Toute vie a un début et une fin. L’homme naît, grandit et meurt. Sa mort plonge ses proches dans un état de deuil. Ainsi, le deuil, dans sa signification générale, peut être défini comme la période qui suit la perte définitive d’un proche. Mais un auteur comme Michael Hanus qualifie le deuil comme un mot polysémique qui englobe à la fois la perte, le chagrin et l’état dans lequel se trouve l’endeuillé. Cette perte provoque parfois chez certains survivants des perturbations psychiques et comportementales. Freud [25], a été le premier à démontrer qu’un traumatisme psychique comme le deuil peut engendrer des manifestations psychiatriques. En effet, dans notre pratique médicale quotidienne, nous recevons des tableaux psychopathologiques qui font suite à un deuil. Ainsi, nous nous sommes demandés pourquoi certains deuils suivent une trajectoire pathologique. Cette question est d’autant importante que dans nos pays le médecin ne dispose pas d’une bonne formation pour l’annonce du décès [2] et le soutien psychologique de l’endeuillé. Cette situation, combinée au manque criard de psychiatres et à la place réduite accordée à la psychiatrie de liaison dans nos services hospitaliers, livre la famille endeuillée à elle-même. De plus, lors de certaines catastrophes meurtrières comme le naufrage du Joola [55- 42], l’expérience nous a révélé que les débriefing psychologiques [41] permettent de réduire le risque de syndromes psycho traumatiques ; mais aussi que le professionnel n’est pas toujours outillé pour y faire face.
DEFINITIONS
Le deuil est une expérience universelle à laquelle sont confrontés tout les individus, un jour ou l’autre, au cours de leur vie et souvent à plusieurs reprises. Le deuil est à la fois un évènement douloureux et un processus psychologique qui découle d’une perte affective [55]. Il traduit une situation de perte d’une personne aimée, comme un parent, une épouse, un ami proche… « C’est un processus qui affecte de manière fondamentale chaque individu concerné et le réseau des relations de la personne qui meurt » [56].
Par extension, on utilise ce concept pour analyser la réaction émotionnelle à des pertes autres que le décès [33], perte d’un objet ou d’une situation particulière investie par la personne. Il est quand même important de différencier le travail de deuil de celui de la séparation car dans ce dernier, le sujet nourrit toujours l’espoir de retrouver l’objet perdu [10, 50]. Ce qui est important c’est la blessure psychique laissée par cette perte. Le deuil et le traumatisme sont des phénomènes distincts. « Le traumatisme est la blessure psychique provoquée par un événement insupportable » [36]. Le traumatisé est effrayé alors que l’endeuillé est triste. Il n’est pas rare toutefois qu’une perte brutale provoque un traumatisme ou qu’un événement catastrophique cause une perte, si bien que le deuil et le traumatisme se conjuguent et se compliquent mutuellement [60, 30,58].
Le deuil est suivi d’un « processus intra psychique qui s’exprime dans une souffrance normale à plusieurs facettes » [20], qu’on appelle : travail de deuil. « Ce travail est comme la traversée d’un tunnel au bout duquel se trouve la lumière ». Le travail de deuil est un travail psychique nécessaire pour accepter la réalité de la perte et y faire face [31]. Les rites et les cérémonies funéraires participent au bon déroulement de ce processus. Nous ne devons pas le réprimer, nous devons plutôt favoriser le travail du deuil car « la morbidité n’est pas dans le déroulement de ce processus mais dans sa répression sociétale » [20]. C’est un long processus qui dure en moyenne six mois. Freud [25] nous précise que la différence entre le travail de deuil dit normal et la mélancolie c’est l’absence pour le premier du sentiment de perte d’estime de soi qui peut aller jusqu’aux auto-reproches voire l’attente délirante du châtiment. Cette perte d’estime de soi de la mélancolie ne doit pas être confondue avec le sentiment de culpabilité qui est inhérent au deuil d’un être cher. L’intensité importante du travail de deuil définit le deuil intensifié, ses manifestations sont celles d’un deuil normal mais aggravées dans les domaines psychique, physique et comportemental. Alors que le deuil compliqué est la décompensation de troubles somatiques ou de maladies mentales qui étaient connues antérieurement. Le deuil prolongé se définit par le prolongement des symptômes au delà d’un an, ou par des réactivations graves des manifestations dans des circonstances diverses (anniversaires…). Le deuil retardé se révèle des années après la survenue du deuil, par des réactions anormalement douloureuses. Pour Hanus [29], « le deuil normal, qui est de loin le plus fréquent, est celui que vit une personne sans troubles particuliers lorsque les circonstances de la mort sont habituelles. Alors que le deuil pathologique est celui qui inaugure une maladie qui ne s’était pas manifestée jusque là ». Les deuils compliqués et pathologiques sont encore appelés deuils psychiatriques, ils font appel à une prise en charge spécialisée psychiatrique. Cependant, le deuil normal ne relève d’aucun soin médical, néanmoins, une évaluation psychologique permettrait d’adoucir la souffrance de l’endeuillé. En résumé le deuil, qu’il soit intensifié, retardé ou prolongé, est pathologique et l’est encore plus lorsqu’il est accompagné de symptômes psychiques ou psychosomatiques ne correspondant pas à ceux du travail de deuil.
PSYCHOPATHOLOGIE
Les processus du deuil selon Mélanie Klein
L’homme, au cours de son enfance, est confronté à des séparations : absence de la mère, sevrage… Ces séparations sont synonymes de pertes chez l’enfant et le placent dans une position dépressive. Cette dernière décrite par M. Klein [51], nous permet de comprendre le travail de deuil. La position dépressive est la peur de l’enfant de perdre ses bons objets comme le sein de la mère à cause de ses pulsions agressives envers eux. Selon l’auteur c’est la présence de la mère et tous les soins qu’elle apporte qui finiront par rassurer l’enfant. Le moi déploie aussi dans cette position dépressive des moyens de défenses maniaques qui ont pour objectif de réparer l’objet aimé, de le maitriser, de le triompher, mais aussi de maitriser les mauvais objets. Cette toute puissance plonge l’enfant dans une culpabilité et une méfiance car il a peur du désir de vengeance et de triomphe de l’objet aimé.
Lorsque ses mécanismes maniaques échouent, le moi va se défendre d’une manière obsessionnelle en répétant certaines actions. Lorsque tous les aspects de l’objet sont unifiés grâce aux épreuves de la réalité, un équilibre finit par s’instaurer entre l’amour et la haine. A ce moment l’enfant dépasse la position dépressive. Le deuil selon M. Klein réveille cette position dépressive et son déroulement dépend du niveau de résolution de cette position dépressive infantile.
Les processus du deuil selon M. Hanus
Dans les premiers instants, la réalité de la perte est refusée [13], mais les manifestations externes du chagrin montrent que le travail de deuil est entrain de se faire. L’endeuillé surinvestit les bonnes représentations liées à l’objet perdu.
Cette satisfaction à investir ces représentations délimite deux réalités : Celle externe conforme au monde extérieur douloureux et celle interne qui n’est pas conforme au monde extérieur [14]. Pendant qu’une partie du moi régresse jusqu’au « moi plaisir », la douleur ressentie maintient l’autre partie du moi avec la réalité. Ce conflit entre refus et acceptation est l’indice d’un mouvement de régression du moi. Partant de là, Hanus soutient que l’identification qui sert de substitut à l’objet perdu est nécessaire au bon déroulement du deuil. Le travail de deuil ne consiste donc pas seulement à se détacher de l’objet perdu, mais surtout à transformer la relation qu’il avait avec lui en une nouvelle identification [13].
Processus de deuil selon S Freud
Le travail de deuil, confronte le sujet à l’absence d’un retour possible. En même temps, le sujet ne peut accepter de perdre l’objet, même momentanément, que s’il garde l’assurance de le conserver. Donc la séparation objective n’est possible que si l’objet reste psychiquement présent. «Le travail psychique alors engagé implique un processus d’identification, de transformation du moi, tel qu’il intègre certaines qualités de l’objet disparu. Les caractéristiques de l’objet perdu font désormais partie du sujet ; le sujet devient un peu » comme » ce qu’il a perdu. La perte subite dans la réalité est compensée par un processus d’auto transformation qui adoucit la perte [46] ».
Nosographie
CIM10 : Dans cette classification, le deuil n’est pas clairement identifié, mais inclus dans les troubles de l’identification (F43.2) qui sont définis comme des états de détresse et de perturbation émotionnelle, entravant habituellement le fonctionnement et les performances sociales survenant au cours d’une période d’adaptation à un changement existentiel important ou à un événement stressant. La CIM10 pointe du doigt le facteur stress sans lequel le trouble ne serait pas survenu. Ce facteur peut entraver l’équilibre psychique de l’individu et éventuellement tout son environnement social. La CIM10 insiste aussi sur la vulnérabilité et la prédisposition individuelle. Les troubles de l’adaptation se manifestent de façon variée mais aucun de leurs symptômes n’est suffisamment grave ou marqué pour justifier un diagnostic plus spécifique. Le trouble débute habituellement dans le mois qui suit la survenue de l’événement stressant et ne persiste guère au-delà de six mois, sauf s’il s’agit d’une réaction dépressive prolongée.
DSMIV : Le deuil est ici clairement identifié et individualisé sous le code Z63.4. La durée et l’expression du deuil varient considérablement parmi les différents groupes culturels. Le diagnostic d’un trouble dépressif majeur n’est posé que lorsque les symptômes persistent deux mois après la perte. Quelques éléments permettent de différencier le deuil normal d’un trouble dépressif majeur. Parmi lesquels on retrouve:
✔ Culpabilité à propos de choses autres que les actes entrepris ou non entrepris par le survivant à l’époque du décès.
✔ Idées de mort chez le survivant ne correspondant pas au souhait d’être mort avec la personne décédée.
✔ Sentiment morbide de dévalorisation.
✔ Ralentissement psychomoteur marqué.
✔ Altération profonde et prolongée du fonctionnement.
✔ Hallucinations autres que d’entendre la voix ou de voir transitoirement l’image du défunt.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : revue de la littérature
I. DEFINITIONS
II. PSYCHOPATHOLOGIE
II.1. Les processus du deuil selon Mélanie Klein
II.2. Les processus du deuil selon M. Hanus
II.3. Processus de deuil selon S Freud
III. Nosographie
IV. Etude clinique
IV.1. Deuil normal
IV.2. Deuil pathologique
IV.3. Quelques particularités du deuil
V. Traitement
V.1. Buts
V.2. Moyens
V.3. Indications
DEUXIEME PARTIE : Travail Personnel
I. Matériels et méthodes
II. Observations et commentaires
III. SYNTHESE
Conclusion
Références Bibliographiques