Coup d’œil sur les céramides
Les Céram ides proviennent, comme d’ autres intermédiaires bioactifs, de la Voie métabolique des sphingolipides (Cuvillier et al., 1996). Ils font référence à une famille de molécules lipidiques très proches les unes des autres, comptant au moins 50 molécules distinctes se différenciant par leurs chaînes d’ acides gras. Celles-ci peuvent se composer de chaînes hydrocarbonées comptant de 2 à 24 atomes de carbones, mais celles qui en possèdent plus de 16 sont les plus fréquemment rencontrées dans la cellule eucaryote (Ben-David and Futerrnan, 2010). Les céramides sont considérées comme un point de convergence dans le métabolisme sphingolipidique, car ils occupent une position centrale dans la biosynthèse et le catabolisme des sphingolipides, assurant le rôle de précurseur de nombreux messagers lipidiques comme la sphingosine et la sphingosine-1-phosphate (voir Figure 1.1). Ils sont donc les chefs de file des sphingolipides bioactifs et peuvent être générés dans la cellule eucaryote par différentes voies métaboliques (Bartke and Hannun, 2009). La première voie est la synthèse dite de novo, commençant par la condensation du palmitoyl-CoA avec un acide aminé, la sérine. Cette réaction est connue pour mener à la formation de céramides à la surface cytosolique du réticulum endoplasmique (Tidhar and Futerman, 2013).
De là, les céramides peuvent être réorientés vers l’ appareil de Golgi, le site majeur de biosynthèse des sphingolipides complexes, où ils subissent une transformation en sphingomyéline et en glycosphingolipide (Wattenberg, 2010b). Les céramides peuvent également être générés par une seconde voie, le « cycle de la sphingomyéline ». Le cycle en question débute par un stimulus extracellulaire (choc thermique, stress oxydatif, cytokines) permettant d’ induire l’ activation de l’enzyme sphingomyélinase (SMase) et, conséquemment, l’ hydrolyse spécifique de la sphingomyéline (Hannun, 1994). Le tout converge alors vers une augmentation des niveaux intracellulaires de céramides, et ce, principalement au niveau du feuillet interne de la membrane cytoplasmique (Huwiler et al., 2000). Les céramides sont d’importants seconds messagers impliqués dans de nombreux processus biologiques tels que l’ induction de l’ apoptose, de la différenciation, l’ inhibition de la prolifération et la régulation du processus inflammatoire (Gorski et al., 2002). Fonctionnellement, les céramides sont des médiateurs et coordinateurs de la réponse au stress chez les eucaryotes (Hannun, 1996).
Les céram ides ont aussi des fonctions structurales, puisqu’ils contribuent à l’ordonnancement lipidique des membranes et affectent leur perméabilité (Ruvolo, 2003). Les membranes biologiques présentent des domaines aux propriétés particulières, moins fluides, où les lipides sont organisés en phase « liquide-ordonnée », insolubles dans les détergents à froid. Ces microdomaines lipidiques ou « rafts » présents dans la bicouche lipidique sont enrichis en sphingolipides et en cholestérol. Ils servent de plateformes de signalisation régulant la disponibilité des récepteurs et protéines transmembranaires (van Meer and Lisman, 2002). Jusqu’à 70 % de la sphingomyéline cellulaire peut être trouvée dans les rafts, et de nombreuses études montrent que son hydrolyse en céramide par la SMase se produit dans les rafts (Pettus et al., 2002, Chakraborty and Jiang, 2013). Cette formation de céramide altère leurs propriétés. Ainsi, dans divers types cellulaires, l’activation de la SMase induite par de nombreux stimuli conduit rapidement à la formation de « platefonnes » enrichies en céram ides, qui fusionnent pour former des domaines plus larges, nécessaires à l’oligomérisation des récepteurs et à la transmission de leur signal (Kolesnick, 2002). De fait, moult protéines sont connues pour être attirées ou encore repoussées de ces microdomaines lipidiques durant la transmission d’un signal. Citons par exemple les protéines G, le récepteur à l’ insuline et le récepteur du facteur de croissance de l’épiderme (EGF) (Zhang et al., 2009a).
Céramides et Alzheimer
L’examen post mortem du cerveau de patients décédés de la maladie d’Alzheimer a mis en évidence un bas niveau de sphingomyéline et un niveau élevé de céram ides, suggérant une implication de la conversion de la sphingomyéline en céram ides par l’enzyme SMase neutre dans cette pathologie neurodégénérative (He et al., 2010). De plus, des études réalisées sur des membranes neuronales isolées de différentes régions du cerveau présentant des lésions caractéristiques de l’Alzheimer ont montré une augmentation du niveau de céramides (Han et al., 2002, Cutler et al., 2004). Fait intéressant, l’ accumulation excessive de céramides semble être associée à l’apparition des dommages neuronaux typiques des cerveaux Alzheimer. Il s’agit, en réalité, de lésions histopathologiques caractérisées par des amas extracellulaires d’amyloïdes et d’une dégénérescence neurofibrillaires intracellulaire (Haughey et al., 2010). Sur le plan quantitatif, l’étude récente de Michelle Mielke de la Clinique Mayo (Rochester) donne un éclairage impressionnant sur la contribution des céramides dans la maladie d’Alzheimer (Mielke and Haughey, 2012).
Cette étude démontre que les femmes possédant de hautes concentrations de céram ides dans le sang présentent un risque dix fois plus important que la normale de développer une démence de type Alzheimer. On ne manque pas d’hypothèse pour expliquer cette corrélation. On sait par exemple que l’accumulation dans les cerveaux Alzheimer du fragment toxique de la f3-amyloïde de 42 acides aminés est susceptible de favoriser l’activité SMase et, conséquemment, la formation excessive de céramides (Lee et al., 2004). Par ailleurs, l’étude des espèces moléculaires en cause laisse présager que le dérèglement lipidique le plus drastique concerne, de fait, un dérivé lipidique des céramides, la galactosylcéramide (Hejazi et al., 2011). Des résultats .récents suggèrent que ce dérivé constitue une composante importante de la cavéole, une vésicule d’endocytose issue des rafts lipidiques et contenant une proportion importante de récepteurs membranaires (Haidar, 2012). Il est évidemment permis d’ imaginer que cette augmentation de céram ides et/ou de ses dérivés pourrait se trouver impliquée dans l’ élagage des fonctions neuronales réceptrices. De ce point de vue, notre étude se penche sur la possibilité que des niveaux élevés de céramides soient en mesure d’ altérer la fonction des récepteurs muscariniques pour le neurotransmetteur acétylcholine.
L’acétylcholine: une clef pour comprendre le fonctionnement du cerveau
L’acétylcholine (abrégée ACh) est un neurotransmetteur qui joue un rôle important dans le système nerveux central. La vaste majorité des neurones cholinergiques proviennent de la base du cerveau. L’ hippocampe, structure centrale de la consolidation mnésique de la mémoire, reçoit la majorité de son apport cholinergique par les neurones provenant des noyaux du septum médian (Mesulam, 1996). Par ailleurs, les autres régions du cortex cérébral sont innervées principalement par le noyau basal de Meynert (Figure 1.2). Ensemble, ces nombreuses projections cholinergiques interviennent dans la mise en oeuvre de fonctions cérébrales diverses telles que le développement neuronal, la modulation de l’activité corticale, le contrôle du flux sanguin cérébral ainsi que sur les cycles de veille et de sommeil (Picciotto et al., 2012). Au niveau de la cognition, l’ ACh agit dans le cerveau pour améliorer la réflexion, la mémoire, l’attention et la capacité d’accomplir des tâches motrices simples (Hasselmo and Sarter, 2011).
Comme bon nombre de neurotransmetteurs, l’ACh est stockée à concentration élevée dans les vésicules situées dans les terminaisons nerveuses. Elle est formée à partir de la choline et d’un acide acétique activé (acétylcoenzyme A) sous l’action d’ une enzyme, la choline-acétyl-transférase. Lorsque stimulé, le neurone cholinergique libère le contenu de ses vésicules et l’ACh diffuse alors rapidement à travers la fente synaptique pour atteindre des récepteurs cibles (ou cholinergiques) situés sur des membranes synaptiques (Prado et al., 2002). Certains de ces récepteurs peuvent être stimulés par un alcaloïde, la m,uscarine, il s’agit en fait des récepteurs muscariniques (ou récepteurs cholinergiques de type M). On retrouve, par ailleurs, des récepteurs cholinergiques de type N capables de fixer la nicotine. On le sait, l’ACh possède un temps d’action limité sur ses récepteurs et est rapidement inactivée par une enzyme extracellulaire, l’acétylcholinestérase (AChE). S’agissant de l’AChE, des inhibiteurs pharmacologiques spécifiques pour cette enzyme sont généralement utilisés afin d’accroitre les niveaux extracellulaires d’ACh dans des situations pathologiques caractérisées par un déficit cholinergique (Takeda et al., 2006). On y reviendra.
Bien que les récepteurs de types nicotiniques exercent une action essentielle sur l’excitabilité neuronale, les récepteurs de types muscariniques sont, de loin, les récepteurs cholinergiques les plus abondants du cerveau. Il s’agit en fait d’une grande famille de récepteurs à 7 domaines transmembranaires subdivisée en 2 catégories (Hulme et al., 1990, Caulfield and Birdsall, 1998), La première contient les récepteurs qui ont une localisation préférentielle pour la région postsynaptique du neurone, soit les sous-types muscariniques Ml, M3 et MS. Ces récepteurs, couplés à une protéine G de la famille Gqll \, ont pour effet d’ accroitre l’activité de la phospholipase Cet, conséquemment, la mobilisation intracellulaire du calcium dans l’élément postsynaptique. La deuxième catégorie comprend les sous-types M2 et M4 qui sont liés avec une protéine G de la famille Gi/o. Ces derniers sont situés essentiellement au niveau des neurones présynaptiques et inhibent l’adénylate cyclase, ce qui a pour effet de diminuer les concentrations cytoplasmiques d’AMPc. Dans les faits, les récepteurs situés au niveau présynaptique ont comme rôle l’ inhibition de la transmission cholinergique (Eglen, 2006).
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Table des matières
REMERCIEMENTS
RÉSUMÉ
LISTE DES FIGURES
LISTE DES ABRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES
CHAPITRE 1 INTRODUCTION
1.1 Généralités
1.2 Coup d’oeil sur les céramides
1.3 Céram ides et Alzheimer ..
1.4 L’ acétylcholine: une clef pour comprendre le fonctionnement du cerveau
1.5 Alzheimer et déficit cholinergique
1.6 Récepteurs cholinergiques et céramides : ils ne feraient pas bon ménage
CHAPITRE II HYPOTHÈSE ET OBJECTIF DE RECHERCHE
2.1 Est-ce que l’ application de SMase neutre conduit à la production de céramides dans des tranches d’hippocampe?
2.2 Est-ce que l’ application de SMase neutre se voit capable d’ affecter la régulation muscarinique des réponses GABAergiques de 1′ hippocampe?
2.3 Est-ce la distribution cellulaire des récepteurs muscariniques est affectée par l’ application de SMase neutre sur l’hippocampe?
2.4 Est-ce que l’ interaction des récepteurs muscariniques avec les protéines kinases GRK-2 et la protéine d’ internalisation ~-arrestine est affectée par la SMase neutre?
CHAPITRE III MÉTHODOLOGIE GÉNÉRALE
3.1 Préparation des tranches d’hippocampe
3.2 Aspects électrophysiologiques de la modulation GABAergique par les récepteurs muscariniques
3.3 Le dosage membranaire des récepteurs muscariniques
CHAPITRE IV SPHINGOMYELINASE SELECTIVELY REDUCES Ml MUSCARINIC RECEPTORS IN RAT HIPPOCAMP AL MEMBRANES
4.1 Résumé de l’article
4.2 Contribution des auteurs
4.3 Article
Abstract.
Introduction
Materials and Methods
Slice preparation and treatrnents
Measurement of SMase activity
Results
SMase impairs pilocarpine-induced enhancement of GABAAmediated responses in CAl pyramidal cells
SMase decreases the membrane surface expression of Ml muscarinic receptors in rat hippocampal slices
SMase increases Ml muscarinic receptor interactions with GRK-2 and 13-arrestins
Discussion
References
Figure legends
CHAPITRE V DISCUSSION
5.1 Céramides et régulation muscarinique des réponses inhibitrices de l’hippocampe
5.2 Céramides et internalisation des récepteurs muscariniques de type Ml dans l’hippocampe
5.3 Céram ides et dérivés bioactifs
5.4 Céramides et pathologie Alzheimer
5.5 Conclusion
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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