Les récepteurs à l’acétylcholine de type nicotinique (nAChRs) ont la plus ancienne histoire d’études expérimentales parmi les récepteurs connus. En effet, dès le début du XXème siècle, John Newport Langley suggère l’existence de récepteurs impliqués dans la transduction et la reconnaissance des signaux chimiques (Langley 1907). Dans ses études concernant la contraction musculaire chez la grenouille, il démontre que le curare abolit la contraction tonique observée en présence de nicotine. En 1914, Dale démontre la présence de deux types de récepteurs à l’acétylcholine en fonction de leur profil pharmacologique: les récepteurs muscariniques sensibles à la muscarine et les récepteurs nicotiniques sensibles à la nicotine (Dale 1914).
Les récepteurs nicotiniques des Vertébrés: un modèle de récepteur pentamérique
La famille des récepteurs canaux activés par un ligand (LGIC)
Les récepteurs canaux activés par un ligand (LGICs, « Ligand Gated Ion Channels») sont répartis en trois superfamilles (Le Novère et Changeux 2001; pour revue Connolly et Wafford 2004) :
▶ La superfamille des récepteurs au glutamate, comprenant les récepteurs au NMDA (N-méthyl-D-aspartate), les récepteurs à l’AMPA (acide α-amino-3- hydroxy-5-methyl-4-isoxazolepropionique) et les récepteurs au kainate. Ces récepteurs sont constitués de quatre sous-unités homologues comprenant chacune quatres domaines transmembranaires (Wollmuth et Sobolevsky 2004).
▶ La superfamille des récepteurs à l’ATP (adénosine triphosphate) qui sont formés de trois sous-unités homologues à deux domaines transmembranaires (Brake et coll. 1994).
▶ La superfamille des récepteurs à « cys-loop » (cysLGICs) .
Chez les Vertébrés, la superfamille des cysLGICs comprend à la fois des récepteurs avec une perméabilité anionique ou cationique et l’analyse phylogénétique montre que ces récepteurs partagent un ancêtre commun (Ortells et Lunt 1995; pour revue Connolly et Wafford 2004).
On distingue quatre grandes classes de récepteurs cysLGICs:
✦ Les récepteurs à l’acétylcholine de type nicotinique (nAChRs) perméables aux cations.
✦ Les récepteurs à l’acide γ-aminobutyrique (GABA) de type GABAA et GABAC, majoritairement perméables aux anions.
✦ Les récepteurs à la glycine perméables aux anions.
✦ Les récepteurs à la sérotonine de type 5-HT3 perméables aux cations.
Les récepteurs de la « super-famille » des cysLGICs présentent une structure homogène et sont notamment constitués de cinq sous-unités homologues. Les sous-unités composant ces récepteurs présentent un profil d’hydrophobicité similaire et une structure caractéristique (Grutter et Changeux 2001; Le Novère et Changeux 2001):
❖ Un large domaine hydrophile amino terminal (N-terminal) extracellulaire
❖ Quatre segments transmembranaires hydrophobes (notés TM1 à TM4)
❖ Une large boucle intracellulaire entre les domaines TM3 et TM4
❖ Un petit domaine hydrophile carboxy terminal (C-terminal) extracellulaire .
La principale caractéristique de ces sous-unités est la présence d’une boucle de cystéines (« cys-loop ») au niveau du domaine N-terminal, correspondant à un pont disulfure entre deux cystéines séparées par 13 acides aminés (Le Novère et coll. 2002a; Brejck et coll. 2001). Parmi les cysLGICs, les nAChRs constituent le modèle de référence de ces récepteurs pentamériques (Lindstrom 2001). En effet, l’étude des nAChRs purifiés de la torpille (Torpedo californica ou Torpedo marmorata) et le perfectionnement des techniques d’imagerie, en particulier la microscopie électronique à faible dose et la cryo-microscopie électronique, ont permis de collecter des informations de plus en plus précises sur la structure de ces récepteurs (Unwin et Fujiyoshi 2012).
Structure tridimensionnelle du récepteur nicotinique de la torpille
La structure tridimensionnelle des nAChRs de l’organe électrique de la torpille a tout d’abord été déterminée à une résolution de 9 Å (Unwin 1993). Les coupes transversales et longitudinales ainsi obtenues par microscopie électronique montrent déjà clairement une structure pentamérique de 80 Å de diamètre et 110 Å de long. De plus, les cinq sous-unités transmembranaires constituant le récepteur s’avèrent être situées à équidistance autour d’un axe pseudo-symétrique central formant un pore de 65 Å de diamètre (Miyazawa et coll. 1999). La structure du récepteur a ensuite été précisée à une résolution de 4,6 Å (Unwin 2003) puis à 4 Å, permettant la construction d’un modèle affiné (Unwin 2005). Dans ce modèle, le nAChR semble avoir une longueur d’environ 160 Å perpendiculairement à la membrane et est organisé en trois parties: (1) un domaine extracellulaire (DEC) ou domaine de liaison des ligands, qui présente un vestibule central d’environ 60 Å de long pour 20 Å de large, et qui possède deux sites de liaison pour l’ACh; (2) un domaine transmembranaire (DTM) qui constitue le pore du canal et (3) un domaine intracellulaire (DIC), qui possède un vestibule de plus petite taille que celui du DEC et enfin une courte extrémité C-terminale extracellulaire . Le DEC est organisé autour de deux séries de feuillets β alignées formant une structure appelée « sandwich β » qui sont associées par des ponts disulfures. Le DTM est constitué de quatre segments d’hélices α transmembranaires (TM1 à TM4) qui délimitent le pore du canal. Les hélices TM2 sont rapprochées et forment une ceinture hydrophobe au niveau du pore du canal, constituant ainsi une barrière imperméable aux ions lorsque le récepteur est à l’état fermé. Au contraire, le TM4 est situé à distance du pore et est plus en interaction avec la membrane plasmique. De plus, comme son nom l’indique, le DTM traverse complètement la membrane mais, de manière plus surprenante, environ 25% de chaque hélice α se situe au dessus de la membrane au niveau extracellulaire (Unwin 2003; Unwin 2005). Par ailleurs, le DIC (situé entre les TM3 et TM4) semble constitué d’une seule grande hélice α chez Torpedo mais serait plutôt formé d’un mélange d’hélices α et de feuillets β pour les autres sous-unités de nAChRs (Unwin 2005; Albuquerque et coll. 2009).
Structure moléculaire des récepteurs nicotiniques et nomenclature
Structure des sous-unités formant le récepteur
Les sous-unités participant à la formation des récepteurs présentent toutes une structure similaire, les motifs fonctionnels importants dans la liaison de l’ACh étant notamment conservés. Ainsi, chaque sous-unité est constituée d’un domaine N-terminal extracellulaire suivi de quatre domaines transmembranaires (TM1 à TM4) et d’une boucle carboxy-terminale extracellulaire (Grutter et Changeux 2001; Le Novère et Changeux 2001) . De plus, l’assemblage de ces sous-unités pour former le canal ionique leur confère un rôle particulier dans le fonctionnement du récepteur . En effet, la région N-terminale est impliquée dans la liaison des agonistes et comprend six boucles notées A à F et est caractérisée par la présence d’une « cys-loop », qui est indispensable à la formation des nAChRs. En effet, la mutation d’une des cystéines de la « cys-loop » entraine un blocage de l’assemblage des sous-unités au stade de trimère chez la torpille (Green et Wanamaker 1997). D’autre part, le segment TM1 est lié au domaine de liaison de l’ACh suggérant un rôle d’intermédiaire dans l’activation du récepteur (Rush et coll. 2002). Ce segment serait également impliqué dans l’assemblage des sous-unités adjacentes (Wang et coll. 1996; Alves et coll. 2011). Le segment TM2 constitue l’essentiel du pore du canal ionique et contient des acides aminés qui influencent la conductance du canal (Imoto et coll. 1986; Imoto et coll. 1988). Enfin, les domaines TM3 et TM4 sont impliqués dans le coassemblage des sous-unités et l’expression fonctionnelle des récepteurs au niveau de la membrane cellulaire (Kuo et coll. 2005). Par ailleurs, on observe la présence d’une large boucle cytoplasmique située entre les domaines TM3 et TM4 et dont la longueur varie en fonction des sous-unités. Cette boucle est impliquée dans la régulation des récepteurs nicotiniques. En outre, des acides aminés spécifiques de cette boucle peuvent être phosphorylés et par conséquent entrainer la modulation de la réponse physiologique (Grutter et Changeux 2001; Unwin 2005; Castelan et coll. 2007). Certains acides aminés hydrophobes de cette boucle, principalement des leucines (L351, L357, L358 pour la sousunité α4; L343, L349, L350 pour la sous-unité β2; L321 pour la sous-unité α7), sont importants pour l’expression des récepteurs au niveau de la membrane cellulaire (Ren et coll. 2005; Castelan et coll. 2007).
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1. PRESENTATION GENERALE ET STRUCTURE MOLECULAIRE DES RECEPTEURS NICOTINIQUES
1) LES RECEPTEURS NICOTINIQUES DES VERTEBRES : UN MODELE DE RECEPTEUR PENTAMERIQUE
1.1) La famille des récepteurs canaux activés par un ligand (LGIC)
1.2) Structure tridimensionnelle du récepteur nicotinique de la torpille
2) STRUCTURE MOLECULAIRE DES RECEPTEURS NICOTINIQUES ET NOMENCLATURE
2.1) Structure des sous-unités formant le récepteur
2.2) Diversité des sous-unités chez les Vertébrés
2.3) Classification pharmacologique des récepteurs nicotiniques
3) SITES DE LIAISON DES LIGANDS
3.1) Topologie des sites de liaison
3.2) Identification des résidus impliqués dans la liaison des ligands
4) STRUCTURE DYNAMIQUE DU RECEPTEUR NICOTINIQUE
CHAPITRE 2. DIVERSITE DES SOUS-UNITES DE RECEPTEURS NICOTINIQUES CHEZ LES INSECTES
1) LES GENES CODANT POUR LES SOUS-UNITES DE NACHRS CHEZ LES INSECTES
2) DIVERSITE DES SOUS-UNITES PAR MODIFICATIONS POST-TRANSCRIPTIONNELLES
2.1) Modification de sous-unités d’insectes par épissage alternatif
2.1.1) Les différents mécanismes d’épissage alternatif
2.1.2) Identification d’isoformes épissées chez les insectes
2.1.3) Implications fonctionnelles de l’épissage alternatif
2.2) Edition des sous-unités d’insectes
2.2.1) Identification d’isoformes éditées chez les insectes
2.2.2) Conséquences fonctionnelles de l’édition
2.2.3) Lien entre les mécanismes d’édition et d’épissage
CHAPITRE 3. ETUDE PHARMACOLOGIQUE DES RECEPTEURS NICOTINIQUES D’INSECTES
1) IDENTIFICATION DE DIFFERENTS SOUS-TYPES PHARMACOLOGIQUES
1.1) Caractérisation des différents sous-types de nAChRs d’insectes par des approches électrophysiologiques
1.2) Identification de sous-types de récepteurs par des tests de liaison par affinité
2) INFLUENCE DE LA NATURE DES SOUS-UNITES SUR LES PROPRIETES PHARMACOLOGIQUES DES RECEPTEURS
CHAPITRE 4. MODE D’ACTION DES INSECTICIDES NEONICOTINOÏDES SUR LES RECEPTEURS NICOTINIQUES NEURONAUX DES INSECTES
1) HISTORIQUE
2) TOXICITE DES NEONICOTINOÏDES IN VIVO
3) PHARMACOLOGIE DES INSECTICIDES NEONICOTINOÏDES
3.1) Effet des néonicotinoïdes sur les nAChRs synaptiques et extrasynaptiques
3.2) Sites de liaison des insecticides néonicotinoïdes sur les nAChRs
3.3) Site de liaison des néonicotinoïdes chez le puceron : disparité des données obtenues
3.4) Nature des sous-unités impliquées dans la liaison des néonicotinoïdes
3.5). Modulation du mode d’action des insecticides néonicotinoïdes par les voies de régulation intracellulaire
4) MECANISMES DE RESISTANCE AUX NEONICOTINOÏDES
CONCUSION