Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
LES MODALITES D’ACCES AU TERRITOIRE
L’appartenance au lignage fondateur
Sur le territoire, seuls les membres du lignage fondateur peuvent avoir accès à la terre et aux ressources.
L’appartenance au tariha dépend de la bénédiction des ancêtres de la ligne patrilinéaire. L’individu reçoit cette bénédiction au moment de sa naissance car le nouveau-né doit être présenté devant le poteau sacré de son père durant la cérémonie de soron’anake. Au moment de la circoncision savatse an-kazomanga, les garçons reçoivent, également, la bénédiction des ancêtres devant le hazomanga de leur père.
De même, pour les jeunes filles, la bénédiction des ancêtres leur est accordée devant le poteau sacrificiel de leur père le jour de leur mariage. La mise à mort du bœuf tandra, présent offert par le fiancé, est de rigueur en vue de demander la bénédiction des ancêtres de la jeune fille.
Au cas où un enfant n’a pas de père ou si la famille du père n’a pas encore donné le fandeo, compensation matrimoniale et prix des droits sur la future descendance, scellant l’union entre les deux familles et les deux lignages, cet enfant ne pourra pas recevoir la bénédiction des ancêtres de son père et il ne peut pas s’approcher du hazomanga de son père sous peine d’une amende d’un bœuf.
Pourtant, il peut s’approcher du poteau sacrificiel de son oncle utérin car il appartient automatiquement au groupe lignager de celui-ci par la naissance. L’appartenance au groupe de descendance dépend donc du soron’anake. Ainsi, un individu peut appartenir à part entière au groupe qui l’ adopte devant son poteau sacré par le biais de cette cérémonie.
Par ailleurs, il peut arriver qu’un individu n’appartienne pas à son groupe de descendance et, par conséquent, ne reçoive pas la bénédiction de ses ancêtres. Ce cas se produit lorsqu’un individu est rejeté par son groupe ou par son père devant le poteau sacré : voasasa tamin’ny hazomanga traduit littéralement par « son appartenance au lignage a été lavée devant le poteau sacré ». Cela signifie que cet individu est non seulement rejeté par son groupe lignager et privé de toutes bénédictions des ancêtres mais son appartenance lignagère a aussi été levée ou lui a été ôtée devant le hazomanga en présence des ancêtres.
Si un garçon est circoncis devant le hazomanga de sa mère, il appartiendra au groupe de sa mère. Cela signifie qu’il a reçu la bénédiction ancestrale de la lignée maternelle. Si un enfant n’est pas reconnu par son père biologique, il est lié à sa mère par la parenté biologique et par la parenté de bénédiction. C’est cette bénédiction qui devient dominante dans le cas d’enfant né d’une mère célibataire. Cet enfant sera circoncis par la famille de sa mère et deviendra membre à part entière du groupe de sa mère grâce à la bénédiction qu’il recevra durant cette cérémonie (Bloch M., 1985, p.51).
La circoncision est tout d’abord une cérémonie rituelle qui expulse la parenté biologique et introduit la bénédiction ancestrale car l’enfant appartient désormais au groupe qui lui a donné cette bénédiction. Même dans le cas où ces ancêtres sont de lignée maternelle, le biologique est tout à fait expulsé par la circoncision (Bloch M., 1985, p.51)
L’alliance matrimoniale de migrants avec les lignages fondateurs
Le mariage permet de renforcer la cohésion sociale et l’assistance mutuelle entre les différents lignages.
Dans la société mahafaly, le mariage (fanambalia) renforce l’entente et les liens familiaux et lignagers entre plusieurs lignages tariha. Les jeunes hommes Mahafaly doivent, avant tout, se marier à l’intérieur de leur famille, avec leurs cousines parallèles patrilinéaires ou leurs cousines croisées patrilinéaires ou matrilinéaires. Ce type de mariage intra- familial se désigne par l’expression fanambalia am-pilongoa. Après ce premier mariage, ils peuvent, alors, se marier en dehors de leurs lignages.
La cérémonie du mariage proprement dite consiste en la demande de semence tabiry. Dans le dialecte mahafaly, ce terme désigne la semence. Les enfants sont désignés par le terme tiry qui veut dire jeune pousse. Cette cérémonie est toujours accompagnée par des transactions concluant les relations entre les deux lignages. Ces transactions prennent la forme d’une compensation matrimoniale.
Étant donné que le groupe de la jeune fille perd une ouvrière et une femme qui pourrait lui donner des enfants, la compensation matrimoniale tandra veut notamment réparer cette perte. Elle se traduit par le don de biens, notamment de vaches, à la famille de la jeune fille au moment du mariage et après la naissance d u premier enfant.
Au moment du mariage, cette offrande a pour objet de demander la bénédiction des ancêtres de la jeune fille devant le poteau sacrificiel de son père.
Le don en bœuf fandeo après la naissance d’un enfant consiste à acheter les droits sur les enfants qui viendront à naître. Les bêtes à sacrifier pendant toutes les cérémonies doivent être mâles et la couleur de leurs robes dépend de l’avis du devin ombiasy. La compensation matrimoniale constitue un engagement d’ordre social et politique entre les deux lignages alliés.
Le mariage permet de raffermir les relations sociales et permet aussi d’obtenir des alliés. Chacun aura, alors, des devoirs d’assistance mutuelle et des obligations de ne pas se nuire mutuellement. Le mariage engendre des liens juridiques, sociaux, économiques et rituels. Les enjeux du mariage sont importants du fait qu’il permet à un individu d’accéder à un ensemble de droits sociaux et des devoirs, parmi lesquels l’entraide entre les deux familles alliés ou les deux lignages alliés.
Le mariage permet à chaque famille d’obtenir des avantages puisque la famille de son ou ses épouses, lui donnera une certaine prestation de nature économique lors des cérémonies funéraires. Dans cette perspective, il est donc intéressant pour un homme de pratiquer la polygamie. Lors de la visite des parents et alliés à la veille de l’enterrement, ces derniers apportent des dons considérables en espèces et en nature en vue d’affirmer leurs statuts et exhiber leurs richesses de façon ostentatoire.
Ainsi, la demande en mariage doit être connue par tous les parents longo de la jeune fille sans exception, pour qu’ils scellent l’alliance entre les deux lignages. Lorsque l’accord de la jeune fille est obtenu, les consultations des parents peuvent commencer. Le mariage fait l’objet d’une transaction et d’une cérémonie rituelle du fait qu’il est chargé d’une valeur sociale, symbolique et politique.
Pour pouvoir exploiter les ressources de leur territoire d’accueil, les migrants contractent des alliances matrimoniales avec le lignage fondateur. Ces alliances permettent aux migrants de s’insérer dans le territoire villageois et renvoient à une stratégie foncière. Une fois marié à une fille autochtone, un migrant peut exploiter les ressources du territoire de sa belle-famille.
Par cette stratégie matrimoniale manipulée par les migrants, le principe de patrilocalité10 ou virilocalité11 qui obligeait une femme à suivre son mari, est mis en échec puisque c’est l’homme qui suit sa femme en venant résider chez son beau-père. Cette manœuvre permet aux filles autochtones et leur descendance de rester au village de leur père.
La manœuvre est ainsi avantageuse, d’une part, pour les autochtones car elle maintient la non-dispersion de leurs descendances, d’autre part, pour les migrants du fait que ces derniers visent à s’installer définitivement sur le territoire d’accueil.
Pour achever cette installation, les descendants des migrants enterrent leurs parents sur le territoire d’accueil et y procèdent aussi à la circoncision de leur postérité. L’enterrement et la circoncision sont des éléments socio-cérémoniels qui authentifient l’appartenance d’un individu à un territoire. Par exemple Mara, un Tandroy né à Ambonaivo dans le district d’Ambovombe vers 1940, s’est marié avec Etongasoa, une femme Takazomby de Mahazoarivo à la fin des années 70. A l’issue de ce mariage, Mara s’est intégré au village de sa femme à Mahazoarivo et il exploite une parcelle de la forêt et un lopin de terre sur les plaines alluviales que son beau-père lui a accordés. Chaque année, Mara donne les prémices lohavony de ses récoltes au chef du lignage de son épouse, c’est-à-dire son beau-père. Il sera enterré sur son territoire d’accueil à Mahazoarivo, et les enfants qu’il a eues avec son épouse mahafaly ont été circoncis à Mahazoarivo.
La fraternité du sang antehena et la parenté à plaisanterie ziva
A côté de la stratégie matrimoniale avec une visée foncière opérée par les migrants, ces derniers contractent également avec les descendants des fondateurs de liens sociaux de parenté fictive telle que la fraternité du sang, désignée par le terme vernaculaire antehena, et la parenté à plaisanterie ziva (Esoavelomandroso M., 1991, p.39).
L’antehena désigne le serment, son résultat, et ceux qui ont prêté ce serment. Celui-ci est l’équivalent du fati-dra dans les pays sakalava, betsileo, merina et dans d’autres régions de Madagascar. Ce pacte est conclu à l’issue d’une cérémonie dirigée par un mpititiky qui connaît les rites et qui prononce les formules associées de ces rites. Ce dernier sert également de témoin du pacte que les deux contractants viennent de conclure.
Durant la cérémonie, chaque partie contractante avale quelques gouttes du sang de son alter ego et jure devant la terre sacrée tany mase et leurs ancêtres respectifs de ne pas trahir son frère du sang. Désormais les deux personnes sont des frères et ils se considèrent comme des parents. Dans le contexte migratoire, c’est le migrant qui demande de nouer la fraternité du sang avec un membre du lignage fondateur. Une fois la cérémonie terminée, le migrant qui vient de lier une relation avec un membre du lignage fondateur peut accéder aux ressources du territoire. Le migrant peut, par conséquent, pratiquer des cultures sur brûlis sur son territoire d’accueil.
Le ziva est la parenté à plaisanterie liant deux ou plusieurs lignages. Il instaure entre ces lignages, solidarité, assistance mutuelle et paix perpétuelle. Un individu peut défricher une portion de terre dans le territoire de son ziva. Cette alliance entre ziva ne 28
peut pas être dénoncée et celui qui ne respecte pas les obligations s’expose au mépris de ses semblables et encourt les sanctions des ancêtres. (Esoavelomandroso M., 1991, p.39).
Le respect du ziva est une tradition ancestrale (lilin-draza) qui garantit l’entente et l’équilibre entre deux lignages concernés. Notons que chaque individu se réfère toujours à son lignage et ses attributs. Les migrants se référent toujours à leurs lignages paternels d’origine pour faciliter la marge de manœuvre dans l’intégration sur leur territoire d’accueil.
C’est un «jeu social » pour évoquer aimablement l’agressivité et une alliance de non-agressivité. Cette relation oblige les deux parties contractantes à s’acquitter d’une série de prestations réciproques, en l’occurrence échange de services, de cadeaux et d’aide en cas de difficultés (Radcliffe B., 1968, p.179).
|
Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PARTIE I : L’IMPLANTATION TERRITORIALE DES GROUPES
CHAPITRE I : L’ORGANISATION SOCIALE ET TERRITORIALE
1-Les Mahafaly s’organisent en raza et en lignage tariha
2- Description du territoire : espace non habité et espace habité
3-Les activités rituelles sur le territoire
CHAPITRE II : LES MODALITES D’ACCES AU TERRITOIRE
1-L’appartenance au lignage fondateur
2- L’alliance matrimoniale de migrants avec les lignages fondateurs
3- La fraternité du sang antehena et la parenté à plaisanterie ziva
CHAPITRE III : LES DELIMITATIONS DU TERRITOIRE
1-Les activités agricoles
2-Les activités pastorales
PARTIE II : REPRESENTATIONS ET CONCEPTIONS MAHAFALY DE LA FORÊT
CHAPITRE IV : DESCRIPTION DE LA FORET
1-Définition de la forêt
2-Conception des arbres
CHAPITRE V : LES RELATIONS DES MAHAFALY AVEC LA FORET
1-Relation entre le village et la forêt
2-La chasse et la cueillette
3-La forêt est un réservoir de plantes médicinales et médico-magiques
CHAPITRE VI : CONCEPTION MAHAFALY DE LA FORET SACREE
1-définition de la forêt sacrée
2- A chaque forêt sacrée sa spécificité
CHAPITRE VII : LA FORET EST UN PATRIMOINE
PARTIE III : LES PROCESSUS DE DEGRADATION DU COUVERT FORESTIER
CHAPITRE VIII : L’ETAT ACTUEL DE LA FORET
CHAPITRE IX : CAUSES DE LA DESTRUCTION
1-causes endogènes
2-causes exogènes
CHAPITRE X : ADAPTATION DE LA CULTURE A LA DEFORESTATION
1-Déplacement des esprits de la forêt
2-Diminution et simplification des rituels
3-L’exode rural
CONLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE
Télécharger le rapport complet