Les rapports entre justice et justiciables pendant les troubles de la Ligue

La politisation du système judiciaire

Le rôle des juges dans le maintient d’une l’autorité royale à toute épreuve se trouve bousculé par la crise ligueuse. Représentants du roi et délégués de sa justice, les magistrats du parlement de Bretagne doivent dès 1589 faire face à une période d’affaiblissement des pouvoirs monarchique et administratif : la France est coupée en deux, la province bretonne aussi. La question est alors de savoir si cette situation se retrouve au sein de la cour ? Car si les magistrats garantissent la dignité de la justice, la partition du parlement en deux entités distinctes, une loyaliste et royaliste à Rennes et une seconde, « dissidente » à Nantes sous l’autorité du chef de Ligue en Bretagne, le duc de Mercoeur, remet en cause le principe même de son activité. Activité qui vise, par ses arrêts, à mettre fin à des conflits entre particuliers ou des groupes afin de restaurer la paix civile. Face à l’imbroglio judiciaire régnant dans la France de l’Ancien Régime, le parlement se doit de maintenir une cohésion sociale et de répondre aux besoins des justiciables. Or, la huitième des guerres de Religion n’est-elle pas le moment d’une remise en cause de cette valeur fondamentale de la justice qui est celle de l’impartialité ? En se livrant à une guerre d’arrêts, en opposant deux justices et en rendant plus difficile encore la mise en application des sentences, le parlement, sous le prétexte de vouloir conserver l’ordre du roi pour celui de Rennes ou d’instaurer un ordre nouveau, juste et surtout catholique pour Nantes, ne joue-t-il pas le rôle inverse ?
La culture commune des juristes amène à réfléchir, à proposer, mais aussi à prendre des engagements, à participer au gouvernement des sociétés humaines, voire à « être saisis par le politique ». Définis par un domaine de compétence, le droit, et par une fonction dans la société, le service civil, les magistrats forment un groupe assez homogène pour que Charles Loyseau le considère comme un quatrième ordre dont le rang serait en vérité le premier. Or le moment ligueur est un temps privilégié de politisation de l’activité parlementaire. Parce que susceptible de faire jurisprudence et de créer un précédent, la dimension politique des décisions rennaises ou nantaises prend une forme plus concrète encore en 1590 dans une mise en confrontation de deux camps.
Il faut faire un choix, choisir un parti, combattre l’autre, se défendre, défendre ses justiciables. Nous aborderons ainsi les choses sous deux angles. Le premier nous plongera dans le monde du personnel parlementaire de 1590 : qui sont-ils ? Qui fait le choix de partir à Nantes ? Pour quelles raisons ? Qui reste ? En quoi le service d’un parti entraîne-t-il une politisation judiciaire, voire personnelle ? Dans quel contexte l’opinion investit-elle le domaine de la justice ? Ensuite, nous nous intéresseront au parlement en tant que législateur : comment va-t-il se placer en tant qu’intermédiaire entre le pouvoir national et le pouvoir local ? Comment va-t-il participer d’une politisation à petite échelle de la province ?

La cité des juges

Inséparable de l’institution qu’il représente et dans laquelle il tient charge, le personnel judiciaire mérite une étude spécifique. Or, qui dit guerre civile dit exacerbation des prises de position, des opinions. Une opinion qui « désigne la position de chaque magistrat lors des délibérations, tant politiques que judiciaires »4 et qui s’inscrit ici dans une guerre judiciaire entre deux villes et entre deux partis. Un choix qui implique déjà une prise de position et que conforte encore les affaires tout à fait privées opposant des ligueurs à des royalistes : la partie adverse est systématiquement mise en cause et perd le procès. Au « prestige quasi-religieux de l’office de juge » s’ajoute une vision de plus en plus politisée de leurs offices : ce n’est pas seulement le procès en lui même qui doit nous intéresser mais aussi le contexte idéologique de ceux qui rendent le jugement.
Ces hommes se doivent donc de prendre position surtout lorsqu’ils sont eux mêmes les proies du conflit : si l’on met de côté les comportements à adopter face aux menaces sur les personnes ou bien celles qui pèsent sur l’exercice de leurs états, vient se greffer une autre question, celle de l’obéissance des juges, celle aussi de la surveillance dont ils font l’objet. Car servir un parti a des conséquences : il s’agit de défendre un roi qui intervient parfois directement dans les affaires parlementaires, de défendre aussi de Grands seigneurs dont les intérêts ne sont pas minces, ni les liens qui les unissent au monde de la justice. En somme, quel portrait d’un juge pendant la Ligue pouvons-nous dresser ? Quel portrait de son travail se dessine à travers les arrêts des parlements de Rennes et de Nantes ?

Le juge dans sa juridiction

Le personnel judiciaire

Les hommes de loi ont, comme tout un chacun, une place assignée qui, en bonne logique hiérarchique, se définit par rapport à celle des autres  milieu judiciaire se partage entre officiers et auxiliaires. Commençons par les premiers qui, pour rappel représentent 2,5 % des demandeurs en 1590 à Rennes, 4 % à Nantes. Il peut aussi bien s’agir d’officiers royaux que d’officiers seigneuriaux et cela signifie qu’ils ont acquis leurs charges contre argent, qu’ils en sont les légitimes propriétaires et qu’ils peuvent la revendre ou la transmettre. Personne ne peut être reçu au parlement sans avoir obtenu du roi des lettres de provisions délivrées par l’intermédiaire de la Chancellerie, expédiées sur peau de vélin et scellées du grand sceau royal. Ainsi le 14 novembre, Félix Legras, conseiller à la Cour et commissaire aux Requêtes réclame-t-il d’être reconduit en l’exercice de son état. La Cour ordonne alors, selon les lettres patentes du 26 juillet précédent, que le demandeur se présentera devant le roi pour obtenir une lettre de provision. Selon Frédéric Saulnier, un seul nouveau conseiller est reçu à la Cour de Rennes en 1590, Salomon Amys : le 17 janvier, il explique avoir été pourvu d’un office de conseiller après le décès de Claude le Divin mais ne peut être reçu tant qu’il n’aura pas, au préalable, été déchargé de ses autres états de conseiller non originaire. Autre exemple hors de la Cour, le 19 septembre, Jean Botherel, prévôt de la prévôté de Rennes, explique qu’il a été commis en sa charge par lettres de provision données à Saint-Denis et signées par le roi après résignation d’un certain Julien Mellet. Et effectivement, les conditions sont nombreuses pour être pourvu : les exigences sociales sont pesantes avec des enquêtes sur la famille, la religion, la moralité ; exigences aussi techniques puisqu’il convient bien entendu de détenir des compétences en droit ; et enfin des exigences d’âge puisqu’il faut avoir au
moins 25 ans et avoir exercé quatre années en tant qu’avocat, il faut aussi avoir 40 ans pour devenir président.
La question est donc de savoir ce que l’on range dans cette catégorie des officiers de justice. Les premiers sont les présidents, on les croise de temps à autre dans les actes,par exemple le 2 janvier lorsque Jacques Barrin et François Harpin réclament d’être dédommagés de 100 écus chacun pour un voyage qu’ils ont effectué pour la Caur.
Nommés directement par le roi – ils sont les seuls dans ce cas là – les premiers présidents ou « présidents à mortier » ne doivent pas être confondus avec les présidents des différentes chambres de la Cour qui occupent une situation moins élevée. Les présidents à mortier, au nombre de huit, se partagent ainsi entre la Grand’Chambre et la Tournelle et se recrutent parmi les gens du roi et les conseillers. Ceux-ci occupent d’ailleurs une place non négligeables parmi les demandeurs officiers, repensons à Félix Legras. Enfin, nous trouvons ici les gens du roi, les procureurs généraux et leurs substituts. Le procureur général figure essentiellement dans les arrêts sur remontrances, mais parfois aussi sur requêtes, par exemple le 28 mai lorsque celui de Rennes requiert d’être pourvu à l’exécution d’un arrêt du 5 juin 1589 pour le rétablissement de la justice de Nantes en une autre ville obéissante. De même exerce-t-il ses droits de police le 10 février en réclamant que défenses soient faites à toutes personnes de distraire quiconque du bon service au roi.
Dans une seconde catégorie qui compte pour 6,5 % des demandeurs à Rennes comme à Nantes, nous avons tous les officiers subalternes et les auxiliaires de justice que l’on trouve aussi bien au parlement que dans les justices inférieures. Parmi eux tout d’abord, les « chevilles ouvrières » de la justice qui sont encore des officiers et dont les greffiers, « ministres de justice » qui tiennent la plume lors des procès, ont la charge de tous les détails, enregistrent les actes royaux, les expéditions, la comptabilité avec l’assistance d’auxiliaires et surtout de leurs commis. Ainsi, Toussaint Quétier, greffier civil à Jugon, explique-t-il que depuis plus d’un an, aucun exercice ne se fait sur les lieux à cause des troubles civils et par l’absence du sénéchal . Différents greffiers en
effet, civils, criminels, greffiers aussi des présentations lorsque les parties arrivent à la cour et présentent leurs affaires et que l’on croise essentiellement dans les congés et défauts. Ensuite, nous avons tout ce qui est chancellerie, officiers, secrétaires, garde-sel, ou encore notaires tel que Jean Leclerc à Vitré16. Les huissiers sont des officiers subalternes qui se doivent d’exécuter les ordres particuliers des juges, c’est pourquoi ils sont très rarement en procès, malgré une procédure sur toute l’année concernant le maintien de certains de leurs privilèges, mais ils sont souvent mentionnés pour l’exécution de certaines décisions (saisies, enquêtes…). Enfin restent différents postes qui ne nous intéressent que peu ici, les commis bien sûr, mais aussi les comptables de la Cour, les receveurs ou payeurs de gages qui interviennent indirectement lorsqu’il s’agit de payer les juges, receveurs des épices et des amendes aussi, les concierges, gardes du palais, administrateurs des menues nécessités, etc.
Après ces officiers subalternes, nous en arrivons aux auxiliaires de justice, intermédiaires entre les juges et les justiciables, médiateurs, pédagogues, guides, exécutants et parfois boucs émissaires. Avocats, procureurs, avoués, ils sont « les conseillers » de la procédure judiciaire. Les avocats assurent ainsi les plaidoiries devant les tribunaux au civil (au XVIIe siècle, on en compte 133 à Rennes) et nous les rencontrons notamment à l’occasion des troubles dans l’exercice de la justice locale, les transferts de juridictions, la nomination de nouveaux juges, donc dans les conflits juridiques entre ligueurs et royalistes, parfois dans des affaires privées. Les procureurs ont un rôle de consultation et de représentation des parties, chargés de la procédure écrite, ils interviennent de manière directe dans les conflits et dans les arrêts, parfois en tant que parties, souvent nommés pour l’exécution d’un ordre précis ou parlant pour ceux qu’ils représentent. Les avocats sont des « écoutants », les procureurs des « consultants ».

Le choix entre Rennes et Nantes

Le 8 janvier 1590, le Parlement de Nantes ouvre ses premières audiences, mais c’est un projet prévu de longue date puisque dès le mois d’août 1589, le Parlement séant à Rennes ordonne qu’une information soit faite suite à la lettre du duc de Mayenne qui autorise le transfert de la Cour vers une autre ville. Le choix de partir à Nantes est fait par dix-huit parlementaires en tout et pour tout. Convaincus des dangers encourus par la religion catholique, ils défendent, par le biais de la justice ligueuse, cette cause, encore ne faut-il sans doute pas omettre, comme pour bon nombre de nobles de la province, la recherche d’un intérêt tout personnel, la volonté d’assouvir diverses ambitions même si à travers notre source, nous ne voyons qu’un choix avant tout idéologique. Alors qui sont-ils, ces juges qui font acte de rébellion contre un roi qu’ils ne reconnaissent pas et qui vont rendre une justice contraire et parallèle ? Pour tenir sous sa main tous les ressorts de la puissance politique, Mercoeur appelle à lui les membres de la Cour : deux présidents, quinze conseillers et un avocat général répondent présent. Ce sont les présidents Louis Dodieu et Pierre Carpentier accompagnés des conseillers Jean de Langle, Adrien Jacquelot, Georges d’Aradon, Denis Guillaubé, Michel Gazet, Jacques de Launay, Gabriel Bitaux, Alain de Kermeno et Jean Le Livier, bientôt rejoint par François de Becdelièvre, Alain de Poupry, Claude Lasnier, Jean Lyais et Étienne Raoul. Ceux qui auront survécu retourneront à Rennes en 1598 après l’édit d’amnistie et après avoir prêté serment à Henri IV. Les autres sont restés à Rennes, fidèles au roi.
Or un tel choix ne pouvait que déboucher sur un affrontement judiciaire sans précédent, et cela débute par une bataille sur la légitimité de chacun des parlements.
Le Parlement royaliste, qui continue d’ailleurs à recruter régulièrement, maintient à Rennes son autorité et celle de Henri IV et travaille de manière énergique et en accord avec les commandements militaires à combattre et à détruire les ennemis du roi. Les parlementaires réaffirment leur entière fidélité par leurs arrêts, notamment celui du 27 février 1590 qui condamne les parlementaires ligueurs à être pendus, leurs corps devant être traînés sur la claie et leurs biens confisqués. Cette condamnation, qui reste théorique, n’empêche pas les juges nantais de remplir leurs fonctions judiciaires jusqu’en 1598. Ainsi font-ils défense, le 23 février, à tous les juges de Bretagne de procéder à exécution d’arrêts et ordonnances royalistes. La Cour de Rennes demande aussi à plusieurs reprises l’arrestation des juges « rebelles », ce que fait également Nantes. Et les deux cours, malgré leurs interdictions réciproques de tenir justice sont-elles contraintes, procès par procès, de réitérer l’annulation des décisions et l’interdiction de les mettre à exécution.
Une guerre civile n’est-elle pas le moment privilégié de la prise de parti, de la confrontation des idées, des valeurs ? Par sa nature même, par son rôle dans la société, le parlement devient un lieu de visibilité pour toutes ces tensions idéologiques, morales, culturelles ou politiques. Les magistrats mobilisent certes les opinions venues de la société dans son ensemble, les plaideurs n’étant pas seulement des acteurs passifs durant l’appel, mais ils mobilisent aussi, parce qu’ils participent directement aux procédures, toutes les tendances politiques qui sont mises en exergue pendant un conflit civil, et par là même, font du parlement l’institution la plus politisée de la province.
« Les discours des magistrats sur eux-mêmes témoignent de la place qu’ils s’accordent. Ils formulent bien sûr l’idée que le roi est le lieutenant de Dieu sur terre, mais aussi celle selon laquelle les magistrats sont également sacrés »27. Or, le recours à l’histoire permet de puiser des arguments à propos du rôle essentiel des officiers de justice : « remettez en honneur le juge et la justice qui fait régner les rois et élève les nations ; autrement, l’État sera de bref ruiné » déclare Claude Groulart. Une justice bien administrée est ainsi la meilleure arme contre les rebelles et la loi apparaît comme garante de la paix civile28. En poursuivant coûte que coûte l’exercice de sa juridiction, en prenant la défense des justices subalternes menacées par les rebelles, la défense de ses justiciables fidèles au roi, le Parlement de Rennes et ses juges se placent dans cette optique : exercer la justice sans discontinuité, dans un contexte politique et militaire difficile, car c’est là leur devoir. Et plus qu’un devoir, c’est un choix qui s’affirme dans les décisions qui sont prises29. Mais ses efforts pour rétablir l’ordre et l’obéissance à Henri IV aident-ils à la reprise en main de la province ? Le Parlement de Rennes devient-il un lieu de ralliement, un instrument de légitimité politique ? Les mêmes interrogations se posent d’ailleurs pour la Cour nantaise : l’instauration d’une nouvelle justice concurrente est-elle l’occasion d’une recrudescence de la défense des valeurs chrétiennes ? Est-elle un instrument de cooptation des ligueurs catholiques ?
Il est vrai qu’avec les troubles, une crise de confiance sociale s’est amorcée, crise qui commence par l’ébranlement de la confiance envers le roi et qui s’étend ensuite progressivement aux représentants de la justice. Un parlementaire normand évoque ainsi la place des siens dans la société et réaffirme le rôle politique de premier plan des officiers de justice : « nous n’estions pas destinez seulement à rendre la justice à quelques particuliers mais aussi à faire contenir le peuple en paix et respect »30, phrase qui se transporte très bien dans le contexte breton. Dire que la guerre de la Ligue est le moment de la naissance d’une politisation de la cour est néanmoins infondé et ce n’est pas ici notre discours : il s’agit simplement d’un moment d’exacerbation de l’opinion dans le processus parlementaire. Seuls interlocuteurs clairement visibles pour des requérants désorientés qui ne savent plus à qui s’adresser, les magistrats de la Cour excitent les opinions venues des plus hautes sphères du pouvoir, mais aussi celle du peuple, ce qui leur permet en retour d’agir directement sur les décisions collectives prises par l’institution. C’est ainsi que la question de la partialité dans la justice se pose : la cour transforme des affaires privées en arrêts partisans s’inscrivant dans la concurrence des deux parlements et la lutte de pouvoirs – politique, juridique – qui en découle. Néanmoins, et puisque juridiquement parlant l’autre cour est disqualifiée, c’est bien en droit et donc légalement que ses décisions sont nulles, quel qu’en soit le contenu.
Le rôle du juge dans ce théâtre breton est donc essentiel en 1590. Pourtant, il est bien difficile de mesurer le réel pouvoir de la cour sur son ressort, de mesurer le poids de ses décisions d’autant plus à travers notre source qui ne laisse que peu de renseignements sur les justiciers et d’interprétations sur leurs états d’âme même si les passions de chacun jouent un rôle crucial : du choix de se porter en justice pour le demandeur à la sentence qui est prise par le juge, tout tourne autour de la guerre civile et de la division de la société emportée dans un véritable face à face s’exprimant au delà du simple fait militaire, enraciné qu’il est dans la société et son organisation, dans sa défense mise en place depuis les parlements et au nom d’un roi.

Le service à un parti

Si « les hommes du temps des troubles de religion exprimaient leurs engagements et leurs convictions en s’inscrivant dans une communauté de vie et de croyance », le service à un parti implique certes une attitude toute personnelle face à l’ennemi et des affaires particulières qu’il convient de traiter de manière partisane pour la défense et la survie de son propre camp, d’autant plus lorsque l’on doit faire face à des menaces sur sa personne. Mais, couplé à la régulation de l’ordre social, c’est la mise en place de relations importantes avec les autres juges et avec les justiciables bien sûr, et surtout avec le roi qui en retour exerce une surveillance accrue : la question de l’obéissance des agents du roi est essentielle durant la guerre civile, eux qui sont les premiers remparts contre la révolte, contre les criminels de lèse-majesté, contre les « hérétiques » ou les infidèles, contre les « faux » catholiques selon le camp où l’on se place.

Les relations avec le roi

Le Roi Très-Chrétien se considérait à la fois comme le garant de l’unité religieuse et comme la source première de la loi. Sa parole ordonnait la société, et c’est pourquoi il apparaissait comme la lex animata. Il entendait incarner la défense du bien commun et apparaître comme la « seule personne publique, source et principe d’unité au sein d’une société particulariste d’ordres et d’états e roi donne-t-il des directives ? Nous allons constater que les liens, même s’ils existent, sont en vérité assez ténus : les rares interventions du roi concernent en premier lieu des affaires d’ordre privé, souvent financières, cela par l’intermédiaire des lettres patentes, « ordres ponctuels ayant pour but de modifier la situation juridique d’une personne (en bien ou en mal) et qui s’imposent aux autorités auxquelles ils sont adressés ». Le roi intervient notamment pour les questions protestantes sur lesquelles nous reviendrons plus tard, mais il existe d’autres cas de figure qui concernent le payement de certains individus après qu’ils aient effectué certaines tâches pour le compte du roi et son parti, cas intéressant de communications politiques entre le roi et les royaux de Bretagne. Le 1er septembre 1590, la cour ordonne à Germain Honoré, receveur du domaine du roi à Rennes, de délivrer à Michel Logeroye, imprimeur, la somme de 4 écus sur les deniers destinés aux frais de justice pour avoir imprimé des lettres du roi destinées au prince de Dombes. Le 27 octobre suivant, G. Honoré doit à nouveau délivrer 18 écus à Simon le Mounier, messager, pour avoir porté à la Cour de Henri IV un paquet de lettres « duquel il [était] chargé par ladicte court concernant le service du Roy et bien de ceste province ». Un corpus de six actes nous évoque ensuite différents voyages effectués par des agents de la Cour par devant le roi. Le 2 janvier 1590, la Cour accorde à Jacques Barrin et François Harpin, présidents du Parlement, la somme de 150 écus « pour le voyage qu’ilz ont faict par devant le Roy par ordonnance d’icelle [cour], et pour les hommes qu’il leur a convenu mener pour leur suretté »37, un voyage donc de hauts magistrats envoyés par la Cour, même si nous n’avons pas ici plus d’informations sur ce voyages et ses raisons. Olivier du Chastelier, conseiller, est lui aussi envoyé par la Cour par devant le roi en mars 1590, ce qui l’a tenu éloigné durant 2 mois et 19 jours. Il sera alors payé 14 écus pour chacun des jours passés hors de la ville. De même encore pour Gabriel de Blanou, autre conseiller, qui réclame d’être payé pour ses 17 jours de service auprès de Jacques Barrin et des remontrances qu’il était chargé de faire au roi. On parle donc peut-être ici d’un voyage que les présidents ont fait ensemble et l’on note que l’un des liens les plus féconds entre l’institution et la monarchie se trouve en effet dans ces voyages annuels qui sont occasion de présenter au roi les remontrances de la Cour. Enfin, Jacques Barrin sera encore payé de 200 écus, et les conseillers Gabriel de Blanou et Ysac Loysel de 100 écus chacun pour les frais du voyage qu’ils ont été chargés de faire vers le rois. Autre cas d’un double trajet un peu différent, effectué par deux conseillers, Jean de Kercabin et Philippe de Halgouet par « eulx faict en la Basse Bretaigne pour l’execution de l’arrest de ladicte court du XIIe jour d’octobre 158941, et aussi pour aultre voiaige faict par ledict de Halgouet, conseiller, par devers le Roy pour luy presanter l’estat de ceste province suyvant l’advis du prince de Dombes ». Le roi intervient enfin dans une dernière direction, celui de la nomination aux offices. Un seul exemple ici mais atypique, celui de Jean Coyvart, qui, en conséquence des lettres patentes du 12 octobre 1589, demande à être reçu en la trésorerie et généralité des finances de Bretagne suite à la prétendue félonie de François Miron. Seulement, la Cour le déboute de l’effet et entérinement des lettres et lui fait défense de s’ingérer en l’exercice de la charge de général en Bretagne. Seul cas donc où elle ne valide par un ordre du roi. Pour quelle raison ? Nous ne le savons pas ici, peut-être en lien avec la personne de F. Miron mais il semble pourtant bien que celui-ci ait été désavoué par la Cour : trésorier de France, il est très vite suspecté d’entretenir des relations avec les ligueurs et il est pour cette raison emprisonné, ce qui d’ailleurs sera l’occasion d’une friction entre les parlementaires et le lieutenant du roi. Miron n’est libéré qu’en mai 1591.

Obéissance et surveillance des officiers

La sagesse, vertu d’être en conformité avec la nature, demeure antithétique des passions qui agitent les ligueurs et qui les poussent quotidiennement à renverser l’ordre, les lois et la police et à contribuer à l’affaiblissement du royaume. Il faut obéir aux lois, aux édits et à la volonté du roi, protecteur de ses sujets a question de l’obéissance à son roi se pose à toutes les époques et en tous contextes. Pourtant, en pleine guerre civile, La Bretagne doit faire face en 1590 à une situation inédite qui va être le choix entre obéir à un roi arrivé sur le trône par une succession qui paraît légitime bien qu’il soit protestant, ou obéir à un parti ayant pour souverain un cardinal sans couronne certes mais qui est un « vrai » catholique. Ainsi dénomme-t-on d’un côté les « rebelles » ligueurs qui désobéissent au roi et aux lois du Royaume, et de l’autre les « hérétiques » qui soutiennent un roi protestant qui n’a pas sa place sur le trône de France. Comment s’assurer de l’obéissance de ceux qui restent ou de ceux qui arrivent ?
Le 17 septembre 1590, sur requête du procureur général, la Cour de Rennes donne commandement à tous les juges et officiers des juridictions royales de Bretagne qui sont en l’obéissance du roi de « faire garde et observer les eedictz et ordonnances du Roy ».
La Cour devra être assurée de leur bon service d’ici un mois sous peine de suspension.
Les choses sont donc très claires. Rien ne doit être laissé au hasard et les opinions personnelles n’ont finalement que peu de place : les officiers doivent être loyaux envers le roi, observer ses ordres et tout entreprendre contre les « rebelles ». Obéissance au roi et guerre contre l’ennemi sont les deux mots d’ordre et les deux objectifs des officiers de la province s’ils ne veulent pas être suspendus ou déclarés à leur tour « rebelles ». Est-ce que cette surveillance qui est mise en place empêche l’opinion de se développer au parlement ? C’est une question essentielle qu’il faut se poser. L’opinion – entendons ici opinion personnelle, de l’individu – joue forcément, déjà dans le fait de choisir un camp, ensuite dans le traitement des affaires et la réponse qui est donnée. Mais elle semble néanmoins bien confinée à un rôle limité en ce sens que la politisation de la cour passe, avant toute chose, par la défense et la guerre contre un ennemi. Ainsi tout est fait pour empêcher le développement d’idées contraires chez ceux qui servent le roi : est par exemple fait prohibition de montrer aucun livre imprimé rebelle à Rennes. Le but est d’éviter d’éventuelles défections : le magistrat doit être « celui qui aura une âme bien dévote aura aussi comme conséquence nécessaire en singulière recommandation exercice de la justice ». Sous peine d’être déclaré rebelle au roi, criminel de lèse majesté, de perdre ses charges, ses revenus, ses biens. Pour ce faire, tout est mis en place, dès avant l’entérinement de la nomination d’un nouvel officier, afin de s’assurer de sa fidélité : la Cour est-elle informée « des vye, moeurs et religion catholicque appostolicque et romaine » de tous, entendons par là qu’il vaut mieux ne pas être protestant non plus coté royaliste. Pour que la Cour prenne une décision sur une demande d’un officier, il est bien souvent requis, par le procureur général lui-même, une vérification de ses « comportemens et demeure » « pendant le temps des presantz troubes ». Il est bien sûr aussi question de serments prêtés envers le roi, tout comme à Nantes où ceux-ci jouent un rôle prééminent dans la surveillance établie. Chaque nomination d’officier n’est validée par la Cour qu’« a la charge que lesdictz [demandeurs] jureront les articles de l’Union par devant [un] conseiller ». Et là aussi on trouve une information « des vies, meurs, conversation et religion catholicque » des demandeurs réclamant un poste ou ne serait-ce que pour y être maintenu. On note bien néanmoins que cette fameuse surveillance politique – mais aussi morale, sociale et religieuse – s’exerce sur les officiers par d’autres officiers qui se doivent de collecter les informations. Le roi n’intervient donc pas directement si ce n’est par certains ordres particuliers nous l’avons vu plus haut. Sur et par les officiers du roi, la surveillance se fait en son nom et sur son ordre dans le but d’éviter les trahisons, les ralliements intempestifs. La politisation du système judiciaire passe aussi par là. Après le choix -motivé ou non-, c’est « l’obligation ». L’obligation d’obéir à son parti, de le défendre face à l’ennemi et de faire face à une surveillance accrue.

Le pouvoir réglementaire des parlements de Bretagne

Les arrêts de règlements

Il est une prérogative des Parlements que nous n’avons jusque là qu’effleurée, à savoir l’attribution réglementaire. « Le Parlement de Bretagne, comme toutes les autres cours du royaume, dispose du pouvoir de prendre des mesures énonçant des prescriptions de portée générale, à caractère impersonnel, ayant pour objet de compléter ou d’éclairer la loi, voire même de pallier son absence ». Ces mesures qui excluent toutes les affaires ne visant qu’un seul individu, sont prises à l’initiative de toute personne y trouvant un intérêt – agents, seigneurs, groupes, particuliers -, après requête d’un particulier ou dans le cadre d’un litige, parfois directement par le parlement ou sur la volonté du procureur général. Ces décisions, appelées « arrêts de règlement »présentent certes des analogies évidentes avec la loi, mais elles ne lui sont en aucun cas équivalentes puisqu’elles n’émanent pas de l’autorité supérieure et ne peuvent aller à l’encontre des dispositions venues du roi. Malgré ces restrictions, l’arrêt de règlement confère au parlement et aux parlementaires un pouvoir normatif exceptionnel qui leur assure un rôle prééminent dans le gouvernement de la province. Nul domaine n’échappe à la cour qui, par ce moyen, « exerce un pouvoir tentaculaire dans son ressort » : « La satisfaction des intérêts et la résolution des problèmes de la province donnent naissance à des décisions fort variées qui participent à la marche de l’institution judiciaire,
corollaire de la fonction traditionnelle de justice du Parlement : le maintien de l’ordre public, souci partagé par l’ensemble de la population à l’époque moderne et enfin l’administration diligente et responsable de la Bretagne »61. En effet, la justice et son organisation sont le point de mire de ces arrêts de règlement : il s’agit de garantir la justice et de la corriger si besoin, d’améliorer l’exercice des juridictions, le respect des règles de la procédure, l’éthique des agents (vie personnelle, lenteur, rémunération) ainsi que de garantir leurs droits aux justiciables. La défense de l’ordre public est le second volet : protection de la population, prévention de toutes formes de troubles humains ou naturels, surveillance de ceux qui mettent en péril la morale, la sécurité, la police des esprits (interdiction d’ouvrages, de pamphlets). Un dernier aspect qui peut être traité par cette pratique réglementaire est celui de l’administration : réglementation des activités économiques de la province, tutelle sur les paroisses (assemblées de paroisses, composition, convocation, etc). Reste enfin la gestion des eaux et forêts, la question protestante et celle des monnaies. Bref, le domaine de compétence est très large et plus prégnant encore en temps de guerre civile.
La seconde possibilité est la transformation d’une affaire privée et ne concernant qu’un individu, en règle de portée générale quand le sujet de la requête peut toucher d’autres personnes. Un exemple, celui d’un soldat servant dans l’armée royaliste et qui réclame un jugement sommaire à son procès avec interdiction, tant qu’il n’est pas revenu, de mettre à exécution une sentence antérieure. S’agissant d’un soldat, la Cour profite pour elle aussi de faire injonction à tous les gentilshommes, capitaines et soldats présents en la ville de Rennes de rejoindre l’armée du prince de Dombes. La décision collective n’est donc pas à mettre sur le même plan que la décision individuelle.
De par leur nature, les arrêts sur remontrances sont dans la plupart des cas fort susceptibles de prendre une dimension disciplinaire applicable de façon large. Parce que les initiateurs de cette activité réglementaire sont des agents du roi, la police de la société, de l’échelle de la ville à celle de la province, se trouve au coeur de ce corpus procédurier si particulier. S’ils sont caractérisés par une limitation à la fois temporelle et géographique parce que ne concernant bien souvent qu’une ville ou une paroisse et ses habitants, il n’en demeure pas moins que ces actes s’intéressent à tout, les parlementaires s’octroyant par là des pouvoirs administratifs considérables dans le cadre de la guerre, eux qui tentent d’assurer le maintien de la paix civile par la mise en place d’un ordre qu’ils contribuent à formaliser. Les idées des magistrats transparaissent donc à travers ces arrêts même si, en général, leurs idées sont les mêmes que celles de la monarchie. Maîtrise de l’espace – notamment économique – et du temps, contrôle et organisation de la vie matérielle, discipline du corps et de l’esprit, ces valeurs fréquemment défendues le sont-elles encore pendant la Ligue ?

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Une source, une histoire
Chapitre 2 : La politisation du système judiciaire
Chapitre 3 : Rendre la justice en temps de guerre civile
Chapitre 4 : Des hommes et des guerres
Chapitre 5 : Des finances en crise
Chapitre 6 : Les perturbations économiques
Chapitre 7 : Le bouleversement des cadres religieux
Chapitre 8 : La remise en cause d’un ordre social ?
Conclusion
Sources
Bibliographie
Annexes
Table des matières

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *