Origines étymologiques. La radicalisation est devenue le terme en vogue pour qualifier des comportements jugés extrêmes, des mouvements politiques, sociaux, religieux ou encore des modes de pensées excessifs, voire démesurés. Mais quelle est l’origine de cette dénomination, que signifie t-elle ? Le terme radicalisation est emprunté au latin radicalis, définit par « de la racine, premier, fondamental ». Le verbe radicaliser est donc un dérivé de radical au sens de « rendre plus extrême, devenir plus intransigeant, se durcir » . De nombreux auteurs, sociologues, organismes ont tenté de dresser une définition plus spécifique de la radicalisation.
Les caractères substantiels de la radicalisation. Aussi, selon le Centre d’action et de prévention contre la radicalisation des individus (CAPRI) la radicalisation est un processus qui « conduit un individu à rompre avec la société dans laquelle il vit, pour se tourner vers une idéologie violente » . Le sociologue Farhad Khosrokhavar propose également une définition de la radicalisation. Selon lui, celle-ci désigne « le processus par lequel un individu ou un groupe adopte une forme violente d’action, directement liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, social ou religieux qui conteste l’ordre établi sur le plan politique, social ou culturel ». Tandis que Pierre Conesa, lors d’une conférence, définit la radicalisation comme étant une « légitimation intellectuelle, philosophique et religieuse de passage à la violence » . La caractéristique liée à la violence est omniprésente au sein de ces définitions. Néanmoins, Farhad Khosrokhavar réalise un parallèle entre radicalisation et la contestation d’un ordre établi, la volonté de revenir aux fondamentaux en renversant l’ordre actuel.
Les impasses d’une définition jugée trop générale. Certaines définitions apparaissent trop simplistes et doivent faire l’objet d’une attention particulière. En effet, celles-ci sont établies dans un triple objectif de prévention, vulgarisation et de compréhension par un large public. La définition publiée sur le site Internet stop djihadisme illustre cette hypothèse. Selon les rédacteurs, la radicalisation est un « changement de comportement pouvant conduire certaines personnes à l’extrémisme et au terrorisme». Cette définition assimile radicalisme et terrorisme, en établissant un lien entre radicalisme et changement de comportement, et non avec l’idée d’une conduite violente. Le risque d’une telle définition est de faire de la radicalisation, un synonyme de terrorisme, alors que certains mouvements qualifiés de radicaux, n’ont pas pour projet de perpétrer des attentats. De plus, l’expression « changement de comportement » n’est pas exacte, puisqu’il s’agit avant tout, d’un changement d’idéologique, qui peut se traduire par un changement de comportement. Le ministère de l’éducation nationale propose également une définition de ce processus au sein d’un livret de prévention de la radicalisation . La définition dressée est vague, puisque selon le ministère, la radicalisation est « l’action de rendre plus intransigeant le discours ou l’action » . Il existe ainsi une multitude de définitions de LA radicalisation, explications plus ou moins confuses. La précision de ces définitions dépend du public visé et de l’objectif de celles-ci; lorsque l’auteur de la définition souhaite toucher un large public, dans le but de prévenir et de lutter contre ce phénomène, il établit une définition pouvant interpeller un maximum d’individus, tandis que les sociologues s’inscrivent dans une démarche davantage scientifique et donc moins accessible.
Les radicalisations : un phénomène complexe à définir
La radicalisation politique
La radicalisation concerne différents mouvements et idéologies. Celle-ci permet d’évoquer les mouvements d’extrême droite et d’extrême gauche comme le présente Michel Fize, sociologue, au sein de son ouvrage « Radicalisation de la jeunesse » . En effet, il présente un paradoxe existant entre deux mouvements extrêmes : l’extrême droite et l’islam radical. Selon lui, bien que ces deux mouvements soient diamétralement opposés et forment « deux mondes différents », ils possèdent néanmoins un aspect commun : le sentiment d’exclusion. Michel Fize cite également Robert Badinter pour étayer ses propos. puisque dans un ouvrage intitulé « Réflexions du comité pour une charte des libertés », il assimile la montée des extrêmes à la violence, au chômage et à l’appauvrissement des jeunes . La radicalisation de ces derniers et la montée de l’extrême droite ne fait aucun doute comme l’ont suggéré les résultats de l’élection présidentielle de 2017. L’ascension du Front National fait couler beaucoup d’encre au sein des médias comme le témoignent les qualificatifs « dangereux », « contestataire », « inadapté » . Néanmoins, cette stigmatisation, ces critiques sont loin de faire barrage à la montée de ce parti en raison de sa popularité chez les jeunes. En effet, lors de la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles face à Jacques Chirac, c’est le choc : les français et principalement les jeunes décident alors de s’opposer à ce résultat. Par conséquent, ces derniers descendent dans les rues pour exprimer leur crainte, leur mécontentement et leur défiance à l’égard de ce parti. Ainsi, le 5 mai 2002, la mobilisation de masse est démontrée par le vote de 78 % des jeunes de 18 à 25 ans inscrits sur les listes électorales. Or, suite aux résultats du premier tour de la dernière élection présidentielle affichant Marine Le Pen face à Emmanuel Macron, les mouvements contestataires se font plus rares. Au contraire, les jeunes assimilent l’arrivée de ce parti au second tour, comme la conséquence des injustices dont ils sont témoins. Ils profitent de ce résultat pour manifester leur inquiétude par rapport au chômage, à la précarité, au manque d’aides, au sentiment d’insécurité dont ils sont victimes. L’élément le plus étonnant est le pourcentage de cette élection. En effet, le Front National représente 35 % des intentions de vote chez les 18-24 ans. Aujourd’hui, ce parti séduit, comme l’illustre un extrait d’un discours prononcé à l’intention de la jeunesse française « Une année durant laquelle les gouvernants politiques de gauche comme de droite ont abandonné encore davantage la jeunesse de France, seule face au chômage de masse, à la précarité généralisée, à la peur du déclassement et du déracinement » . Le groupe politique Front National se nourrit donc des inquiétudes et du sentiment d’exclusion .
Quelques mots d’Histoire : la radicalisation, un phénomène ancien
Le groupe des Assassins : apparition d’un mouvement radical. Le processus radicalisation ne date pas d’aujourd’hui. Selon certains auteurs dont Farhad Khosrokhavar, ce phénomène est apparu dès le XI ème siècle en raison des actions du groupe des Assassins. En effet, pour caractériser les actions de ce mouvement, le sociologue emploie de nombreux qualificatifs renvoyant à l’idée de la radicalisation moderne, tels que « endoctrinement », « idéologie radicale et sectaire », « actions violentes » . Le groupe des assassins était donc un groupe sectaire prêt à se sacrifier en assassinant les personnes désignées par les fidèles. En outre, sous le règne de Louis-Philippe, les radicaux désignaient les Républicains étant donné que ces derniers se proclamaient de l’héritage révolutionnaire.
Apparition d’une multitude de mouvements radicaux. Farhad Khosrokhavar retrace plusieurs périodes au sein desquelles des groupes radicaux sont apparus. Il présente ainsi les anarchistes du XIX et XX ème siècle, connus pour leurs actions violentes et attaques orchestrées pour lutter contre le capitalisme. Ce mouvement employait des moyens encore d’actualité aujourd’hui, comme la propagande écrite et orale ou encore l’interdiction de sortir du mouvement sous peine d’être assassiné. Cette interdiction est suggérée par la retranscription des paroles du comité de Narodnaia Volia : « Tout membre du Comité s’engageait solennellement à consacrer ses forces à la révolution, à oublier pour elle tous les liens du sang, les sympathies personnelles, l’amour et l’amitié; à donner sa vie sans rien ménager; à n’avoir rien qui lui appartint en propre; à renoncer à sa volonté individuelle » . Cette radicalisation revêt également un caractère international, puisque des actions étaient organisées dans l’ensemble de l’Europe, comme le témoigne l’assassinat du président français Sadi Carnot en 1894.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. / Les radicalisations : un phénomène complexe à définir
II. / Quelques mots d’Histoire : la radicalisation, un phénomène ancien
III. / Lien entre radicalisation et terrorisme
PARTIE 1 : LE CARACTÈRE PARADOXAL DE LA RADICALISATION : UN PHÉNOMÈNE INÉDIT RESPECTANT DES PROCÉDÉS ANCIENS
CHAPITRE 1 : L’ASSIMILATION RADICALISATION / DÉRIVES SECTAIRES : UNE SOLUTION ENVISAGÉE
Section 1 : l’existence d’un socle commun réceptif aux discours radicaux
§ 1 : La quête d’une identité : des fragilités propices à l’embrigadement
A. / Violences et injustices : des facteurs bénéfiques aux idées radicales
B. / Une volonté d’échapper au quotidien
§ 2 : Personnalisation des discours : des propos adaptés aux différents profils
A . / L’émergence de portraits différents : vers une ascension de la violence
B . / Les théories complotistes : contestation des réalités communément admises
Section 2 : Un schéma spécifique et similaire : le mécanisme de l’emprise mentale
§ 1 : Les différentes étapes de l’emprise mentale
A. / De la séduction à la destruction intellectuelle
B. / Au coeur de la phase d’endoctrinement
§ 2 . La radicalisation et les dérives sectaires : une association désuète
A. / Un rapprochement potentiel étymologique et législatif
B. / La place de la victime : Illustration d’une rupture entre les deux mécanismes
CHAPITRE 2 : LA RADICALISATION, UN PHÉNOMÈNE RÉVOLUTIONNAIRE INCOMPARABLE
Section 1 : La propagation d’un discours de haine au sein des supports de communication
§ 1 . L’instrumentalisation des supports de diffusion au service des organisations terroristes
A. / L’utilisation des médias : un outil de promotion des actes terroristes
B. / Le rôle des réseaux sociaux : développement d’un sentiment d’appartenance
§ 2 . Les dispositions du droit pénal face au développement des médias
A . / L’utilisation du droit interne : évolution des mesures parallèlement à l’ampleur de la radicalisation
B. / Le Droit européen : La recherche d’un équilibre entre liberté d’expression et interdiction des discours de haine
C. / L’utilisation de la notion de Cyber-terrorisme : une perspective de lutte contre la radicalisation sur internet
Section 2 : Le cas particulier des prisons : un foyer original de radicalisation
§ 1 . Une hypertrophie de mesures dans le milieu pénitentiaire
A. / Le renseignement pénitentiaire : professionnalisation des surveillants pénitentiaires
B. / Le regroupement des détenus radicalisés : une problématique complexe
§ 2. Des mesures nettement critiquées : entre inégalité et absence
A. / Une liste de critiques non exhaustive
B. / La récente création des quartiers d’évaluation de la radicalisation : vers une tentative d’évolution
CONCLUSION PARTIE 1
PARTIE 2 : CONTRE RADICALISATION OU DÉRADICALISATION
CHAPITRE 1 : UNE POLITIQUE DE CONTRE RADICALISATION : DES MESURES EN AMONT DE L’INTERVENTION DE LA JUSTICE
Section 1 : L’instauration d’une politique de contre-radicalisation marquée par une approche multidisciplinaire
§ 1 : La politique de la ville : approche globalisée d’une situation locale
A. / La politique de la ville : un acteur majeur au champ d’intervention précis
B. / La politique de la ville : un approche parcimonieuse
§ 2 : Face au caractère caméléonesque de la radicalisation : la nécessité d’une approche pluridisciplinaire
A. / Le développement du sens critique : une arme psychologique
B. / Eveiller le sentiment d’appartenance à la République : la voie sportive
Section 2 : De la contre-radicalisation à la déradicalisation : un ensemble de dispositifs à l’échelle Européenne
§ 1 : A la recherche de mesures internationales transposables
A. / L’Allemagne : portrait d’une démarche individualisée et familiale
B. / La Grande-Bretagne : entre liberté d’expression et problématique religieuse
§ 2 : Les limites d’une harmonisation européenne
A. / Une problématique internationale : la quête d’un antidote de l’Organisation des Nations Unies face au virus de la radicalisation
B. / Le particularisme national: un ensemble d’indices majeurs à prendre en compte
CHAPITRE 2 : L’APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE DE LA DÉRADICALISATION
Section 1 : La nécessité d’une réponse individualisée
§ 1 : La multiplicité des acteurs : entre sphère judiciaire, administrative et associative
A. / La mise en place d’un accompagnement des familles
B. / Les acteurs des procédures de signalement et de surveillance
§ 2 : L’intervention des deux ordres de Juridiction au service de la lutte contre la radicalisation
A. / La mobilisation prééminente du pouvoir judiciaire
B. / Immixtion de l’ordre administratif: un frein au passage de la radicalisation idéologique vers la radicalisation violente
Section 2 : entre réalité répressive et tentative de réintégration
§ 1 : L’enchevêtrement de la justice pénale et administrative
A. / L’intervention du droit pénal : Un parallèle entre radicalisation et terrorisme
B. / L’intervention de la justice administrative : l’importance d’agir en amont du passage à l’acte
§ 2 : Le rôle des centres face à la réintégration des individus radicalisés
A. / Un bilan mitigé des centres basés sur le volontariat
B. / Les centres : des dispositifs alternatifs à l’incarcération
CONCLUSION PARTIE 2
CONCLUSION GÉNÉRALE