Contexte général
La compréhension des processus électroniques ayant lieu au cours de collisions atomiques et moléculaires présente un intérêt important pour la modélisation des nombreux phénomènes observés dans des systèmes complexes tels que les milieux atmosphériques, astrophysiques et biologiques [1–3]. Ces processus se manifestent au niveau microscopique mais jouent un rôle déterminant sur l’évolution et les propriétés physiques, chimiques ou physico-chimiques de ces systèmes macroscopiques. D’un point de vue fondamental, les collisions sont également des « laboratoires » privilégiés pour l’étude de systèmes quantiques à N-corps et de leur dynamique. Les aspects fondamentaux et applicatifs qui touchent l’étude des collisions ont donc stimulé l’essor de vastes domaines de recherche depuis l’avènement de la mécanique quantique ; ces travaux ont aussi abouti assez naturellement dans les années 90 à l’extension des méthodologies (et de l’instrumentation) utilisées pour l’étude des systèmes atomiques et moléculaires en champs laser intenses et ultra-brefs [4]. En particulier, les collisions ion-atome sont d’une importance majeure dans les domaines déjà cités plus haut qui nécessitent la compréhension et la modélisation des processus électroniques qui se manifestent au cours des collisions. Dans ce contexte, l’originalité de notre travail se situe dans l’étude de collisions entre un ion et une cible atomique excitée qui s’avèrent être un thème important, et peu étudié jusqu’à maintenant, en physique des plasmas de fusion. Ce travail de thèse en cotutelle entre l’Université Pierre et Marie Curie et l’Université Moulay Ismail a été monté dans le cadre du Programme Doctoral International «Modélisation des Systèmes Complexes» (PDI MSC), financé par l’Institut de Recherche pour le Développement IRD, Bondy France. Cette thèse prend sa motivation des projets de fusion nucléaire tels que JET (Joint European Torus) et ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor), réacteurs expérimentaux de recherche pour la maîtrise de la fusion. Le soleil est un véritable réacteur thermonucléaire qui est la source d’énergie la plus abondante dans notre système solaire. Celle-ci est produite principalement par fusion nucléaire transmise à notre planète par rayonnement. La production de l’énergie par fusion est le but des réacteurs de fusion tokamak dont nous soulignons qu’en 1991, à Abingdon (Angleterre), les chercheurs du JET ont réussi, pour la première fois, à obtenir une quantité considérable d’énergie électrique de l’ordre de 2,0 MW produite par fusion nucléaire. Cette première correspondait à une avancée cruciale dans le développement de la fusion en tant qu’une nouvelle source d’énergie importante. Grâce à cette expérience historique, l’effort réalisé au cours de longues décennies par un grand nombre de physiciens a amené des avancées technologiques et scientifiques telles que l’objectif d’énergie de fusion n’est plus vain. Bien sûr, ce n’est pas encore la fin de l’effort, car un nouveau projet appelé DEMO (Réacteur de DEMOnstration) représenterait une révolution dans la technologie de fusion [5], avec comme objectif de produire plus de 5 GW .
Dans la recherche sur la fusion, nous mettons l’accent sur la spectroscopie d’émission de faisceau, et particulièrement sur l’injection de faisceaux d’atomes d’hydrogène (pour le chauffage et diagnostic), qui contiennent une proportion non négligeable d’atomes dans des états excités [9]. Ces atomes sont aussi présents de part la dynamique du système dans le plasma de bord, qui est la partie la plus froide du plasma, en contact direct avec le mur de l’enceinte du réacteur. Les collisions à basses vitesses y sont dominantes de telle sorte que les processus de capture soient largement dominants, avec la contribution non négligeable de la capture à partir de ces états excités de l’hydrogène. L’objectif de notre travail a donc été d’obtenir des données théoriques qualitatives fiables sur ces processus de transfert électronique. Dans ce but, nous avons utilisé deux méthodes non perturbatives, l’une semiclassique (SCAOCC) et l’autre classique (CTMC), pour décrire les processus électroniques ayant lieu au cours de collisions H+ − H(n). Si les collisions impliquant l’atome d’hydrogène dans son état fondamental ont été abondamment étudiées, les résultats pour n > 1 sont parcellaires car très complexes à obtenir. Nous avons développé un code sur la bases de la méthode CTMC qui nous a permis d’obtenir des résultats jusqu’à n = 7 pour la capture mais aussi l’excitation et l’ionisation. La méthode semiclassique qui décrit quantiquement la dynamique du nuage électronique est plus difficile à mettre en œuvre et n’a pu être utilisée que pour les plus bas états excités. L’utilisation conjointe de deux méthodes différentes nous a permis de reporter des résultats, les comparer et discuter la fiabilité de ceux-ci. Le manuscrit est organisé comme suit. Après un paragraphe, ci-dessous, dédié à l’état de l’art de la capture électronique dans les collisions ion-atome, les chapitres deux et trois présentent successivement une description détaillée de l’approche statistique classique CTMC et un résumé de l’approche semiclassique non-perturbative de type close coupling. Dans les quatrième et cinquième chapitres, nous présentons les résultats obtenus à partir des deux approches non-perturbatives adoptées dans ce projet.
Les collisions ion-atome
Des avancées importantes de la physique moderne, et particulièrement de la physique atomique et moléculaire, ont été faites dans le contexte de la physique des collisions, phénomènes utilisés comme l’une des principales stratégies d’étude de la structure de la matière à des niveaux fondamentaux très différents, allant des zones à interactions parfaitement connues (physique atomique et processus électroniques) aux champs avec potentiels phénoménologiquement postulés (physique nucléaire et processus de désintégration). Depuis les travaux expérimentaux de Rutherford jusqu’à maintenant, la physique des collisions ion-atome a joué un rôle crucial pour les physiciens expérimentateurs et théoriciens, avec notamment le développement de nombreuses approches théoriques, classiques, quantiques et semi-classiques pour la compréhension des phénomènes observés expérimentalement.
Les processus électroniques au cours d’une collision ionatome
En physique atomique et moléculaire, on désigne par collision l’interaction entre deux particules, atomes ou molécules, neutres ou chargés, en mouvement relatif l’une par rapport à l’autre. Dans la suite, par facilité de langage et en considérant des conditions expérimentales habituelles, nous identifierons ces particules en tant que projectile ou cible. On peut différencier deux types de collision :
Collisions élastiques : la cible et le projectile gardent le même état quantique qu’ils avaient avant la collision. L’interaction se résume simplement à la diffusion du projectile sur la cible.
Collisions inélastiques : les partenaires de la collision subissent une modification de leurs états quantiques au cours de la collision. Les processus électroniques induits lors d’une collision inélastique ion-atome ou ionmolécule sont soit des processus simples qui mettent en jeu un seul électron (comme dans le cas de cibles mono-électroniques, soit des processus multiples impliquant plusieurs électrons et qui peuvent se manifester dans le cas des cibles polyélectroniques. Les processus monoélectroniques sont
La capture électronique : lors de son passage au voisinage de la cible atomique, l’ion projectile peut capturer un électron de la cible vers un état lié du projectile. Ce processus est appelé également transfert électronique.
L’ionisation : le passage de l’ion projectile au voisinage de la cible peut causer à la cible un arrachement d’un électron vers état du continuum.
L’excitation électronique : l’ion projectile cause un réarrangement du cortège électronique de la cible. Pour des cibles polyélectroniques, deux électrons ou plus peuvent être impliqués dans la dynamique de collision et les processus simples peuvent se combiner en processus multiples tels que la double ionisation, la double capture, le transfert-excitation, le transfertionisation, … Cependant ces derniers sont souvent moins probables que les processus simples.
Classifications des collisions : régime de vitesse
L’étude des collisions entre systèmes atomiques et moléculaire (collisions ion-atome, ion-molécule et atome-atome) est plus complexe que celle liée aux collisions impliquant des électrons projectiles, telles que les collisions électron-atome, en raison de la diversité des voies de réactions ouvertes. Sauf à très basse vitesse, l’énergie disponible dans le système est importante, les noyaux étant caractérisés par des masses beaucoup plus élevées que celle de l’électron. L’énergie associée au mouvement relatif du projectile par rapport à la cible est appelée également énergie de collision et la vitesse relative correspondante est appelée vitesse de collision, v. Cette énergie reste au-dessus des seuils des processus inélastiques même à de faibles vitesses de collision, sauf dans le régime adiabatique (très basses vitesses, v < 0.01 u.a. typiquement pour des structures de faible numéro atomique). Par conséquent, la vitesse de collision constitue un paramètre très important pour classer et caractériser les collisions non-relativistes (v ≪ c) ; c’est aussi l’un des paramètres importants qui détermine le domaine de validité d’une approximation ou d’un type approche théorique. En fait, c’est la valeur de v par rapport à la vitesse moyenne ve de l’électron actif qui permet de distinguer trois régimes de vitesse :
Régime des basses vitesses (v ≪ ve) : la vitesse de collision est petite par rapport à la vitesse de l’électron et les processus de capture dominent l’ionisation et l’excitation. Il est naturel et efficace de décrire le système de collision comme une molécule transitoire.
Régime des vitesses intermédiaires (v ≈ ve) : la vitesse de collision est comparable à ve. Tous les processus électroniques sont du même ordre de grandeur; ils sont en compétition – on dit qu’ils sont couplés – et par conséquent, c’est la région la plus difficile à étudier théoriquement.
Régime des grandes vitesses (v ≫ ve) : dans ce dernier régime, la vitesse de collision est grande par rapport à ve, les processus d’ionisation et d’excitation dominent la capture électronique. Le temps effectif de collision entre le projectile et l’électron est très court et cette interaction peut être traités perturbativement.
Les approches théoriques pour l’étude de la capture électronique
Le processus de capture électronique a intéressé les physiciens depuis sa mise en évidence par Henderson [10]. Son histoire a commencé en 1922 avec les travaux de ce physicien qui cherchait à détecter des particules α (He2+) de basses vitesses. Pour ce faire, il utilisait une source radioactif de radium émettant des particules α rapides qu’il cherchait à ralentir par une feuille de mica. En plus des particules α diffusées par la feuille, il détecta la formation d’hélium une fois ionisé et neutre. Cette expérience est la première qui a mis en évidence le processus de simple et double capture électronique. En 1924, Rutherford [11] refit l’expérience en utilisant un détecteur à scintillation, cette technique spectroscopique étant plus précise que celle utilisée par Henderson, et confirma ses résultats. Les travaux sur la capture électronique ont été très nombreux tout au long du développement de la physique des accélérateurs qui donnait une nouvelle impulsion au sujet par la production d’ions de différentes vitesses. Cette application a permis d’approfondir la connaissance sur ce nouveau processus dans différents régimes d’énergie. Quant à son étude théorique, la tâche était complexe de telle sorte que de nombreux traitements classiques, quantiques et semi-classiques et approximations ont été développés pour décrire le comportement de ce processus dans les collisions ion-atome.
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Table des matières
1 Introduction générale
1.1 Contexte général
1.2 Les collisions ion-atome
1.2.1 Les processus électroniques au cours d’une collision ion-atome
1.2.2 Classifications des collisions : régime de vitesse
1.2.3 Les approches théoriques pour l’étude de la capture électronique
1.2.3.1 Capture dans le régime des grandes vitesses
1.2.3.2 Capture dans le régime des basses vitesses
1.2.3.3 Capture dans le régime des vitesses intermédiaires
2 Description classique des collisions ion-atome : méthode CTMC
2.1 Les équations du mouvement
2.2 Initialisation de la cible et du projectile
2.2.1 L’atome hydrogénoïde classique
2.2.1.1 Traitement statistique des trajectoires électroniques
2.2.2 L’ion projectile
2.3 Identification des différents processus électroniques
2.3.1 Section efficace totale
3 Description semi-classique des collisions ion-atome : méthode SCAOCC
3.1 Position du problème
3.2 Dynamique du centre de masse
3.3 Dynamique nucléaire : description classique
3.4 Dynamique électronique : équation eikonale
3.5 Résolution non-perturbative de l’équation eikonale
3.5.1 Les états stationnaires asymptotiques
3.5.2 Le système d’équations couplées équivalent à l’équation eikonale
3.5.3 Mise en œuvre
3.5.3.1 Choix et optimisation de la base
3.5.3.2 Résolution numérique du système d’équations couplées
3.6 Section efficace totale
4 Résultats de l’approche classique CTMC
4.1 Implémentation numérique de CTMC
4.1.1 Générateur de nombres aléatoires
4.1.2 Conditions initiales
4.1.2.1 Cible
4.1.2.2 Projectile
4.1.3 Calcul des sections efficaces totales
4.2 Résultats et discussions
4.2.1 Sections efficaces totales de capture pour les collisions H+ + H(n)
4.2.1.1 Cas de la cible H(n = 1)
4.2.1.2 Cas des cibles excitées H(n = 2−7)
4.2.1.3 Cas des cibles H(nℓ)
4.2.2 Lois d’échelle pour la capture pour les collisions H+ + H(n)
4.2.2.1 Loi d’échelle de Janev
4.2.2.2 Loi d’échelle CTMC
4.2.3 Sections efficaces partielles : capture vers les états excités
4.2.3.1 Cas de la collision H+ + H(1s)
4.2.3.2 Cas des collisions H+ + H(n)
5 Conclusion générale
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