LA REGULATION DE L’ACCES A LA RESSOURCE
La pêche revêt une grande importance sociale et économique mais la plupart des stocks sont actuellement pleinement exploités ou surexploités. Il importe que les gestionnaires des pêcheries se rendent compte que lorsque les ressources sont surexploitées ou exploitées de manière « irresponsable », ne rien faire pour y remédier aura des conséquences négatives sur l’avenir. Les pêcheurs, les autorités chargées de l’aménagement des pêcheries et les halieutiques ainsi que ceux qui sont responsables d’effets indirects tels que la dégradation de l’environnement doivent accepter de partager la responsabilité de cette situation (FAO, 1997). Face au problème lié à l’accès non réglementé aux ressources marines (OCDE, 1997) le plus important est de décider si l’accès aux ressources sera libre ou limité. La liberté d’accès à la pêche est actuellement la principale cause de surexploitation des ressources halieutiques du fait du nombre excessif de producteurs, d’une capacité de pêche excédentaire et de l’effort de pêche poussé qui en résulte. La concurrence entraîne dans un contexte de pénurie croissante des ressources, la poursuite d’une « course au poisson » et par conséquent un suréquipement. Les répercussions se font sentir à tous les niveaux du secteur aussi bien la transformation, la distribution, la vente et la consommation.
Pour le cas du Sénégal, il incombe à l’Etat de veiller à ce que des mesures communes soient prises pour mieux réglementer l’accès et l’utilisation des ressources afin d’améliorer les résultats économiques du secteur et de sécuriser l’environnement des entreprises de pêche en situation de sous capacitation.
Les principes qui gouvernent la régulation de l’accès aux ressources halieutiques
Les ressources halieutiques sont des « ressources communes » c’est à dire celles pour lesquelles l’appropriation individuelle est difficile à réaliser (avant leur exploitation) et dont l’utilisation par les uns restreint la quantité disponible pour les autres. Cela justifie l’existence d’externalités négatives. L’utilisation par les uns affecte sans compensation par le marché, les conditions de production ou le niveau de satisfaction des autres acteurs économiques (différences par rapport aux secteurs classiques de production). Sans régulation adéquate de l’usage de ces ressources communes les externalités engendrent un problème d’équité et un problème d’efficacité:
– un problème d’équité car de l’exploitation de ces ressources naît un processus d’appropriation individuelle. Sans droits d’usages précis et socialement acceptés, la légitimité de cette appropriation peut faire l’objet de contestation et causer des conflits;
– Un problème d’efficacité car les comportements individuels (qui peuvent être rationnels à ce niveau d’appréciation) ne satisfont pas au plan collectif au critère d’efficacité; la course au poisson et les capacités de pêche qui en résultent en donne une parfaite illustration.
L’efficacité des régulations suppose donc en préalable la définition claire et respectée des droits d’usage individuels sur les ressources. Car un des problèmes auxquels sont confrontés les pêcheurs ont trait au caractère « commun » des ressources. D’où l’objectif central de l’aménagement des pêches qui doit permettre de définir et de faire respecter les droits et devoirs de chacun vis à vis des ressources halieutiques.
L’aménagement des pêcheries conditionne en théorie la possibilité d’exercer une pêche responsable (Conférence de Cancun, 1992) puisque celle-ci se définit notamment par son caractère « soutenable ». La pêche pour être durable doit garantir l’existence des poissons et des pêcheurs, sans pour autant figer leur niveau actuel. Durabilité biologique (poisson) et durabilité économique doivent coexister. Pour éviter ou de réduire les risques ou les niveaux de sur-pêche, surcapacité et conflits d’usage, l’action publique doit s’engager dans le sens d’une régulation collective. Pour opter à une régulation collective des pêcheries l’Etat doit définir :
– Les droits d’usage de chaque pêcheur vis à vis des ressources communes et assurer le respect de ces droits;
– les instances chargées d’assurer la régulation (composition, échelle de pertinence, aire de compétence);
– les instruments par lesquels celle-ci doit s’opérer : limitation quantitative de l’effort de pêche et mesures techniques (inputs) et/ou limitation des output par contingentement des captures (TAC, quotas…).
Les contraintes défavorables à la régulation de l’accès aux ressources halieutiques
S’agissant des problèmes et contraintes liés à la gestion de la ressource, on peut faire les constats suivants :
– une connaissance insuffisante des situations en matière de capacités et d’effort de pêche par rapport au point de référence cible (MSY),
– l’existence de surcapacités de pêche dans tous les segments de flotte (artisanale, industrielle, nationale et étrangère),
– une liberté d’entrée dans les pêcheries qui a caractérisé pendant longtemps la pêche artisanale mais aussi une pêche industrielle avec un système très peu adapté au contrôle de l’effort et des accords de pêche internationaux se négociant hors de tout plan d’aménagement global,
– une pression importante et non maîtrisée sur les ressources démersales côtières,
– un déséquilibre entre recettes publiques issues de la pêche et coût public de la gestion (signe de dilapidation de la rente halieutique au détriment de l’Etat et de la société sénégalaise),
– une précarité dans les ménages de pêche qui rend plus difficile encore leur contribution aux changements nécessaires (innovation en matière de sélectivité par exemple, fiscalisation du secteur, réduction de l’effort sur des espèces à fort rendement économique mais menacées d’effondrement, respect de la réglementation…).Tout cela ayant un coût immédiat que le niveau de rentabilité actuel des unités de production ne leur permet pas de supporter les coûts de production dans l’attente de l’amélioration des rendements de production. – une faiblesse des institutions de tutelle du secteur due à l’absence de régulation de l’accès nécessaire à finaliser l’action des pouvoirs publics et des institutions professionnelles et à les relier entre elles de façon cohérente et objective,
– une faiblesse des moyens de contrôle publics et une faiblesse des moyens de contrôle propres au secteur dès lors que la question sociale l’emporte sur le devenir des ressources. Les conventions sociales ne suffisent plus à réguler l’effort excessif en pêche (autorégulation). La politique de régulation de l’effort par les outils actuels (licence, permis de pêche et mesures technique) est un échec car elle ne permet pas de prévenir le développement de la surcapacité.
– une absence d’opportunités d’emploi dans des activités créatrices de revenus en substitution aux pêches (forte pression permanente et conjoncturelle en cas de crise agricole à l’entrée dans la pêche),
– des conflits de plus en plus nombreux sur les zones d’activité entre les flottilles et au sein même des flottilles du fait de la raréfaction des ressources disponibles,
– la Commission d’Attribution des Licences, qui joue un rôle important dans la réglementation de l’accès à la ressource, est décriée pour son incapacité à faire appliquer la mesure de gel sur les ressources démersales,
– le système de contrôle et de surveillance est inefficace au vu de la multiplicité des infractions et de l’absence quasi totale de sanctions au niveau de la pêche artisanale,
– pour le système de suivi, des problèmes de fiabilité et d’homogénéisation des méthodes de collecte statistique restent posés,
– Le système de réglementation de l’accès à la ressource est critiqué pour son incohérence, son manque de transparence ; il est décrié par les professionnels dans le secteur de la pêche artisanale.
Outre ces faiblesses, la modicité des budgets constitue aussi des maux structurels pour la gestion de la ressource.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : GENERALITES SUR LA PECHE ARTISANALE SENEGALAISE
1.1 : EVOLUTION DE LA PECHE ARTISANALE SENEGALAISE
1.1.1 :Contexte
1.1.2 : Développement des capacités de production
1.1.3 : Dynamique institutionnelle
1.2 : LA REGULATION DE L’ACCES A LA RESSOURCE
1.2.1 : Les principes qui gouvernent la régulation de l’accès aux ressources halieutiques
1.2.2 : Contraintes défavorables à la régulation de l’accès aux ressources halieutiques
1.2.3 : Arguments favorables à la régulation de l’accès aux ressources halieutiques
1.3 : APPROPRIATION DES RESSOURCES SUR LE LITTORAL SENEGALAIS
1.3.1 : Les espaces halieutiques
1.3.2 : Appropriation des ressources par les communautés de base
1.3.3 : La mobilité
CHAPITRE 2 : MESURE D’AMENAGEMENT
2.1 : DE LA REGULATION DE L’ACCES A LA RESSOURCE A L’ADOPTION DE PLAN D’AMENAGEMENT
2.1.1 : Typologie d’instruments d’aménagement des pêcheries
2.1.2 : Mesures de régulation de l’effort de pêche
2.1.3 : Adoption de plan d’aménagement
2.2 : LE CADRE JURIDIQUE ET REGLEMENTAIRE DE LA PECHE
2.2.1 : Place des actions publiques
2.2.2 : Evolution du code de la pêche maritime
2.2.3 : Régime des autorisations de pêche
2.3 : OBSTACLES A L’AMELIORATION DE L’AMENAGEMENT
2.3.1 :Modèle standard
2.3.2 : Inefficacité à long terme du régime de libre accès aux ressources
2.3.3 : Rôle des subventions et leur remise en cause
CHAPITRE 3 : RENTABLITE DES UNITES DE PECHE ARTISANALE
3.1 METHODOLOGIE
3.1.1 : Démarche globale
3.1.2 : Cas d’étude et zone d’échantillonnage
3.1.3 : Présentation et Commentaire des résultats
3.2 : COUT DU CAPITAL
3.3 : COUTS D’EXPLOITATION
3.3.1 :Coûts variables
3.3.2 : Coûts fixes
3.3.3 : Rémunération des facteurs de production
3.3.4 : Revenus du travail et du capital
3.4 : ANALYSE DE LA RENTABILITE
3.4.1 : Rentabilité financière
3.4.2 : Rentabilité économique
3.4.3 : Analyse de l’évolution des indicateurs de croissance
CHAPITRE 4 : APPRECTION SUR LES PRINCIPES DE REGULATION DE L’ACCES A LA RESSOURCE
4.1. : PERCEPTION DES ACTEURS
4.2. : DISCUTIONS
4.3 : PERSPECTIVES
CONCLUSION