être issus d’un mécanisme externe, c’est-à-dire normatif, ou bien d’un mécanisme interne, c’est-à-dire qui fait suite à un apprentissage et qui est de l’ordre de l’adhésion. La théorie du pouvoir d’agir et des concepts reliés, comme le « développement du pouvoir d’agir » (empowerment) et l’« agentivité » (agency), servent à étudier un ensemble de pratiques sociales et contribuent à enrichir les réflexions sur l’individu et la société (Morin et al., 2019). En effet, en faisant référence aux capacités des personnes à être des agents actifs de leur propre vie en exerçant un contrôle et une régulation de leurs actes (agency) et à exercer un contrôle sur ce qui est important pour elles, leur proches ou le groupe auquel elles s’identifient (empowerment), cette théorie permet de comprendre comment les individus agissent, s’engagent et participent socialement. Si elle dénonce les inégalités et les injustices présentes dans nos sociétés, elle souligne également les possibilités de changement et de prise de pouvoir d’agir pour un « agir ensemble » (Morin et al., 2019). Dans ce sens, il s’agit d’intervenir sur les capacités des individus et sur le contexte dans lequel les dominations sont présentes pour plus d’égalité sociale et de justice. Pour illustrer nos propos, les élèves, comme tous les individus sociaux, ont appris à se comporter et à penser le monde à partir de repères sexués. Par exemple, les filles, qui sont enfermées dans des stéréotypes de genre, ont tendance à éviter l’activité physique et à vivre l’EPS comme une situation d’échec (Couchot-Schiex, 2017). De plus, les résultats de l’étude de Couchot-Schiex (2013) ont montré que l’adhésion aux stéréotypes varie notamment en fonction de l’âge et du sexe. En effet, ils ont illustré la dynamique d’évolution des représentations des élèves concernant la gymnastique en mettant en avant le fait qu’elle soit de plus en plus connotée comme une activité féminine au fur et à mesure que l’âge augmente, allant jusqu’au refus de pratiquer de certains garçons parmi les plus âgés. De la même façon, la campagne publicitaire 2014 de la marque Always (« comme une fille ») illustre bien le lien entre les stéréotypes moteurs et l’étiquette de sexe de l’individu. Cette marque spécialisée dans la serviette hygiénique a souhaité contribuer à la lutte contre les stéréotypes dont les femmes sont victimes au travers une campagne publicitaire engagée. Au début du clip publicitaire, une succession de clichés sont présentées au travers l’expression « comme une fille » afin de montrer l’incapacité des filles à exercer des activités physiques. Par exemple, lorsqu’il est demandé de « lancer comme une fille », les témoins adultes interrogés enchaînent des prestations stéréotypées complètement ridicules. Toutefois, quand la même demande est formulée à des petites filles, elles donnent des réponses naturelles et beaucoup moins empruntes de sexisme. Cette publicité souhaite donc mettre en évidence l’influence qu’à la société en démontrantque l’emprise des stéréotypes sur les représentations des actions motrices s’accentue avec l’âge et conduit les filles à se conformer à l’attendu social d’incapacité à exercer une motricité performante. La faible remise en question des inégalités sexuées dans le domaine des activités physiques s’explique par le fait que, dans nos sociétés occidentales, une importance particulière est accordée à la pratique sportive dans la construction du soi masculin (Cross & Madson, 1997; Messner, 1988, 1990). En effet, si la majorité des filles délaissent les activités sportives qu’elles associent au monde des hommes, la plupart des garçons pratiquent une activité physique au sein d’institutions, la performance physique participant à la construction de la virilité.
Les différences sexuées en EPS
Le type de sport et les modalités de la pratique demeurent différents entre les hommes et les femmes (Davisse & Louveau, 1998). Il semble alors que l’EPS actuellement enseignée soit très masculine dans son curriculum. Ce constat pourrait expliquer le rejet de l’EPS par les filles ou tout du moins sa dépréciation. Les inégalités socio-sexuées se construisent tout au long du curriculum scolaire et c’est à partir de mécanismes très fins et répétés dans le contexte social de la classe que les élèves apprennent à se comporter comme il est attendu selon leur sexe (Mosconi, 1989). Les filles apprennent alors rapidement que l’EPS n’est pas une discipline valorisante pour elles et développent une inappétence de la pratique physique. Une telle opinion est confortée par le fait que les filles décrochent de plus en plus en EPS au de leur cursus scolaire (Couchot-Schiex & Coltice, 2017). Elles restreignent alors leurs occasions d’apprendre alors que leur corps se transforme de l’intérieur sous la pression pubertaire et de l’extérieur sous la pression sociale leur prescrivant d’acquérir des formes de corps féminines. Ces inégalités culturelles sont perçues par certains auteurs comme des explications aux différences de participation et d’investissement entre les garçons et les filles (Deeter, 1989, 1990; Eccles & Harold, 1991). Pour ces chercheurs, ces différences qui paraissent émerger très tôt (Eccles et al., 1990; Tap, 1985; Wigfield et al., 1997) semblent être plutôt la conséquence d’une socialisation des rôles sexués que d’une différence d’aptitudes naturelles. L’environnement socioculturel inculque très tôt ce qu’il est approprié de faire en fonction du sexe. Cette socialisation aboutirait à ce que les sujets s’engagent dans des activités singulières en fonction de leur conformité aux stéréotypes de leur sexe. Les déterminants socio-psychologiques ont donc un rôle non négligeable dans ces inégalités (Eccles & Harold, 1991; Fredricks & Eccles, 2005). Comme en atteste, l’étude d’Eccles et Harold (1991) qui a montré que la participation sportive plus importante des garçons par rapport aux filles ne s’explique pas parce qu’ils sont meilleurs dans cette activité mais parce qu’ils se croient meilleurs qu’elles. Par ailleurs, cette étude a mis en évidence l’influence des croyances différenciées des parents sur la perception de compétence de leur enfant. En effet, les parents de garçons ont estimé que leur enfant était plus compétent en sport que les parents de filles. Cette étude suggère, d’une part que ce sont davantage les perceptions des individus que la réalité elle-même qui déterminent leurs choix, et d’autre part, que ces perceptions sont affectées par les croyances socioculturelles. Ainsi l’idée commune d’un corps féminin doté de moindres capacités physiques demeure présente dans l’imagerie sociale. Autrement dit, cette référence biologique décrivant les potentiels physiques des individus confirmerait encore l’idée d’une hiérarchie où les garçons sont dominants. Dans le domaine des activités physiques, on admet donc souvent que les inégalités de performances entre filles et garçons en EPS s’expliquent par le fait que la majorité des filles sont naturellement moins performantes. Les conclusions des travaux en psychologie sociale et sociologie sur les différences sexuées en EPS, qu’ils soient français ou anglo-saxons (Davisse & Louveau, 1991; Penney, 2002; Scraton, 1992), indiquent que l’EPS en tant que matière d’enseignement contribue à renforcer et légitimer les importantes inégalités de sexe et renforce également de façon implicite, les attitudes et réactions qui en découlent. Par exemple, Martine Court (2010) montre comment la famille, les médias6 et les pairs contribuent à la construction du rapport au corps. Le corps se situant au cœur des processus de construction du genre, les cours d’EPS constituent un lieu privilégié d’expression et de production des différences entre les sexes. Plus précisément, en impliquant le corps des élèves et en s’appuyant sur des activités sportives traditionnellement vues comme masculines et où la différence des sexes ne peut être neutralisée, l’EPS est souvent considéré comme une arène pour la production du genre, un lieu de construction et d’expression des différences et des inégalités entre les sexes (Bramham, 2003; Fagrell et al., 2012).
L’importance de l’EPS au filtre du genre
D’après l’analyse descriptive des résultats, l’EPS est majoritairement considérée par les lycéen·ne·s comme une discipline « importante » (44%). Un nombre considérable d’élèves estiment l’EPS soit comme une discipline « très importante » (28%) soit comme une discipline « moyennement importante » (24%). Très peu d’élèves perçoivent donc l’EPS comme une discipline « pas très importante » (4%) ou « pas importante du tout » (1%). Toutefois, la répartition des sujets sur l’échelle de réponse en fonction de leur sexe rend compte d’une divergence de représentation. En effet, si l’EPS est considérée par le plus grand nombre d’élève comme une discipline importante que ce soit chez les filles (49%) ou chez les garçons (40%), les filles sont surreprésentées dans la catégorie « moyennement important » (31%) alors que les garçons sont eux surreprésentés dans la catégorie « très important » (38%). Cette différence est confirmée par l’analyse inférentielle des données qui révèle l’existence d’une dépendance significative entre le sexe et le degré d’importance accordé à l’EPS (khi2 = 14,65 ; ddl = 4 ; p = 0,01). L’analyse descriptive des réponses montre que la majorité des élèves estime que la discipline EPS est « aussi importante » que les autres disciplines (70%). Cette tendance est identique quel que soit le sexe des sujets car 69% des filles et 71% des garçons ont choisi cette réponse. Cependant, la répartition des effectifs démontre une configuration de choix différente entre les deux groupes. En effet, la proportion des filles et des garçons sur chacune des modalités de réponses n’est pas identique. Par exemple, l’analyse des données indique qu’aucune fille ne considère l’EPS comme une discipline « plus importante », alors que 4 garçons ont choisi cette réponse. Ainsi lorsque l’on compare les réponses des lycéens et des lycéennes des différences apparaissent dans l’importance qu’accordent les élèves à l’EPS par rapport aux autres disciplines. Cependant, l’analyse comparative des données démontre qu’il n’existe pas de dépendance entre le sexe et l’importance accordée à l’EPS par rapport aux autres disciplines (khi2 = 3,49 ; ddl = 2 ; p = 0,17). Autrement-dit, les différences observées ne sont pas suffisamment significatives pour pouvoir être généralisées. Concernant l’évaluation en EPS, 43% des élèves considèrent qu’elle est importante et 67% jugent même qu’elle est aussi importante que celle des autres disciplines. Si les lycéennes et les lycéens s’accordent sur l’importance de l’évaluation en EPS puisque la majorité des garçons (39%) et la majorité des filles (46%) la considère comme « importante », leurs représentations divergent lorsqu’ils·elles la comparent avec l’évaluation des autres disciplines. En effet, il apparaît que 35 % des filles la considèrent comme moins importante contre 27 % chez les garçons. Autrement-dit, les avis des filles sont un peu plus contrastés que ceux des garçons, même si plus de la moitié d’entre-elles (64%) accordent la même importance à l’évaluation de l’EPS qu’à celle des autres disciplines. Si la prise en compte de la variable du sexe met en évidence des différences dans les représentations des élèves, l’analyse comparative des données de la question n°17 démontre que ces différences ne sont pas significatives (khi2 = 2,33 ; ddl = 2 ; p = 0,31). Ainsi, on peut affirmer que le sexe n’a pas d’influence sur l’importance accordée à l’évaluation de l’EPS par rapport à celle des autres disciplines.
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Table des matières
INTRODUCTION
PRESENTATION DU CONTEXTE
PRESENTATION DE L’OBJET D’ETUDE DU MEMOIRE
DEFINITION PRINCIPALES
ENJEUX
1. CADRE THEORIQUE DE REFERENCE
1.1. LES REPRESENTATIONS SOCIALES
1.2. LE GENRE
1.3. LES INEGALITES SEXUEES
1.4. LES DIFFERENCES SEXUEES EN EPS
1.5. LA MIXITE EN EPS
2. PROBLEMATIQUE
3. QUESTION DE RECHERCHE
4. HYPOTHESES
5. METHODE
5.1. OUTIL : LE QUESTIONNAIRE
5.2. PROCEDURE
5.3. SUJETS
5.4. ANALYSE DES DONNEES
6. RESULTATS
6.1. ACTIVITE PHYSIQUE ET SEDENTARITE
6.1.1. Activité physique et sédentarité au filtre du genre
6.1.2. Activité physique et sédentarité au filtre du niveau d’enseignement
6.2. APPRECIATION DE L’EPS
6.2.1. L’appréciation de l’EPS au filtre du genre
6.2.2. L’appréciation de l’EPS au filtre du niveau d’enseignement
6.2.3. L’appréciation de l’EPS au filtre de la pratique d’une activité physique
6.3. APPRECIATION DES APSA
6.4. UTILITE DE L’EPS
6.5. IMPORTANCE DE L’EPS
6.5.1. L’importance de l’EPS au filtre du genre
6.5.2. L’importance de l’EPS au filtre du niveau d’enseignement
6.5.3. L’importance de l’EPS au filtre du secteur d’enseignement
6.6. MODALITES DE TRAVAIL EN EPS (MIXITE)
6.6.1. La mixité au filtre du genre
6.6.2. La mixité au filtre du niveau d’enseignement
6.6.3. La mixité au filtre du secteur d’enseignement
7. DISCUSSIONS / INTERPRETATIONS
7.1. HYPOTHESE 1
7.2. HYPOTHESE 2
7.3. HYPOTHESE 3
7.4. HYPOTHESE 4
7.5. HYPOTHESE 5
7.6. HYPOTHESE 6
7.7. HYPOTHESE 7
8. CONCLUSION
8.1. REPONSE A LA PROBLEMATIQUE
8.2. LIMITES
8.3. PERSPECTIVES METHODOLOGIQUES
8.4. OUVERTURE
9. BIBLIOGRAPHIE
10. TABLE DES ILLUSTRATIONS
10.1. LES FIGURES
10.2. LES TABLEAUX
10.3. LES GRAPHIQUES
11. ANNEXES
11.1. QUESTIONNAIRE
11.2. TABLEAU DE SYNTHESE DES REPONSES AU QUESTIONNAIRE
11.3. FEUILLES DE TRAITEMENT DES RESULTATS PAR QUESTION (TABLEAUX CROISES DYNAMIQUES + STATISTIQUES & GRAPHIQUES)
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