« La démocratie est aujourd’hui un idéal largement partagé, mais sa mise en œuvre est l’objet d’incessantes critiques liées à une crise de confiance à l’égard des institutions et des êtres qui les animent ». Actuellement, dans la plupart des pays dit démocratiques, on note des tensions liées soit au non-respect des principes de la démocratie et des droits civiques, surtout l’organisation et le partage de l’espace de la vie civique. Dans la présente étude, nous mettons l’accent sur les relations entre la démocratie et l’espace physique en Grèce, particulièrement en Athènes, durant toute la période de l’époque classique.
La période classique correspond à l’époque la plus brillante de toute l’histoire grecque, particulièrement dans les domaines de la philosophie, de l’économie, de l’art et surtout de la politique. Notre étude couvre toute cette période, c’est-à-dire des réformes clisthéniennes de 508/507 av. J-C jusqu’à la bataille de Chéronée en 338 av. J-C avec le déclin de la puissance athénienne qui marque la domination macédonienne. On voit l’émergence de petites villes dans le monde attique qui évoluent rapidement et l’une des plus importantes d’entre elles est Athènes, qui est devenue au Ve siècle l’une des organisations politiques les plus importantes du monde grec. La mise en place d’un régime démocratique qu’elle a réussi à élaborer au Ve siècle représente la forme la plus achevée de ce que les auteurs anciens appelaient la politeia, c’est-à-dire la constitution de la cité .
La cité, en grec polis, est selon Claude Mossé « le terme par lequel les anciens désignaient, à l’époque classique un établissement humain généralement groupé autour d’un centre urbain et contrôlant un territoire plus ou moins étendu » . Elle est avant tout une réalité matérielle et physique, raison pour laquelle notre étude s’intéresse particulièrement à l’organisation spatiale et les fonctions des espaces physiques dans le fonctionnement de la démocratie athénienne. La cité, à l’origine était une citadelle, comme l’acropole d’Athènes ; puis la ville se développe au pied de l’acropole. L’espace urbain comporte dans son ensemble l’acropole, l’agora et les remparts. L’Acropole, selon Raoul Lonis, « est le centre religieux par excellence, car les sanctuaires des divinités poliades y sont généralement établis ». L’Acropole d’Athènes représentait la partie de la ville qu’on appelait la ville haute car elle était le socle sur lequel s’élevaient la plupart des temples des dieux grecs, la religion faisant partie intégrante de la vie des Grecs.
L’Agora, quant à elle, était un lieu de rencontre où se côtoyaient toutes les classes de la société athénienne, car elle était le centre de tous les débats politiques et des échanges financiers et commerciaux. Raoul Lonis exprime que « l’Agora a une triple fonction : politico-administrative, religieuse et économique » alors que l’Acropole avait un rôle politique et religieux. Tous ces espaces avaient un certain nombre de fonctions à remplir dans la cité. Cette spécialisation des espaces permet une compréhension nette des différentes sphères qui constituent la ville. Par ailleurs, les remparts permettaient une délimitation des habitations et constituaient une frontière entre l’asty et la chôra. Cet ensemble est une partie intégrante et indissociable de la cité grecque. Il existe un lien très fort entre la ville et la campagne. En effet, Xénophon dans l’Economique montre l’importance de la chôra dans la fourniture de la ville en céréales durant toute l’époque classique en Attique.
Anne-Marie Buttin exprime que « selon Arsitote, pour qu’on puisse parler de cité, il faut un minimum d’organisation politique ». Athènes a connu plusieurs régimes politiques dans l’antiquité avant la naissance de la démocratie. Elle est l’un des principaux régimes de la Grèce classique; le modèle est fourni par Athènes. L’histoire d’Athènes est étroitement liée à celle de la démocratie grecque. C’est là en effet que se développa cette forme de régime politique à laquelle la cité doit sa grandeur. Le mot démocratie est d’abord composé de « deux termes grecs à savoir démos, le peuple recensé et kratos, le pouvoir ».La démocratie est, étymologiquement, « le régime où le peuple recensé (démos) a le pouvoir ». On comprend donc que la démocratie signifie le pouvoir exercé par ce peuple recensé. Un régime politique est donc un mode d’organisation d’une cité. A l’apogée de la démocratie athénienne, le peuple jouait un rôle capital sur la gestion administrative de la cité.
Le peuple ou démos, ce mot peut avoir différent sens. Chez Homère, le mot signifie le plus souvent le pays, le territoire, en un sens qui déborde le cadre local : le démos s’applique au territoire lié à une communauté. Il en vient à désigner parfois les gens du peuple, au sens d’une communauté de type personnel, non territorial. On retrouve à l’époque classique cette pluralité de significations : « à Athènes, démos peut signifier le peuple athénien dans son ensemble (la cité d’Athènes), le menu peuple (les pauvres), l’assemblée du peuple (l’ecclésia), le pouvoir du peuple (la démocratie) et le dème. Dans un sens politique, appliqué au régime ou le peuple est souverain, la démocratie, il en vient à désigner le parti démocratique par opposition à l’oligarchie. Dans un sens de topographie administrative, le terme insiste sur le lien communautaire qui unit entre eux les démotes, les membres du dème ».
ATHENES : UNE CITE-ETAT
LA DEMOCRATIE ATHENIENNE
L’histoire d’Athènes est étroitement liée à l’histoire de la démocratie grecque. C’est là en effet que se développa cette forme de régime politique à laquelle la cité doit sa grandeur, et qu’elle contribua à répandre dans tout le monde grec . L’Attique est un petit promontoire montagneux situé au Sud-est de la Grèce centrale. Cet espace était d’abord sous la domination de la Crète et ses habitants faisaient gloire à un de leurs rois, Thésée, qui d’après la tradition est le père fondateur d’Athènes. Il avait réussi à unifier en un seul Etat tous les Cantons de l’Attique, jusque-là indépendants et leur donnant comme capitale la ville d’Athènes . C’est dans ce contexte que la cité des Athénai (ou Athenaioi, ceux qui adoraient la déesse Athéna) a vu sa naissance. On s’est beaucoup interrogé sur les facteurs qui présidèrent à l’apparition de ce nouveau type d’organisation de l’espace et des hommes.
On a évoqué la géographie du paysage grec qui s’appelle au morcellement. On a mis en avant des facteurs religieux (regroupement autour de sanctuaires ou de tombes monumentales), culturels, économiques (le passage d’une économie fondée sur la culture des céréales, de l’olivier et de la vigne). En fait, tous ces facteurs ont pu jouer à la fois pour la mise en place de cette forme nouvelle d’organisation politique qui n’allait pas tarder à se développer à la faveur de ce qu’on a appelé la colonisation grecque. Car le mouvement d’expansion des Grecs sur le pourtour méditerranéen, déterminé d’abord par le besoin de trouver des terres, et sans doute aussi de se procurer des métaux et autres matières premières dont la Grèce était dépourvue, aboutit à la création, en un peu moins de deux siècles, de centaines de cités nouvelles .
Les Grecs se distinguent par l’organisation originale de leur cité. Ce souci de la vie en commun est la politique. Ainsi les cités grecques sont, soit des monarchies, des aristocraties, des oligarchies, des tyrannies. Mais Athènes va se distinguer des autres cités. Suite aux réformes politiques de Solon (594-593 avant J-C), puis de Clisthène (508 avant J-C.), Athènes va devenir une démocratie (du grec dêmokratia, « souveraineté du peuple »). Ce régime connu sous le nom de « la démocratie athénienne a duré environ deux siècles : des réformes de Clisthène(509) et surtout d’Ephiates (462-461) ».
C’est ce que Jean Gaudemet nous explique en soulignant « Si le régime de la cité ne fut pas celui de toute la Grèce, du moins fut-il assez largement adopté dans ses régions les plus actives pour qu’il puisse être considéré comme le régime politique caractéristique de la Grèce classique ». Au Ve siècle avant. J-C, Athènes connaît son « siècle d’or » appelé également « siècle de Périclès ». Elle va devenir la plus puissante des cités grecques et marquer l’Histoire par son modèle d’organisation politique. Connue sous le nom de la cité-état (en grec polis), elle a ses propres caractéristiques.
Les caractéristiques de la cité
Nous traduisons par cité le terme grec « Polis » par lequel les Anciens désignaient, à l’époque classique, un établissement humain généralement groupé autour d’un centre urbain et contrôlant un territoire plus ou moins étendu. La cité était alors la forme politique caractéristique du monde grec. Les cités, au sens plein du terme, étaient des États autonomes, ayant leurs propres lois, leur monnaie et leurs divinités tutélaires. Mais ceux qui composaient la cité, les citoyens (en grec politai), se partageaient le territoire et s’engageaient aux décisions politiques de la cité. Les caractères propres de la cité, cette communauté « d’égaux » qui se partageaient la ville et son territoire, en préservant au cœur de la première l’espace libre de l’agora, lieu où se rassemblaient les citoyens pour prendre en commun les décisions qui engageaient la cité.
La cité est un Etat typiquement grec, dont les caractéristiques propres ne se retrouvent nulle part ailleurs exactement. L’existence des cités-états est l’un des caractères distinctifs de la Grèce ancienne, Athènes fut le plus connu du fait de son organisation de l’espace et de son système politique. C’est la raison pour laquelle Claude Mossé indique : « la cité grecque représente un type original d’Etat qui apparait constitué vers le VIIIe siècle avant notre ère, au moment où le monde hellénique commence à sortir de près de quatre siècles d’obscurité (appelé le Moyen âge grec)». Aristote a fait une analyse remarquable dans son traité de La Politique, en donnant une définition de la polis : « La cité est une sorte de communauté et la participation commune des citoyens à un système de gouvernement ». Il a évoqué ici les deux éléments constitutifs d’une cité, le territoire et la population. Dans ce chapitre, l’accent portera sur la topographie de la cité athénienne de l’époque classique. Il s’agira de traiter la configuration géographique, les éléments qui constituent la cité : la ville et la campagne.
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Table des matières
Introduction
Première partie : Athènes : une cité-état
Chapitre I : la démocratie athénienne
Chapitre II : L’organisation de l’espace
Deuxième partie : L’Agora : centre social et politique
Chapitre I : L’Agora
Chapitre II : Les lieux d’expression
Troisième partie : Les limites de la démocratie athénienne
Chapitre I : Les privilèges de la citoyenneté
CHAPITRE II : Les exclusions de la vie politique
Conclusion