Les régimes de l’open source solidarité, management et modèles d’affaires

L’open source : de la mutation d’une industrie à la révision conceptuelle d’objets en sciences de gestion. 

Le but de cette partie est d’exposer les enjeux et les problématiques liés au développement de l’open source qui sont au cœur de cette thèse. Nous décrivons d’abord les mutations provoquées par l’open source ainsi que la méthodologie adoptée pour notre recherche [Chapitre 2]. Plus précisément l’open source a conduit à trois grandes révisions conceptuelles [1.]. Premièrement, l’apparition d’un nouveau type de solidarité compatible avec : une distribution géographique, une ouverture à d’autres que le groupe initial et une implication des entreprises [1.1.]. Deuxièmement, le rôle de la production non-marchande est renouvelé. En effet, dans l’industrie informatique le non marchand a des liens très intenses et complexes avec le marché : d’un côté, certaines firmes utilisent le non-marchand comme un outil pour relancer la concurrence ; et d’un autre coté, certaines organisations à but non lucratif utilisent l’activité marchande pour remplir leurs objectifs [1.2]. Troisièmement, l’open source redéfinit la structure de l’industrie du logiciel en remettant en question le rôle des éditeurs, utilisateurs et intégrateurs ainsi que les rapports entre ces acteurs.

L’ampleur et l’intensité des changements provoqués par le logiciel libre fait émerger un ensemble d’interrogations synthétisées sous la forme de questions de recherche générales portant sur trois volets : l’organisation, la valorisation et l’innovation.

Volet 1 : l’organisation de l’open source.
• QR 1 : D’où provient le modèle racine à l’origine du premier logiciel libre ?
• QR 2 : Quelles sont les expansions de ce modèle, sur quels critères distinguer les formes résultantes et comment suivre les transformations organisationnelles dans l’open source ?

Volet 2 : la valorisation de l’open source.
• QR 3 : Comment les logiciels libres sont-ils financés et valorisés ?
• QR 4 : Quel est l’impact de l’open source sur l’industrie du logiciel ?

Volet 3 : l’innovation dans l’open source.
• QR 5 : Quels types d’innovations les organisations de l’open source produisent elles ?
• QR 6 : Quelle différence y a-t-il entre l’innovation dans les domaines du logiciel libre et du logiciel fermé ?

Ensuite, nous décrivons les principales méthodes employées dans le cadre de notre recherche. En premier lieu, nous présentons notre approche historique pour caractériser des objets émergents mettant en défaut les connaissances existantes et pour analyser des cas sur une longue période [2.1.]. En second lieu, nous présentons les opportunités offertes par internet en termes de nouvelles techniques de recherche [2.2.]. D’une part, l’entretien par internet introduit une dynamique inédite des savoirs au cours des entretiens : l’apprentissage externe. Ce mode d’entretien permet de mobiliser des connaissances autres que celle du chercheur et du répondant pour générer des questions qu’il n’aurait pas été possible de poser sans internet. D’autre part, la création d’un collège d’experts en ligne basé sur la logique et l’esprit de la technique « Delphi » propose une méthode contingente et innovante pour étudier l’innovation dans l’industrie du logiciel. De manière beaucoup plus classique, nous avons réalisé des études de cas pouvant être classifiées en deux catégories : les cas majeurs et mineurs. D’un côté, les cas majeurs ont largement contribué à la construction des différentes parties de notre travail ; de l’autre, les cas mineurs y ont apporté une contribution beaucoup moins importante.

La diffusion du logiciel libre : révisions conceptuelles et questions de recherche

Le logiciel libre a bouleversé bon nombre de notions que l’on imaginait jusqu’ici stabilisées. Il a remis en question : la représentation de la solidarité [1.1.], le rôle de la production non marchande [1.2.] et la structure de l’industrie du logiciel [1.3.]. Ces redéfinitions conduisent à la définition d’un ensemble de questions de recherche au centre de cette thèse publiée sur chatpfe.com.

Une nouvelle forme de solidarité

La notion de solidarité en sciences sociales désigne un élément liant des individus d’un collectif. Historiquement, la notion de solidarité s’est développée parmi des individus ayant une proximité géographique que se soit dans la littérature sur les communautés utopiques (Fourier 1845a, 1845b; More 1842, 1987; Tönnies 1922), les formes historiques de la solidarité (Ghilde, Corporation, Tontine) ou plus récemment en économie sociale et solidaire (Ardener 1964; Gasse-Hellio 2002; Mance 2003; Vanneuville-Zerouki 1999). Or, l’open source a donné naissance à des collectifs d’acteurs, de plus ou moins grande taille, géographiquement distribués liés par des liens de solidarité particuliers  . Ensuite, la solidarité est souvent synonyme d’économie autarcique avec peu d’interaction avec l’extérieur du groupe solidaire et encore moins d’impact marchand. En revanche, dans le cadre de l’open source, les communautés produisent des logiciels qui d’une part peuvent être utilisés par tous ceux qui le souhaitent (en respectant la licence d’utilisation) et d’autre part peuvent servir pour une valorisation plus ou moins directe sur le marché. Enfin, la notion de solidarité est normalement employée pour décrire les liens unissant des individus. Pourtant, dans l’open source il existe des collectifs d’entreprises et plus généralement d’organisations liées par des liens de solidarité comme en témoigne le cas OW2.

OW2 est une association de loi 1901 régie par ses propres organes de direction. Le consortium rassemble plus de 60 organisations de l’industrie informatique (Thales, France Telecom, Bull, etc.) et de la recherche (Focus, INRIA, CNRS, etc.) visant à développer une base technologique middleware en open source. OW2 est aussi un lieu où les collaborations industrielles sont abondantes.

OW2 n’est pas soumise aux lois anti-concentration car la production du consortium est publique : n’importe qui peut télécharger du code produit par OW2 sans aucune discrimination.

OW2 est issue de la fusion entre d’une part le consortium chinois OrientWare et d’autre part le consortium européen ObjectWeb. L’Europe et la Chine partagent toutes deux un grand intérêt pour le logiciel libre principalement du fait de la nature du tissu industriel de ces pays plutôt caractérisé par le métier d’intégration.

Le nouveau rôle de la production non marchande

En sciences économiques, l’activité marchande est considérée comme la normalité. Cependant, le logiciel libre remet en question la vision non économique de la production dite « non-marchande ». Les logiciels libres sont produits par des organisations mélangeant bénévolat, travail salarié et travail financé. Le marchand est tantôt le but de l’organisation (firmes) tantôt il ne constitue qu’un moyen de financement de la production. Le cas Mozilla est particulièrement caractéristique de cette seconde vision de l’activité marchande.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I. L’OPEN SOURCE : DE LA MUTATION D’UNE INDUSTRIE A LA REVISION CONCEPTUELLE D’OBJETS EN SCIENCES DE GESTION
CHAPITRE 1. LES REGIMES DE L’OPEN SOURCE : UNE SYNTHESE DES ENJEUX DE LA DIFFUSION DU LOGICIEL LIBRE
1. Une synthèse des enjeux organisationnels, économiques et technologiques de la diffusion du logiciel libre : apports des régimes de l’open source
2. Les principaux résultats et méthodologies
CHAPITRE 2. PROBLEMATIQUE ET METHODOLOGIE
1. La diffusion du logiciel libre : révisions conceptuelles et questions de recherche
1.1. Une nouvelle forme de solidarité
1.2. Le nouveau rôle de la production non marchande
1.3. La mutation de l’industrie du logiciel
2. Méthodologie : le web comme instrument de recherche
2.1. L’histoire au service de la recherche en gestion
2.2. Les méthodes d’investigation par internet : une nouvelle forme d’immersion
2.3. Les études de cas : capturer la variété des formes de l’open source
CHAPITRE 3. LES DEBATS DE LA LITTERATURE SUR LES FORMES D’ORGANISATIONS DE L’OPEN SOURCE
1. Les structures des communautés de l’open source
1.1. Les communautés de l’open source comme modèle d’innovation distribué
1.2. La gouvernance et la division du travail dans les communautés open source
2. Les firmes et l’open source
2.1. Les rapports entre firme et communautés
2.2. Les firmes comme initiateurs des communautés
PARTIE II. CARACTERISATION ET GENEALOGIE DU MODELE RACINE : LA COMBINAISON INEDITE ENTRE UN SYSTEME DE MANAGEMENT DE LA SOLIDARITE ET UN SYSTEME DE PRODUCTION DISTRIBUE
CHAPITRE 1. LES APPORTS ET LIMITES DE LA LITTERATURE EXISTANTE SUR LA  CARACTERISATION DES COMMUNAUTES
1. Cadre 1 : Les communautés de pratique et épistémique.
1.1. La notion de communauté de pratique
1.2. Les limites du rapprochement entre communauté de pratiques et communauté
d’utilisateurs-développeurs
1.3. Les communautés épistémiques
2. Cadre 2 : La « collective invention »
2.1. Les travaux de R. Allen ou l’émergence de la « collective invention »
2.2. Les communautés open source comme cas de « collective invention »
3. Cadre 3 : Les réseaux coopératifs
3.1. L’économie sociale et solidaire
3.2. La communauté d’utilisateurs-développeurs comme réseau coopératif
CHAPITRE 2. A LA RECHERCHE DES RACINES DE L’OPEN SOURCE (1) : RETOUR SUR L’HISTOIRE DE L’ACTION COLLECTIVE SOLIDAIRE.
1. De la notion de solidarité à la définition du diptyque charité/marché
1.1. La notion de solidarité en sciences humaines et sociales
1.2. Définition d’un cadre théorique : le diptyque charité/marché
2. Entre la charité et le marché
2.1. Le cas de la souscription : entre charité et donnant-donnant
2.2. Le cas de la « Rotating Credit Association » : l’archétype du donnant-donnant
3. Les formes historiques de la solidarité collective
3.1. Les collectifs à objet de solidarité stable
3.2. Les collectifs à objet de solidarité instable
4. Vers la caractérisation d’une action collective solidaire
5. Caractérisation de la communauté d’utilisateurs développeurs
5.1. La communauté d’utilisateurs-développeurs : un cas particulier de Système de Management de la Solidarité
5.2. La communauté d’utilisateurs-développeurs, un SMS au fonctionnement paradoxal : apports à la littérature
CHAPITRE 3. A LA RECHERCHE DES RACINES DE L’OPEN SOURCE (2) : RETOUR SUR LES FORMES DE PRODUCTION DISTRIBUEES
1. L’histoire des formes d’organisations collectives distribuées
1.1. La manufacture dispersée de Diderot et Alembert
1.2. L’industrie domestique
1.3. La franchise
2. La communauté d’utilisateurs-développeurs : une organisation collective distribuée
2.1. Caractéristiques communes à l’ensemble des formes d’organisations collectives distribuées.
2.2. Distribution et agglutination : deux notions pour décrire les systèmes de production distribués
2.3. Regard sur les éléments ayant permis l’apparition de la conception distribuée de logiciels par des communautés d’utilisateurs-développeurs
PARTIE III. DU MODELE RACINE A LA VARIETE DES ORGANISATIONS : L’EMERGENCE DES REGIMES DE L’OPEN SOURCE.
CHAPITRE 1. DE LA VARIETE DES ORGANISATIONS OU L’EMERGENCE DES REGIMES DE L’OPEN SOURCE.
1. Les fondements théoriques et pratiques des régimes de l’open source
1.1. Les limites de la notion de « community »
1.2. La technique de l’échantillonnage théorique
1.3. Les critères de sélection des cas.
2. L’hétérogénéité des organisations de l’open source : une étude empirique
2.1. Le cas Kexi ou un exemple du modèle racine
2.2. Le cas Freeworks : un modèle associatif
2.3. Le cas Mandriva : une firme de l’open source
2.4. Le cas OpenOffice.org : une communauté interentreprises
2.5. Le cas OW2 Consortium ou un exemple de consortium industriel
CHAPITRE 2. LA MODELISATION DES REGIMES DE L’OPEN SOURCE
1. La définition de paramètres organisationnels
2. De l‘étude de cas multiple à la génération d’idéaux-types
3. La caractérisation des régimes de l’open source
3.1. La firme de l’open source
3.2. La communauté d’utilisateurs-développeurs.
3.3. L’association d’utilisateurs-développeurs.
3.4. La communauté inter-organisations.
3.5. Le consortium de l’open source.
4. Des idéaux types au service de la description des formes hybrides de l’open source.
4.1. Relecture des cas sous l’angle de l’hybridation
4.2. L’utilisation du modèle du pentagone pour décrire les formes hybrides
CONCLUSION

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