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Réduire la forte dépendance vis-à-vis de la métropole
En Guyane, l’essentiel des intrants agricoles (tels que les produits phytosanitaires, les engrais, les compléments alimentaires pour animaux) mais également les céréales et certains animaux reproducteurs proviennent de la métropole. Cette forte dépendance vis-à-vis de la métropole induit des surcoûts importants dans le système de production, liés aux coûts élevés et aux aléas des transports (UE, 2010). Les coûts d’approvisionnement sont élevés du fait de l’éloignement de la région des principales routes maritimes, de la faiblesse des volumes importés et de l’absence de concurrence pour les transports locaux (Beugniet, 2007). Pour y faire face, des aides à l’importation sont versées à la Guyane dans le cadre du POSEIDOM (Programme d’Options Spécifiques liées à l’Éloignement et à l’Insularité des Départements d’Outre-Mer) (IEDOM, 2010).
En dépit de ces aides, l’alimentation reste le poste principal du coût de production (70% du coût total) en élevage hors sol (filières avicole, cunicole, porcine). Les intrants nécessaires à la constitution d’une ration équilibrée ne sont pratiquement pas disponibles en Guyane, avec pour conséquence une dépendance quasi totale vis-à-vis des importations. Cette dépendance fragilise les filières et ne permet pas des coûts de production avantageux (UE, 2010).
Pour l’élevage bovin, la base de la ration alimentaire repose sur l’exploitation des pâturages, presque exclusivement constitués de graminées fourragères de type Urochloa humidicola, à laquelle s’ajoute une complémentation. Une complémentation est nécessaire car le fourrage produit est de mauvaise qualité alimentaire : la digestibilité est faible et les teneurs en azote et éléments minéraux sont très inférieures aux recommandations (Coueron, 2006). La complémentation est à base d’issues de riz (Godet, 2007). Cependant, les issues de riz sont de moins en moins produites localement (UE, 2010) et, par ailleurs, la complémentation actuelle reste insuffisante pour optimiser le poids carcasse à l’abattoir, en moyenne égal à 218,5 kg en Guyane (POSEI, 2009) contre 440 kg en métropole.
Un des principaux enjeux du développement des cultures annuelles en Guyane est donc de développer une production locale de céréales (maïs) et de protéagineux (soja) afin de diminuer les importations de matières premières agricoles en provenance de la métropole. Cette production locale permettrait de sécuriser les approvisionnements en aliments pour le bétail et, à moyen terme, d’améliorer les performances des exploitations en diminuant les charges d’alimentation des élevages. Pour suspendre les importations actuelles de matières premières, il faudrait 1500 hectares de cultures annuelles maïs-soja, avec un rendement de 5 tonnes par hectare pour le maïs et 2,5 tonnes par hectare pour le soja (Godet, 2007).
Satisfaire l’augmentation de la demande en produits animaux
Au 1er janvier 2006, la population guyanaise était de 205 954 habitants (INSEE, 2009). Les projections démographiques de l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE, 2010) prévoient que la population guyanaise atteindra 424 000 habitants à l’horizon 2030. Cette forte croissance démographique va entraîner une augmentation de la consommation en produits d’origine animale.
En 2010, alors que la filière porcine présente une baisse de consommation (-3% par rapport à 2009), la consommation de viande bovine a progressé fortement (+ 10,5% sur un an après + 1,5% en moyenne sur 5 ans). Les importations de viandes restent prépondérantes. Pour la filière bovine, elles sont cinq fois supérieures à la production et en forte progression, alors que la production locale s’accroît légèrement. Les filières d’élevage guyanaises présentent des taux d’autosuffisance faibles : 22,6% pour la filière porcine et 16,7% pour la filière bovine en 2010 (Tableau 2). Les faibles taux d’autosuffisance et l’absence d’infrastructures de transformations locales font que les filières bovine et porcine subissent la concurrence des produits surgelés importés de l’Union européenne, malgré une demande locale importante (IEDOM, 2010).
Cadre institutionnel de la thèse
Cette thèse a été financée par l’Unité Mixte de Recherche Écologie des Forêts de Guyane (UMR ECOFOG) dans le cadre d’un projet FEDER État-région Guyane (QUALISOL, 2007-2013), le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et le Centre Technique Interprofessionnel des Oléagineux Métropolitains (CETIOM). Elle a été réalisée principalement au sein de l’UMR ECOFOG (laboratoire BioSol) à Kourou, et, ponctuellement, au sein des centres de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) de Dijon (UMR Microbiologie du Sol et de l’Environnement) et d’Orléans (Unité de Recherche Science du sol), ainsi qu’au Laboratoire des Moyens Analytiques (LAMA) de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) de Cayenne pour les analyses de sol.
Un des projets de l’UMR ECOFOG est de comprendre le fonctionnement des écosystèmes forestiers en évolution sous les pressions climatiques et anthropiques. Le laboratoire BioSol se focalise sur le fonctionnement microbien des sols naturels et anthropisés. Plus particulièrement, BioSol s’intéresse aux activités microbiennes clefs des cycles de l’azote (dénitrification et nitrification) et du carbone (respiration).
Le programme de développement des cultures annuelles en Guyane du CETIOM, débuté en 2002, vise à développer la production durable de cultures annuelles, principalement le maïs et le soja, afin d’alimenter les élevages guyanais hors sol (porcins et volailles) et les élevages de ruminants (bovins, ovins, caprins). Ce programme, en réponse à la demande de l’État, des collectivités territoriales et des professionnels agricoles guyanais, est financé par l’État et la Région Guyane dans le cadre du Plan de Développement Durable de l’Agriculture Guyanaise (PDDAG), et est mené en partenariat avec la chambre d’Agriculture.
Outre la mise en place des itinéraires techniques pour les cultures annuelles, les objectifs du programme sont de développer une production locale de semences et de faciliter les transferts de technologie depuis le Brésil (partenariat avec l’EMBRAPA).
Le projet a également pour but d’évaluer les impacts environnementaux du changement d’usage des terres : déforestation suivie de la mise en valeur agricole. Cette évaluation concerne trois compartiments :
– le compartiment “eau” avec la mesure des flux d’eau de drainage, des teneurs en produits phytosanitaires et en azote minéral dans ces eaux ;
– le compartiment “sol” avec notamment, le suivi des éléments minéraux, de la densité apparente et du pH du sol ; et,
– le compartiment “atmosphère” avec l’estimation des émissions des trois principaux gaz à effet de serre (GES) : dioxyde de carbone (CO2), méthane (CH4) et protoxyde d’azote (N2O).
Dans ce contexte général, l’objectif principal de cette thèse est d’évaluer l’impact de la mise en culture des sols forestiers sur les émissions de N2O. Pour cela, une approche couplée associant mesures in situ et simulations est utilisée.
Les mesures in situ sont réalisées par la méthode des chambres manuelles et font partie des premières mesures in situ de N2O émis par les sols réalisées en Guyane.
Le fonctionnement des processus biologiques (dénitrification et nitrification) à l’origine des émissions de N2O est appréhendé par des expérimentations en laboratoire, visant à paramétrer le modèle NOE (Nitrous Oxide Emission) (Hénault et al., 2005) aux conditions locales.
Le suivi de paramètres édaphiques (température du sol, humidité volumique, densité apparente, teneurs en azote minéral) permet de réaliser des simulations de flux de N2O à l’échelle du système de culture, qui viennent en complément des mesures ponctuelles pour l’interpolation des émissions de N2O entre les points de mesure.
Les causes de la déforestation et les superficies impactées depuis 1990
En Guyane, l’exploitation du bois d’oeuvre est soumise à de fortes contraintes telles que la saisonnalité, le réseau hydrographique dense et l’éloignement par rapport aux axes de communication principaux. De plus, la forte biodiversité de la forêt guyanaise a pour effet d’augmenter la dispersion, sur le terrain, des essences commerciales, et donc de créer des contraintes supplémentaires à l’exploitation du bois. Même si le prélèvement par hectare progresse de 1,5 m3 par an et atteint environ 11 m3 ha-1 cadastral (soit 20 m3 ha-1 réellement parcouru en exploitation), il reste inférieur aux volumes préconisés pour une exploitation à faible impact (25 m3 ha-1 parcouru) qui permet de préserver la structure et la composition des peuplements (IEDOM, 2010). Ainsi, l’exploitation du bois d’oeuvre ne constitue pas, pour le moment, une cause de déforestation majeure dans cette région.
La majorité des superficies déforestées depuis 1990 en Guyane est due à l’exploitation individuelle et à la tradition d’agriculture après abattis-brûlis (‘slash and burn’ en anglais) (Polidori et al., 2001; Tsayem Demaze et al., 2002) (Figure 2). D’abord réalisée par les communautés amérindiennes, autochtones de l’Amazonie, cette technique a ensuite été adoptée par les communautés venues s’installer en Guyane (Noirs Marrons, Créoles, Haïtiens, Surinamais, Brésiliens) (Tsayem Demaze et al., 2002; Tsayem Demaze, 2008). Cette technique constitue une méthode simple et économique de déforestation qui permet d’améliorer rapidement la fertilité des sols, d’augmenter le pH, de détruire les adventices de cultures et de réduire les risques de parasites et de maladies (Kato et al., 1999). Bien que la fonction première soit alimentaire (autoconsommation), cette pratique agricole traditionnelle tient également une place importante sur les plans social, culturel et écologique (Tsayem Demaze & Manusset, 2008). Des facteurs démographiques (immigration massive, forte croissance démographique) et socio-économiques entrainent l’évolution de la méthode traditionnelle d’abattis-brûlis en une forme plus destructrice et moins durable : augmentation des superficies de forêts défrichées (plusieurs hectares), raccourcissement des périodes de jachère, remplacement des abattis par des vergers, entrainant des effets préjudiciables à l’environnement (Brady, 1996; Tsayem Demaze & Manusset, 2008).
L’exploitation aurifère contribue également à une part importante de la déforestation guyanaise, avec une augmentation considérable des superficies déboisées sur la période 2006-2008 (supérieures à 2 000 ha par an) en comparaison avec la période 1990-2006 (IFN, 2009) (Figure 2).
Enfin, il est important de noter que la construction (1989-1994) du barrage hydro-électrique de Petit-Saut (localisation : voir Figure 10) a engendré la destruction de 35 000 hectares de forêt (IFN, 2009).
Impacts du changement d’usage des terres sur les émissions de GES
Pour le carbone, la destruction des forêts a deux conséquences : une libération du carbone stocké sous forme de biomasse et la diminution du stockage potentiel. Les incendies provoqués par les techniques d’abattis-brûlis appauvrissent les sols de leurs nutriments essentiels, compromettant la durabilité agricole à l’échelle locale (Sommer et al., 2004). Ces incendies contribuent également à la libération dans l’atmosphère de quantités considérables d’aérosols et de GES à l’échelle mondiale. En effet, plus de 20% de l’augmentation de la concentration de CO2 atmosphérique provient du changement d’usages des terres, majoritairement de la déforestation et de la combustion de la biomasse associée, et de façon plus minoritaire, de l’évolution des pratiques agricoles (Denman et al., 2007). Au Brésil, le changement d’usage des terres et le développement de l’agriculture conventionnelle intensive ont impliqué une grande perte de la matière organique du sol présente sous végétation naturelle et une augmentation des flux de CO2 vers l’atmosphère (Cerri et al., 2007; Carvalho et al., 2009a; Batlle-Bayer et al., 2010).
Les flux de CH4 sont principalement contrôlés par la teneur en eau du sol (Verchot et al., 2008). Ainsi, les sols forestiers d’Amérique centrale peuvent fonctionner comme un puits de CH4 atmosphérique, avec une efficacité plus élevée quand les sols sont relativement secs (Keller & Reiners, 1994). Cependant, après conversion en pâturages ou en plantations, les sols vont se mettre à produire du CH4, en particulier durant la saison des pluies (Pendall et al., Superficie (unité : milliers d’hectares) Variation annuelle (unité : milliers d’hectares) Taux de variation annuelle (%) 2010) et si leur capacité de drainage est faible (Keller & Reiners, 1994). Au Brésil, la conversion de la forêt du littoral Atlantique en pâturage, a entrainé une légère production de CH4 durant les mois d’hiver, et une diminution de la fonction de puits de CH4 durant les mois pluvieux d’été (do Carmo et al., 2012). De même, Yashiro et al. (2008) ont montré que l’exploitation forestière en Malaisie engendre une diminution de la consommation de CH4 par les sols, voir une production de CH4 par ceux-ci. Ces auteurs suggèrent que l’augmentation de la densité apparente du sol après l’abattage des arbres pourrait freiner la diffusivité du CH4 et de la disponibilité en O2 dans les sols, limitant la consommation de CH4 dans les forêts exploitées (Yashiro et al., 2008).
Concernant les émissions de monoxyde d’azote (NO), les études comparant des forêts (primaire et secondaire) à des pâturages, obtiennent des résultats divergents, les flux de NO étant les plus élevés pour les sols sous forêt primaire (Verchot et al., 1999) ou pour les sols de pâturages (Keller & Reiners, 1994).
L’exploitation des forêts tropicales humides peut provoquer une augmentation des émissions de N2O par les sols, pendant au moins un an après l’abattage des arbres, en raison d’une augmentation de la disponibilité en azote du sol (Yashiro et al., 2008). Des études conduites en Amazonie brésilienne (état du Rondônia), sur la conversion de la forêt en pâturage, ont souligné que les pâturages jeunes (maximum 3 ans après la conversion) étaient effectivement responsables d’émissions de N2O plus élevés que la forêt. Cependant, plusieurs années après la déforestation, plus de 3 ans (Melillo et al., 2001) ou plus de 6 ans (Neill et al., 2005), les flux de N2O ont tendance à diminuer, à mesure que la teneur en nitrates devient limitante dans les sols des pâturages, pour devenir inférieurs à ceux émis par la forêt. Sur la côte atlantique brésilienne, do Carmo et al. (2012) ont également mesuré des émissions de N2O plus faibles pour les sols d’une prairie non fertilisée, 40 ans après déforestation, en comparaison avec la forêt. Dans le même sens, l’étude menée parVerchot et al. (1999) (État du Pará) a révélé que le sol de la forêt primaire est le plus important émetteur de N2O (2,4 kg N ha-1 an-1) en comparaison à une forêt secondaire âgée de 20 ans (0,9 kg N ha-1 an-1), à un pâturage actif (0,3 kg N ha-1 an-1) et à un pâturage dégradé (0,1 kg N ha-1 an-1). Ainsi, plusieurs études (Keller & Reiners, 1994; Verchot et al., 1999; Davidson et al., 2000; Erickson et al., 2001) mettent en évidence des émissions de N2O plus faibles pour les sols des forêts secondaires et les pâturages, que pour les sols des forêts primaires. De ce fait, Neill et al. (2005) prévoyaient, à l’échelle du bassin étudié (Rondônia), une légère réduction des émissions de N2O, à condition que les pâturages extensifs continuent à être gérés d’une manière similaire aux pratiques actuelles. Toutefois, les auteurs soulignent le fait que les flux de N2O et NO sont susceptibles d’augmenter parallèlement à une utilisation accrue d’engrais azotés ou à la mise en place de cultures fixatrices d’azote.
A l’opposé, Pendall et al. (2010) ont mis en évidence, au Panama, une augmentation des émissions de N2O par les sols de pâturages (âgés de plus de 50 ans) et de plantations, en comparaison à celles de la forêt. De même, Davidson et al. (2007) ont observé en Amazonie une augmentation des émissions de N2O avec l’âge de forêts secondaires mises en place après déprise agricole. Ces résultats peuvent être interprétés comme un rétablissement progressif de plusieurs processus du cycle de l’azote. L’augmentation des émissions de N2O pourrait résulter de l’émergence d’une espèce fixatrice d’azote dominante au cours de la succession forestière secondaire (Davidson et al., 2007).
L’étude de Galford et al. (2010) a estimé la dynamique future des émissions de CO2, CH4 et N2O en fonction du changement d’usage des terres dans la région du Mato Grosso (Brésil). Les résultats indiquent une émission nette de GES allant de 2,8 à 15,9 Pg équivalents CO2 pour la période 2006-2050. La déforestation est la plus importante source de gaz à effet de serre au cours de cette période, mais l’utilisation des terres après déforestation représente une part importante (24 à 49 %) du budget net de GES. Les auteurs concluent qu’éviter la déforestation reste la meilleure stratégie pour réduire les émissions futures de GES. Cette conclusion rejoint celle précédemment émise par Fearnside et al. (2009) qui voient dans l’arrêt de la déforestation en Amazonie un potentiel important pour atténuer le réchauffement climatique de la planète.
Néanmoins, vu les demandes énergétiques, alimentaires et minières mondiales, un arrêt total de la déforestation ne semble pas être réaliste actuellement. Il convient donc de gérer la déforestation et, dans le cas d’une mise en valeur agricole après déforestation, de rechercher des solutions minimisant les impacts sur l’environnement, en particulier celles limitant les émissions de GES.
Déforestation suivie de la mise en valeur agricole : quelles alternatives pour réduire les émissions de GES ?
Les incendies pour la mise en valeur agricole puis les itinéraires techniques de culture jouent un rôle prépondérant dans les émissions de GES ; ces deux activités doivent donc être prises en compte dans les politiques de réduction des émissions.
Éviter les incendies
La méthode appelée ‘slash-and-mulch’ ou ‘chop-and-mulch’ consiste à couper mécaniquement la végétation, ayant poussé durant la période de jachère, et de la convertir en mulch au lieu de la brûler. Cette méthode permet donc d’éviter l’utilisation du feu (contrairement à la technique ‘slash-and-burn’) et contribue à la conservation des nutriments dans les sols (Kato et al., 1999; Sommer et al., 2004; Denich et al., 2005).
La mise en place de légumineuses durant la période de jachère permet de conserver la densité apparente du sol et d’augmenter de façon significative la teneur en éléments nutritifs et en matière organique, comparativement à la technique ‘slash-and-brun’ (Comte et al., 2012). En permettant simultanément un raccourcissement des périodes de jachères et un allongement de la durée de la mise en culture (dû à l’amélioration de la qualité des sols sur le long terme), la technique ‘chop-and-mulch’ favorise une intensification viable de l’agriculture en Amazonie orientale. Dans le contexte de fortes pressions démographiques, cette intensification s’avère indispensable à la fois pour la sécurité alimentaire des populations ainsi que pour la réduction de pressions anthropiques exercées sur les forêts primaires et secondaires en Amazonie (Comte et al., 2012).
Une évaluation globale des émissions de gaz à effet de serre comparant les deux techniques agricoles, ‘slash-and-burn’ et ‘chop-and-mulch’, a été réalisée en Amazonie orientale brésilienne, dans le contexte de la gestion des jachères (Davidson et al., 2008b). Les résultats de l’étude montrent que les émissions de GES étaient significativement plus élevées au cours de la phase de culture avec la méthode ‘chop-and-mulch’. En effet, le sol qui consommait du CH4 atmosphérique avec la technique de ‘slash-and-burn’, est devenu un émetteur net de CH4 avec la technique de ‘chop-and-mulch’. Le mulch a également favorisé une augmentation d’environ 50% des émissions de NO et de N2O par les sols. Par ailleurs, la technique de ‘chop-and-mulch’ requiert une plus grande quantité d’engrais et de carburant pour les machines agricoles. Cependant, en dépit des émissions de GES plus élevées au cours des cultures, le calcul du potentiel de réchauffement global sur 100 ans (en équivalent CO2) sur l’ensemble du système agricole, est en faveur de la technique ‘chop-and-mulch’. En effet, cette technique possède un potentiel de réchauffement global au moins cinq fois inférieur à celui calculé pour la technique de ‘slash-and-burn’, principalement dû à l’absence d’émissions de CH4 issues de la combustion. D’un point de vue agronomique, les rendements étaient similaires pour les deux techniques agricoles. La méthode ‘chop-and-mulch’ apparaît comme une stratégie potentiellement « gagnant-gagnant » pour le maintien de la fertilité des sols et la réduction des émissions de GES, contribuant ainsi à limiter les impacts sur l’environnement, de la conversion de la forêt (Davidson et al., 2008b).
Augmenter le stockage de carbone dans les sols
Pour atténuer les émissions de GES, l’augmentation du stockage de carbone dans les sols (augmentation des puits de carbone) apparait comme la principale solution. La contribution de ce mécanisme a été estimée à 89% du potentiel d’atténuation des changements climatiques (Smith et al., 2007).
Afin de lutter contre la dégradation des sols tropicaux (baisse de la fertilité, érosion), le développement de systèmes de cultures alternatifs basés sur un travail du sol réduit, voire absent (semis direct), est apparu nécessaire. Parmi les différentes techniques explorées, les systèmes de semis direct sur couverture végétale permanente (SCV) semblent pouvoir assurer production et protection des sols, et permettre une gestion durable des milieux tropicaux. Les techniques de SCV reposent sur trois principes : minimiser les perturbations du sol et de la litière via une absence de travail du sol, assurer une couverture permanente et totale du sol, produire et restituer au sol une forte biomasse grâce à des successions ou rotations culturales judicieuses (AFD, 2006; Seguy et al., 2009). En comparaison avec des systèmes conventionnels (avec labour ou travail du sol aux disques), les pratiques de non labour permettent une augmentation des stocks de carbone dans les couches superficielles du sol, dans les régions tempérées, tropicales et subtropicales (Metay, 2005; Carvalho et al., 2009b; Carvalho et al., 2009a; Neto et al., 2010), avec une augmentation d’environ 325 ± 113 kg C·ha-1·an-1 dans la couche 0-30 cm (Six et al., 2002). La plupart des études menées sur des sols cultivés en semis direct au Brésil donnent des taux de stockage de carbone allant de 0,4 à 1,7 t C ha-1 an-1 dans les 40 premiers centimètres du sol (Bernoux et al., 2006). La différence de stockage de carbone dans les sols les deux systèmes est principalement liée à une différence du taux de décomposition du carbone, avec un taux réduit dans les sols de cultures SCV (Six et al., 2002).
Dans le Cerrado brésilien, le changement d’usage des terres, de la savane naturelle à l’agriculture conventionnelle, a induit une perte totale d’environ 1,5 kg C m-2 après plus de 10 ans de cultures continues (Neto et al., 2010). Aujourd’hui, les systèmes de production basés sur le travail du sol ont été abandonnés et les systèmes de culture SCV sont largement adoptés. Ces systèmes sont basés sur deux récoltes par an avec peu de diversité dans les rotations et la conduite des cultures. Dans ces systèmes SCV intensifs, où la production de biomasse est élevée, le carbone organique du sol augmente de 0,19 kg m-2 an-1 et, après 12 ans de SCV, l’étude d’une chronoséquence a montré que le stock de carbone atteindrait le niveau existant sous végétation naturelle dans la même région (Neto et al., 2010). Ainsi, par rapport à un système conventionnel, l’absence de travail du sol permettrait de réduire les émissions de CO2 par les sols (Passianoto et al., 2003; Chatskikh & Olesen, 2007), d’augmenter le stockage du carbone dans les sols arables (Carvalho et al., 2009a; Batlle-Bayer et al., 2010) et d’atténuer ainsi la concentration croissante de CO2 dans l’atmosphère.
Cependant, l’impact des pratiques de cultures annuelles, avec ou sans travail du sol, sur le carbone organique du sol a été très peu évalué jusqu’à présent en région amazonienne. Dans le sud-ouest du Brésil, Maia et al. (2010) ont observé que le labour a tendance à diminuer les stocks de carbone du sol. Néanmoins, ces auteurs soulignent le fait que les mécanismes permettant le stockage du carbone dans les systèmes de cultures annuelles en semis direct, dans les conditions climatiques amazoniennes, restent non entièrement élucidés. De même, Maia et al. (2009) ont constaté que des prairies bien gérées (États de Rondônia et du Mato Grosso au Brésil) possèdent un fort potentiel de séquestration du carbone mais que des recherches supplémentaires sont nécessaires, notamment pour comprendre l’influence de la gestion de ces écosystèmes sur le stockage de carbone dans les sols tropicaux de cette région.
Par ailleurs, dans l’optique d’une évaluation globale, la comparaison de différents systèmes agricoles ou de plusieurs usages des terres ne doit pas être limitée à l’examen du stockage du carbone dans le sol mais doit également inclure les modifications des flux de GES (notamment le N2O qui a un PRG élevé) et parler ainsi, en termes de séquestration de carbone (Bernoux et al., 2006).
Les gaz à effet de serre (GES) et les méthodes de quantification
Les principaux GES pouvant être émis par les sols
Le dioxyde de carbone
La concentration atmosphérique de dioxyde de carbone (CO2) est actuellement de 379 ppm, soit presque 100 ppm de plus que la concentration préindustrielle (280 ppm). L’augmentation annuelle moyenne de CO2 pour la période de 2000 à 2005 était significativement supérieure (4,1 ± 0,1 Gt C an-1) à celle observée dans les années 1990 (3,2 ± 0,1 Gt C an-1) (Denman et al., 2007).
L’utilisation de combustibles fossiles, et dans une moindre mesure la fabrication du ciment, sont les sources anthropiques les plus importantes et sont responsables de plus de 75% de l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère depuis l’époque préindustrielle. Le reste de l’augmentation est attribué au changement d’usage des terres, dominé par la déforestation et la combustion de la biomasse associée (Denman et al., 2007). Les puits naturels de carbone (océans, sols, végétaux) ont produit une absorption nette de CO2 d’environ 3,3 Gt de carbone par an sur les 15 dernières années, compensant en partie les émissions d’origine anthropique (Denman et al., 2007).
La respiration du sol constitue une des principales sources d’émissions de CO2 par les écosystèmes (Rustad et al., 2000; Schlesinger & Andrews, 2000; Perrin et al., 2004). Les flux de CO2 mesurés à la surface du sol sont la somme de la respiration des racines (respiration autotrophe) et de la respiration microbienne (respiration hétérotrophe) qui se produit lors de la décomposition de la matière organique du sol et de la litière (Luo & Zhou, 2006), diminuée de la consommation autotrophe.
Le méthane
Le méthane (CH4) est un gaz à effet de serre avec un potentiel de réchauffement global (PRG) sur 100 ans, 23 fois supérieur à celui du CO2 sur une base massique. Sa concentration atmosphérique actuelle est d’environ 1,8 ppb (Denman et al., 2007).
Le CH4 provient de sources biologiques, impliquant des micro-organismes, et de sources non-biologiques. Les émissions non-biologiques comprennent l’exploitation minière et l’utilisation de combustibles fossiles (gaz naturel, pétrole et charbon), la combustion de la biomasse, le traitement des déchets et les sources géologiques (CH4 fossile). Les sources biologiques sont issues des zones humides (principal émetteur de CH4), de la riziculture, de l’élevage, des décharges, des forêts, des océans et des termites. Les émissions biologiques représentent plus de 70% des émissions totales (Denman et al., 2007).
Les émissions de CH4 anthropiques sont actuellement supérieures aux émissions naturelles et représentent environ 60% des émissions totales (Denman et al., 2007).
Une fois émis, le CH4 reste dans l’atmosphère pendant environ 8,4 années. Le principal puits de CH4 est son oxydation par les radicaux hydroxyles (OH) dans la troposphère. L’oxydation biologique dans les sols secs et la perte dans la stratosphère constituent également des puits de CH4 (Denman et al., 2007).
Le protoxyde d’azote
Le protoxyde d’azote (N2O) est un puissant gaz à effet de serre avec un PRG sur 100 ans, près de 300 fois supérieur à celui du CO2 sur une base massique. Sa concentration atmosphérique (en 2005) est de 319 ± 12 ppb (Forster et al., 2007), correspondant à une augmentation de 18% par rapport à la concentration préindustrielle (270 ± 7 ppb). Durant les deux dernières décennies, une augmentation presque linéaire de la concentration atmosphérique en N2O (0,26% par an) a été mesurée et le N2O participe actuellement à 7% du forçage radiatif actuel (Forster et al., 2007). Une fois émis, le N2O reste dans l’atmosphère pendant environ 114 années avant destruction dans la stratosphère (Denman et al., 2007). Le N2O agit également comme un précurseur de la destruction de l’ozone stratosphérique (Prather, 1998).
Parmi les sources naturelles de N2O, les sols tropicaux constituent la source principale, soit 42% des émissions, dont près des ¾ sont issus des sols forestiers. Les océans représentent la seconde source naturelle d’émissions de N2O, soit 31% des émissions. Les sols tempérés contribuent à 21% des émissions naturelles et l’atmosphère (via l’oxydation du NH3) à 6% (Prather & Ehhalt, 2001). Les sources anthropiques de N2O sont majoritairement les sols agricoles (52%). Les autres sources anthropiques sont les troupeaux de bétail et leur engraissement (26%), les activités industrielles (16%) et la combustion de la biomasse (6%) (Prather & Ehhalt, 2001). En terme de quantité, les émissions de N2O anthropiques sont du même ordre de grandeur que les émissions naturelles (Denman et al., 2007).
Les sols peuvent, dans certaines conditions non encore entièrement élucidées, « consommer » du N2O (Chapuis-Lardy et al., 2007), par voie biologique (dernière étape de la dénitrification et lors de la nitrification dénitrifiante) et/ou par voie physico-chimique (dissolution dans la phase aqueuse du sol).
Les flux de N2O sont caractérisés par une forte variabilité spatiale et temporelle à différentes échelles. Les mesures s’accompagnent de coefficients de variation pouvant être supérieurs à 100% (Choudhary et al., 2002; Mathieu et al., 2006b). À petite échelle (< 1 m2), cette variabilité serait liée à la présence de microsites dénitrifiants dans les sols (Parkin, 1987; Clemens et al., 1999). La variabilité à l’échelle de la parcelle est souvent due à la présence de ‘hotspots’, c’est-à-dire des flux très élevés, sur des petites entités spatiales ou temporelles, qui peuvent représenter une part importante des émissions de N2O pendant la période de mesure (van den Heuvel et al., 2009).
Les flux de N2O sont des processus dynamiques. En effet, des mesures in situ réalisées en continu mettent en évidence le caractère saccadé des dynamiques temporelles d’émissions de N2O (Figure 3) (Laville et al., 1997).
La base de données compilée par Stehfest & Bouwman (2006) indique des flux quotidiens de N2O compris entre -2 g N ha-1 j-1 (Goossens et al., 2001) et 5 400 g N ha-1 j-1 (Abbasi & Adams, 2000), ces deux valeurs ont été obtenues sous climat tempéré.
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Table des matières
Chapitre I Introduction générale et problématique
A Le développement des cultures annuelles en Guyane et contexte de l’étude
A.1 Les systèmes agricoles guyanais
A.2 Les principaux enjeux du développement des cultures annuelles en Guyane
A.3 Cadre institutionnel de la thèse
B Le changement d’usage des terres et les émissions de gaz à effet de serre (GES) en zones tropicales humides
B.1 Zoom sur la Guyane
B.2 Impacts du changement d’usage des terres sur les émissions de GES
B.3 Déforestation suivie de la mise en valeur agricole : quelles alternatives pour réduire les émissions de GES ?
C Les gaz à effet de serre (GES) et les méthodes de quantification
C.1 Les principaux GES pouvant être émis par les sols
C.2 Les processus microbiens impliqués dans la production de N2O par les sols
C.3 Les méthodes de quantification in situ des GES
C.4 La modélisation des flux de GES
Chapitre II Présentation du dispositif expérimental de Combi en Guyane
A Caractéristiques géographiques et pédoclimatiques du site d’étude
B Déforestation par la méthode ‘chop-and-mulch’
C Mise en place des parcelles expérimentales
D Description des systèmes étudiés
D.1 La forêt
D.2 La prairie
D.3 Les cultures en semis conventionnel
D.4 Les cultures en semis direct
E Mesures réalisées sur le site expérimental
E.1 Suivi de caractéristiques physico-chimiques des sols
E.2 Suivi des eaux de drainage
E.3 Mesures des gaz à effet de serre à l’interface sol-atmosphère et des variables auxiliaires
Chapitre III Flux de GES in situ
A Introduction
B Matériel et méthodes
B.1 Rappels sur les systèmes étudiés
B.2 Mesures des flux de GES et des variables auxiliaires
B.3 Bilan annuel d’émissions de N2O
B.4 Analyses statistiques
C Résultats
C.1 Précipitations et humidité massique
C.2 Température du sol
C.3 Teneur en azote minéral
C.4 Flux de N2O
C.5 Flux de CO2
D Discussion
D.1 Flux de N2O par les sols de Guyane et relation avec les variables auxiliaires
D.2 Effet de la conversion de la forêt tropicale en prairie par la méthode ‘chop-and-mulch’ sur les émissions de N2O
D.3 Effet de la conversion de la forêt tropicale en terres agricoles fertilisées sur les émissions de N2O
D.4 Bilan annuel d’émissions de N2O
D.5 Intensité des flux de CO2 émis par les sols
E Conclusion
Chapitre IV Modélisation des émissions de N2O
A Paramétrisation du modèle NOE aux conditions guyanaises
A.1 Introduction
A.2 Matériel et méthodes
A.3 Résultats
A.4 Discussion
A.5 Conclusion
B Simulations of N2O fluxes for soils under different land use regimes after tropical forest conversion with the chop-and-mulch method in French Guiana using the NOE process-oriented model
B.1 Résumé
B.2 Abstract
B.3 Introduction
B.4 Materials and methods
B.5 Results
B.6 Discussion
B.7 Conclusion
B.8 References
Chapitre V Synthèse et perspectives
A Rappels sur les objectifs
B Effets de la déforestation suivie de la mise en valeur agricole par la technique ‘chop-and-mulch’ sur les émissions de N2O en Guyane
B.1 Flux de N2O in situ à Combi
B.2 Processus microbiens à l’origine des émissions de N2O
B.3 Simulations des flux de N2O
C Perspectives
C.1 Perspectives agronomiques pour la réduction des émissions de N2O par les sols cultivés en Guyane
C.2 Perspectives de recherches concernant les flux de N2O
Conclusion générale
Références bibliographiques
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