La frontiรจre: comment la dรฉfinissons nous ?
ย ย La notion de frontiรจre au sens actuel, qui succรจde ร celle de confins, est associรฉe au dรฉveloppement de l’รtat moderne, tel qu’il s’est dรฉveloppรฉ en Europe ร partir des XIIIe et XIVe siรจcles. Ainsi on distingue plusieurs types de frontiรจre : frontiรจre naturelle, artificielleโฆ La notion de f rontiรจre naturelle est รฉtablie au X VIIe siรจcle et sโappuie sur des barriรจres physiques constituรฉes par des montagnes, crรชtes, fleuvesโฆ Aujourdโhui, elle tend ร perdre son sens dans les conditions actuelles de circulation et de franchissement, mais dans certains cas, elle garde une valeur de symbole. Sur le plan territorial, la frontiรจre est aujourd’hui considรฉrรฉe comme une ligne dรฉfinie, marquant la sรฉparation entre deux territoires relevant de juridictions diffรฉrentes. Toutefois, cette notion de frontiรจre prรฉcise et intangible n’a pas toujours existรฉ. Dans de nombreuses rรฉgions et ร des รฉpoques diverses, les limites territoriales n’รฉtaient pas dรฉfinies avec prรฉcision. Si les frontiรจres sont aujourd’hui garanties par le droit international,elles n’en sont pas moins dans leur genรจse et ร titres divers, le produit de rapports de force. Elles sont en grande partie le produit de l’avancรฉe des armรฉes et des calculs stratรฉgiques de la part des puissances politiques. Dans son ouvrage Gรฉographie des frontiรจre (1938), le gรฉographe Jacques Ancel dรฉfinit la frontiรจre ยซ comme un โisobare politiqueโ qui fixe, pour un temps, lโรฉquilibre entre deux pressions ; รฉquilibre de masses, รฉquilibre de force ยป. Les gรฉographes Pierre George et Ferdinand Verger dรฉfinissent la frontiรจre comme ยซ une limite dโun territoire dโun Etat, reconnue au titre dโaccords internationaux traitรฉ entre voisins ou arbitrage dโune confรฉrence ou dโune organisation internationale ยป. Dans ce mรฉmoire nous dรฉfinissons la frontiรจre comme la limite de souverainetรฉ territoriale dโun Etat.
Le territoire : ยซ support et propriรฉtรฉ ยป
ย ย La notion de territoire a pris une importance croissante en gรฉographie et notamment en gรฉographie humaine et politique, mรชme si ce concept est utilisรฉ par d’autres sciences humaines. Dans le dictionnaire de gรฉographie de Pierre George et Fernand Verger, le territoire est dรฉfini comme un espace gรฉographique qualifiรฉ par une appartenance juridique (on parle ainsi de ยซ territoire national ยป) ; ou par une spรฉcificitรฉ naturelle ou culturelle : territoire montagneux, territoire linguistique. Dans ce dernier cas, le terme d’aire (ยซ aire linguistique ยป) pourrait lui รชtre prรฉfรฉrรฉ. Quelle que soit sa nature, un territoire implique l’existence de frontiรจre ou de limite. Ces deux derniers termes sont utilisรฉs en fonction du type de territoire dont ils forment le pรฉrimรจtre. Un territoire politique ou une subdivision administrative est dรฉlimitรฉe par une frontiรจre ; un territoire naturel est circonscrit par une limite, terme moins juridique. Il dรฉsigne un ยซ agencement des ressources matรฉrielles et symboliques capable de structurer les conditions pratiques de lโexistence dโun individu ou dโun collectif social et dโinformer en retour cet individu et ce collectif sur sa propre identitรฉ ยป . Au plan รฉconomique le territoire relรจve de lโacquisition par la population dโune compรฉtence รฉconomique spรฉcifique ร partir dโavantages naturels ou humains. Le territoire est une รฉtendue qui dรฉpend dโun Etat, dโune juridiction, quโoccupe un gr oupe humain. Yves Lacoste quant ร lui dรฉfinit le territoire comme ยซโฆ une รฉtendue clairement dรฉlimitรฉe sur laquelle sโexercent son autoritรฉ (pouvoir) et en principe sa souverainetรฉ oรน il est normalement responsable de lโordre public et dont il prรฉtend assurer la dรฉfenseโฆ ยปDonc la notion de territoire est une appropriation ร la fois politique, idรฉologique, sociale et รฉconomique de lโespace par un groupe.
Matam Rรฉo et Matam Sรฉnรฉgal, deux villes de deux pays, un seul cadre gรฉographique
ย ย Les villes de Matam Rรฉo et Matam Sรฉnรฉgal, juchรฉes sur le bord du fleuve se situent en zone sahรฉlienne avec des prรฉcipitations dรฉpassant rarement 500 mm. Les moyennes de tempรฉratures dans cette rรฉgion sont respectivement de 25ยฐ en saison froide et de 40 ยฐen saison chaude. Cette rรฉgion quasi plane est balayรฉe par lโharmattan pendant une trรจs grande partie de lโannรฉe. Lโhydrographie est principalement composรฉe des eaux de surface du fleuve Sรฉnรฉgal et de ses dรฉfluents. La nappe phrรฉatique prรฉsente aussi une potentialitรฉ hydrique importante. La population de cette marge frontaliรจre est ร d ominante jeune. Elle est aussi caractรฉrisรฉe par une forte hiรฉrarchisation sociale. Sur le plan รฉconomique, une des grandes particularitรฉs des deux villes reste lโimportance du secteur primaire dans les activitรฉs de la population. En effet 80% de la population vivent principalement de lโagropastoralisme. Les villes de Matam Rรฉo et de Matam Sรฉnรฉgal conservent un caractรจre rural qui se manifeste par une insuffisance notoire dโinfrastructures, de services et de voiries urbaines. Le fleuve Sรฉnรฉgal reste le principal facteur structurant le cadre territorial et juridique des Etats de la Mauritanie et du Sรฉnรฉgal. Sur chacune des rives un Etat est responsable de lโordre public et prรฉtend assurer la sรฉcuritรฉ de ses citoyens.
Infrastructures sanitaires
ย ย La commune de Matam Sรฉnรฉgal dispose de 3 structures sanitaires dont : un district sanitaire, un poste de santรฉ et une case de santรฉ. Le district sanitaire situรฉ ร Tantadji couvre les quartiers de Gourel Serigne et de Soubalo. Il dispose dโun pavillon dโhospitalisation avec 11 lits, dโune maternitรฉ avec huit lits soit un lit pour 1330 habitants ce qui est loin des normes de lโOMS qui sont dโun lit pour 500 habitants. On y dรฉnombre aussi deux salles de soins et une pharmacie. Il occupe des locaux vรฉtustes avec un ni veau de dรฉgradation avancรฉe. Le district polarise les localitรฉs du diรฉri, du Dandรฉ Mayo et de la ville Mauritanienne (Matam Rรฉo). Le poste de santรฉ localisรฉ ร Diamel est composรฉ dโune salle de pansement, dโune salle dโaccouchement et dโune salle de consultation. La case d e santรฉ de Navel est destinรฉe aux premiers soins. Sur le plan sanitaire Matam Sรฉnรฉgal semble รชtre moins fournie. En effet on note une insuffisance notoire de mรฉdecins (deux pour toute la ville en 2009) un manque dโinfirmiers, de sage-femme, mais aussi lโรฉloignement du centre de santรฉ de certains quartiers. Lโhรดpital rรฉgional qui est en chantier limiterait les problรจmes sanitaires. En territoire mauritanien on compte un district sanitaire situรฉ au Sud de la ville.
Le souvenir des รฉvรฉnements de 1989 est encore prรฉsent
ย ย Dรจs le lendemain des indรฉpendances les relations entre les communautรฉs nรฉgroafricaines de la Mauritanie et les Beรฏdanes furent secouรฉes par plusieurs tensions. En effet, cette population noire demande une plus grande responsabilitรฉ au sein des instances dirigeantes. Lโapplication de la nouvelle loi sur le domaine national en Mauritanie visait ร redistribuer les terres fertiles de la vallรฉe en faveur des Beรฏdane au dรฉtriment de la population noire. LโEtat mauritanien procรจde ensuite ร des rรฉpressions et des expulsions de la population noires. En Mars 1988 les tensions latentes entre sรฉnรฉgalais et mauritaniens sโaccรฉlรจrent dans la vallรฉe du fleuve Sรฉnรฉgal. Cโest ainsi quโa commencรฉ ce qui allait mener quelques mois plus tard ร la plus grave crise dans les relations entre le Sรฉnรฉgal et la Mauritanie. Le barrage de Manantali venait dโรชtre rรฉceptionnรฉ alors que celui de Diama รฉtait mis en service deux ans auparavant. Des expulsions dโagro-pasteurs de part et dโautre des deux pays dรฉbouchรจrent trรจs vite sur lโexhumation dโun vieux litige relatif au tracรฉ de la frontiรจre entre les deux pays. La tension รฉclata en Avril 1989 ร la suite des incidents survenus ร Diawara dans le dรฉpartement de Bakel entre pasteurs peuls et garde frontiรจre de la Mauritanie. Aprรจs des tueries et prises dโotages localisรฉes, la tension ne tarda pas ร gagner tout le long du fleuve et les principales villes des deux pays. Entre le 10 e t le 15 Avril quelques boutiques mauritaniennes furent pillรฉes ร Bakel. A Matam la crise dรฉgรฉnรฉra quand un cultivateur matamois revenant de son champ fut battu ร mort par des mauritaniens. La rรฉvolte sโavรฉra violente. Les populations matamoises, elles aussi tuรจrent un mauritanien qui tentait de regagner son pays et elles procรจdent au saccage des boutiques maures. A Dakar, on enregistre des pillages des boutiques tenues par les Beรฏdane, les 22 et 23 Avril. Ces nouvelles, arrivรฉes ร Nouakchott, passablement exagรฉrรฉes, produisent le 24 Avril, une riposte trรจs violente au marchรฉ de la capitale et dans les quartiers des 5รฉme et 6 รจme arrondissements. Les chiffres sont contestรฉs mais le bilan du conflit est lourd. Outre des centaines de morts, prรจs de 75.000 sรฉnรฉgalais et 150.000 mauritaniens durent รชtre rapatriรฉs au courant du premier semestre de 1989 (Magistro, 1993 ; Horowitz, 1989 ; Parker, 1989). Des milliers de noirs se rรฉclamant de la nationalitรฉ mauritanienne furent dรฉportรฉs au Sรฉnรฉgal. On a mรชme notรฉ des รฉchanges de tirs dโartillerie lourde entre les armรฉes des deux pays dรฉployรฉes de part et dโautre du fleuve (Magistro, 1993, Parker, 1989). Aprรจs le rapatriement des mauritaniens et des sรฉnรฉgalais, le prรฉsident de la Rรฉpublique Islamique de la Mauritanie, MAOUYA OULD SIDโAHMED TAYA lance un appel ร โโ lโunitรฉ nationale et ร la concordeโโ. ยซโฆ dans son discours (รฉnoncรฉ pour la premiรจre fois en franรงais puis traduit en arabe), il rejette โโla responsabilitรฉ pour lโhistoireโโ des รฉvรฉnements sur le Sรฉnรฉgal et affirme que โโ dรฉsormais, toute tentative de trouble sera considรฉrรฉe comme une haute trahison ร la Patrie et traitรฉe comme telleโโ ยป. Ainsi commence des rapatriements vers le Sรฉnรฉgal c’est-ร -dire lโexpulsion des mauritaniens qui pour le gouvernement sont dโorigine sรฉnรฉgalaise.
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Table des matiรจres
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : DES BOURGADES DE LA VALLEE DEVENUES DES VILLES FONTALIERES
CHAPITRE I: LES MATAM : DES TRAJECTOIRES PRESQUE IDENTIQUES
I. A la genรจse des ยซ Matams ยป
II. Evolution des administrations locales dรฉconcentrรฉes
CHAPITRE II : UNE GEOGRAPHIE DETERMINEE PAR LE FLEUVE SENEGALย
I. Matam Rรฉo et Matam Sรฉnรฉgal, deux villes de deux pays, un seul cadre gรฉographique
1.1. Situation gรฉographique et spรฉcificitรฉ des sites
1.2. Caractรฉristiques climatiques
1.3. Population et peuplement
1.4. Les activitรฉs รฉconomiques
II Infrastructures et services urbains de base
2.1. Etat des infrastructures dans les deux localitรฉs
2.2. Les services urbains
2.3. La voirie
CHAPITRE III : UN PROCESSUS DโINTEGRATION A LโEPREUVE
I. Les freins ร lโintรฉgration
II. Les ressorts de lโintรฉgration des deux pays
DEUXIEME PARTIE : RAPPORTS A LA FRONTIERE ET TYPOLOGIE DES RELATIONS
CHAPITRE I : LES ETATS, LES VILLES, LA FRONTIERE ET LES POPULATIONS
I Les rapports des populations ร la frontiรจre
1.1 Le fleuve un obstacle gรฉographique plus quโune frontiรจre administrative ?
1.2 Le fleuve une ressources dont il faut tirer des profits
II Et les Etats dans tout cela ?
2.1 La Police des frontiรจres et la gendarmerie pour la sรปretรฉ et la sรฉcuritรฉ
2.2 La Douane pour le prรฉlรจvement des rentes
CHAPITRE II : LES FONDEMENTS DES RELATIONS ENTRE LES DEUX VILLESย
I. Des relations assises sur un socle historique fort et raffermies par la proximitรฉ gรฉographique
1.1. Le ciment de lโhistoire
1.2. Le ยซ diktat ยป de la gรฉographie
II. Des relations entretenues et consolidรฉes par les deux jeunes Etats
2.1 Une coopรฉration bilatรฉrale dynamique
2.2 Une concertation permanente sur les questions รฉconomiques et sรฉcuritaires
CHAPITRE III : TYPES ET NATURES DES RELATIONS ENTRE LES DEUX CITES FRONTALIERES
I. Les relations de types administratives
1.1 Les rapports administratifs
1.1.1 Visites et rencontres dโรฉchange entres autoritรฉs administratives dรฉconcentrรฉes
1.1.2. Le rรจglement des problรจmes entre populations frontaliรจres
1.2 La coordination entre les services techniques et administratifs
1.2.1. La concertation entre les services techniques dโagriculture et dโรฉlevage
1.2.2 La coordination des actions dans le secteur de la santรฉ et de la Sรฉcuritรฉ
II. Les relations commerciales
2.1 Le commerce lรฉgal ou formel
2.2 Le commerce non formel ou illรฉgal
III. les relations socio-culturelles, religieuses, sportives et ludiques
IV. La cooperation un nouveau champ dโexploration pour les relations senegalo mauritaniennes
4.1 Quโest ce que la coopรฉration transfrontaliรจre?
4.1.1 La coopรฉration transfrontaliรจre, un concept nรฉ en Europe
4.1.2 La Coopรฉration transfrontaliรจre un instrument pour accompagner la nouvelle vision de lโintรฉgration en Afrique de lโOuest
4.2 Coopรฉration transfrontaliรจre axe de la coopรฉration alternative, pour dynamiser les relations entre les deux communes
4.2.1 La coopรฉration transfrontaliรจre une voie de plus en plus explorรฉe en Afrique de lโouest
4.2.2 Un cadre pour renforcer les initiatives locales de coopรฉration
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
GLOSSAIRE
ANNEXES
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