Les récifs coralliens de la dernière déglaciation (0-20 ka BP)
Généralités sur les récifs coralliens
Le terme « récif » est utilisé dans notre cas pour définir une anomalie topographique rigide en surélévation par rapport au fond environnant, résultant de l’activité constructrice des coraux, et capable de croître en milieu de forte énergie hydrodynamique et de résister à l’action des vagues de tempête. Les coraux appartiennent à l’embranchement des Cnidaires, à la classe des Anthozoaires, à la sous-classe des Hexacoralliaires et à l’ordre des Scléractiniaires. Les coraux participant à l’édification des récifs tropicaux sont des espèces hermatypiques, c’est à-dire qu’elles possèdent des algues microscopiques symbiotiques (Dinoflagellés zooxanthelles) qui vivent à l’intérieur de leurs tissus. Ces coraux possèdent un squelette calcaire de nature aragonitique.
Les coraux Scléractiniaires hermatypiques, du fait de leur symbiose avec les algues zooxanthelles, sont soumis à des contraintes écologiques strictes. La tolérance des coraux aux conditions environnementales dépend des espèces. Les différentes exigences écologiques sont notamment:
(1) La température des eaux de surface : elle doit être comprise entre 18 et 35°C.
(2) Les nutriments : le développement des coraux nécessite des eaux appauvries en éléments nutritifs (conditions oligotrophes). Leur croissance est optimale lorsque les concentrations moyennes respectives des nitrates et des phosphates n’excèdent pas 2 et 0,2µmol/l respectivement (Montaggioni, 2007).
(3) La luminosité : les coraux ont besoin de lumière pour que l’activité photosynthétique de leurs algues symbiotiques soit assurée et se développent donc dans la zone euphotique (profondeur maximale de 50 m).
(4) L’énergie hydrodynamique : les coraux se développent aussi bien dans les eaux calmes que très agitées. L’énergie hydrodynamique a cependant un rôle sur la morphologie des colonies coralliennes : les formes coralliennes robustes domineront en milieu agité alors que les formes graciles domineront en milieu calme.
(5) La turbidité des eaux : les eaux doivent être claires. L’apport de particules en suspension, notamment par les rivières, entraîne une augmentation de la turbidité des eaux et ainsi une réduction de la pénétration de la lumière dans la colonne d’eau, ce qui a pour effet une diminution des taux de croissance des coraux.
Les récifs coralliens sont ainsi répartis actuellement dans les mers chaudes de la zone intertropicale entre 29° de latitude Nord et 31° de latitude Sud (Fig. I.2). Deux provinces de développement récifal peuvent être différenciées : a) la province Indo-Pacifique, comprise entre la côte du Mozambique (Afrique orientale) et les côtes occidentales de l’Amérique centrale, et b) la province Atlantique, incluant les côtes Brésiliennes et la mer des Caraïbes. Les récifs coralliens sont généralement absents des côtes occidentales des continents (Amérique et Afrique), en raison de la circulation de courants froids ou de la présence de remontées d’eaux froides (upwellings). Les récifs à coraux hermatypiques couvrent actuellement 600 000 km², c’est à dire 0,17% de la surface totale des océans et 15% des espaces côtiers entre 0 et 30 m de profondeur (Montaggioni, 2007).
Développement des récifs coralliens durant la dernière déglaciation
Les variations du niveau marin
Le Quaternaire, notamment les derniers 800 000 ans, est marqué par une succession de cycles climatiques majeurs (d’une fréquence de 100 000 ans) correspondant à une alternance de périodes glaciaires et interglaciaires. Ces cyclesclimatiques s’accompagnent de cycles de variations du niveau marin (variations glacio-eustatiques) d’une amplitude de l’ordre d’une centaine de mètres. Les pentes des îles et des continents tropicaux vont être ainsi successivement soumises à des phases de construction récifale lors de leurs immersions et à des phases d’érosion lors de leurs émersions.
L’étude de la morphologie des pentes externes récifales par des relevés bathymétriques (e.g. Webster et al., 2004c ; Camoin et al., 2006 ; Cabioch et al., 2008 ; Beaman et al., 2008) ou des observations par submersible (e.g. Dullo et al., 1998 ; Webster et al., 2004a,b) a montré l’existence de terrasses et récifs submergés étagés jusqu’à plusieurs centaines de mètres de profondeur. Ces terrasses et récifs émergés se trouvent sur les pentes supérieures des plateaux continentaux et des îles océaniques de nombreux sites comme les Caraïbes (MacIntyre, 1972 ; Hine et Steinmetz, 1984 ; Fairbanks, 1989), la Floride (Lightly et al., 1978), Mayotte (Dullo et al., 1998 ; Camoin et al., 2004), l’Inde (Vora et Almeida, 1990 ; Vora et al., 1996 ; Rao et al., 2003), Hawaii (Grigg et al., 2002 ; Webster et al., 2004a, 2010); Tahiti (Camoin et al., 2006), les Marquises (Rougerie et al., 1992 ; Cabioch et al., 2008), la Papouasie Nouvelle Guinée (Webster et al., 2004b,c) et l’Australie (Carter et Johnson, 1986 ; Harris et al., 2004).
Deux hypothèses principales peuvent expliquer l’origine de la morphologie des pentes, notamment celles comprises entre 0 et 120 m de profondeur (Beaman et al., 2008) :
– la morphologie des pentes serait contrôlée par le développement récifal au cours de la dernière remontée du niveau marin, durant la dernière déglaciation (6-20 ka BP) ;
– la morphologie des pentes correspondrait à une structure composite issue de la superposition de phases longues et complexes de croissance récifale épisodique et d’érosion sub-aérienne recouverte ensuite par une nouvelle phase de croissance récifale lors de la dernière déglaciation.
La deuxième hypothèse semble la plus probable (ex. Ebren, 1996 ; Hopley et al., 1997 ; Dullo et al., 1998 ; Camoin et al., 2001, 2004 ; Webster et al., 2004b ; Beaman et al., 2008) et la morphologie actuelle des pentes externes récifales des îles correspondrait ainsi à un héritage des variations du niveau marin enregistrées au cours des derniers cycles glaciaires. L’interprétation des terrasses marines nécessite donc la prise en compte des différents cycles quaternaires et non pas uniquement de la dernière déglaciation. Les récifs de la dernière déglaciation forment un ‘placage’ sur une morphologie héritée anté-LGM (dernier maximum glaciaire).
La dernière déglaciation, c’est-à-dire les 23 derniers millénaires, est marquée par une période de transgression marine importante de l’ordre de 120-130 m de 23 à environ 6 ka BP (âge différent selon les lieux) puis par une période de stabilisation du niveau marin à sa position actuelle durant les derniers millénaires. La position du niveau marin durant le dernier maximum glaciaire (23-20 ka BP) serait comprise entre -120 et -135 m par rapport au niveau marin actuel (Yokoyama et al., 2000, 2001 ; Peltier, 2002 ; Lambeck et al., 2002).
Les variations relatives du niveau marin lors de la dernière déglaciation peuvent être reconstituées en couplant les datations des coraux (U-Th et 14C) et la profondeur des coraux dans les forages en tenant compte de la paléobathymétrie à laquelle les coraux se sont développés. Les mouvements tectoniques verticaux locaux (subsidence et surrection) et les réajustements isostatiques doivent être pris en compte pour effectuer les corrections nécessaires.
La dernière déglaciation serait marquée par trois périodes d’accélération de la remontée du niveau marin associées à des périodes de débâcles glaciaires (périodes brèves d’accélération de la fonte des glaces) : les ‘Meltwater Pulses’ 1A et 1B (MWP-1A : ~14,5 ka BP et MWP-1B : ~11,5 ka BP, Fig I.3) déduits de l’enregistrement récifal de la Barbade, et le ‘LGM terminal’ (~19 ka BP) déduit d’enregistrements sédimentaires du Golfe de Bonarparte (Australie ; Yokoyama et al., 2001). Au cours de ces périodes particulières, les taux de remontée du niveau marin seraient d’environ 40 mm/an (15 m en moins de 500 ans) lors du MWP-1A (Bard et al., 1990), d’environ 25 mm/an lors du MWP-1B (Bard et al., 1990) et de l’ordre de 30 mm/an (pendant 500 ans) lors du ‘LGM terminal’ (Yokoyama et al., 2001).
Réponse des récifs à la remontée du niveau marin et aux changements environnementaux
Ces évènements de remontée rapide du niveau marin semblent avoir induit des évènements de déclin des récifs ou d’ennoiement (Blanchon et Shaw, 1995). C’est ainsi que quatre générations récifales ont été définies par Montaggioni (2005) : la génération RG0 qui se serait développée durant le dernier maximum glaciaire entre 23 et 19 ka BP, la génération RGI entre 18,5 ka et 14,7 ka BP, la génération RGII entre 13,8 ka et 11,5 ka BP et la génération RGIII de 10 ka BP à nos jours. Les édifices récifaux formant les générations RG0, RGI et RGII auraient été ennoyés lors des débâcles glaciaires ‘LGM terminal’ (~19 ka BP), MWP-1A (~14,5 ka BP) et MWP 1B (~11,5 ka BP) respectivement (Fairbanks, 1989 ; Bard et al., 1990 ; Montaggioni, 2005).
Les constructions récifales développées durant le dernier maximum glaciaire sont peu connues. Elles ont été identifiées par dragages et par prélèvements par submersibles sur les pentes externes profondes de certaines îles (Mayotte, Dullo et al., 1998 ; Marquises, Cabioch et al., 2008) et par forages de récifs soumis à un régime tectonique en surrection (Vanuatu, Cabioch et al., 1998, 2003). Dans l’Océan Indien, à Mayotte (Comores), des coraux sous forme de placages développés sur des surfaces karstiques au niveau des pentes profondes ont été datés à 18,4 ± 0,5 ka BP à 152 m. Ils correspondent à des assemblages algo-coralliens caractéristiques d’eaux peu profondes avec des coraux in-situ des genres Acropora et Porites et des croûtes d’algues corallinacées Hydrolithon onkodes. Des coraux remaniés provenant du démantèlement de ces formations peu profondes, trouvés à des profondeurs supérieures à 180m, ont des âges compris entre 19,1 ± 1,1 et 18,0 ± 0,5 ka BP (Dullo et al., 1998).
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Table des matières
I. INTRODUCTION GÉNÉRALE
I.1. Contexte général et problématique
I.2. Les récifs coralliens de la dernière déglaciation (0-20 ka BP)
I.2.1. Généralités sur les récifs coralliens
I.2.2. Développement des récifs coralliens durant la dernière déglaciation
I.3. Les microbialithes
I.3.1. Définitions
I.3.2. Les microbes impliqués dans la formation des microbialithes
I.3.3. Processus de formation des microbialithes
I.3.4. Distribution temporelle des microbialithes
I.3.5. Les microbialithes récifales quaternaires
I.4. Objectifs et méthodes
II. SITE D’ÉTUDE ET MATÉRIEL
II.1. Description du site d’étude
II.1.1. Localisation
II.1.2. Contextes géologique et géomorphologique
II.1.3. Conditions environnementales physiques générales
II.1.4. Récifs modernes
II.2. Matériel d’étude
III. COMPOSITION BIOLOGIQUE ET ÉVOLUTION DES SÉQUENCES RÉCIFALES POST-GLACIAIRES
III.1. Composition biologique des séquences récifales post-glaciaires
III.1.1. Les assemblages algaires
III.1.2. Les assemblages coralliens
III.1.3. Les microbialithes
III.1.4. Autres composants biologiques
III.2. Évolution de la composition biologique des séquences récifales postglaciaires : reconstitution de la croissance récifale
III.2.1. Évolution des séquences récifales de Tiarei
III.2.2. Article 1: Reef response to sea-level and environmental changes during the last deglaciation. IODP Expedition 310 “Tahiti Sea Level”: to be submitted to Geology
III.2.3. Évolution des séquences récifales de Maraa
III.2.4. Sommets de séquences
III.2.5. Comparaison des séquences de Tiarei, Maraa et Papeete
III.3. Conclusions
IV. PARAMÈTRES DE DÉVELOPPEMENT DES MICROBIALITHES : IMPLICATIONS SUR L’ARCHITECTURE DES RÉCIFS
IV.1. Article 2: Microbialite development patterns in the last deglacial reefs from Tahiti (French Polynesia; IODP Expedition #310): implications on reef framework architecture: Submitted to Marine Geology
IV.1.1. Introduction
IV.1.2. Regional setting
IV.1.3. Material
IV.1.4. Methods
IV.1.5. Results
IV.1.6. Discussion
IV.1.7. Conclusions
IV.2. Additional informations
IV.2.1. CT-scan
IV.2.2. Density separations
IV.3. Environmental significance of microbialites in last deglacial reefs from Tahiti
IV.3.1. Introduction
IV.3.2. Methods
IV.3.3. Results and discussion
IV.3.4. Conclusions
V. CONCLUSION