Les questions de professionnalisation au prisme du travail éducatif

Définition et esquisse périmétrique d’un champ de pratiques sociales

Entreprendre une analyse des relations entre travail et formation des infirmiers exerçant spécifiquement en psychiatrie et santé mentale implique avant tout de délimiter ce champ de pratiques. Préciser les termes clés de notre propos est incontournable, ceci pour des raisons à la fois sémantiques et conceptuelles. Sémantiques, car toute contribution à la recherche demande une explicitation des termes mobilisés, ceci pour faciliter tant la compréhension du discours scientifique que l’intercompréhension dans l’échange des idées. Conceptuelles également, car pour spécifique que soit le champ lexical du domaine étudié, l’usage d’un vocable ou d’une expression revêt parfois des significations multiples, ce qui complexifie la désignation des phénomènes observés et donc leur analyse.

L’expression même de « santé mentale » véhicule une ambiguïté notable, celle-ci pouvant désigner à la fois l’état psychique d’une personne ou un champ de pratiques sociales et professionnelles dont la psychiatrie serait une sous-catégorie, une discipline spécifique. Le rapport Milon (2009, p. 7) s’est par exemple appuyé sur une enquête états-unienne pour opérer la distinction entre « santé mentale » (comme le bon fonctionnement des capacités mentales humaines), les « troubles mentaux » (concernant des dérangements de ce fonctionnement associés au comportement, à l’humeur ou à la pensée), et la « maladie mentale » (relevant de ce qui relève du diagnostic médical). D’emblée, on perçoit différentes nuances contenues dans ce syntagme que nous allons nous efforcer de délimiter dans un premier temps.

Cette entrée en matière cherchera donc à dégager des éléments de compréhension de l’évolution ayant caractérisé la psychiatrie et la santé mentale en tant que domaine de pratiques. Il s’agit d’une entreprise modeste si on la replace dans l’immensité que constitue l’histoire du trouble mental, de la folie même, des représentations qu’elle a suscitées et du traitement social dont elle a fait l’objet à travers les âges jusqu’à nos jours. Notre intention n’est pas tant ici de  substituer notre travail à celui de l’historien que de restituer les grandes lignes historicoculturelles permettant d’éclairer utilement l’émergence des préoccupations de formation – puis de professionnalisation – des infirmiers amenés à travailler en psychiatrie et santé mentale.

Pour ce faire, nous entamerons ce propos par une délimitation du champ de pratiques exploré. A quoi renvoie la psychiatrie ? La santé mentale ? Quelle distinction peut-on faire entre ces deux expressions ? Nous amorcerons ce chapitre en répondant à ces trois questions, ce qui permettra de circonscrire notre champ d’investigation. Nous reviendrons pour cela sur des éléments majeurs ayant marqué l’histoire de la psychiatrie en France aux XIXe et XXe siècles, à commencer par l’institutionnalisation de l’asile comme lieu de traitement de la maladie mentale. Nous verrons comment celui-ci est devenu un lieu de domination ségrégative, contesté en son sein-même par une partie de ses acteurs. Nous reviendrons par la suite sur la manière dont ce lieu, initialement conçu pour la vie autarcique, évolua dans la seconde moitié du XXe siècle pour constituer un champ de pratiques professionnelles associé avec, voire inséré dans la cité. Ce paysage dessiné, il nous sera enfin possible d’apporter des éclairages sur la spécificité du travail infirmier en psychiatrie et santé mentale.

Avant toute chose, commençons par caractériser la psychiatrie comme une branche de la médecine diagnostiquant, traitant et prenant comme objet de recherche les pathologies affectant le psychisme (troubles psychotiques, schizophrénie, troubles de l’humeur, troubles bipolaires ou anxieux, dépressions, conduites suicidaires, etc.) ainsi que leur étiologie. Les pratiques en psychiatrie sont variables selon l’âge de la vie du patient. On distingue par exemple la psychopathologie de l’adolescent et celle du sujet âgé, chacune relevant de connaissances et d’approches spécifiques (Guelfi et Rouillon, 2007).

Le diagnostic en psychiatrie est alors élaboré à partir de symptômes cliniques manifestés par le psychisme. Celui-ci donne lieu à un traitement (une thérapeutique) pouvant associer ou privilégier des approches biologiques, psychologiques et sociales (Grunberg, Massé, Lalonde et Aubut, 1999 ; Bernard, 2002). Le diagnostic établi donne notamment lieu à la mise en œuvre d’une psychothérapie, pratique scientifique dont la psychiatrie n’a toutefois pas le monopole. Celle-ci ne relève donc pas nécessairement d’une approche médicale. Ancrée dans la démarche psychologique et fortement influencée par les théories psychanalytiques, la psychothérapie porte sur la méthode et les techniques de traitement que le psychothérapeute (psychiatre, psychologue ou infirmier) met en œuvre selon des objectifs déterminés (Sahli, Le GoffCubilier, Weyeneth et Bryois, 2006). Dans ce sens, si chaque traitement est orienté selon une nosographie psychiatrique (un classement des pathologies selon des signes cliniques distinctifs), certaines approches – à l’instar de celle dite de la psychothérapie institutionnelle – inscrivent au cœur de leurs pratiques la réflexion sur l’organisation des institutions de prise en charge des cas psychopathologiques. De ce fait, les pratiques de soins en psychiatrie ne relèvent pas du seul savoir médical, mais aussi de la manière d’agencer « un système de médiations permettant l’échange inter-humain à plusieurs niveaux » (Michaud, 1977 citée par Delion, 2011b, p. 160).

Entre psychiatrie et santé mentale

La psychiatrie se caractérise ainsi par un ensemble riche et hétérogène de connaissances, de techniques, d’usages, mais aussi par une pluralité de modèles pour orienter tant la pratique soignante que la recherche (Botbtol, 2006). Elle constitue la branche scientifique spécialisée dans les psychopathologies mais relève de démarches ne se cantonnant pas pour autant à la seule sphère médicale. Certes, la psychiatrie renvoie à toute une classification diagnostique donnant à ses professionnels médicaux et paramédicaux une grille de lecture d’interprétation nosologique des différentes manifestations des troubles psychiques. Mais à la différence d’un diagnostic propre aux disciplines somatiques (prenant pour objet de travail le corps humain dans sa dimension physique), celui se prononçant sur les pathologies mentales implique systématiquement un jugement de l’observateur à l’égard de celui qu’il identifie comme malade (Zarifian, 1990). Le jugement d’autrui est alors incontournable, ceci malgré son caractère objectivé par l’existence d’une classification des pathologies mentales élaborée et révisée à plusieurs reprises au fil des propositions et débats animant la communauté internationale des psychiatres depuis le début du XXe siècle (Garrabé, 2013).

Or, si l’on considère que la classification nosologique rationalise, et donc normalise en quelque sorte, les manifestations de troubles psychiques, on peut conjointement voir la question de la santé mentale s’étendre au domaine du « normal » (Vaillant, 2003) en particulier avec l’évolution du DSM. Le journaliste Patrick Coupe choux (2014) voit dans cette évolution diagnostique une médicalisation de la société, une étendue de la prise en charge à la population générale. Ce regard sur la santé mentale ouvre une perspective distinguant l’approche psychologique du regard anthropologique. La santé mentale « jette [alors] un pont entre la psychiatrie (fondée sur la relation patient-soignant) et la santé publique (élaborée au niveau d’une population, dans une optique politique) » (Lovell, 2004, p. 6). Elle peut alors être analysée à partir de la perspective durkheimienne comme un phénomène social.

Comme le souligne en effet Anne M. Lovell (2007), Durkheim définit la maladie mentale comme un fait social anormal, ce qui implique trois postulats. (1) D’abord, si la maladie renvoie effectivement à une déviance, à une « transgression de normes », la Sociologie s’attèle à comprendre comment son traitement implique un enjeu de « contrôle social ». (2) Ensuite, le traitement d’une maladie est spécifique du groupe et de la culture dans laquelle elle s’inscrit. Le sujet affecté par la pathologie est ainsi inséré dans ce tissu collectif. (3) En définissant enfin ce qui relève ou non du pathologique, la société définit « les contours de la normalité » (Lovell, 2007, p. 65). Sur ce dernier point, la maladie mentale constitue pour Claude Lévi-Strauss une notion contradictoire. En effet, si sa désignation met en question la participation sociale du malade, le trouble mental n’en est pas moins identifié en référence à des normes sociales qui le définissent comme telle..

C’est la notion même de maladie mentale qui est en cause. Car si, comme l’affirme Mauss, le mental et le social se confondent, il y aurait absurdité, dans le cas où social et physiologique sont directement en contact, à appliquer à l’un des deux ordres une notion (comme celle de maladie) qui n’a de sens que dans l’autre (Lévi-Strauss, 2010, p. XXII).

Dès lors, les approches sociologiques et anthropologiques sont amenées à interroger les modalités d’inclusion, d’écartement et de contrôle social des malades mentaux, bref, des interactions et dynamiques institutionnelles à l’œuvre dans leur traitement social .

Par ailleurs, on remarque aujourd’hui la montée d’une préoccupation pour les questions portant sur le psychisme au sein de la population française (Rapport DREES, 2011 ; Rapport Robiliard, 2013). Néanmoins cette évolution du rapport au psychisme se démarque d’un intérêt pour la psychiatrie qui demeure un champ de pratiques principalement investi par ses professionnels et peu saisi par l’opinion. On n’en observe pas moins un élargissement de la culture « psy » ramenant le concept de santé mentale au plan des préoccupations d’une population générale au sein de laquelle chacun est potentiellement concerné (Padis, 2015). Les pathologies relevant de la psychiatrie sont ainsi jugées particulièrement préoccupantes par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en raison de leurs conséquences délétères (suicides, handicaps, précarisation des conditions de vie, etc.). S’il est admis qu’une prise en charge précoce permet d’atténuer les effets des troubles psychiques, ceux-ci se caractérisent cependant par une symptomatologie (autrement dit l’ensemble des symptômes caractérisant l’affection mentale) particulièrement complexe rendant leur diagnostic difficile et souvent tardif (Rapport DREES, 2015).

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre premier. De la psychiatrie à la santé mentale. Eléments introductifs d’un champ de pratiques professionnelles
Introduction : définition et esquisse périmétrique d’un champ de pratiques sociales
1. Entre psychiatrie et santé mentale
2. La psychiatrie : une réponse sociale au problème de la folie par le traitement psychique et moral
3. Le pouvoir : principe organisateur de la vie asilaire ?
4. D’une contestation de l’ordre établi à un changement de paradigme
4.1. La psychothérapie institutionnelle : une prise en charge active et subversive
4.2. Une psychiatrie envisagée « hors-les-murs »
5. La « sectorisation » : mouvement de désenclavement et d’humanisation
6. Les défis persistants de la politique publique de psychiatrie et santé mentale
7. Les infirmiers en psychiatrie et santé mentale
7.1. Le mythe fondateur d’un savoir expérientiel
7.2. Une spécificité à définir
7.3. Un groupe social discrédité
7.4. Des pratiques hétérogènes
7.5. La question des « pratiques avancées »
Conclusion : une initiative locale de professionnalisation des infirmiers
Résumé du chapitre
Chapitre 2. Des spécificités d’une recherche commanditée : entre expectative sociale et posture de chercheur
Introduction : le cadre de la rencontre
1. Une recherche partenariale mise en œuvre dans le cadre des Conventions industrielles de
formation par la recherche (CIFRE)
1.1. Un laboratoire de recherche, garant de la qualité scientifique du partenariat : le CIREL et l’équipe Proféor
1.2. Un commanditaire et co-financeur de la recherche : l’EPSM Lille-Métropole
1.3. Un chercheur en herbe en formation à et par la recherche : le doctorant
2. De quelques implications du caractère commandité de la recherche sur la posture du chercheur
3. Une expectative sociale à plusieurs niveaux d’interpellation
4. La question de l’intervention dans la recherche en sciences humaines et sociales
5. L’identification du chercheur et ses effets sur notre posture de recherche
5.1. Une identification confuse
5.2. Une stratégie de mise en œuvre des entretiens de recherche
Conclusion : des traits caractéristiques de notre posture de recherche
1. Une posture hybride
2. Une identification du chercheur inspirée par la figure de l’« étranger »
3. Une intervention par la formation
Résumé du chapitre
Chapitre 3. Les questions de professionnalisation au prisme du travail éducatif
Introduction : une question d’éducation ?
1. De quoi « professionnalisation » est-il le nom ?
1.1. Une catégorie de pratiques transformatrices des espaces de travail et de formation
1.2. Un champ d’analyse aux multiples objets
2. L’institutionnalisation d’une relation entre travail et formation
2.1. Quelques précisions sur la notion d’institution
2.2. Le dispositif comme processus instituant ?
3. La portée du travail éducatif dans la construction du rapport au métier
3.1. Comprendre le travail pour comprendre le travail éducatif
3.1.1. Une activité centrale oscillant entre souffrance et satisfaction
3.1.2. Une activité en transformation
3.1.3. Un processus de socialisation
3.2. Le caractère spécifique des activités adressées à autrui
3.3. Des dimensions mal visibles du travail
4. L’évaluation : un processus axiologiquement marqué à questionner
4.1. Retour sur une pratique à succès
4.2. Une recherche de contrôle social du travail
4.3. Une conception utilitariste de l’activité humaine
4.4. Une irrésistible quantification des données de l’évaluation
Conclusion : vers une évaluation « signifiante » du travail éducatif
Résumé du chapitre
Conclusion générale

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