Les préférences gustatives des enfants porteurs de troubles de l’oralité

« Oui, mais… ». Dans son article L’oralité troublée (Spirale, 2014), Cynthia Jaen Guillerme utilise ces mots pour illustrer la rupture qui entrave le long chemin menant à une oralité harmonieuse. L’oralité alimentaire commence dès le stade embryonnaire et se développe bien au-delà en passant par des étapes comme l’allaitement, la prise du biberon, la diversification progressive, la découverte de goûts et de textures ; or elle ne se construit pas toujours de manière sereine. Certains enfants développent ce qu’on appelle un trouble de l’oralité alimentaire. L’oralité désigne l’ensemble des fonctions orales dévolues à la bouche et elle est, selon Catherine Thibault, « fondatrice de l’être » (Thibault et al., 2017). Elle est multidimensionnelle : on distingue l’oralité verbale, l’oralité alimentaire et l’oralité affective. On comprend alors aisément qu’un dysfonctionnement dans l’une ou plusieurs de ces dimensions va engendrer un trouble qui va être source de souffrance chez l’enfant mais aussi chez ses parents. L’orthophonie a toute sa place dans la prise en charge des troubles de l’oralité pour aider ces enfants à construire les bases d’une oralité équilibrée.

La rééducation des troubles de l’oralité fait partie du champ de compétences des orthophonistes ; or il n’existe à ce jour aucun protocole valide d’évaluation destroubles de l’oralité et la terminologie ne fait pas encore consensus. De plus, concernant l’oralité alimentaire, les mécanismes sous-jacents au développement des préférences gustatives des enfants porteurs de troubles de l’oralité restent méconnus et peu étudiés alors que ces derniers semblent être attirés par des goûts spécifiques, habituellement rejetés par les enfants normo-mangeurs. Il nous paraît donc nécessaire de nous intéresser à ce sujet et de pouvoir proposer des recommandations sous forme de protocoles de prise en charge et de guidance parentale.

Développement physiologique du goût 

Les mécanismes du goût sont complexes. Cette première partie sera l’occasion de faire un état des lieux des connaissances sur le développement et le fonctionnement du système gustatif, résultat de l’interaction de facteurs génétiques et biologiques.

Définition du goût

Le goût
Selon Laurent Brondel (Brondel et al., 2013), « le goût correspond à une activation sensorielle multimodale permettant de détecter et d’identifier de nombreux stimuli que sont les saveurs. » Cette activation permet également la création d’une image sensorielle globale de l’aliment basée et renforcée par les apprentissages. Cette idée est reprise par Patrick Mac Leod (Mac Leod et al., 2004) qui décrit la représentation consciente du goût d’un aliment en deux étapes : la première est génétique, image construite par les protéines réceptrices de nos cellules sensorielles, la seconde est cérébrale associée à des circuits sémantiques et hédoniques.

On distingue cinq et même probablement six saveurs fondamentales (Brondel et al., 2013). En 1916, Henning décrivait quatre saveurs : le sucré, le salé, l’acide et l’amer. La langue japonaise décrit une cinquième saveur : l’umami (qui signifie « délicieux » en japonais) qui traduit le goût spécifique du glutamate que les Occidentaux comparent à la sauce soja, au bouillon de cube, à la viande grillée. En outre, la découverte de récepteurs aux acides gras sur la langue chez le rat (Fukuwatari et al., 1997) et chez l’homme (Laugerette et al., 2005) laisse suspecter l’existence d’une sixième saveur, « le goût du gras », bien que celle-ci n’ait pas été formellement caractérisée à ce jour.

Nous pouvons ainsi constater que deux termes sont souvent rencontrés dans le langage courant, les articles scientifiques, sur les sites internet ou dans la littérature : le « goût » et la « saveur ». La distinction entre « goût » et « saveur » semble délicate dans le langage courant. Au sens strict, le « goût » représente ce qui est perçu par les papilles de la langue, les bourgeons du goût. Il demeure le principal sens qui nous permet de manger en appréciant ou non les aliments et de ressentir les arômes et les saveurs. La « saveur » représente la structure principale d’un aliment, notre premier ressenti en bouche quand un produit est sucré, salé, amer ou acide, ce ressenti étant déclenché par la présence de molécules sapides (qui ont de la saveur) dans la salive lorsqu’elles activent les bourgeons du goût. La saveur est donc perçue par le sens du goût. Nous choisirons, dans notre présentation, d’utiliser indistinctement ces deux termes, leurs définitions étant fortement imbriquées.

Rôles du goût
On distingue trois rôles principaux du goût (Brondel et al., 2013). Tout d’abord, le goût permet de détecter et de reconnaître l’aliment : par exemple, il existe naturellement une forme d’aversion pour l’amer, qui est d’origine génétique. En effet, le rôle physiologique de l’amertume est de détecter des molécules potentiellement toxiques. Notre corps est donc programmé pour être très sensible à l’amertume et ainsi la percevoir à des concentrations extrêmement faibles (détection à 8 micromolaires). A l’inverse, les goûts sucré et « gras » signalent des aliments riches en glucides et lipides, respectivement, et donc riches en énergie, activant le centre du plaisir dans le cerveau. Contrairement à l’amertume, notre corps est peu sensible au goût sucré et nous le percevons à des concentrations beaucoup plus élevées (détection à 10 millimolaires). Outre ces aspects nutritionnels, le goût va induire chez le sujet un rejet ou une acceptation de l’aliment, en référence à sa composante hédonique. C’est le plaisir qui va dicter l’ingestion ou non de celui-ci. Enfin le dernier rôle du goût est de préparer la digestion, l’absorption et le stockage des nutriments.

La flaveur
Pour Sophie Nicklaus (Nicklaus et al., 2005), les caractéristiques d’un aliment sont sa texture, son apparence et sa flaveur. La flaveur se définit comme l’ensemble des composantes gustatives (acide, amère, salée, sucrée et umami) et olfactives ressenties lors de la dégustation d’un produit alimentaire. Le langage courant détourne et confond les perceptions qui découlent du goût et de l’odorat. Des sensations induites par des aliments tels que l’ail, le chocolat et le citron sont attribuées à tort au goût alors qu’en fait seul un petit nombre de qualités gustatives primaires peuvent être perçues par la langue (Lipchock et al., 2011).

Perception du goût 

Mise en place du système gustatif

Dès la 4ème semaine de grossesse, la motricité orale débute. Le palais se forme et la langue descend. Entre la 6ème et la 9ème semaine de grossesse, toucher, olfaction et gustation se mettent en place en même temps que se développent les cellules nerveuses, centrales et périphériques, qui permettront au fœtus de détecter et d’analyser ces sensations. Les papilles gustatives sont présentes dès la dixième semaine de gestation et des bourgeons du goût ont été identifiés dès le quatrième mois (Nicklaus et al., 2005). Dès 12 semaines in utero, le fœtus déglutit régulièrement le liquide amniotique, ce qui lui permet de mémoriser goûts et odeurs. En effet, l’environnement liquide du fœtus permet la perception des odeurs (les molécules odorantes doivent nécessairement pénétrer un milieu aqueux pour pouvoir atteindre les récepteurs (Marlier, 2009)). Le liquide amniotique contient les molécules odorantes propres à sa composition et d’autres qui y sont transférées en fonction de l’alimentation de la mère et de son environnement aérien.

Les récepteurs gustatifs

Notre langue possède 250 papilles qui concentrent environ 5000 bourgeons gustatifs (Briand et al., 2013). Les récepteurs gustatifs sont situés sur la langue, le pharynx et le larynx. On distingue les papilles calciformes localisées en arrière, au niveau du V lingual, les papilles foliées situées en arrière sur les côtés et les papilles fongiformes qui sont disséminées.

Selon Laurent Brondel (Brondel et al., 2013), et contrairement à une idée reçue, il n’existe pas de zones de la langue spécialisées dans la détection d’un seul goût. En effet, les différents goûts peuvent être détectés sur l’ensemble de la langue. Seule la densité des papilles gustatives varie localement, ce qui entraîne tout de même une variation quantitative de la sensibilité. Les saveurs et molécules sapides se dissolvent dans la salive et pénètrent les pores des bourgeons du goût. Ces molécules interagissent avec les récepteurs spécialisés : des canaux ioniques pour le salé et l’acide, pour l’amer 24 récepteurs d’où notre grande sensibilité à ce goût et seulement un récepteur chacun pour le sucré et l’umami (Briand et al., 2013).

Acheminement des informations au cortex
La physiologie du goût est complexe : les substances sapides des aliments, captées par les récepteurs des bourgeons gustatifs de la langue, induisent un signal électrique acheminé ensuite via trois nerfs, facial (pour les deux tiers antérieurs de la langue), glossopharyngien (pour le tiers postérieur) et vague (pour le larynx et le pharynx) jusqu’au noyau du tractus solitaire. Ce signal est relayé jusqu’au thalamus, puis au cortex somatosensoriel et enfin au cortex orbitofrontal. C’est dans ce cortex que sont traitées les informations olfactives, gustatives et somesthésiques afin de constituer une image mentale, unique et multisensorielle de l’aliment. C’est cette dernière qui va déterminer la notion consciente d’acceptation ou de rejet de l’aliment en question : le « j’aime ou je n’aime pas » (Briand et al., 2013).

Les limites du goût
Le goût est tributaire du phénomène d’adaptation et d’habituation. Par exemple, manger du piment crée une sensation de brûlure qui augmente si l’on mange du piment toutes les minutes (phase de sensibilisation), mais qui diminue si le piment est mangé à nouveau dix minutes plus tard (c’est le phénomène de désensibilisation). Autre limite : la fidélité. Un aliment peu salé donnera une sensation sucrée alors qu’au contraire un aliment très salé donnera un goût amer. Le glutamate quant à lui est utilisé en cuisine pour rehausser les autres saveurs. En outre, le goût varie en fonction des habitudes alimentaires, et ce en dehors des différences interindividuelles : les personnes qui ont l’habitude de manger salé voient leur sensibilité au salé diminuer et inversement. La perception du goût varie également avec l’âge : les récepteurs du goût et l’odorat sont soumis au vieillissement physiologique. Les personnes âgées détectent plus difficilement les flaveurs et ont moins de plaisir à manger (Brondel et al., 2013).

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Table des matières

INTRODUCTION
1. Développement physiologique du goût
1.1 Définition du goût
1.1.1 Le goût
1.1.2 Rôles du goût
1.1.3 La flaveur
1.2 Perception du goût
1.2.1 Mise en place du système gustatif
1.2.2 Les récepteurs gustatifs
1.2.3 Acheminement des informations au cortex
1.2.4 Les limites du goût
1.3 Le goût et les autres sens
1.3.1 L’olfaction
1.3.2 Sensibilité somesthésique
1.3.3 Vision et audition
2. Les goûts et dégoûts : la construction du goût
2.1 A la recherche du plaisir
2.2 La construction du goût : de la vie intra-utérine à l’âge adulte
2.2.1 Du fœtus aux 6 mois du nourrisson
2.2.2 De la diversification alimentaire à la néophobie
2.2.3 De la néophobie à l’alimentation adulte
3. Les facteurs influençant la construction des préférences gustatives
3.1 Quand la génétique rencontre le plaisir
3.2 Impact de la perception sensorielle
3.2.1 La texture
3.2.2 La vue
3.2.3 L’odorat
3.2.4 Le sens tactile
3.2.5 L’ouïe
3.2.6 La sensibilité thermique
3.3 La variabilité et la familiarisation
3.4 L’apprentissage de l’association « saveur-nutriment »
3.5 L’apprentissage de l’association « saveur-saveur »
3.6 Les expositions répétées
4. La famille : quel rôle joue-t-elle dans le développement du goût ?
4.1 Le comportement parental
4.2 Influence des préférences alimentaires parentales
4.3 Le repas : la sociabilisation du goût en famille, en société
4.4 Culture culinaire et préférences
4.5 Caractère et émotions
5. Techniques favorisant le développement du goût, inspirées des facteurs influençants
5.1 La pédagogie du goût de Jacques Puisais
5.2 Mélanie Potock : 4 stratégies pour une ouverture gustative
5.3 Food Chaining Programs : Multidisciplinary Treatment of Feeding Aversion in Children (Mark Fishbein et Laura Walbert, 2005)
6. Les préférences alimentaires chez le normo-mangeur
6.1 Préférences innées, préférences acquises
6.1.1 Durant la vie fœtale
6.1.2 Des préférences en termes de goûts
6.2 Les préférences alimentaires chez l’enfant et l’adolescent
6.2.1 Les goûts préférés
6.2.2 Les goûts rejetés
7. Les troubles de l’oralité
7.1 Définition de l’oralité
7.2 Trouble de l’oralité
7.2.1 Définition
7.2.2 Classification des troubles alimentaires
7.2.3 Origines des troubles de l’oralité
8. L’alimentation artificielle
8.1 Les différents types d’alimentation artificielle chez le nourrisson
8.1.1 L’alimentation entérale
8.1.2 L’alimentation parentérale
8.2 Origine des difficultés alimentaires des enfants ayant été nourris artificiellement
9. Les enfants porteurs de troubles de l’oralité
9.1 Les caractéristiques des enfants porteurs de troubles de l’oralité
9.2 Conséquences des troubles de l’oralité
9.2.1 La santé de l’enfant
9.2.2 L’angoisse et les relations socio-familiales
9.3 Le trouble de l’intégration sensorielle
9.4 Cas de l’hyper nauséeux
9.5 Cas de l’enfant prématuré
9.6 Cas de l’enfant ayant un Trouble du Spectre Autistique
10. L’évaluation du trouble de l’oralité
10.1 Le bilan
10.2 L’accompagnement parental
11. Structures sociales accompagnant la prise en charge des troubles de l’oralité
11.1 Les associations de professionnels de santé
11.2 Les associations de parents
12. Les préférences alimentaires chez l’enfant avec troubles de l’oralité
CONCLUSION

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