Les polymères conducteurs électroniques intrinsèques constituent une famille de conducteurs organiques dont les propriétés électriques et mécaniques sont étudiées depuis la fin des années 1970. Ces matériaux sont, encore aujourd’hui, l’objet de nombreuses recherches tant sur le plan fondamental qu’au niveau de leurs applications potentielles. Dans cette famille, on trouve des matériaux composites obtenus à partir de la dispersion d’un polymère conducteur dans une matrice isolante. Ces matériaux présentent la particularité d’allier aux propriétés électriques des polymères conducteurs les propriétés mécaniques des matières plastiques. La description des mécanismes de transport électronique et des propriétés mécaniques de ces mélanges fait appel à la notion de percolation. Le laboratoire étudie, depuis plusieurs années, le système composite polyanilinepolyméthacrylate de méthyle (PANI-PMMA) qui est une réalisation exemplaire de système à très bas seuil de percolation électrique. L’étude de la conductivité en fonction de la concentration en polyaniline a permis de montrer que la loi d’échelle de la théorie de la percolation était vérifiée. Les mesures en fonction de la température (10-320 K) montrent que l’exposant critique t de conductivité augmente continûment lorsque la température diminue. Cette évolution est interprétée dans le cadre de la percolation continue qui est basée sur l’existence d’une distribution divergente de conductance locale. L’origine de cette distribution provient de la nature hétérogène du matériau dans lequel la conduction s’effectue par saut de grains conducteurs à grains conducteurs.
Afin de valider cette description et de sonder de manière plus complète la distribution de conductance locale, nous avons réalisé des mesures de fluctuations de résistance. L’étude du bruit en 1/f (où bruit de résistance) s’avère être particulièrement sensible aux hétérogénéités. Cette étude, totalement inédite sur des matériaux composites polymères conducteurs, a nécessité, dans un premier temps, la mise en place d’un nouveau dispositif expérimental au sein du laboratoire. L’objectif initial de ce développement était de réaliser des mesures de fluctuations de résistance en fonction de la température et ainsi de confirmer ou d’infirmer, à l’aide d’une méthode indépendante, l’interprétation des variations de l’exposant de conductivité t en fonction de la température. Des observations et résultats imprévus ont modifié l’orientation initiale des travaux de recherche et les mesures en fonction de la température n’ont pas pu être réalisées.
Les polymères conducteurs
Aspects généraux
Dans les domaines de l’électricité et de l’électronique, les polymères ont longtemps été utilisés comme isolant ou diélectrique. A partir des années cinquante, la recherche manifesta un vif intérêt pour l’étude de matériaux associant les propriétés mécaniques des polymères classiques et les propriétés électriques des métaux. Deux méthodes furent étudiées pour synthétiser de tels matériaux : La première consiste à introduire dans une matrice polymère des poudres ou fibres métalliques. On obtient alors un polymère dit « chargé », la conduction étant assurée par les particules introduites. On parlera de polymère conducteur extrinsèque pour souligner le caractère « étranger » des charges de conduction. Les valeurs de conductivité, limitées par la préservation des propriétés mécaniques du polymère hôte, sont de l’ordre de 10 S/cm. La deuxième méthode consiste à créer des porteurs de charge mobiles sur la chaîne polymère elle-même. Ces matériaux sont appelés polymères conducteurs électroniques intrinsèques (PCEI). Cette méthode de synthèse est véritablement née en 1977 à la suite des travaux de Heeger, MacDiarmid et Shirakawa [1] qui dopèrent le polyacétylène. Ces travaux ont été récompensés par l’attribution du prix Nobel de chimie, en l’an 2000, aux auteurs Alan Heeger, Alan MacDiarmid, et Hideki Shirakawa pour « leurs rôles dans la découverte et le développement des polymères conducteurs électroniques ».
Systèmes conjugués
Dans les polymères isolants, que l’on appelle polymères saturés (par exemple le polyéthylène (CH2)n), chaque atome de carbone de la chaîne macromoléculaire est lié par une liaison simple (de type σ) à quatre atomes voisins (hybridation sp3). Tous les électrons des couches électroniques externes sont impliqués dans des liaisons covalentes. Il n’y a donc pas de charge libre susceptible de se déplacer le long de la chaîne; le matériau est alors un isolant électrique. Dans les PCEI, la structure est différente : chaque atome de carbone est lié uniquement à trois atomes différents, ce qui laisse un électron libre par atome de carbone. Ces électrons, placés dans les orbitales pz, forment par recouvrement avec les orbitales voisines des liaisons π. Une liaison sur deux est une liaison double. On dit alors des PCEI qu’ils sont des polymères conjugués, c’est à dire qu’ils présentent une alternance de simples et doubles liaisons. Les liaisons simples, de type σ, qui correspondent à la mise en commun de deux électrons dans les orbitales profondes, assurent la cohésion du squelette carboné de la même manière que dans les polymères saturés. Les doubles liaisons (liaison π) sont responsables de la rigidité des polymères et limitent leur solubilité.
On pourrait imaginer une délocalisation totale des électrons π sur l’ensemble de la macromolécule, à l’instar des cycles aromatiques, aboutisant ainsi à une conduction de type métallique et à des liaisons C-C de longueur équivalente. La dimérisation observée (alternance de simples et doubles liaisons) est attribuée à l’instabilité de Peierls [2]. Compte tenu du caractère quasi unidimensionnel du système et du couplage de l’onde électronique avec les vibrations du squelette carboné (phonons), les macromolécules minimisent leurs énergie par la localisation des électrons sur une certaine distance, résultant en l’alternance de simples et de doubles liaisons. Ceci crée une modulation de la longueur de liaison C-C, une augmentation de la longueur de maille et l’ouverture d’un gap dans la densité d’état. L’instabilité de Peierls tend à disparaître lorsque la température augmente ou que les couplages tridimensionnels entre chaînes sont suffisamment forts.
Cas de la polyaniline
La polyaniline émeraldine base est l’état non dopé du polymère conducteur que nous avons utilisé pour réaliser les composites. Elle fait partie, avec la leucoéméraldine et la pernigraniline, des produits d’oxydation de l’aniline. Cette famille, plus connue sous le nom de « noirs d’aniline », a été décrite en 1910 par Green et Woodhead [4], elle est basée sur l’existence de réactions d’oxydation réversibles entre ses différents états.
Dopage
Le dopage est, dans les PCEI, en général, une réaction d’oxydo-réduction qui consiste à introduire, par voie électrochimique ou chimique, des espèces accepteuses (dopage de type P réalisé par des oxydants) ou donneuses d’électrons (dopage de type N réalisé par des réducteurs) au voisinage des chaînes macromoléculaires conjuguées. On fait ainsi apparaître des charges électriques sur les chaînes et la conductivité augmente fortement pour atteindre des valeurs proches de celle des métaux . L’augmentation du taux de dopage aboutit à une transition métal isolant.
Les espèces introduites lors du dopage, souvent appelés dopant ou contre ions, demeurent dans le matériau à proximité des chaînes polymères et assurent l’électroneutralité de l’ensemble. Leur présence à proximité des chaînes polymères n’est pas sans conséquence sur les propriétés de transport électrique du matériau : Il a été montré que leur rôle pouvait être déterminant dans la mise en solution [6], dans l’organisation structurale [7] et dans la stabilisation d’un état de type métallique .
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Table des matières
Introduction
Glossaire
Chapitre I – Les polymères conducteurs
I.1 – Aspects généraux
I.1.a – Systèmes conjugués
I.1.b – Dopage
I.1.c – Désordre
I.2 – Transport électronique dans les PCEI
I.2.a – Notions fondamentales
I.2.b – Modèles de transport dans les PCEI
I.3 – Composites polymères conducteurs
I.3.a – Présentation
I.3.b – Préparation
I.3.c – Intérêts
Références
Chapitre II – Percolation et transport électronique dans les composites polymères conducteurs
II.1 – La percolation
II.1.a – Introduction
II.1.b – Définitions
II.1.c – Grandeurs caractéristiques
II.2 – Transport électronique et percolation
II.2.a – Problématique
II.2.b – Modèles de percolation
II.2.c – Exposants non universels
II.3 – Composite PANI-PMMA et percolation
II.3.a – Seuil de percolation électrique, exposant critique t de conductivité
II.3.b – Mesures mécaniques, « seuil de percolation mécanique »
Références
Chapitre III – Notions fondamentales sur le bruit en 1/f
III.1 – Introduction sur les phénomènes aléatoires
III.1.a – Définitions
III.1.b – Les outils mathématiques pour l’étude des phénomènes aléatoires
III.1.c – Les différents types de bruits électroniques
III.1.d – Bruit dans un circuit électronique
III.2 – Généralités sur les fluctuations en 1/f
III.2.a – Universalité du bruit en 1/f
III.2.b – Propriétés du bruit en 1/f
III.2.c – Relation de Hooge
III.3 – Origine du bruit en 1/f
III.3.a – Processus donnant naissance à une densité spectrale en 1/f
III.3.b – Bruit en 1/f dans les matériaux
III.4 – Bruit en 1/f et théorie de la percolation
Références
Chapitre IV – Dispositif de mesure de bruit
IV.1 – Principe de mesure
IV.1.a – Objectifs et contraintes
IV.1.b – Méthode de mesure
IV.2 – Réalisation pratique
IV.2.a – Géométrie des échantillons
IV.2.b – Source de courant
IV.2.c – Chaîne d’acquisition du signal
IV.2.d – Performance du montage et validation
Références
Chapitre V – Bruit en 1/f et résistance de contact
V.1 – Mesure de bruit sur des échantillons quatre contacts « classiques »
V.1.a – Caractéristiques du signal de bruit
V.1.b – Amplitude de bruit en fonction de la concentration
V.2 – Caractérisation des résistances de contact
V.2.a – Définitions et valeurs des résistances de contact
V.2.b – Bruit des résistances de contact, comparaison des mesures à deux et quatre contacts
V.2.c – Discussion et hypothèses
V.3 – Modifications de la forme de l’échantillon et influence sur la mesure de bruit
V.3.a – Les échantillons « π »
V.3.b – Mesures de bruit sur des échantillons « π »
V.3.c – Conclusion
Références
Chapitre VI – Mesure de bruit sur les composites PANI-PMMA
VI.1 – Résultats expérimentaux
VI.1.a – Vérification de la loi de Hooge
VI.1.b – Dispersion des niveaux et influence des défauts
VI.1.c – Simulation numérique de l’effet de défauts intentionnels sur le bruit
VI.1.d – Les exposants critiques
VI.2 – Interprétation des résultats et discussion
VI.2.a – Comparaison avec la bibliographie et discussion
VI.2.b – Conclusion
Références
Conclusion