Deux jours. Il m’aura fallu deux jours en responsabilité en qualité de Professeur des Ecoles Stagiaire pour identifier les enjeux de l’autorité. En reconversion professionnelle après un parcours d’une vingtaine d’années en direction marketing, communication et commerciale en entreprise, me voilà responsable à mi-temps d’une classe de double niveau CE1-CE2, sans aucune expérience ni observation d’enseignement en classe.
L’improvisation de l’organisation des premiers jours relève de la gageure. Dans l’urgence, j’occupe, je n’enseigne pas. Inévitablement, l’improvisation de mes consignes provoque autant de questions qu’il y a d’élèves dans la classe. Le manque de sens des occupations proposées aux élèves justifie leurs bavardages. La place que je ne parviens pas encore à trouver dans cet espace nouveau suscite des comportements qui ne m’apparaissent pas propices aux apprentissages. Un premier diagnostic m’apparaît clairement : je dois m’organiser très vite pour enseigner. Le second diagnostic me paraît tout aussi clair et impérieux : je dois poser l’autorité pour tenir ma classe et envisager la construction de savoir. Un grand nombre de questions surgissent alors : à quoi sert l’autorité ? Est-elle indispensable ? Jusqu’où, dans quel contexte ? Comment se construit-elle ? Quelle place doit-elle prendre à l’école ? Comment lier autorité et apprentissages, où placer le curseur ?
Naturellement, un certain nombre de reflexes surgissent de mes pratiques antérieures auprès des adultes, dans le monde de l’entreprise, bien différent, certes, de celui de l’éducation, mais dans lequel il est bien question de faire grandir les collaborateurs. Certains m’apparaissent bons et efficaces, d’autres inadéquats et inefficaces. Cette réflexion et ce constat m’amènent naturellement à poser la problématique suivante : les pratiques de l’autorité en entreprise sont-elles transposables et efficaces à l’école élémentaire ?
L’autorité est un mot polysémique, victime des évolutions de notre société. « Le temps est la matrice de l’autorité comme l’espace est la matrice du pouvoir ». Dans un article paru dans Les sciences de l’éducation en 2009, Myriam Revault d’Allonnes, relie directement l’autorité au temps. En effet, afin de comprendre le rapport à l’autorité dans les différentes composantes de la société contemporaine, il convient de l’inscrire dans une perspective temporelle, sans toutefois remonter trop loin dans le temps.
• La monarchie de droit divin
La monarchie de droit divin est un régime dans lequel le pouvoir du monarque est considéré comme provenant de la volonté d’une divinité. En se présentant comme investi par Dieu et n’ayant de compte à rendre qu’à celui-ci, le monarque peut ainsi justifier le caractère absolu de son pouvoir qui n’est partagé avec personne et n’admet comme limites que celles fixées par la divinité. L’autorité est alors dominée par les textes religieux. Celle-ci s’appliquera jusqu’à la Renaissance.
• La Renaissance (XVème-XVIème siècle) :
L’imprimerie (1455), l’essor du protestantisme (1520-1560) et des libres penseurs vont profondément modifier les fondements de l’autorité. Ceux-ci vont désormais reposer sur le principe de rationalité, sur la cohérence des propos énoncés par le détenteur du pouvoir plutôt que sur le seul fait de sa détention du pouvoir.
• Les années 1680-1720
Selon le sociologue Gérard Leclerc (1996), les années 1680-1720marquent un tournant dans les principes d’autorité. Cette période serait « Le point de passage progressif d’une culture de l’autorité dominé par les textes religieux et classiques à une culture de la libre pensée et de la libre création, dominée par la littérature et la science ».
• 1789. La révolution française
De nouvelles modalités de légitimité du pouvoir vont se mettre en place. En effet, l’autorité n’apparaît plus comme l’émanation d’un droit divin mais comme la mise en œuvre des droits de l’homme, par « l’application d’un contrat » passé entre les responsables au pouvoir et le peuple. C’est donc le consentement du peuple qui conditionne alors l’exercice de l’autorité. C’est ce sur quoi s’appuie le contrat social de Rousseau : « Se mettre d’accord pour s’obliger sans se contraindre » .
• La révolution industrielle (Fin du 19ème siècle – début du 20ème siècle) : Les progrès technologiques modifient les outils et techniques de production. Le Taylorisme (du nom de son inventeur américain Frederik Taylor) vise à produire en masse, ce qui nécessite d’organiser, de rationnaliser la production industrielle et de renforcer les contrôles et la discipline. Puis, l’essor du capitalisme économique accentue ce rapport à l’autorité. Le sociologue et économiste allemand Max Weber élabore alors une typologie de l’autorité en trois catégories qui influencera les différents milieux, tant politique qu’économique et social :
* l’autorité légale : elle est légitimée par la loi et régit l’organisation bureaucratique
* l’autorité traditionnelle : elle découle de la tradition, de l’histoire
* l’autorité charismatique : elle est intimement liée au style d’une personne sans prendre en compte son statut social ou légal. Cette dernière autorité est nouvelle et serait une conséquence d’un affaiblissement de l’autorité politique : le libéralisme économique prendrait le pas sur l’autorité politique car les autorités se révèlent incapables de protéger et d’aider les salariés.
C’est alors que les personnes se sentant exploitées se réunissent en organisations politiques, syndicales et associatives. L’idéologie bourgeoise est par ailleurs critiquée. Selon Mendel et Voigt (1973) ces signaux « révèlent l’exploitation économique et la prise de conscience des effets de l’autorité » .
Les modes de relations traditionnels laissent ainsi la place à la promotion de la personne contre le principe d’autorité.
• L’après-guerre :
Les années 1950 marquent de nouveau une profonde remise en question de l’autorité. Elle ne cessera de s’amplifier à tel point que l’on parle depuis d’une crise de l’autorité. En 1968, l’autorité traditionnelle et les institutions sont contestées sous toutes leurs formes et dans toutes les composantes de la société : politique, armée, entreprise, famille, école… On observe alors une dégradation très forte des relations entre les individus et les institutions et en particulier de l’autorité qui régissait ces relations.
Les conséquences des événements de 1968 remettent en cause les relations d’autorité. Elles sont encore visibles aujourd’hui. Bruno ROBBES1 indique « Nos sociétés occidentales ont érigé « l’individu » en valeur souveraine laissant la place à une société « d’individus individualisés » ». On assiste ainsi à une forte modification des personnalités au sein de la société, et c’est désormais la réalisation des désirs individuels qui prime au détriment du collectif. Bruno Robbes distingue la période actuelle de la période d’après guerre par l’absence de perspectives idéologiques de transformation de la société. « L’individu cherche une place pour lui-même et ses proches. Les questions globales (chômage, injustice sociale, rapport au droit…) ne l’intéressent que s’il est concerné personnellement ».
De son coté, Myriam Revault d’Allonnes indique que nous vivons aujourd’hui une crise de l’autorité dont l’ampleur est sans précédent car elle touche non seulement la sphère politique mais aussi la famille, l’école et même le pouvoir judiciaire.
Historique depuis le 19ème siècle, état des lieux et problématique Au début des années 1970, le socio-psychanalyste Gérard Mendel soulignait que les enfants ont «bénéficié au 19ème siècle de la modification des relations d’autorité entre adultes dans le sens d’un affaiblissement de leur conditionnement à l’autorité de ceux-ci et à l’autorité tout court ». Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si cet affaiblissement des rapports d’autorité traditionnels à l’égard des enfants coïncide avec le développement en Europe des mouvements de l’Education nouvelle.
En 1997, François Galichet2 se posait la question du fondement de la loi à l’école. Il regrettait qu’elle soit obligée de recourir à deux fondements, dont aucun n’est selon lui vraiment satisfaisant.
– Le premier est le charisme de l’enseignant : c’est l’enseignant qui, par son rayonnement, s’impose
– Le deuxième pilier auquel l’école recourt, est « la peur du gendarme », la contrainte, la discipline, les punitions. Selon lui, cela a incontestablement fonctionné autrefois, mais cela ne peut plus fonctionner aujourd’hui, car ce rapport est un rapport de force, et il semble que le rapport de force aujourd’hui n’est plus tellement en faveur des enseignants. La question n’est donc pas celle du rapport de force, mais du rapport de savoirs, donc des apprentissages.
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Table des matières
INTRODUCTION
1ère PARTIE : L’autorité à travers l’histoire
L’autorité dans la société
Historique
L’autorité dans la société actuelle
L’autorité à l’école
Historique depuis le 19ème siècle, état des lieux et problématique
Qu’est ce réellement que l’autorité ?
L’autorité éducative : les caractéristiques d’une nouvelle conception
Les acteurs de l’autorité à l’école
Le cadre règlementaire de l’autorité à l’école
L’autorité en entreprise
Historique : les fondements de l’autorité selon Max Weber
Le management : des techniques au service de la performance
Faire autorité en entreprise
2ème PARTIE : Transposition de pratiques de l’autorité : méthodologie et analyse
Préambule.
Deux institutions très différentes : l’école et l’entreprise
Les piliers de la crédibilité dans l’autorité
Identification des pratiques de l’autorité en entreprise
Identification des situations qui provoquent le désordre en classe
Analyse des pratiques en entreprise transposables à l’école élémentaire
La communication verbale
La communication non verbale
Le maintien de la cohésion du groupe classe
Les styles de management
Le système DEM : Délégation è Evolution è Motivation
3ème PARTIE : Bilan des actions menées. Liens entre la théorie et la pratique
Bilan des actions menées
Evaluation de l’efficacité des pratiques
Au delà des pratiques de l’autorité : les facteurs clés de réussite
Les limites
Liens entre la théorie et la pratique
Liens entre l’entreprise et l’école : des différences lexicales ?
CONCLUSION
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