De par la diversité des niches écologiques qu’elles colonisent, les bactéries possèdent de nombreux mécanismes de réponse leur permettant de s’adapter aux fluctuations environnementales, en particulier en régulant l’expression de gènes spécifiques. A titre d’exemples, la capacité des bactéries à détecter et traduire divers signaux physicochimiques de l’environnement leur permet de contrôler des fonctions en lien avec le chimiotastisme, le transport du phosphate ou encore de s’adapter à un changement d’osmolarité. Au cours des dernières décennies, il a été admis que les bactéries sont également capables de répondre à des signaux qu’elles synthétisent et sécrètent. Ces petites molécules de signalisation ont été appelées autoinducteurs ou phéromones. Cette découverte de l’existence d’interactions au sein du monde des procaryotes, qui a profondément bouleversé la notion que les bactéries fonctionnent de manière autonome, confère à une population bactérienne la capacité d’initier un comportement collectif en réponse à leur environnement (Atkinson and Williams, 2009).
Les molécules de signalisation sont utilisées dans un processus appelé « quorumsensing » (QS) et l’une des préoccupations des microbiologistes est de mieux comprendre ce langage, permettant aux bactéries de contrôler différentes fonctions physiologiques telles que la virulence, la formation de biofilms, la production de métabolites secondaires, le transfert horizontal d’ADN, la bioluminescence ou encore la motilité (Di Cagno et al., 2011; Winans, 2006). Aussi, le terme de molécule de signalisation désigne une molécule produite qui induit in fine une réponse permettant de coordonner les activités entre des bactéries émettrices du « signal » et des bactéries receveuses ; ces dernières pouvant être à la fois les bactéries émettrices ou provenant d’une autre population bactérienne (Platt and Fuqua, 2010). Dans ce dernier cas, l’effet de la molécule de signalisation peut être positif ou négatif sur la population en question. Aussi, une molécule de signalisation se définit par quatre critères : (i) une production spécifique à un moment donné au cours de la croissance des bactéries et sous certaines conditions physiologiques, (ii) une accumulation dans le milieu extracellulaire et une reconnaissance via un senseur spécifique, (iii) la mise en place d’une réponse concertée dès lors qu’une concentration seuil en molécule de signalisation a été atteinte et (iv) un changement physiologique propre à la molécule de signalisation s’étendant au delà des changements physiologiques requis pour métaboliser ou détoxifier la molécule de signalisation en question (Winzer et al., 2002). Aujourd’hui, ce mécanisme de régulation semble effectif dans la plupart des bactéries.
Une appartenance au groupe des bactéries lactiques
L’appartenance des streptocoques au groupe des bactéries lactiques a été définie par Orla-Jensen, en 1919 (Stiles and Holzapfel, 1997), sur la base de critères phénotypiques. Depuis cette période, de nombreuses techniques (Tableau 1) sont venues bouleverser la classification au sein du groupe des bactéries lactiques et l’appartenance de certains genres bactériens à ce groupe taxonomique a été fortement discutée. En 1996, Vandamme et ses collaborateurs définissent un groupe hétérogène de bactéries composé de 11 genres bactériens : Carnobacterium, Enterococcus, Lactobacillus, Lactococcus, Leuconostoc, Oenococcus, Pediococcus, Streptococcus, Tetragenococcus, Vagococcus et Weissella (Figure 1). Cette large diversité – regroupant des bactéries d’intérêt industriel, pathogènes stricts ou encore opportunistes – contribue à la présence des bactéries lactiques dans de nombreuses niches écologiques allant de la matrice alimentaire (lait, viande, légume, vin) aux muqueuses de l’Homme (cavité orale, vagin et tractus gastro-intestinal) (Pfeiler and Klaenhammer, 2007). A l’heure actuelle, ce groupe taxonomique est composé d’environ 400 espèces et une controverse demeure concernant les espèces du genre Lactobacillus, Pediococcus, Oenococcus et Leuconostoc (Zhang et al., 2011).
D’un point de vue phylogénétique, les bactéries lactiques sont des bactéries à Gram positif (coques ou bacilles), anaérobies aérotolérantes, dépourvues de catalase, immobiles, asporulées et possédant un bas pourcentage en bases G+C (inférieur à 55%) (Stiles and Holzapfel, 1997). En dehors de ces caractères communs, l’appartenance au groupe des bactéries lactiques porte en réalité sur leur capacité à fermenter les glucides en produisant de l’acide lactique. Aussi, la fermentation est dite « homolactique » quand l’acide lactique est le principal produit formé et « hétérolactique » lorsque d’autres composés tels que l’acide acétique, l’éthanol ou le dioxyde de carbone (CO2) sont également produits (Liu, 2003).
De par l’importance économique de certaines souches en tant que ferments, l’utilisation du terme « bactéries lactiques » a tendance à être restreint aux bactéries d’intérêt industriel. Dans ce cas, la voie métabolique de l’utilisation des oses est à la base de leur intérêt en assurant la fermentation de nombreux produits alimentaires (laitiers, carnés, céréaliers) et favorisant in fine le bon développement des produits d’un point de vue conservation ou organoleptique (arômes, textures). Sensu largo, un bon nombre de souches restent, quant à elles, impliquées dans de nombreux cas de maladies humaines. Le genre Streptococcus – regroupant une bactérie d’intérêt industriel Streptococcus thermophilus et de nombreux pathogènes – étant un bon exemple, le chapitre suivant lui sera consacré.
Streptococcus thermophilus et les streptocoques
Classification et relations taxonomiques
Depuis le début du 20ème siècle, la classification des streptocoques n’a cessé d’évoluer et les changements dans la nomenclature et la taxonomie ont été nombreux et variés. Le pouvoir hémolytique (1903) puis antigénique (Lancefield, 1933) des souches, ont d’abord permis de différencier les streptocoques β hémolytiques (tels que S. pyogenes, S. agalactiae, S. dysgalactiae, S. equi, S. canis, S. anginosus) des streptocoques non βhémolytiques (tels que S. pneumoniae, S. bovis, S. suis, S. mutans, S. salivrius, S. mitis) puis de sous diviser les streptocoques hémolytiques en fonction de la nature de leur antigène polysaccharidique de paroi. En 1937, sur la base de caractères phénotypiques complémentaires, les streptocoques ont ensuite été regroupés en 4 catégories (Sherman, 1937) incluant les groupes « entérocoque » et « lactique », considérés par la suite en tant que genre à part entière et reclassés respectivement sous le terme « Enterococcus » et «Lactococcus ». Avec l’arrivée du séquençage, l’analyse comparative de l’ARN ribosomal (ARNr) 16S a ensuite permis d’organiser les relations au sein du genre Streptococcus en définissant 6 taxons de taille variable. Ainsi, ont été définis les groupes anginosus, bovis, mitis, mutans, pyogénique et salivarius (Figure 2) (Kawamura et al., 1995a). Depuis, bien que de nombreuses souches ou espèces (en particulier non β-hémolytiques) aient enrichi et été associées aux différents groupes existants (Facklam, 2002), aucune étude n’a remis en cause cette classification.
Les streptocoques pathogènes stricts et opportunistes
Groupe hétérogène de bactéries, les streptocoques constituent une famille ubiquitaire regroupant de nombreuses espèces, isolées des plantes ou de l’environnement, capables de coloniser la peau et les muqueuses de l’homme et de certains animaux. Malgré la présence de pathogènes stricts au sein de ce groupe, de nombreux streptocoques sont importants sur le plan écologique et participent au bon équilibre de la flore microbienne des Hommes et des animaux. Ce n’est qu’au travers d’un déséquilibre immunitaire ou de la flore indigène de l’hôte que ces streptocoques deviendront des pathogènes opportunistes déployant ainsi des mécanismes spécifiques pour coloniser leur environnement.
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Table des matières
Introduction générale
Introduction bibliographique
Chapitre 1 : Les streptocoques
1. Une appartenance au groupe des bactéries lactiques
2. Streptococcus thermophilus et les streptocoques
2.1 Classification et relations taxonomiques
2.2 Les streptocoques pathogènes stricts et opportunistes
2.3 Streptococcus thermophilus
2.3.1 S. thermophilus, un streptocoque d’intérêt industriel
2.3.2 Taxonomie et identification de S. thermophilus
2.3.3 Histoire évolutive de S. thermophilus
2.3.4 Le transfert de l’information génétique chez S. thermophilus
Chapitre 2 : La communication cellulaire de type quorum-sensing
1. Concepts généraux
2. Le QS chez les bactéries à Gram positif
2.1 Détection extracellulaire des peptides autoinducteurs
2.1.1 Les systèmes à deux composants
2.1.2 La virulence chez Staphylococcus aureus : le système agrBDCA
2.1.3 La compétence chez Streptococcus pneumoniae : le système comCDE
2.2 Détection intracellulaire des peptides autoinducteurs
2.2.1 Les transporteurs d’oligopeptides
2.2.2 Les effecteurs de la famille RNPP
2.2.3 Le système PapR/PlcR chez Bacillus cereus : virulence
2.2.4 Le système peptides phéromones / PrgX chez Enterococcus faecalis:
conjugaison
3. Le QS chez les bactéries à Gram négatif
3.1 Biosynthèse des N-AHL : les enzymes de la famille LuxI et LuxM
3.2 Caractéristiques des protéines de la famille LuxI
3.3 Sécrétion des N-AHL
3.4 Détection des N-AHL
3.4.1 Les systèmes luxIR
3.4.2 Les systèmes luxMN
4. La communication inter-espèces
5. Autres molécules de signalisation connues chez les bactéries
6. Conclusion
6.1 La complexité des réseaux de communication cellulaire
6.2 Le QS et les notions de diffusion et efficiency-sensing
Chapitre 3 : Les régulateurs transcriptionnels de la famille des Rgg
1. Présentation des protéines régulatrices Rgg
2. Les protéines Rgg « stand-alone »
2.1 Les protéines Rgg : production de glucosyltransférases
2.2 Les protéines RopB et RovS : régulation de la virulence
2.2.1 Le facteur de virulence SpeB chez Streptococcus pyogenes
2.2.2 L’adhérence aux cellules épithéliales chez Streptococcus agalactiae
2.3 Les protéines RggC et GadR : résistance au stress
2.3.1 La résistance au stress oxydatif chez Streptococcus thermophilus
2.3.2 Le système antiport glutamate/GABA chez Lactococcus lactis
2.4 Les protéines MutR et LasX : production de bactériocines
2.4.1 La mutacine I, II et III chez Streptococcus mutans
2.4.2 La lactocine S chez Lactobacillus sakei
2.5 Conclusion
3. Les protéines Rgg associées à de petits peptides hydrophobes
3.1 Détection de petits gènes dans l’environnement proche de gènes rgg
3.2 Un transporteur d’oligopeptides impliqué dans la réimportation de peptides
phéromones chez les streptocoques
3.2.1 Hypothèse d’un nouveau mécanisme de QS : les systèmes SHP/Rgg
3.2.2 Le contrôle de la compétence au sein du groupe salivarius
3.2.3 Le contrôle de la compétence chez les streptocoques du groupe pyogenes et
bovis : les systèmes XIP/ComR
3.3 Conclusion
Objectifs du travail de thèse
Résultats
Chapitre 1 : Implication des protéines Rgg dans des phénomènes de QS
1. Introduction et résultats préliminaires
2. Article 1
3. Conclusion
4. Résultats non publiés
4.1 Introduction
4.2 Matériel et méthode
4.3 Résultats principaux
4.4 Discussion
Chapitre 2 : Etude de l’interaction SHP/Rgg
1. Introduction
2. Matériel et méthode
3. Résultats
4. Discussion
Chapitre 3 : Prédiction des régulons SHP/Rgg
1. Contexte
2. Définitions
3. Matériel et méthode
4. Résultats
5. Discussion
Conclusion générale
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