Les Polyoxométallates, des oxydes moléculaires fonctionnalisables

Les Polyoxométallates, des oxydes moléculaires fonctionnalisables

Introduction générale aux polyoxométallates

Les polyoxométallates (POMs) sont des assemblages moléculaires constitués de plusieurs atomes de métaux de transition des colonnes V et VI à haut degré d’oxydation situés au centre d’octaèdres de ligands oxo (O2-). Il existe une grande diversité de structures disponibles classées au sein de plusieurs familles. Les types structuraux les plus étudiés sont les types Linqvist, Anderson, Keggin et Dawson. Les POMs peuvent être dessinés en représentation ‘boules et bâtons’ ou en représentation polyédrique. Pour une meilleure visualisation, la représentation polyédrique est généralement privilégiée. Certains de ces POMs sont constitués uniquement de cations métalliques et d’atomes d’oxygène et sont qualifiés d’isopolyoxométallates ; c’est notamment le cas des hexamétallates à structure de Linqvist. D’autres structures, plus complexes, sont organisées autour d’un tétraèdre central XO4 contenant un élément métallique (CoIII, CuI , …) ou plus généralement non-métallique (PV, SiIV, …) ; ces structures sont qualifiées d’hétéropolyoxométallates et sont principalement représentées par les types Anderson, Keggin et Dawson.[1]

Dans les POMs, les orbitales d des cations métalliques sont vides, ce qui permet l’établissement de liaisons ! avec les atomes d’oxygène terminaux à la surface et une polarisation de la liaison vers le cation métallique. La densité électronique des atomes d’oxygène impliqués dans des liaisons multiples avec les cations métalliques (M=O) est alors faible. D’où la formation de molécules discrètes finies plutôt que de matériaux infinis. Les POMs sont des oxydes moléculaires se comportant comme des molécules car leurs synthèses sont bien décrites et conduisent à la formation de molécules discrètes identiques (au contraire des nanoparticules qui présentent toujours une certaine polydispersité). Néanmoins, les POMs présentent des caractéristiques semblables à celles des matériaux, notamment en raison de l’existence d’orbitales moléculaires développées sur tout ou partie du squelette polyoxoanionique rappelant les bandes de valence et de conduction telles qu’elles existent dans les matériaux solides. Il existe également des structures de POMs constituées de plusieurs centaines d’atomes métalliques : il s’agit de la famille des képlérates. Ainsi, les POMs peuvent être qualifiés de « lien manquant » entre les approches top-down et bottom-up.

Historique

La chimie des POMs est ancienne mais la compréhension de leurs structures a été relativement tardive. La première description de la synthèse d’un POM date de 1826, quand Berzélius découvrit le composé (NH4)3[PMo12O40] en mélangeant du molybdate d’ammonium à un excès d’acide phosphorique. [4] Néanmoins, il a fallu attendre 1864 pour connaître précisément la composition chimique de cette molécule. Quant à la structure exacte de ce composé, de nombreux scientifiques dont Werner et Pauling se sont essayés sans succès à sa détermination. Il a fallu attendre la résolution de la structure cristallographique par Keggin en 1933 pour connaître l’agencement des différents atomes dans la molécule. Tous les POMs synthétisés par la suite le furent de façon empirique jusqu’à ce que Souchay, entre autres, rationalise les différents équilibres d’hydrolyse et de condensation mis en jeu dans les synthèses, notamment par l’usage de l’électrochimie et de la pH-métrie.

Exemple : réactions de la synthèse de [« -SiW10O36]

étape 1 : 11 [WO4]2- + SiO3 2- + 16 H+ => [#2-SiW11O39] 8- + 8 H2O
étape 2 : [#2-SiW11O39] 8- + 2 CO3 2- + H2O => [« -SiW10O36] 8- + 2 HCO3- + [WO4] 2-

Isomérie

La plupart des familles de POMs présentent plusieurs isomères structuraux. Dans la famille des POMs à structure de Keggin, quatre triades d’octaèdres sont formées de l’association de trois octaèdres par mise en commun d’arêtes. Dans l’isomère $, les triades partagent des sommets. Le passage d’un isomère à l’autre se fait par rotation formelle d’un angle de 60° le long d’un axe C3. Plusieurs triades peuvent être soumises à rotation, ce qui conduit à l’existence de plusieurs isomères qui sont nommés selon les premières lettres de l’alphabet grec : $, #, « , %. L’isomère & n’a pas pu être à ce jour isolé.

POMs lacunaires

En milieu acide, les POMs formés sont généralement des espèces complètes mais il est possible de leur enlever formellement un ou plusieurs groupements oxométalliques par élévation du pH ou par synthèse directe à un pH plus élevé. Ainsi, les ligands oxo de la lacune sont beaucoup plus nucléophiles que les autres ligands oxo du POM, ce qui augmente drastiquement leur réactivité et permet d’y greffer des fonctions électrophiles.

Les isomères A sont formés par le retrait ou la substitution de trois octaèdres liés par des sommets appartenant à des triades différentes. Les isomères B sont formés en retirant ou en substituant trois octaèdres liés par des arêtes appartenant à la même triade. Dans l’exemple décrit ci-dessous, la réactivité des deux isomères n’est pas nécessairement identique, notamment en raison de la présence d’un atome d’oxygène du phosphate central non-stabilisé par des groupements oxotungstiques.

Caractérisation des POMs 

La technique historique pour la caractérisation des POMs est l’électrochimie, et notamment la polarographie. D’autres outils comme l’analyse élémentaire, l’ultracentrifugation, la mesure du pH et de la solubilité sont également utilisés. Depuis les années 1970, de nombreuses techniques performantes se sont ajoutées à la palette déjà fournie des outils disponibles. Il s’agit notamment de l’usage de la spectroscopie d’absorption Infrarouge développé par Rocchiccioli-Deltcheff qui permet d’une part d’identifier le POM par son empreinte entre 250 et 1200 cm-1, et d’autre part de comprendre la structure moléculaire par modification raisonnée des éléments chimiques constituant le POM.[7] Néanmoins, en raison de la superposition des bandes caractéristiques de vibration des POMs, il peut être délicat de détecter la présence d’impuretés. La spectroscopie RMN est également un outil très puissant puisqu’elle permet de renseigner sur la symétrie des molécules étudiées grâce au nombre de pics obtenus et donne donc des informations structurales.[8] De plus, les spectres RMN renseignent également sur la pureté des composés. Aujourd’hui, la plupart des atomes constitutifs des POMs peuvent être étudiés par RMN (Si, P, O, V, W, …).[9] La principale limite de cette technique est la faible réceptivité et/ou abondance naturelle de certains isotopes (par exemple, 14% pour le 183W). Ainsi, l’obtention d’un signal exploitable peut nécessiter de grandes quantités de matière qui ne sont pas toujours compatibles avec les conditions expérimentales. Ensuite, la diffraction des rayons X sur monocristal est une technique très puissante pour la résolution des structures cristallographiques. Néanmoins, il est par définition nécessaire de réussir à faire cristalliser les molécules avant de pouvoir les étudier. De surcroît, il existe toujours un doute quant à savoir si les espèces qui cristallisent sont bien représentatives de l’échantillon. Enfin, la spectrométrie de masse est une technique qui est performante lorsque le pic moléculaire est observé. Les conditions doivent être mises au point pour éviter une éventuelle dégradation des molécules.

Propriétés des POMs

Les POMs possèdent de nombreuses propriétés qui leurs sont propres et autorisent une grande variété d’applications.[10] Ils ont d’abord une forte stabilité thermique et envers l’oxydation, ce qui permet de les utiliser dans des environnements rudes, comme par exemple en catalyse. Ensuite, ils présentent des propriétés rédox remarquables qui permettent de les utiliser comme réservoirs d’électrons grâce à la présence de métaux à haut degré d’oxydation (généralement d0 ). Puis, les POMs ont la capacité à se comporter comme des ligands inorganiques lorsqu’ils sont lacunaires, permettant l’élaboration d’assemblages complexes. Après, leurs solubilités sont contrôlées par la nature et le nombre des contreions, ce qui permet de les utiliser dans l’eau et les solvants organiques. Enfin, les hétéropolyacides possèdent une acidité de Brönsted supérieure à celle des acides minéraux classiques.

Généralement, les POMs sont synthétisés en sel acide ou alcalin, limitant ainsi leur solubilisation à l’eau. L’ajout de contre-ions de type tétraalkylammonium permet de les solubiliser dans des milieux organiques polaires et donc de diversifier leurs applications. La mise en forme des POMs permet également de les disperser dans des polymères ou des gels, rendant ainsi possible la formation de matériaux dotés des propriétés des POMs. La fonctionnalisation des POMs à l’aide de fonctions électrophiles autorise l’incorporation d’une variété de propriétés supplémentaires limitées par l’imagination, et permet donc la création de matériaux particulièrement innovants.

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre introductif
A. Les Polyoxométallates, des oxydes moléculaires fonctionnalisables
I. Introduction générale aux polyoxométallates
1°) Historique
2°) Isomérie
3°) POMs lacunaires
4°) Caractérisation des POMs
5°) Propriétés des POMs
II. Mise en forme des polyoxométallates
1°) Dispersion au sein de polymères conducteurs
2°) Dépôts couche-par-couche (Layer-by-Layer : LbL)
3°) Couches de Langmuir-Blodgett
4°) Surfactant Encapsulated Clusters (Assemblages encapsulés dans des tensioactifs)
III. Fonctionnalisation des polyoxométallates
1°) Principes de la fonctionnalisation des POMs
2°) Les principales fonctions greffables sur les polyoxométallates de type Linqvist et Anderson
3°) Les principales fonctions greffables sur les polyoxométallates de type Keggin et Dawson
4°) Post-fonctionnalisation des POMs hybrides
5°) Applications des POMs fonctionnalisés
B. Les tensioactifs et les émulsions
I. Les tensioactifs : des molécules amphiphiles capables d’abaisser les tensions surfaciques et interfaciales
1°) Généralités relatives aux tensioactifs
2°) Structure et classement des tensioactifs
3°) Applications industrielles des tensioactifs
4°) Recherche académique d’applications innovantes des tensioactifs
II. Agrégation des tensioactifs dans l’eau : formation spontanée d’assemblages
1°) Agrégation des tensioactifs
2°) Structure des agrégats
III. Les émulsions
1°) Macroémulsions
2°) Miniémulsions
3°) Microémulsions
IV. Les tensioactifs à base de POMs hybrides
1°) Tensioactifs classiques
2°) Tensioactifs bicaténaires de type organique-inorganique-organique
3°) Tensioactifs bolaformes
4°) Assemblages polymériques
C. La catalyse d’oxydation par les polyoxométallates
I. Généralités concernant la catalyse d’oxydation
1°) Les principaux oxydants en catalyse d’oxydation
2°) Les métaux et l’eau oxygénée
3°) Les milieux réactionnels
II. La catalyse d’oxydation par les espèces peroxométalliques
1°) Mécanisme de réaction entre un métal d0 et le peroxyde d’hydrogène
2°) Les peroxomolybdates
3°) Les peroxotungstates
III. La catalyse d’oxydation par les polyoxométallates
1°) Réactivité des POMs lacunaires
2°) Réactivité des POMs substitués avec des métaux de transition
4°) Réactivité en émulsion des POMs associés à des contre-ions amphiphiles
5°) Réactivité des POMs fonctionnalisés
Conclusion du chapitre introductif
Chapitre 2 : Synthèse et caractérisation des polyoxométallates amphiphiles
Introduction
I. Fonctionnalisation des POMs lacunaires par les organosilanes
1°) Rappels bibliographiques
2°) Synthèse des composés organosilylés à base de [γ-SiW10O36]8-
3°) Synthèse des composés organosilylés à base de [PW11O39]7-
II. Fonctionnalisation des POMs lacunaires par les acides alkylphosphoniques
1°) Rappels bibliographiques
2°) Synthèse avec agents de transfert de phase
3°) Synthèse sans agent de transfert de phase
4°) Contrôle de la solubilité des POMs amphiphiles par modulation des contre-ions
Conclusion du chapitre 2
Chapitre 3 : Étude de l’activité catalytique des polyoxométallates amphiphiles en phase homogène
Introduction
I. Réactivité des POMs lacunaires
Introduction
1°) Étude bibliographique de la réactivité du catalyseur [γ-SiW10O36]8-
2°) Activité catalytique de (TBA)4[γ-H4SiW10O36] dans l’acétonitrile en présence d’eau
3°) Activité catalytique de (TBA)4[γ-H4SiW10O36] au sein de solvants organiques variés
II. Activité catalytique des POMs fonctionnalisés dans l’acétonitrile
1°) Étude bibliographique de la réactivité des POMs fonctionnalisés
2°) Réactivité des POMs amphiphiles phosphotungstiques
3°) Réactivité des POMs amphiphiles silicotungstiques
Discussion-conclusion
III. Réactivité des POMs amphiphiles dans les solvants « verts »
1°) Réactivité des POMs silicotungstiques phosphonylés dans différents solvants
2°) Réactivité dans les alcools
3°) Réactivité dans deux solvants verts : le MTBE et l’AcOtBu
Conclusion du chapitre 3
Chapitre 4 : Agrégation des polyoxométallates amphiphiles en solution aqueuse et formation de films de Langmuir
Introduction
I. Agrégation des tensioactifs à base de POMs dans les solutions aqueuses
1°) Rappels sur les agrégats formés en solution aqueuse
2°) Rappel de l’importance des contre-ions sur la solubilité des POMs
3°) Formation de micelles par les POMs amphiphiles
4°) Formation de vésicules par les POMs amphiphiles
5°) La stabilité des POMs hybrides
II. Comportement des POMs amphiphiles Na6[α-A-SiW9O34(CnH2n+1PO)2] en solution aqueuse.
1°) Formation d’assemblages en solution aqueuse par Na6[α-A-SiW9O34(CnH2n+1PO)2]
2°) Vieillissement d’une solution aqueuse de Na6[α-A-SiW9O34(C8H17PO)2]
3°) Influence du pH sur la stabilité de Na6[α-A-SiW9O34(C8H17PO)2] en solution aqueuse
III. Comportement des POMs amphiphiles K3H[γ-SiW10O36(CnH2n+1PO)2] en solution aqueuse
1°) Formation d’assemblages en solution aqueuse par K3H[γ-SiW10O36(CnH2n+1PO)2]
2°) Vieillissement de solutions aqueuses de K3H[γ-SiW10O36(CnH2n+1PO)2]
3°) Influence du pH sur la stabilité des composés K3H[γ-SiW10O36(CnH2n+1PO)2]
IV. Dépôt de films de Langmuir sur une surface d’eau 178
1°) Les couches de Langmuir dans la littérature
2°) Les isothermes de compression obtenus à l’aide des POMs amphiphiles SiW10-PCn
3°) Analyse par Brewster Angle Microscopy (BAM)
4°) Analyse des dépôts par AFM
Conclusion du chapitre 4
Conclusion générale

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