Les politiques de santé à l’École, du XIXe siècle à nos jours, pour un meilleur bien-être scolaire
Afin de saisir la place qu’occupe le bien-être à l’École, il est nécessaire de retracer les politiques de santé du ministère de l’Éducation nationale et ses multiples réformes. En effet, leur évolution du XIXe au XXIe définit la conception de la santé de l’École d’aujourd’hui. Des pratiques hygiénistes jusqu’à l’élève au centre du système, nous sommes passés des préoccupations de santé physique pure à une attention particulière portée au bien être de l’élève. Nous commencerons donc par expliquer comment les mutations des politiques de santé à l’École au cours du XIXe et du XXe siècle ont fait passer la santé d’une problématique collective à une problématique individuelle. Nous montrerons ensuite comment la question de la santé à l’École apparaît sous le prisme du bien-être dans les années 2000.
Une mutation des politiques de santé à l’École au cours du XIXe et du XXe siècle : du collectif vers l’individuel
Dans les années 1850, apparaissent de nouvelles préoccupations en rapport avec la santé. L’École est au centre de celles-ci, car ce sont les élèves qui sont les premiers concernés. Cela déclenche, dans le système scolaire, une vague d’hygiénisme qui se transformera tout au long du siècle qui suit. L’hygiénisme est une pratique de politique collective visant à préserver l’hygiène et la santé publique. Afin de comprendre cette évolution, nous expliquerons tout d’abord comment l’hygiénisme scolaire a déterminé les politiques de santé, du XIXe siècle jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ensuite, nous indiquerons comment des changements institutionnels ont préparé le terrain pour un nouveau genre d’éducation : l’éducation à la santé.
Du XIXe siècle à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’hygiénisme scolaire ou les prémices de l’éducation à la santé
L’augmentation des institutions d’éducation du XIXe siècle permet de mettre en exergue certaines problématiques alarmantes de l’époque. L’une d’elles se trouve être la mortalité des enfants et des adolescents pendant leur scolarité. En effet, dans les années 1850, la variole fait rage. De plus, les enfants sont susceptibles de contracter des maladies et de souffrir de maux physiques tels que les problèmes gastriques et les engelures aux extrémités corporelles (mains et pieds). Ces désagréments de santé sont bien plus graves qu’au XXe et XXIe siècle à cause d’une pénurie de médecins. La propagation des virus, les environnements sales et les comportements non hygiéniques restent les principaux déclencheurs de ces décès. L’École, lieu de transmission des maladies, s’empare alors de la question. En effet, un enfant en bonne santé pourra se concentrer sur son travail scolaire sans être impacté par la maladie.
À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, se dessine alors la conception d’une santé devant faire partie du projet éducatif (Parayre, 2007). La création du poste d’inspecteur d’académie provoque un tournant dans la conscientisation des conditions de vie à l’École. Il devient nécessaire de faire le lien entre le ministère et le terrain. Les inspecteurs devront donc observer la réalité dans les Écoles. Ils constatent, en premier lieu, l’insalubrité de bon nombre d’établissements. Leurs rapports concernant les conditions de scolarisation en France sont négatifs. Le ministre de l’Instruction publique de 1839 à 1845, A. F. Villemain est le premier à souhaiter que les établissements décrits comme archaïques deviennent plus salubres et modernes. Les conseils communaux font construire, rénover et réparer tous les anciens lieux appartenant au ministère. En 1843, le ministre souhaite centraliser ces changements et définir des normes nationales de construction et de rénovation. Ainsi naissent les premiers modèles de lycée moderne. Quatre catégories de normes sanitaires sont définies, régulant l’emplacement et l’orientation des bâtiments, la codification des salles, la construction de l’infirmerie et enfin la création de nouveaux espaces de propreté, à savoir la salle de lavabo et la salle de bains. Les instructions ministérielles sont alors centrées sur la salubrité des locaux et l’hygiène corporelle des élèves (Parayre, 2007). Au début du XXe siècle, des congrès internationaux sur l’hygiène scolaire sont menés, en 1904 à Nuremberg, en 1907 à Londres, en 1910 à Paris et en 1913 à Buffalo (Al-Sabil, 2020). Ces congrès répétés montrent une réelle préoccupation pour la santé des élèves à l’École. Toutefois, bien que celle-ci soit mise au premier plan pendant la première partie du XXe siècle, l’éducation à la santé reste cantonnée à l’hygiène de l’environnement et du corps. En effet, les périodes des deux guerres mondiales et de l’entre-deux-guerres présentent peu d’opportunités pour se pencher plus sur la question. Lorsque la France n’est pas impliquée dans un conflit armé, elle se reconstruit. Ce statut ne laisse pas de temps pour avancer dans ce domaine (Dominique & al., 2008).
Des changements institutionnels préparant le terrain pour un nouveau genre d’éducation : l’éducation à la santé
La libération prend son temps et le pays commence petit à petit à se reconstruire. Néanmoins, à cette période, la notion de bien-être apparaît. En 1946, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit la santé comme étant un « état complet de bien être physique, mental et social » (Constitution de l’OMS, 1946, p. 1). Alors, les premières bases de la sécurité sociale apparaissent. Certains sujets comme celui de la santé des plus jeunes sont réinvestis. Le ministère de l’Éducation nationale met en place la direction de l’hygiène scolaire et universitaire (DHSU). Cette direction centralise le contrôle médical scolaire. Elle surveille la santé des élèves dans tous les types d’établissements. Elle est responsable des mises en œuvre visant l’amélioration de la santé des élèves. Elle est également instigatrice du contrôle médical des activités physiques et sportives dans chaque établissement. Le service de santé scolaire et les centres régionaux et nationaux d’éducation sanitaire sont aussi créés à cette période (archives nationales, 1992).
De plus, l’occupation des Allemands a fait ressortir un concept datant de Jules Ferry : la reconstruction par l’éducation de la jeunesse. L’éducation physique se retrouve au centre de la politique de santé du ministère de l’Éducation. Une personne sportive est vue comme une personne en forme, productive qui peut agir pour le pays. Parallèlement, la gymnastique suédoise instaurée dans les années 1905 en éducation physique et sportive est réinvestie. La santé est d’abord pensée en termes de « forces vives restaurées », c’est-à-dire « une santé qui conjugue absence de maladie, absence de formes de dégénérescence et de carences avec la recherche d’un état physique jugé conforme à la norme » (Dominique & al., 2008, p. 8). En effet, la gymnastique y est enseignée comme un moyen de prévenir certaines maladies ainsi que de renforcer le système immunitaire (ibid.). La gymnastique suédoise promue en France ne convainc plus à partir des années 1950 et disparaît petit à petit. Ses vertus préventives et curatives ainsi que l’immunité naturelle qu’elle prodigue sont rapidement remplacées par les vertus bien plus avantageuses des vaccins (ibid.). L’immunité vaccinale prend de plus en plus d’ampleur dans la conception du corps sain, la conception hygiéniste de la santé est remplacée par une conception médicale et préventive. La promotion du vaccin reste une affaire du ministère de la Santé publique. Jusqu’aux années 60, la cohabitation du ministère de la Santé et de celui de l’Éducation nationale est difficile. L’éducation à la santé les divise, les pratiques uniquement hygiénistes devenant obsolètes et la santé étant un domaine complexe. Des conflits de compétence traduisent cet équilibre tendu entre les deux ministères. Les actions de l’Éducation nationale sont alors seulement de l’ordre de l’information et de la coordination. Elles ne font que renseigner les personnels de l’éducation, les parents d’élèves, ainsi que le corps médico-social. De plus, le ministère de l’Éducation nationale coordonne les relations entre les centres nationaux de la recherche scientifique (CNRS), l’ordre des médecins, les syndicats de médecins, les assistants sociaux, les infirmiers et les enseignants (archives nationales, 1992). En 1964, les compétences des personnels de santé et du social sont mises sous l’autorité du ministère chargé de la santé. Suite à l’opposition de l’Éducation nationale face à ce rattachement et aux moyens requis pour ce transfert, les services et les agents sont séparés entre les deux ministères. Les services sont placés sous l’autorité du ministère de l’Éducation nationale qui détermine les priorités d’intervention, les modalités de fonctionnement et qui supporte les charges. La question de la santé scolaire n’est toutefois pas retirée des préoccupations de santé publique. L’État et les départements coordonnent les deux ministères. Le personnel, quant à lui, est divisé en deux. Les infirmiers d’établissement et assistants sociaux scolaires sont affiliés au ministère de l’Éducation nationale. Les médecins et secrétaires médicaux sont toujours dépendants du ministère chargé de la santé publique, mais sont envoyés par les directeurs départementaux de l’action sanitaire et sociale vers les recteurs et inspecteurs d’académie, conformément à leur mission de santé scolaire (archives nationales, 1964). Les changements de mission ne s’opèrent pas seulement au niveau de l’École et des académies mais aussi au niveau des ministères. Dans le même temps, en 1971, la première circulaire en rapport avec la nutrition des enfants à l’École intitulée « Nutrition de l’écolier : composition de déjeuner pour les enfants ne prenant que le repas du midi à l’École » est publiée. Résultat des politiques hygiénistes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe , cette circulaire explique les principes de base de la nutrition, les quantités appropriées et la qualité nécessaire au bon développement de l’enfant (Neulat, 2005).
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Table des matières
Introduction
I. Partie 1 : cadre théorique
1 Les politiques de santé à l’École, du XIXe siècle à nos jours, pour un meilleur bien-être scolaire
1.1 Une mutation des politiques de santé à l’École au cours du XIXe et du XXe siècle : du collectif vers l’individuel
1.1.1 Du XIXe siècle à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’hygiénisme scolaire ou les prémices de l’éducation à la santé
1.1.2 Des changements institutionnels préparant le terrain pour un nouveau genre d’éducation : l’éducation à la santé
1.2. Une approche de la question de la santé à l’École sous le prisme du bien-être depuis les années 2000
1.2.1 De nouvelles politiques nationales de santé à l’École centrées sur le bien-être
1.2.2 L’évolution des missions des personnels
1.2.3 De nouveaux dispositifs au service de la santé et du bien-être des élèves
2 L’adolescence, une période charnière propice au mal-être
2.1 L’adolescence une période particulière
2.1.1 La « crise » d’adolescence
2.1.2. La famille, facteur clé du développement adolescent
2.2 Symptômes du mal-être adolescent
2.2.1 Troubles du comportement alimentaire et addictions
2.2.2 L’automutilation et les tentatives de suicide, comportements d’autodestruction
3 L’internat, un lieu propice à la mise en place de conditions favorables au bien-être des adolescents
3.1 Retour historique sur l’évolution de l’internat et de ses enjeux
3.1.1 L’internat, de la fin du XVIIIe au XXe siècle : une fonction protectrice et une image de pénitencier
3.1.2 L’internat au XXIe siècle : le bien-être des adolescents pour la réussite scolaire
3.2 Les raisons de la fréquentation de l’internat, sources potentielles de mal-être
3.2.1 L’internat pour réconcilier les élèves avec le travail scolaire
3.2.2 L’internat pour éloigner les élèves d’un environnement néfaste
3.3 Les conditions éducatives, psychologiques et sociales à l’internat : quels leviers pour promouvoir le bien-être des élèves ?
3.3.1 Le rôle des personnels à l’internat : une attention particulière portée au bien-être
3.3.2 La relation éducative entre AED et internes
3.3.3 La construction identitaire à l’internat, à la fois lieu social et habitat
Conclusion du cadre théorique
II. Partie 2 : Enquête au lycée X
1 L’enquête de terrain
1.1 Formulation des hypothèses
1.2 Description du terrain d’enquête
1.3 Méthodologie de l’enquête de terrain
1.3.1 La récolte de données auprès des élèves de l’internat
1.3.2 La récolte de données auprès des adultes de l’internat
2. Discussion des résultats de l’enquête
2.1 La vie en collectivité, source de mal-être
2.1.1 Une organisation temporelle, spatiale et infrastructurelle, source potentielle de malêtre
2.1.2 Des problématiques adolescentes individuelles au sein d’un collectif
2.1.3. La collectivité nécessite un vivre-ensemble mis à mal chez certains adolescents, et particulièrement les garçons des sections sportives
2.2 Le rôle des acteurs de la vie scolaire dans la mise en place de conditions favorables à l’épanouissement des élèves, une prééminence des AED
2.2.1 Le rôle éducatif des AED à l’internat propice au bien-être des élèves
2.2.2 L’internat, substitut de la famille
2.2.3 La détection et la prise en charge du mal-être des élèves par la vie scolaire
2.3 Quels leviers pour améliorer le bien-être des élèves ?
2.3.1 La formation des AED au service du bien-être des internes
2.3.2 La représentation des élèves et une offre éducative variée pour un cadre favorable à leur épanouissement
2.3.3 La collaboration des acteurs pour une approche globale des élèves, un prérequis dans le développement de leur bien-être individuel
3 Synthèse et limites
3.1 Réponses aux hypothèses
3.1.1 Réponse à l’hypothèse 1
3.1.2 Réponse à l’hypothèse 2
3.1.3 Réponse à l’hypothèse 3
3.2 Limites de l’enquête
3.2.1 La méthode de récolte des données
3.2.2 La population interrogée
Conclusion
Bibliographie
Annexes