L’état actuel du principe dans la loi sur les procédures collectives
La loi sur les procédures collectives malagasy n° 2003-042 du 03 Septembre 2004, inspirée énormément des anciennes lois françaises datées du 13 juillet 1967 et du 25 janvier 198511, vient de l’ordonnance n° 62-008 du 31 juillet 1962 du 31 Octobre 1962 sur les faillites et règlement judiciaires, de réhabilitation et des banqueroutes et autres infractions en matière de faillite qui n’est autre que la reprise du décret-loi français du 20 mai 1955. Il est à noter que ces lois françaises, contrairement au texte réglementaire de 1667 précité précédemment, n’ont pas spécifié de manière explicite la règle de l’égalité des créanciers dans les procédures collectives. Mais c’est à travers les règles imposées aux créanciers qu’on constate sa manifestation. De plus, il faut savoir aussi que depuis cette loi de 2003 le droit positif malagasy sur les PCAP n’a pas véritablement changé bien qu’elle a repris les lignes directrices de l’Acte uniforme de l’OHADA (Organisation pour l’Harmonisation du Droit des affaires en Afrique) et a été aménagée par la Commission de la Réforme du Droit des Affaires à Madagascar par la loi n°2007-018 du 27 juillet 2007 notamment à propos du rallongement de certains délais (de présentation de la proposition de concordat, de production des créances, de forclusion, etc.…) et de l’institution de la procédure de plan de cession12.
Une règle déjà consacrée par le droit commun
Certes, le principe de l’égalité des créanciers a connu une évolution incontournable dans les procédures de faillites jusqu’au Code de commerce de 1805, le Code Civil, de son côté, a aussi prévu une règle commune et d’ordre public pour tous les créanciers du débiteur en prévoyant dans son article 2093 la règle selon laquelle le patrimoine du débiteur est considéré comme le gage commun de tous les créanciers. N’importe quel créancier peut pratiquer une saisie sur tous les biens présents ou futurs de leur débiteur que ceux soient mobiliers ou immobiliers. Tous les créanciers sont ainsi dans une situation de concours où chacun recevra la proportion de ce qui lui est dû. Ainsi, il s’agit là d’une règle qui énonce implicitement que tous les créanciers se trouvent au même pied d’égalité vis-à-vis du patrimoine de leur débiteur. En effet, certains auteurs affirment que les droits des créanciers sur tous les biens se trouvant dans le patrimoine du débiteur portent sur une universalité, selon leurs dires, il ne s’agit pas d’un droit de gage au sens propre du terme14. D’ailleurs, utiliser un terme impropre comme « gage général des créanciers » suscite une controverse car le mot gage, une institution autonome et distincte, est une sûreté réelle qui consiste en un droit réel attribué à un créancier sur une chose déterminée, qui lui a été remise. Ainsi, ce droit de gage dont le Code Civil parle est donc la conséquence du droit détenu par les créanciers en vertu de leurs créances contre la personne même de leur débiteur. Alex WEILL et François TERRÉ appellent ce droit comme un « droit personnel de créance » car selon eux, le patrimoine du débiteur est considéré comme « le prolongement de sa personnalité »15 . D’ailleurs, l’égalité entre les créanciers se manifeste le plus lors des paiements car ils seront payés au marc le franc dans l’hypothèse où il y aurait une insuffisance de l’actif de leur débiteur. Toutefois, cette règle connait une exception. La stipulation des causes légitimes de préférences ou la souscription par les créanciers d’une sûreté leur permet de garantir leur remboursement et d’avoir des droits de préférence par rapport aux autres. Ce qui nous mène à constater que le principe d’égalité régnant entre les créanciers du débiteur cesse d’être effectif au moment où l’un d’eux décide de prendre des mesures conservatoires. Ce qui fait qu’en matière civile, l’égalité des créanciers se limite aux créanciers chirographaires. Pourtant M. Cabrillac a souligné la distinction qui subsiste entre le droit de gage général et le principe d’égalité entre les créanciers malgré «l’évidente corrélation et l’étroite compénétration16» entre eux.
Le rôle des créanciers dans les procédures collectives
Les créanciers jouent un rôle fondamental dans les procédures collectives car la procédure est faite par eux et pour eux32. En effet, si l’on analyse la loi n° 2003-042 sur les procédures collectives on arrive à constater que celles-ci reposent essentiellement sur les créanciers. D’ailleurs, ce rôle primordial se présente depuis le début de la procédure jusqu’au plan de cession. Si l’on prend l’exemple du concordat dans le cadre du redressement judiciaire de l’entreprise, les créanciers participent activement dans les procédures. Les propositions concordataires sont communiquées aux créanciers et au syndic qui va recueillir l’avis de contrôleurs s’il en a été nommé33. Mais comme les procédures collectives s’efforcent de concilier tous les intérêts en présence, est-ce que cela nous permet de dire que les créanciers ont également un intérêt collectif qui doit être préservé tout au long de la procédure ?
Les conditions préalables de la recevabilité de l’action en inopposabilité
L’article 66 de la loi 2003 dispose que «seul le syndic peut agir en déclaration d’inopposabilité des actes faits pendant la période suspecte (…)» Cette disposition énonce ainsi que pour pouvoir déclarer inopposable un acte, il faut une demande en justice, condition clairement souligné par un ancien arrêt de la Cour de Cassation française datée du 30 avril 1883, mais qui est ensuite contrarié par la Chambre commerciale qui jugeait inutile l’action en justice dès qu’il existe un accord reconnaissant l’inopposabilité de l’acte litigieux entre le tiers et le syndic ou le débiteur assisté.67 Cependant, comme il s’agit ici d’une action visant à sanctionner une fraude et à faire tomber un acte qui rompt gravement l’égalité entre les créanciers, l’inopposabilité doit être prononcée impérativement par le juge. De plus, le syndic doit démontrer que l’acte est préjudiciable pour la masse, ce qui est une condition classique de recevabilité de son action car le principe est que pas d’action pas d’intérêt. Nombreuses jurisprudences françaises ont en effet statué sur cette exigence en l’occurrence l’arrêt de la Chambre commerciale française du 11 mars 1964 qui a jugé que l’action en inopposabilité n’était édictée que dans l’intérêt de la masse et que le débiteur ne pouvait exciper dans son intérêt personnel de l’inopposabilité d’une inscription hypothécaire consentie durant la période suspecte.68 Il ne faut pas également oublier que l’acte litigieux doit être passé postérieurement à la date de la cessation des paiements du débiteur (art. 62 de la loi 2003), et qu’en outre, cette action n’empêche pas les créanciers ou le syndic ou le représentant des créanciers d’exercer une action paulienne dès l’instant où celle-ci est faite dans l’intérêt commun de tous les créanciers69 . Ces deux actions tendent toutes deux à sanctionner une fraude commise par le débiteur mais la différence se situe au niveau de l’acte en question. En effet, l’action paulienne peut atteindre même les actes accomplis par le débiteur avant le jour de la cessation des paiements70et c’est là que réside son intérêt par rapport à l’action en inopposabilité.
Les contrats commutatifs déséquilibrés
Il y a contrat commutatif, au sens de l’article 1104 du Code civil, lorsque « chacune des parties s’engage à donner ou à faire une chose qui est regardée comme l’équivalent de ce qu’on lui donne ou de ce que l’on fait pour elle ». Il est ici reproché au cocontractant d’avoir, en période suspecte, conclu un contrat avec le débiteur qui comporte un déséquilibre entre les prestations réciproques, au détriment du débiteur. Ce déséquilibre s’appréciant au jour de l’acte78.Il s’agit ici donc des contrats dits lésionnaires. L’évaluation des avantages de chacune des parties est ainsi certaine et déterminée dès la conclusion du contrat en question, ce qui exclut toute idée de contrat aléatoire79 où les pertes et les avantages qui en résulteront dépendent d’un évènement incertain. En effet, comme on dit l’aléa chasse la lésion. Si la loi française emploie l’adverbe «notablement »80, l’article 63 de notre droit positif utilise par contre le terme «manifestement » alors même que notre loi sur les PCAP reprend essentiellement les anciennes lois françaises du 13 juillet 1967 et du 25 janvier 1985. Mais l’emploi de ces deux termes différents ne doit pas nous faire illusion en ce sens qu’ils indiquent tous deux l’intensité du déséquilibre entre les avantages de chaque partie. Il en est ainsi pour les salaires excessifs dans les contrats de travail par rapport à la prestation fournie.81 D’ailleurs, l’appréciation du caractère «notable » ou « manifeste » du déséquilibre doit relever du juge du fond82. Toutefois, tous les contrats commutatifs déséquilibrés pendant la période suspecte ne seront pas tous inopposables à la masse. En effet, certains sont justifiés83, d’autres qui le seraient moins sont jugés trop courants.84 Mais malgré ces éventuelles exceptions, les contrats commutatifs déséquilibrés portent atteinte à l’égalité qui doit régner entre les créanciers donc doivent leurs être inopposables. L’article 67 alinéa 4 de notre loi énonce clairement que «si le contrat commutatif déséquilibré déclaré inopposable n’a pas été exécuté, il ne peut plus l’être. S’il a été exécuté, le créancier peut seulement produire au passif du débiteur pour la juste valeur de la prestation qu’il a fournie.»
Les garanties suspectes
La loi sur les procédures collectives a également interdit aux créanciers et au débiteur d’inscrire des sûretés réelles pour garantir des dettes antérieurement contractées. Cette interdiction vise à ce que le débiteur en état de cessation des paiements ne puisse pas donner une faveur à un créancier car cela entrainerait une rupture d’égalité entre les créanciers. Notamment, toutes souscriptions d’hypothèque conventionnelle ou nantissement conventionnel, toute constitution de gage, consentie sur les biens du débiteur pour dettes antérieurement contractées et toute inscription provisoire d’hypothèque judiciaire conservatoire ou de nantissement judiciaire conservatoire pendant la période suspecte seront réputées inopposables de droit à la masse des créanciers (art.63 de la loi précitée). Ce caractère antérieur de la dette en question est primordial pour rendre la souscription inopposable ou nulle étant donné qu’une telle souscription ne va pas du tout profiter au débiteur mais seulement au créancier qui en bénéficie. C’est donc véritablement la rupture d’égalité entre les créanciers qui est ici sanctionnée.
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Table des matières
LISTE DES ABRÉVIATIONS
INTRODUCTION
Partie I. ÉGALITÉ DES CRÉANCIERS : PRINCIPE CONSTITUTIF DES PROCÉDURES COLLECTIVES
TITRE I. La conception en PCAP de la notion d’égalité
Chapitre I. Le socle du principe d’égalité des créanciers
Section 1 : Historique
§1 : La genèse de la règle
A- Sa première apparition dans le système juridique traditionnel
B- La véritable mise en place du principe d’égalité entre les créanciers dans le droit des procédures collectives françaises
§2 : L’état actuel du principe dans la loi sur les procédures collectives
Section 2 : Les fondements de la règle
§1 : Une règle déjà consacrée par le droit commun
§2 : Les fondements trouvés par la doctrine
A- Fondement économique
B- Fondement juridique
C- Fondement moral
Chapitre II. L’importance de la règle
Section 1 : Pour le bien de l’entreprise ?
§1 : Pour la sauvegarde de l’entreprise
§2 : D’ordre technique
Section 2 : Pour l’intérêt collectif de la masse des créanciers
§1 : Le rôle des créanciers dans les procédures collectives
§2 : De la question de l’existence de cet intérêt collectif
1) La position du droit malgache
2) Les divergences doctrinales et jurisprudentielles françaises
TITRE II. La signification de la règle d’égalité des créanciers
Chapitre I. La soumission de tous les créanciers quel que soit leur statut à la discipline collective : traitement égalitaire de tous les créanciers
Section 1 : Égalité : qu’est-ce-que cela signifie ?
§1 : Les différentes conceptions de la notion d’égalité
1- Sur le plan juridique
2- Sur le plan philosophique
§2- La relativité de la notion
Section 2 : Le sens de la règle d’égalité entre les créanciers dans les procédures collectives
§1 : Égalité de traitement de tous les créanciers durant la procédure
§2 : La qualification d’équitable de l’égalité des créanciers
Chapitre II. Illustrations légales et jurisprudentielles de la règle
Section 1 : La manifestation concrète du principe de l’égalité des créanciers dans notre droit positif
§1 : Une règle imposée implicitement par la loi sur les PCAP
§2 : La consécration légale de cette règle à travers les différents principes imposés à tous les créanciers
A- L’institution de la période suspecte
I- Inopposabilités de droit
1- Les conditions préalables de la recevabilité de l’action en inopposabilité
2-Les actes déclarés inopposables par la loi
a- Les donations consenties par le débiteur
b- Les contrats commutatifs déséquilibrés
c- Les paiements des dettes non échues
d- Les paiements des dettes échues par des modes de paiements anormaux
e- Les garanties suspectes
II- Inopposabilités facultatives
B- Tous les créanciers sont soumis à un ensemble de règles constituant la discipline collective
1- L’obligation pour les créanciers de déclarer et de faire vérifier leurs créances
2- La suspension des poursuites individuelles
3- L’arrêt des cours des intérêts
4- L’arrêt du cours des inscriptions des sûretés réelles
Section 2 : Les manifestations de la règle en matière de plan de continuation
§1 : La soumission au plan de redressement de tous les créanciers antérieurs
§2 : La nullité de toute stipulation conférant un avantage particulier à certains créanciers
Partie II. LA NÉCESSITÉ D’UNE REVALORISATION DU PRINCIPE D’ÉGALITÉ DES CRÉANCIERS
TITRE I. Le paradoxe de la discipline collective reflétant l’égalité des créanciers durant les procédures collectives
Chapitre I. L’impact des privilèges sur l’égalité des créanciers
Section 1 : La primauté du droit des sûretés sur le principe d’égalité des créanciers
§1 : Le principe d’égalité face à l’utilité du recours aux sûretés
§2 : Les classements des créanciers
1- La précarité de la situation des créanciers chirographaires
2- Les créances salariales
3-Le privilège du Trésor public, de l’Administration de douanes et de la sécurité sociale
4-Le privilège du bailleur d’immeuble
Section 2 : La mise en valeur des créanciers postérieurs au jugement d’ouverture par rapport à ceux antérieurs
§1 : L’inopposabilité aux créanciers postérieurs des règles imposées aux créanciers dans la masse
§2 : Les conditions d’application
1- La naissance régulière de la créance après le jugement d’ouverture
2‐ Créances provenant de la continuation de l’activité et de toute activité régulière du débiteur ou du syndic
Chapitre II. L’existence des clauses contractuelles stipulées par le débiteur en difficulté et ses créanciers
Section 1 : La clause pénale aux services des procédures collectives
§1 : Notion
§2 : La clause pénale et le principe d’égalité entre les créanciers
Section 2 : Les clauses de réserve de propriété
§1 : La validité des clauses de réserve de propriété
§2: Les clauses de réserve de propriété et le principe d’égalité des créanciers
TITRE II L’affaiblissement du principe d’égalité des créanciers
Chapitre I. L’importance de l’intérêt supérieur de l’entreprise
Section 1 : L’intérêt de l’entreprise prime l’intérêt des créanciers
§1 : Les sacrifices des créanciers justifiés par la prise en compte de l’intérêt de l’entreprise
§2 : Les atteintes légitimes portées à l’égalité des créanciers
Section 2: Classement des objectifs
§1 : Le redressement du débiteur
§2 : Le maintien des emplois
§3 : L’apurement du passif
Chapitre II. L’absence de réelle contrepartie aux sacrifices des créanciers
Section 1 : Les créanciers sont devenus les derniers soucis du législateur
§1 : La subsidiarité de leur paiement
§2 : La prolifération des divers moyens de garanties
Section 2 : De la question du rabaissement du pouvoir des créanciers ou de la diminution de leur protection dans les procédures collectives
§1 : La place considérable détenue par le juge
§2 : L’ampleur de la protection des salariés au détriment des créanciers ?
§3: De la question de l’existence ou non des lacunes du droit des procédures collectives malgache
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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