Les années 1960 s’inscrivent dans une logique qui a son point de départ dans la manifestation des noirs américains qui, à la fin du 19ème siècle, cherchèrent à se libérer de la tutelle de leurs maîtres en rejetant toutes formes d’assimilation et en voulant redécouvrir leurs racines profondes. Le théoricien et le grand chantre de ce retour aux sources, c’est William Edwards Dubois . Cet élan de départ aux Etats-Unis donna naissance au mouvement de la Renaissance Nègre à la fin de la première guerre mondiale. Autour de 1930, un nouveau mouvement voit le jour à Paris, c’est le courant de la Négritude initié par des noirs pour la valorisation de la culture Nègre, particulièrement en Afrique dans un contexte de colonisation et de la négation de la race noire. Ce courant littéraire enclencha le réveil des consciences et le processus de décolonisation qui vont aboutir à l’indépendance d’un bon nombre de pays africains en 1960 .
Parallèlement, se lançait un courant théologique en Amérique latine sous l’initiative d’évêques latino-américains : c’est la « Théologie de la libération » . Cette dernière fut menée à bien par la création du Conseil Episcopal Latino-Américain(CELAM) en 1955, organe qui aura pour rôle de promouvoir la prise de conscience commune face aux problèmes que les Eglises d’Amérique latine restaient confrontées. Ce courant théologique se présenta comme une théologie du peuple et il surgit de la condition sociale des masses populaires, victimes de la violence politico-économique locale.
Cependant, sous l’influence de ces contextes, le clergé africain, à l’instar de ses prélats, emboucha la trompette pour l’authenticité et l’africanisation de l’Eglise en Afrique. Ce qui amena, en 1956, de jeunes prêtres noirs à réfléchir sur les relations entre le christianisme et la culture africaine à travers un ouvrage collectif intitulé Des prêtres noirs s’interrogent. Cette publication fit écho. Ensuite, Bruno CHENU nous parle du grand débat qui a opposé, dans les années 1960 à Kinshasa, un missionnaire occidental nommé le père VANNESTE et un jeune prêtre étudiant, l’abbé TSTHIBANGU, sur l’opportunité d’une théologie africaine .
L’EGLISE CATHOLIQUE AFRICAINE DANS LE CONTEXTE DE LA VEILLE DES ANNEES SOIXANTE
CONTEXTE COLONIAL ET ECCLESIAL
Au point de vue coloniale, l’Afrique noire dans la première moitié du 20ème siècle vivait dans le système politique de la colonisation. Tandis qu’au point de vue ecclésial, nous nous situions dans la reprise missionnaire de l’évangélisation initiée au lendemain de la redécouverte du continent noir au début du XIX ème siècle.
En effet, en Afrique, pendant la colonisation, le pouvoir colonial avait adopté une structure dénommée « trinômies coloniale » qui, outre l’administration politique et les sociétés commerciales, considérait partie intégrante de la colonisation les Missions chrétiennes chargées de l’éducation, de la conversion des colonisés, ainsi que leur cheminement vers l’univers culturel et religieux de la métropole . Une telle organisation était une réponse adéquate du système coloniale que poursuivaient les puissances d’alors en Afrique et dont le missionnaire ne réussit pas à apercevoir les vices de mécanismes structurels. Ce système colonial déterminait la situation sociale et ecclésiale en Afrique noire.
Ce système, dénommé aussi « situation coloniale », se décrit comme suit :
La domination imposée par une minorité étrangère racialement et culturellement différente au nom d’une supériorité raciale (ou ethnique) et culturellement dogmatique affirmée à une majorité autochtone matériellement inférieure ; la mise en rapport de civilisations hétérogènes : une civilisation à machinisme, à économie puissante, à rythme rapide et d’origine chrétienne s’imposant à des civilisations sans techniques complexes à économie retardée, à rythme lent et radicalement non chrétiennes ; le caractère antagoniste des relations intervenant entre les deux sociétés qui s’explique par le rôle d’instrument auquel est condamnée la société dominée ; la nécessité, pour maintenir la domination, de recourir non seulement à la force mais encore à un ensemble de pseudo-justifications et de comportements stéréotypés, etc. .
Dans cette perspective, le côtoiement des deux entités culturelles, la puissance coloniale et l’Afrique noire, provoqua des heurts au détriment de cette dernière : le partage arbitraire des territoires provoque la désintégration des sociétés jadis harmonieuses au point de vue culturelle et religieuse ainsi que la désorganisation des institutions traditionnelles autour des quelles s’organisait d’habitude la vie sociale. Nous trouvons un exemple patent de sorte d’anathèmes mise sur pied en 1923 à Kisangani (Congo belge) par le Comité Supérieur Ecclésiastique(CSE) des Missions Catholiques Belges . Le mobile de ces opérations consistait dans la nécessité de porter ces peuples attardés primitifs à la lumière et aux bienfaits de la civilisation chrétienne, mission éminemment humanitaire et de solidarité humaine en même temps que proprement chrétienne .
Ainsi, ce mobile nous conduit à remarquer que malgré des objectifs différents poursuivis, d’un coté pour les administrateurs coloniaux et, de l’autre côté, par les missionnaire, les moyens empruntés pour y parvenir engendraient des convergences pouvant dérouter les esprits non avisés. C’est ce qu’exprime avec raison cette appréciation de BIMWENYI-KWESHI :
Les projets d’expansion coloniale et les projets d’évangélisation allaient souvent de paire, faisant partie intégrante d’un programme unique dans l’esprit des princes chrétiens d’autrefois(…). L’évolutionnisme sousjacent de l’idéologie de la mission civilisatrice et éducatrice de l’occident affecta l’évangélisation de l’Afrique dans le sens d’une occidentalisation .
C’est à travers cette situation, que le christianisme fut ainsi considéré à cette époque coloniale comme un aspect de la civilisation occidentale et la Mission comme l’instrument de la pénétration à la fois culturelle et religieuse.
Cependant, se voyant être au pied du mur sous le service du colonisateur, l’Eglise romaine se sentait obligée de redorer son blason. Ce qui l’a poussée à revisiter l’histoire d’une décision qui fondait elle-même l’essence de la Mission notamment la fondation de la Propaganda Fide (Congrégation pour la Propagation de la Foi) par le Pape Grégoire XV, le 6 janvier 1622 . En effet, cette congrégation est un organe central et suprême pour la propagation de la foi(…), dont le double objectif vise l’union des Eglises orthodoxes et protestantes, et à promouvoir les Missions chez les païens.
Par cette décision, l’Eglise catholique voulait récupérer une de ses prérogatives essentielles, c’est-à-dire l’évangélisation, qui risquait de devenir sous le monopole du pouvoir temporel des Souverains des pays colonisateurs d’Europe sous couvert du patronat. Cette récupération déclencha en même temps, la redécouverte de nouvelles méthodes de prédication de l’évangile qui impliquent entre autres choses, le respect des valeurs authentiques des peuples à évangéliser. Ceci fut désormais visible dans les premières initiatives de cette congrégation : par suite d’une consultation auprès des évêques, des Supérieurs Généraux, la congrégation élabora grâce au zèle de son premier secrétaire Francesco INGOLI, un plan missionnaire où l’on stipulait la formation du clergé autochtone ainsi que la création de la hiérarchie locale.
Dans son instruction programmatique de 1659, adressée aux Vicaires Apostoliques d’Indochine, nous trouvons les points saillants suivants :
❖ Détachement du colonialisme afin que les missionnaires exercent une fonction purement spirituelle .
❖ Abstention des missionnaires de la politique et du commerce .
❖ Formation du clergé autochtone .
❖ Adaptation aux cultures et aux coutumes locales .
Tel était désormais le pivot de la direction de l’activité missionnaire de l’Eglise Catholique Romaine. Il est clair que cette instruction ne regardait pas directement l’Afrique noire, mais du point de vue contextuel, la concernait. N’oublions pas que depuis la découverte des premières côtes de l’Afrique par les portugais, des missionnaires portugais, en compagnie de leurs concitoyens navigateurs et explorateurs, avaient déjà exercé l’activité missionnaire et fondé des missions sur l’île de Santiago, au Cap vert, dans les pays tels que la Guinée, la Sierra Léone, le Bénin, l’île de Sao Tomé, le Congo, l’Angola, le Mozambique et le Madagascar .
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE LES RACINES HISTORIQUES DE LA QUÊTE D’EMANCIPATION DE L’EGLISE CATHOLIQUE AFRICAINE
CHAPITRE I: L’EGLISE CATHOLIQUE AFRICAINE DANS LE CONTEXTE DE LA VEILLE DES ANNEES SOIXANTE
1. CONTEXTE COLONIAL ET ECCLESIAL
2. CONTEXTE CULTUREL
CHAPITRE II : LA PARTICIPATION DE L’AFRIQUE CATHOLIQUE AU CONCILE
1. L’ENTREE EN SCENE DE LA SOCIETE AFRICAINE DE CULTURE
DEUXIEME PARTIE : LA QUÊTE D’IDENTITE ET D’AUTONOMIE DE L’EGLISE CATHOLIQUE AFRICAINE AUX LENDEMAINS DU CONCILE VATICAN 2
CHAPITRE I : LA QUETE D’UNE IDENTITE CATHOLIQUE AFRICAINE
1. LA FIN DE L’ERE MISSIONNAIRE
2. L’ELABORATION ET L’EVOLUTION DE LA THEOLOGIE AFRICAINE
CHAPITRE II : LA QUÊTE D’AUTONOMIE
1. EVALUATION DU CONCEPT D’AUTONOMIE : sens et applicabilité
2. PLAIDOIERIES POUR L’AUTONOMISATION DE L’EGLISE CATHOLIQUE AFRICAINE
3. LIMITES ET PERSPECTIVES
CONCLUSION GENERALE
Annexe 1
Annexe 2
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES