Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
Impact social et économique de la MA Epidémiologie
La recherche épidémiologique sur la maladie d’Alzheimer est à elle seule un vaste champ de recherche. Avant toute chose, il est impératif de rappeler la difficulté rencontrée dans ce type d’étude malgré l’évolution des connaissances. Depuis une dizaine d’années, on observe en effet un apport bénéfique d’études longitudinales des populations et une meilleure standardisation des procédures de diagnostic.
D’abord, la difficulté principale pour un épidémiologiste est d’identifier des cas de démences relatifs à la MA dans une population définie. Cette identification est souvent réalisée après une démarche active de sa part. Il est amené à poser lui-même un diagnostic compte tenu par exemple du fait que la maladie est soit non reconnue par la personne sondée, non reconnue par ses proches ou non diagnostiquée par son médecin traitant. L’épidémiologiste est alors contraint à se poser une question essentielle : où se situe la limite entre un trouble de la mémoire isolé et un véritable début de MA ? Sachant que le processus pathologique de la maladie d’Alzheimer est probablement actif de nombreuses années avant l’apparition des premiers signes cliniques, une difficulté supplémentaire s’ajoute à ce diagnostic et donc à l’étude épidémiologique. Compte tenu de toutes ces problématiques, plusieurs études réalisées en France (Helmer, Peres et al. 2008) ou dans d’autre pays (Tyas, Tate et al. 2006) tenteraient à affirmer que seulement un cas sur trois, tous stades de la maladie confondus, serait véritablement identifié.
Par conséquent et à la vue des difficultés listées précédemment, des méta-analyses regroupant plusieurs données sont à privilégier. Ainsi au niveau européen, un groupe de recherche, intitulé EURODEM, a rassemblé les données obtenues entre 1980 et 1990 dans douze lieux d’enquêtes, incluant les résultats recueillis auprès de la population française ainsi que de six autres pays (Danemark, Espagne, Finlande, Grande-Bretagne, Suède, Pays-Bas). Les chiffres de prévalence des démences issus de cette étude nous montrent que leur fréquence augmente avec l’âge : ils atteignent moins de 2 % d’Européens entre 65 et 69 ans, plus de 30 % après 90 ans. Le taux d’incidence obtenu est ainsi de 2 pour 1 000 personnes/années entre 65 et 69 ans à 70 pour 1 000 personnes/années après 90 ans. Or, 70 % de ces démences sont à mettre sur le compte de la maladie d’Alzheimer (10% démences « vasculaire » et 20% démences mixtes).
En parallèle, du fait de la baisse de la fécondité et de l’allongement de l’espérance de vie, la pyramide des âges dans les pays développés est largement bouleversée. Aujourd’hui, ces deux phénomènes conjugués entraînent un vieillissement marqué de la population, allant de pair avec une augmentation considérable des pathologies liées à l’âge notamment les démences et en particulier la maladie d’Alzheimer.
Ainsi, les prévisions rendues publiques par certains groupes se révèlent alarmistes. Dans le monde, 50 millions de personnes vivent actuellement avec une démence alors que 75 et 130 millions de personnes en seront atteintes en 2030 et 2050 respectivement (World Alzheimer Report 2015). En France, alors que 860 000 personnes étaient touchées par la maladie d’Alzheimer en 2004, 1,3 million pourraient être atteintes en 2020 et 2,1 millions en 2040 selon une évaluation ministérielle. Coûts de la MA
Les conséquences sociales et humaines sont évidemment à mettre au premier plan mais des répercussions économiques sont également à prendre en compte. Une étude conduite par l’association France Alzheimer a estimé à plus de 1000€ par mois, le coût de la prise en charge d’une personne atteinte de la MA. Au niveau mondial, le coût global de la démence a augmenté de 35% entre 2010 et 2015 pour atteindre 818 milliards de dollars, une somme équivalente au PIB de la Suisse ou la première valorisation boursière mondiale (dépassant Apple et ses 742 milliards de dollars en 2015).
Historique
Dès l’antiquité, philosophes, médecins et même juristes associèrent déjà l’augmentation de l’âge avec l’augmentation de démences. Solon parlait d’altération de jugement lié à l’âge de certaines personnes et pouvait dans ce cas permettre d’invalider un « testament ». Platon quant à lui, reconnaissait qu’un état de folie ou de maladie pouvait excuser certains crimes comme les sacrilèges, la perfidie ou la haute trahison.
A Rome, aux Ier et IIème siècles de notre ère, Juvenal écrivait dans son oeuvre poétique Les Satires : « De toutes les blessures corporelles, la démence est de loin la pire. Celui qui en est atteint ne sait plus le nom de ses esclaves, ne reconnaît plus l’ami avec qui il a dîné la veille, ni ceux qu’il a engendrés et élevés ; et par un cruel testament, il déshérite les siens et fait don de toutes ses propriétés. ». Alors que Galien (IIème siècle), est le premier à introduire le terme de « dementia » qu’il distingue bien de « délirium » compte tenu de l’évolution qualifiée respectivement de chronique ou d’aiguë.
Plus tard, Pinel en 1797, définit un nouveau terme du vocabulaire médical français : « démens », dérivé du latin : « de » (hors de) et « mens » (esprit). Le médecin, précurseur de la psychiatrie, caractérise la situation de ces démens par la disparition des qualités intellectuelles spécifiques de l’être humain ou « abolition de la pensée ». Les démences sont catégorisées à l’époque d’aliénation mentale comme les schizophrénies. Son élève, Esquirol, dissocie les démences des psychoses fonctionnelles. Il décrit justement que : « La démence est une affection cérébrale caractérisée par l’affaiblissement de l’intelligence, de la volonté, de la sensibilité ». Ainsi, « L’homme en démence est privé des biens dont il jouissait autrefois. C’est un riche devenu pauvre ; l’idiot a toujours été dans l’infortune et la misère ». Les notions de chronicité mais aussi d’incurabilité sont dès lors indispensables au diagnostic de démence.
En novembre 1901, un médecin psychiatre, neurologue et neuropathologiste allemand du nom d’Alois Alzheimer examine pour la première fois Auguste Deter, une femme de 51 ans souffrant de troubles de mémoire, du langage et d’autres troubles psychologiques (désorientation, hallucinations, etc). Son état correspondait à ce que l’on appelait alors une démence. Particulièrement jeune pour présenter ces symptômes, le terme de « démence présénile » fût initialement diagnostiqué.
Auguste Deter décède le 8 avril 1906 et le Dr. Alzheimer obtient de la famille la permission de pratiquer une autopsie sur sa patiente. Il constate d’abord une grande atrophie cérébrale, particulièrement au niveau du cortex. Puis, au microscope, il observe grâce à une technique d’imprégnation argentique deux types de dépôts anormaux les plaques amyloïdes et les dégénérescences neurofibrillaires, respectivement à l’extérieur et à l’intérieur de cellules nerveuses.
Le 4 novembre 1906, lors de la 37ème Conférence des psychiatres allemands à Tübingen, en Allemagne, Alois Alzheimer décrit pour la première fois cette « maladie particulière du cortex cérébral ». Deux articles très concis, écrits suite à cette présentation sont publiés en 1907 et en 1910, dans le Manuel de psychiatrie dirigé par Emile Kraeplin, alors directeur d’Alois Alzheimer. Le cas d’Auguste D. est pour la première fois nommé : maladie d’Alzheimer (ou démence pré-sénile). Alois Alzheimer évaluera en tout 5 cas de patients atteints de MA au cours du début du XXème siècle. En 1911, il publiera un article bien plus complet, interprétant minutieusement d’un point de vue clinique et neuropsychologique, l’un de ces cas : le patient Johann F. âgé de 54 ans. Bien plus tard, à l’analyse des sections neurohistologiques de ce patient retrouvées parmi les archives de l’Institut de neuropathologie de l’Université de Munich et à l’apport de méthodes modernes, Möller et Graeber, conclurent en 1998 à un cas de type « plaque-only » (Moller and Graeber 1998). A cela s’ajoute des informations sur la généalogie de Johann F, retrouvées par Klunemann et al, en 2002, qui notèrent des causes de décès plus ou moins semblables à partir de 1830 et concluant ainsi à une prédisposition familiale (Klunemann, Fronhofer et al. 2002). Alois Alzheimer aura donc détaillé les grands concepts de la maladie mais mourra prématurément le 19 décembre 1915 à l’âge de 51 ans. Ce qui est particulièrement marquant est que ces observations restent encore aujourd’hui les seules preuves utilisées pour le diagnostic post-mortem de certitude de la MA.
Neuropathologie de la MA
Comme précédemment décrit, les premières observations réalisées par le Dr Alois Alzheimer au début du XXème siècle faisaient déjà état de trois caractéristiques neuropathologiques majeures : l’atrophie cérébrale, les dégénérescences neurofibrillaires et les plaques amyloïdes. D’autres éléments importants sont néanmoins manquants comme l’angiopathie amyloïde cérébrale, les pertes synaptiques ainsi que la réactivité astrocytaire et microgliale. L’atrophie cérébrale
Il est d’abord à noter que, d’après des études post mortem, le volume du cerveau d’individus cognitivement sains diminue avec l’âge. Entre 30 et 50 ans, le volume cérébral diminue de 0,1 à 0,2% par an alors qu’après 70 ans, des diminutions allant de 0,3 à 0,5% par an sont à noter (Esiri 2007). Ces variations apparaissent de façon uniforme dans la substance blanche mais présente plus de différences au niveau de la substance grise. Par exemple, les aires frontales et pariétales du cortex sont plus touchées que les aires temporales et occipitales. Par conséquence, le système ventriculaire s’élargit en réponse à ses modifications.
Dans la plupart des cas de patients atteints de MA, l’atrophie corticale est modeste mais globale, pas exclusive à certaines régions. Comme par diffusion, elle touche aussi bien les aires motrices primaires, sensorielles que visuelles. Là aussi, la perte de tissus cérébraux est finement corrélée avec une dilatation symétrique des ventricules latéraux. Pour ces patients examinés à un âge supérieur à 80 ans et comparés avec des patients non déments appariés en âge, les variations à l’intérieur des groupes sont telles qu’il est difficile, voire impossible de déterminer si la personne développe une MA ou non. Cependant, une atrophie significative de l’hippocampe associé à la dilatation sélective de la corne temporale adjacente du ventricule latéral peut représenter un indice relativement fiable et orientera le neuropathologiste vers un possible diagnostique futur de MA (Perl 2010).
A contrario, pour les cas les moins fréquents de MA précoce (habituellement examinés après décès à l’âge moyen de 65 ans), les différences de volume et d’épaisseur corticale avec celles d’individus appariés en âge apparaissent alors très clairement. L’atrophie cérébrale est très variable, elle résulte en une perte de poids cérébral de 200 à 500 g (sur un poids moyen d’environ 1,3 kg) et touche principalement les régions médio-temporales. En plus de l’examen post-mortem, l’atrophie peut également être mise en évidence in vivo par des techniques d’imagerie, notamment l’imagerie par résonnance magnétique (IRM) (Figure 1).
Figure 1 : Visualisation de l’atrophie cérébrale par IRM
Evaluation visuelle semi-quantitative de l’atrophie temporale médiane par IRM. Quatre degrés d’atrophie de l’hippocampe [HP] et du cortex entorhinal [ERC] y sont décrits. 0 = Pas d’atrophie ; 1 = atrophie minimale ; 2 = atrophie légère ; 3= atrophie modérée ; 4 = atrophie sévère (Varon, Loewenstein et al. 2011)
Ces cas sévères, mais rares, ont eu pour effet de profondément marquer l’esprit des médecins et chercheurs, de telle sorte que l’atrophie cérébrale est encore aujourd’hui considérée comme une altération majeure dans la MA. En 2011, l’agence européenne de médecine proposait même d’utiliser l’atrophie hippocampique comme marqueur acceptable d’entrée en essais clinique. Mais l’atrophie n’est en réalité jamais spécifique et elle ne touche pas uniquement les maladies neurodégénératives. Nous donnerons l’exemple des cas d’ischémies qui touchent alors une région cérébrale bien particulière. Nous l’avons vu, la perte de volume ou de poids n’est pas toujours significative dans les cas de MA les plus majoritaires ce qui fait de l’atrophie un marqueur plus que perfectible quant au diagnostic de la MA. En 2013, (Erten-Lyons, Dodge et al. 2013) ont d’ailleurs réussi à montrer que l’expansion ventriculaire était bien mieux corrélée à la pathologie que le volume hippocampique lui-même. Le diagnostic final de la MA ne peut donc se faire uniquement sur cette simple analyse et nécessite un examen microscopique supplémentaire. Le dépôt de plaques amyloïdes
Dans son rapport original, Alois Alzheimer décrivit en premier lieu la présence de lésions cérébrales appelées par la suite plaques séniles ou plaques neuritiques. Elles sont extracellulaires et d’aspect fibrillaire sous observation par microscopie électronique. Ces plaques séniles sont des structures complexes définies par la présence de peptides Aβ1-40 et Aβ1-42 (pour 40 et 42 acides aminés) de 4 kDa, repliés en configuration de type feuillets β-plissés et s’accumulant autour d’un noyau dense (Kang, Lemaire et al. 1987). Il est a noter que l’Aβ1-42 se retrouve en plus grande quantité dans les plaques que l’Aβ1-40 en raison de son fort taux de fibrillation et d’insolubilité (Serrano-Pozo, Frosch et al. 2011). Ces peptides Aβ1-40 et Aβ1-42 dérivent du clivage de la protéine APP (protéine précurseur de l’amyloïde) que nous détaillerons un peu plus loin dans cette introduction (Chapitre II, I, 2).
La configuration particulière de ces plaques, fait qu’elles vont pouvoir fixer certains colorants chimiques comme le Rouge Congo ou la thioflavine S. En particulier, la production de biréfringence après stimulation sous lumière polarisée, fait qu’elles répondent à la définition physique de « composés amyloïdes » et explique pourquoi ces plaques sont plus usuellement appelées : plaques amyloïdes. D’autres plaques sont plus diffuses. Elles ne présentent pas de feuillets β-plissés et sont donc non détectables par ces deux colorants. Celles-ci sont alors immunomarquées à l’aide d’anticorps dont les clones 4G8 et 6E10 sont les plus utilisés. Nous pouvons également citer le clone BAM10 pour sa capacité à détecter les oligomères d’Aβ (Figure 2).
|
Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I : La maladie d’Alzheimer
I. Définition 10 Les démences et la maladie d’Alzheimer
La maladie d’Alzheimer
Les phases de la maladie d’Alzheimer
II. Impact social et économique de la MA 13 Epidémiologie Coûts de la MA
III. Historique
IV. Neuropathologie de la MA 16 L’atrophie cérébrale
Le dépôt de plaques amyloïdes
L’angiopathie amyloïde cérébrale
Les dégénérescences neurofibrillaires
La perte neuronale et synaptique
La réactivité astrocytaire et microgliale
V. Etiologie de la maladie d’Alzheimer 29 Les formes familiales de la MA
Les formes sporadiques de la MA
VI. Clinique de la Maladie d’Alzheimer 35 Diagnostic de la maladie d’Alzheimer
Traitements actuels
Essais cliniques conduisant à l’approbation de composés pharmacologiques
Essais cliniques actuels
CHAPITRE II : Progression et modélisation de la pathologie Alzheimer
VII. Progression de la pathologie Alzheimer 50 L’hypothèse historique de la cascade amyloïde (1990-2010)
La composante amyloïde
La composante Tau
L’hypothèse de la cascade amyloïde actuelle et revisitée
VIII. Modélisation de la pathologie Alzheimer 76 Les souris transgéniques
Autres modèles animaux de la MA
Un nouveau modèle propriétaire, développé par transfert de gènes
CHAPITRE III : Les protéines kinases et la maladie d’Alzheimer
I. Les protéines kinases 96 Définition et classification
Structure et fonction du domaine catalytique
Mécanismes de spécificité des protéines kinases
Inhibiteurs des protéines kinases
II. DYRK1A 114 Du gène à son expression tissulaire
La protéine DYRK1A : de la structure à la fonction
Pathologies cérébrales liées à DYRK1A
DYRK1A : une protéine clé dans la MA ?
Stratégies thérapeutiques ciblant DYRK1A
TRAVAIL DE THESE
RESULTATS
I. Article 1 : Compréhension et modulation pharmacologique de l’homéostasie de DYRK1A lors de la phase clinique de la MA
II. Article 2 : Modélisation de la phase préclinique de la pathologie Alzheimer chez le rat.
III. Article 3 : Inhibition de l’activité kinase de DYRK1A lors de la phase préclinique de la MA (Ebauche)
DISCUSSION
I. Implications de la protéine DYRK1A et intérêts thérapeutiques dans la phase clinique de la MA 225 Physiologie de DYRK1A lors de la phase symptomatique de la MA
Inhibition de la protéolyse de DYRK1A comme stratégie thérapeutique pertinente dans la MA 227
Interrogations suite aux données obtenues dans l’Article 1
II. Modélisation de la phase préclinique de la MA chez l’animal 237 Induction d’un stress Aβ chez le rat AAV-AD
Exacerbation de la pathologie amyloïde liée à l’âge
Conséquences d’un stress amyloïde subtile dans le temps
Potentielles études combinant le rat AAV-AD à d’autres animaux modélisant un facteur de risque de la MA
Limites actuelles et espoirs futurs d’un diagnostic de la phase préclinique de la MA
III. Implications de DYRK1A dans la phase préclinique de la MA 248 Régulation de la protéine DYRK1A lors de la phase silencieuse de la MA
Conséquences de l’inhibition de l’activité kinase de DYRK1A lors de la phase silencieuse de la MA.
Vers une application clinique ?
CONCLUSION
ANNEXES
I. Publications scientifiques 264 Publications au sein de l’équipe d’accueil
Autres publications
II. Communications orales 265 Présentations poster
Présentations orales
Bibliographie
Résumé 4ème de couverture
Abstrac
Télécharger le rapport complet