Les politiques intercommunales de l’habitat : quelles reconfigurations des rapports central/local ?

« L’Etat n’a pas d’essence. L’Etat ce n’est pas un universel, l’Etat ce n’est pas en lui-même une source autonome de pouvoir. L’Etat, ce n’est rien d’autre que l’effet, le profil, la découpe mobile d’une perpétuelle étatisation, ou de perpétuelles étatisations, de transactions incessantes qui modifient, qui déplacent, qui bouleversent, qui font glisser insidieusement, peu importe, les sources de financement, les modalités d’investissement, les centres de décision, les formes et les types de contrôle, les rapports entre pouvoirs locaux, autorité centrale, etc. Bref, l’Etat n’a pas d’entrailles, on le sait bien, non pas simplement en ceci qu’il n’aurait pas de sentiments, ni bons ni mauvais, mais il n’a pas d’entrailles en ce sens qu’il n’a pas d’intérieur. L’Etat, ce n’est rien d’autre que l’effet mobile d’un régime de gouvernementalités multiples ». Michel Foucault (1984), « La phobie d’Etat », extrait du cours du 31 janvier 1979 au Collège de France .

Les politiques de l’habitat se caractérisent aujourd’hui par une action publique plurielle et négociée : contractualisation, multiplication des scènes de négociation, partage des compétences entre les différents échelons publics… Nous avons montré que ces politiques illustraient une forme de « procéduralisation » de l’action publique (Gaudin, 2004) « signifiant par là que celle-ci ne se réduit pas à l’application de règles produites une fois pour toutes en amont, mais que ces règles naissent de discussions, de négociations (par exemple dans le cadre de forums) entre des acteurs situés à différents niveaux, ceci tout au long du processus concerné » (Commaille, 2004, p.418).

Nous cherchons ici à interroger le rôle de l’Etat au sein de ces discussions et négociations, dans le processus d’élaboration et de mise en œuvre des politiques locales de l’habitat. Nous considérons que le rôle de l’Etat est décisif, mais qu’il est aujourd’hui un acteur parmi d’autres et qu’il fait tout autant l’apprentissage de cette redistribution des cartes que les autres acteurs publics. En effet, « l’Etat reste un acteur important mais il s’est banalisé, il est devenu un acteur parmi d’autres, ou plutôt différents segments de l’Etat sont devenus des acteurs parmi d’autres dans les processus d’élaboration et de mise en place des politiques » (Le Galès, 1995, p.59). Si le logement est par essence un bien localisé et appelle une territorialisation de l’action publique, l’idée que « l’Etat demeure garant des grands équilibres sur le territoire national et conserve de ce fait sa légitimité à intervenir dans le domaine » reste largement partagée par les différents acteurs nationaux et locaux. La permanence du rôle prépondérant de l’Etat dans les politiques du logement se justifie notamment au nom du principe d’équité territoriale . Dès lors, l’Etat est-il appelé à conserver durablement un rôle prépondérant dans le domaine du logement ? Et si oui, quelle peut être l’articulation entre la territorialisation croissante des politiques du logement à l’échelle intercommunale et l’implication attendue de l’Etat dans la régulation de ces mêmes politiques ? Puisque l’Etat a fortement contribué à la promotion de l’échelle intercommunale comme « chef de file » des politiques locales de l’habitat (voir supra) – en s’appuyant sur le désir d’autonomie des EPCI -, il s’agit ici d’observer la façon dont il accompagne la montée en puissance de cette échelle intercommunale dans le domaine du logement :

– l’Etat facilite-t-il le processus de décentralisation partielle des politiques de l’habitat en donnant aux intercommunalités les moyens d’asseoir leur rôle de « chef de file » sur les scènes locales de l’habitat ?
– ou au contraire, sème-t-il d’embûches le chemin (qu’il a lui-même tracé par ailleurs) des EPCI vers l’affirmation de leur capacité d’action collective en matière d’habitat et de leur rôle de « chef de file » de ces politiques ?

Ceci conduit également à identifier les métamorphoses du rôle de l’Etat qu’implique la territorialisation des politiques publiques. Si l’échelle intercommunale monte en responsabilité dans le domaine de l’habitat, les services déconcentrés sont-ils mécaniquement dessaisis d’un certain nombre de leurs compétences ? C’est par exemple le cas dans le cadre de la délégation des aides à la pierre : concrètement, les délégataires prennent en charge ce qui était auparavant assuré par les services déconcentrés de l’Etat. Comment l’Etat redéfinit-il alors son rôle dans le domaine du logement ? Comment les services déconcentrés font-ils l’apprentissage de ce nouveau partage des tâches ? Au total, ces observations nous renseigneront sur le rôle que l’Etat joue au sein des processus d’apprentissage à l’œuvre sur les scènes locales de l’habitat. Nous nous attacherons donc également à montrer de quelles façons les intercommunalités perçoivent le rôle que joue l’Etat dans leur propre apprentissage de la communautarisation des politiques de l’habitat. Notre propos s’inscrit dans un contexte général « où nous savons bien que la remise en question de l’Etat providence construit selon une logique a-spatiale diront les uns, universelle diront les autres, ne date pas d’hier et que l’Etat a dû se redéployer en prenant appui sur des référents territoriaux » (Germain, Estèbe, 2004, p.5) et où l’on sait bien également que la territorialisation passe par une redéfinition des logiques d’action publique (partenariat, gestion par projets, contractualisation, gestion en réseaux…) qui bouleverse les rôles de chacun. « Au départ, la décentralisation a été conçue dans une logique conforme au modèle français traditionnel : il s’agissait de redéfinir d’en haut les compétences de l’Etat et des collectivités locales » (Muller, 2009, p.108) mais « à la fin des années 1980, on s’aperçoit que le pendule est allé beaucoup plus loin : à bien des égards, les villes, régions et départements représentent un pôle fort alors que les services de l’Etat s’avèrent de plus en plus marginalisés ou éclatés. Le maire est à son niveau un intégrateur beaucoup plus puissant face à un Etat qui se présente en ordre dispersé sans moyens d’action » (Thoenig, 1989, p.116).

L’apprentissage de la territorialisation à l’épreuve de la tentation centralisatrice

« La politique de l’Etat en matière de logement est longtemps restée en retrait des différents mouvements de décentralisation des politiques nationales en faveur des politiques locales. La loi du 13 août 2004 introduit à ce titre un virage important, en mettant à la disposition des collectivités des prérogatives en matière de programmation des crédits aidés pour la production et l’amélioration du logement notamment. Cependant ce mouvement continue de s’accompagner en parallèle de dispositifs centralisés : l’ANRU, le Plan de cohésion sociale, la politique du 1% et d’une certaine façon les aides fiscales à l’investissement privé sont des politiques ou des outils qui échappent à la décentralisation. »  Rapport du Conseil National de l’Habitat (CNH, 2007, p.12) .

Nous l’avons vu, avec la territorialisation des politiques de l’habitat, le jeu est devenu plus ouvert, là où l’Etat avait tendance auparavant à jouer tout seul (pour rappel, jusqu’en 1983, la procédure d’examen des demandes des permis de construire dépendait des services de l’Etat). Le contexte d’« institutionnalisation de l’action collective » (Thoenig, Duran, 1996), qu’illustre bien la montée en puissance de l’intercommunalité, appelle « mécaniquement » une transformation du rôle de l’Etat, qui ne perd cependant pas son rôle principal de « fixation des règles du jeu » (Thoenig, Duran, 1996), même si le jeu est de plus en plus collectif, et même si l’Etat joue de moins en moins sur le terrain. Il s’agit ici, dans un premier temps, d’observer la manière dont l’Etat fixe les règles du jeu collectif et oriente l’action des autres acteurs de l’action publique, et en particulier comment il intervient dans le processus d’apprentissage des EPCI pour l’élaboration et la mise en œuvre de leurs politiques de l’habitat (en considérant qu’il est lui-même tout autant en phase d’apprentissage).

Pour ce faire, nous nous attacherons à montrer que les orientations nationales et certains instruments déployés par l’Etat déstabilisent régulièrement l’échelle intercommunale dans sa montée en responsabilité dans le champ de l’habitat (1.). Nous soulignerons ensuite la logique descendante qui continue de primer entre l’Etat et les EPCI notamment via la délégation des aides à la pierre (2.). Nous montrerons également que l’Etat entretient en continu une instabilité des règles du jeu, notamment à travers son rôle de financeur et via une certaine inflation législative, normative et réglementaire (3.). Enfin, nous reviendrons sur l’intervention multi-instrumentale de l’Etat en matière de logement (4.).

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Table des matières

Introduction générale
Première partie : Construction de la recherche
Chapitre 1.Les politiques locales de l’habitat : histoire d’une compétence partagée
Section 1- La genèse de la montée en responsabilité de l’échelle intercommunale en matière d’habitat
Section 2- Les politiques locales de l’habitat : des politiques négociées, sensibles et différenciées
Chapitre 2. Problématique, méthodologie et présentation des terrains d’étude
Section 1- Problématique et questions de recherche
Section 2- Méthodologie de la recherche
Section 3- Deux configurations territoriales : les agglomérations de Lyon et de Dunkerque
Deuxième partie : Apprendre dans l’incertitude : une capacité d’action collective croissante mais limitée et instable
Chapitre 3. Les politiques intercommunales de l’habitat : quelles reconfigurations des rapports central/local ?
Section 1- L’apprentissage de la territorialisation à l’épreuve de la tentation centralisatrice
Section 2- L’Etat territorial : l’apprentissage d’un nouveau positionnement dans l’action collective
Section 3- Les communautés face à l’Etat : attentes, revendications et logiques d’action
Conclusion de chapitre : A la recherche d’un « mieux d’Etat »
Chapitre 4. Les politiques intercommunales de l’habitat : modalités, avancées et limites d’une action collective négociée
Section 1- Les ressources dont disposent en propre les communautés pour élaborer et mettre en œuvre leurs politiques intercommunales de l’habitat
Section 2- Les vecteurs d’intégration intercommunale de l’habitat
Section 3- Retour sur un processus d’apprentissage
Conclusion de chapitre : Des politiques procédurales qui reposent sur des moyens limités et contraints par le consensus
Conclusion générale

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