Les récepteurs couplés aux protéines G
La capacité des organismes multicellulaires, qu’ils soient animaux ou végétaux, à réagir aux signaux provenant de leur environnement est déterminante pour leur survie et leur développement. Cette nécessité d’adaptation, essentielle au maintien de l’équilibre de l’organisme, apparaît dès l’échelle cellulaire à travers un processus de communication finement « orchestré » avec le milieu environnant. La communication cellulaire peut être définie comme l’ensemble des mécanismes permettant à une cellule de recevoir, d’intégrer et de répondre aux signaux émis par son environnement. Cet ensemble de mécanismes (réception, transduction des messages et génération d’une réponse cellulaire appropriée) nécessite la présence de protéines membranaires capables de capter, décoder et relayer les différents stimuli du milieu extracellulaire en signaux intracellulaires. Ce processus implique l’activation coordonnée de différents effecteurs tels que des enzymes, des canaux ioniques ou des facteurs de transcription. Ces réactions moléculaires en cascade constitue le processus de transduction du signal, à l’origine du déclenchement d’une réponse biologique de la cellule cible (migration, sécrétion, mitose, expression génique, …).
Les récepteurs membranaires représentent donc l’interface entre un stimulus extracellulaire et sa perpétuation dans le cytosol. Ces récepteurs appartiennent à plusieurs classes de protéines, que l’on peut différencier selon leur mode d’action et leur structure moléculaire. On distingue notamment les récepteurs de type canaux ioniques (récepteurs ionotropiques) et les récepteurs associés à une activité enzymatique (récepteurs métabotropiques). Les récepteurs métabotropiques sont eux-mêmes subdivisés en deux grandes classes de récepteurs selon le type d’enzyme associée, les récepteurs associés à une activité tyrosine kinase et les récepteurs couplés aux protéines G (RCPG).
Généralités
Les RCPG sont certainement parmi les plus anciens transducteurs de signaux. En effet, ils sont présents chez les plantes, les levures, les champignons, ainsi que les protozoaires et les métazoaires diploblastiques. Ils interviennent dans tous les grands systèmes de communication intercellulaire. Par comparaison les récepteurs à tyrosine kinase n’apparaissent qu’avec les métazoaires triploblastiques. Chez l’homme, il existe plus de 1000 RCPG différents, dont plus de la moitié, sont des récepteurs olfactifs (Bockaert and Pin 1999) (Fredriksson and Schioth 2005). 3% du génome humain est consacré à cette famille de protéine. Cela fait de la famille des RCPG, une des plus grandes classes de protéines du génome humain.
Les ligands des RCPG sont d’une très grande diversité chimique. Ils incluent des photons, des ions (Ca2+), des stimuli sensoriels (molécules olfactives, gustatives et phéromones), des petites molécules endogènes (acides aminés, amines, nucléotides, lipides et peptides endogènes), des composés exogènes (cannabinoïdes, peptides d’amphibiens: ranatensine ou bombésine), des composés impliqués dans les réactions du système immunitaire (chimiokines, anaphylatoxines C3a et C5a du complément, peptides N formylés chimiotactiques) et des protéines (hormones glycoprotéiques, protéases) (Vassilatis, Hohmann et al. 2003). Le signal apporté par le stimulus extracellulaire est transmis à l’intérieur de la cellule par l’intermédiaire du récepteur qui la plus part du temps active une protéine hétérotrimérique, liant les nucléotides guanyliques di- ou triphosphate (GDP/GTP), aussi appelée protéine G, d’où l’appellation récepteurs couplés aux protéines G. Ces protéines transmettent le signal provenant du récepteur à différents effecteurs intracellulaires permettant l’amplification du signal et la genèse d’une réponse cellulaire appropriée (Figure I-1). Les premiers RCPG ont été décrits comme des récepteurs capables de moduler l’activité d’une enzyme membranaire, l’adénylyl cyclase (AC), via l’activation des protéines G (Rodbell 1992). Mais au fil du temps, il est apparu que les RCPG régulent d’autres effecteurs tels que des canaux ioniques ou encore des kinases. De plus, il est maintenant clair que les RCPG interagissent de façon directe ou indirecte avec un nombre important de protéines régulatrices ou des protéines d’échafaudage créant ainsi une plateforme fonctionnelle de signalisation qualifiée de «réceptosome » (Bockaert, Roussignol et al. 2004). Enfin les RCPG ne sont plus considérés comme des entités monomériques depuis la mise en évidence de dimères (homoou hétérodimères) de RCPG, même si l’existence de ces dimères semble transitoire (Mizoue, Bazan et al. 1999; Garton, Gough et al. 2001; Prinster, Hague et al. 2005; Kasai and Kusumi 2014). Aussi, au vu de la multitude de signaux qu’ils transmettent et, de ce fait, du grand nombre de processus physiologiques qu’ils contrôlent (modulations cardio-vasculaires, neurotransmission, régulations hormonales, réponses immunitaire et inflammatoire, douleur,…) la compréhension du mode de fonctionnement et de régulation des RCPG est capitale, plus particulièrement dans le domaine pharmaceutique. A l’heure actuelle on estime que plus de 60% des médicaments utilisés ont pour cible un protagoniste de la voie de transduction via les RCPG (Bockaert and Pin 1999; Fong, Alam et al. 2002).
Structures des RCPG
Jusqu’en Octobre 2007, la rhodopsine bovine était le seul récepteur de la famille des RCPG dont la structure cristallographique était résolue. De ce fait elle a longtemps été utilisée comme modèle des RCPG.
A l’heure actuelle, plus d’une dizaine de structures cristallographiques de RCPG ont été obtenues (Ozaki, Shibasaki et al. 2000; Cullere, Shaw et al. 2005), dont celle des récepteurs β1 et β2-adrénergique, du récepteur A2 de l’adénosine (Warne, Serrano-Vega et al. 2008) (Jaakola, Griffith et al. 2008) ou encore celle du CXCR1 (Geissmann, Jung et al. 2003). La comparaison des séquences de ces RCPG révèle une topologie membranaire commune à tous les membres de cette superfamille : sept segments hydrophobes transmembranaires organisés en hélice α, particulièrement bien conservés et composés chacun d’environ 25 à 35 acides aminés (aa) organisés en un tonnelet tridimensionnel (Figure I-2). Ces segments transmembranaires sont reliés entre eux par trois boucles cytoplasmiques (ICL) et trois boucles extracellulaires (ECL). Les extrémités N-terminale et C-terminale se situent respectivement du côté extracellulaire et intracellulaire. L’extrémité N terminale constitue la région le plus variable, pouvant être constituée de 7 aa comme dans le cas du récepteur A2 de l’adénosine comme de 5900 aa dans le cas du VLGR (Very Large G-protein coupled Receptor). Ces variations de taille importantes dans la longueur des extrémités N-terminale et des boucles constituent un des critères permettant de caractériser les différentes familles de RCPG.
Classification des RCPG
De nombreux systèmes de classification des RCPG ont été proposés. Ils répartissent les récepteurs en sous-groupes ou familles en se basant sur des critères variés tels que le mode de liaison du ligand, la structure, la phylogénie ou encore la composition en aa (Kumari, Pant et al. 2009). La classification la plus répandue est celle établie par Kolakowski en 1994, qui identifie six classes, basée sur la recherche de similarité entre RCPG connus de vertébrés ou d’invertébrés (Kolakowski 1994). Cette classification servira de base par la suite à la création de la base de données des RCPG, appelée GPCRdb (pour G-Protein Coupled Receptors database). Une autre classification, proposée par Joël Bockaert et Jean-Philippe Pin, répertorie les RCPG en cinq classes sur la base de critères structuraux et selon le mode de liaison du ligand (Bockaert and Pin 1999). Parallèlement, deux études proposent des classifications phylogénétiques des RCPG (Joost and Methner 2002; Fredriksson and Schioth 2005). Dans ce chapitre nous ne détaillerons que la classification de Kolakowski, du fait de son utilisation prédominante. Celle-ci attribue une lettre à chaque famille de RCPG : A pour Rhodopsin-like, B pour Secretin-like, C pour Metabotrope-glutamate/phéromone, D pour fungal pheromone, E pour AMP cyclique et enfin F pour Frizzled/smoothened.
– La famille A : « Rhodopsin like »
La famille A est la mieux caractérisée et aussi celle qui comporte le plus grand nombre de récepteurs avec plus de 80% des RCPG dont la rhodopsine et le récepteur β2 adrénergique. Cette classe de récepteurs lie des hormones, des polypeptides, des amines biogènes, des photons ou encore des substances apparentées aux lipides. La moitié des récepteurs de cette famille sont décrits comme des récepteurs sensoriels impliqués dans la reconnaissance de stimuli olfactifs, gustatifs ou lumineux. Cette classe est divisée en trois sous-groupes suivant la taille et l’emplacement du site de liaison du ligand :
– la sous classe A1 comprend des récepteurs dont les ligands sont de petites molécules comme le rétinal et pour lesquels le site de liaison est constitué par une cavité formée par les segments transmembranaires au sein du tonnelet central du RCPG
– la sous-classe A2 comprend des récepteurs dont le site de liaison implique l’extrémité N-terminale, les boucles extracellulaires et la partie supérieure des domaines extracellulaires. Les récepteurs de chimiokines font partie de cette sous-famille
– la sous-classe A3 comprend des récepteurs d’hormones glycoprotéiques (Thyréostimuline-TSH, Hormone folliculo-stimulante-FSH ou Hormone lutéinisant LH). Elle est caractérisée par un grand domaine N-terminal qui sert de site de liaison du ligand.
Ce groupe est caractérisé par 3 grandes signatures :
– un motif E/DRY (glutamate /aspartate-arginine-tyrosine) à l’extrémité cytoplasmique du domaine transmembranaire 3 (TM3).
– deux cystéines qui forment un pont disulfure sur les deux premières boucles ECL1 et ECL2, permettant le maintien de la structure tertiaire de la molécule
– et le motif NPXXY (asparagine-proline-X-X-tyrosine) dans le domaine transmembranaire 7 (TM7) qui induit une torsion de l’hélice et qui semble être importante pour l’activation des récepteurs (He, Browning et al. 2001) .
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Table des matières
INTRODUCTION
I. LES RECEPTEURS COUPLES AUX PROTEINES G
A] GENERALITES
A.1 – STRUCTURES DES RCPG
A.2 – CLASSIFICATION DES RCPG
A.2.1 – La famille A : « Rhodopsin like »
A.2.2 – La famille B: « Secretin like »
A.2.3 – La famille C : « Metabotrope-glutamate/pheromone»
A.2.4 – Autres familles : D / E / F
B] TRANSDUCTION DU SIGNAL PAR LES PROTEINES G
B.1 – RCPG, L’HISTOIRE D’UNE CASCADE DE NOBEL
B.2 – LES DIFFERENTES PROTEINES G
B.3 – LE COUPLAGE DES PROTEINES G AUX RECEPTEURS
B.4 – ACTIVATION DES PROTEINES G
B.5 – LES EFFECTEURS DES PROTEINES G
B.5.1 – Les effecteurs activés par la sous-unité Gα
B.5.2 – Les effecteurs activés par le complexe βγ
C] REGULATION DE L’ACTIVITE DES RCPG
C.1– ELIMINATION DU LIGAND
C.2 – REGULATION PAR LES RGS (REGULATOR OF G PROTEIN SIGNALLING)
C.3 – DESENSIBILISATION
C.3.1 – Désensibilisation homologue
C.3.2 – Désensibilisation hétérologue
C.4 – INTERNALISATION DES RCPG DEPENDANTE DES Β-ARRESTINES
C.4.1 – Internalisation constitutive des RCPG
C.4.2 – Internalisation dépendante du ligand
D] TRANSDUCTION DU SIGNAL NON-CONVENTIONNELLE
D.1– TRANSDUCTION DU SIGNAL DEPENDANT DES PROTEINES G PAR DES RCPG INTERNALISES
D.2– TRANSDUCTION DU SIGNAL INDEPENDANT DES PROTEINES G
D.2.1 – Activation des différentes voies MAPK
D.2.2 –Autres voies de signalisation
II. LE SYSTEME CHIMIOKINE/ RECEPTEUR DE CHIMIOKINE
A] LES CHIMIOKINES
A.1 – CLASSIFICATION STRUCTURALE ET FONCTIONNELLE
A.1.1 – Les CXC-chimiokines
A.1.2 – Les CC-chimiokines
A.1.3 – Les CX3C-chimiokines
A.1.4 – Les C-chimiokines
A.2 – STRUCTURE DES CHIMIOKINES
A.2.1 – Séquence primaire
A.2.2 – Structure tridimensionnelle
A.2.3 – Sructure quaternaire
A.2.4 – Fixation aux glycosaminoglycanes
B] LES RECEPTEURS AUX CHIMIOKINES (OU RCK)
B.1 – CLASSIFICATION DES RCK
B.2 – STRUCTURE DES RCK
B.3 –DIMERISATION ET OLIGOMERISATION DES RCK
B.4 –EXPRESSION DES RCK
B.4.1 – Profil d’expression des RCK
B.4.2 – Régulation de l’expression des RCK
C] INTERACTION CHIMIOKINE-RECEPTEUR
C.1 – REDONDANCE DES INTERACTIONS LIGANDS/RECEPTEURS
C.2– UN MODELE D’INTERACTION EN DEUX ETAPES
C.3– TRANSDUCTION DU SIGNAL
C.3.1 – Voies protéine G dépendantes
C.3.2 – Voies protéine G indépendantes
C.3.3 –Régulation de l’activité
D] ROLES PHYSIOLOGIQUES DES CHIMIOKINES ET DES RCK
D.1 – CHIMIOTACTISME ET MIGRATION CELLULAIRE
D.1.1. – Transmigration endothéliale
D.1.2 – Migration interstitielle
D.2 – HEMATOPOÏESE
D.3 – ANGIOGENESE
D.4 – INITIATION DE LA REPONSE IMMUNITAIRE…
D.3.1 – …innée
D.3.2 – …adaptative
E] PHYSIOPATHOLOGIE DES CHIMIOKINES ET DE LEURS RECEPTEURS
E.1 – CHIMIOKINES ET MALADIES INFLAMMATOIRES
E.2 – CHIMIOKINES ET INFECTIONS VIRALES
E.3 – CHIMIOKINES ET CANCERS
E.3.1 – Rôle des chimiokines sur la croissance et/ou la survie tumorale
E.3.2 – Rôle des chimiokines sur l’angiogenèse tumorale
E.3.3 – Rôle des chimiokines dans la dissémination tumorale
III. LA CHIMIOKINE CX3CL1 ET SON RECEPTEUR LE CX3CR1
A] LA CHIMIOKINE CX3CL1, UNE CHIMIOKINE UN PEU PARTICULIERE…
A.1 – STRUCTURE
A.2 – RELATION STRUCTURE – FONCTIONS
A.2.1 – Domaine chimiokine
A.2.2 – Tronc mucine
A.2.3 – Domaine transmembranaire
A.2.4 – Domaine intracellulaire
A.3 – EXPRESSION DU CX3CL1
A.3.1 – Sites de production
A.3.2 – Régulation de l’expression
B] CX3CR1
B.1 – STRUCTURE
B.2 – POLYMORPHISME GENETIQUE DU CX3CR1
B.3 – EXPRESSION DU CX3CR1
B.3.1 – Les monocytes
B.3.2 – Les lymphocytes
B.3.3 – Les autres cellules CX3CR1+
B.3.4 – Régulation de l’expression du CX3CR1
B.4– TRANSDUCTION DU SIGNAL EN AVAL DU CX3CR1
B.4.1 – Signal Calcique
B.4.2 – La voie AMP cyclique
B.4.3 – Interaction entre les voies de transduction calcique et AMPc
B.4.4 – Voie des MAP-Kinases
C] FONCTIONS ASSOCIEES AUX COUPLES CX3CR1/CX3CL1
C.1– CHIMIOTACTISME
C.2- ADHESION CELLULAIRE
C.2.1 – … induite par la forme soluble
C.2.2 – … induite par la forme membranaire
C.2.3 – Corrélations fonctionnelles du polymorphisme génétique du CX3CR1
D] PHYSIOLOGIE DU COUPLE CX3CR1/CX3CL1
D.1- PROLIFERATION, DIFFERENTIATION ET SURVIE DES CELLULES
D.2- OSTEOCLASTOGENESE
D.3- REPONSES INFLAMMATOIRE ET IMMUNITAIRE
D.4- ROLE PHYSIOLOGIQUE DANS LE SYSTEME NERVEUX CENTRAL CX3CL1, « SIGNAL OFF » DE L’ACTIVATION MICROGLIALE
E] PHYSIOPATHOLOGIE DU COUPLE CX3CR1/CX3CL1
E.1- INFLAMMATION
E.2- PATHOLOGIE CARDIO-VASCULAIRE SUR FOND D’INFLAMMATION
E.3- PATHOLOGIES CEREBRALES
E.3.1 – Douleur
E.3.2 –Maladies neurodégénératives
E.4- CX3CL1 ET CANCER
E.5- CX3CL1 ET VIH
IV. AMP CYCLIQUE & IMMUNITE : AMI OU ENNEMI ?
A] ANATOMIE DU SYSTEME AMPC
A.1- EFFECTEURS ET VOIES DE SIGNALISATION
A.1.1 – Les Phosphodiestérases (PDE)
A.1.2 – Effecteurs de l’AMPc
A.2- COMPARTIMENTATION DU SIGNAL CAMP…
A.2.1 – Importance des AKAP
A.2.2 – Implication des PDE
B] AMPC ET FONCTIONS IMMUNITAIRES
B.1 – AMPC, ADHESION ET MIGRATION DES CELLULES DU SYSTEME IMMUNITAIRE
B.2 – AMPC ET FONCTIONS IMMUNES ASSOCIEES AU MONOCYTE/MACROPHAGE
B.3 – AMPC ET FONCTIONS LYMPHOCYTAIRES
B.3.1 – Lymphocytes T
B.3.2 – Signal AMPc, Lymphocyte et VIH
Exemple de l’implication de l’AMPc dans la physiopathologie
B.3.3 – Lymphocytes B
C] OUTILS TECHNOLOGIQUES PERMETTANT L’ETUDE DU SIGNAL AMPC
C.1 – TECHNIQUE DE DOSAGE DE L’AMPC INTRACELLULAIRE
C.2 – TECHNIQUES RESOLUTIVES UTILISANT LE FRET OU LA LUMINESCENCE
C.2.1 – Techniques basées sur la PKA ou ses cibles
C.2.2 – Techniques résolutives basées sur les cibles de l’AMPc
C.2.3 – Sondes basées sur EPAC
CONCLUSION
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