Echelle de perception des phénomènes étudiés
L’étude proposée utilise deux grands types de données : des observations et des mesures climatiques stationnelles, localisées de façon précise sur un territoire très restreint, et des mesures satellitaires, dont le pixel d’une image est de 5 km de côté. Il convient, avant de discuter des hypothèses de recherche, de définir l’échelle de perception des phytoclimats et des relations entre plantes et mesures satellitaires. Dans les deux approches, les données botaniques sont des observations de terrain réalisées sur des parcelles ne dépassant que très rarement 100 m2 , mais dont la composition floristique témoigne d’un type de milieu et de végétation bien définis. Cette parcelle floristique représente non pas un échantillon de territoire, mais un échantillon de situation écologique, où les plantes sont considérées comme les témoins des variables du milieu. L’échelle de perception dépend plus de la nature des phénomènes étudiés que de la taille des échantillons.
Echelle de perception des relations entre plantes et climats
Le climat mesuré dans un poste climatique correspond essentiellement au topoclimat (ou climat local), c’est à dire au climat représentatif d’une zone de 10 km de côté en plaine et de 1 km de côté en montagne (Guyot, 1997). Comme les relevés échantillonnés aux alentours des postes climatiques ne s’en écartent pas au-delà de 10 km, la flore climatiquement étalonnée est représentative du topoclimat. Elle représente également le climat moyen, car les mesures utilisées correspondent à des moyennes mensuelles prises sur une période de 50 ans.
Echelle de perception des relations entre plantes et mesures satellitaires
Un échantillon de la flore en phytosociologie est un relevé qui occupe environ 100 m2 en forêt. En revanche, un échantillon du tapis végétal reflété par une variable satellitaire est un pixel qui occupe 1 kilomètre carré, soit 10.000 fois plus, voire 25 kilomètres carrés si le pixel a 5 kilomètres de côté. Dans une telle surface peuvent coexister des formations disparates, forêts, prairies, cultures, ainsi que des substrats variés. Quelle est la représentativité d’un échantillon aussi grand et hétérogène ? Un relevé ou un pixel est l’échantillon d’une situation et non d’un territoire. Il est l’exemple d’une coexistence entre végétation et milieu. Il ne vise à représenter ni la végétation, ni le milieu considérés séparément, mais à établir les relations entre ces deux ensembles. Cependant, la validité de la relation est tributaire de l’échantillonnage des situations et elle n’a de sens que si un nombre suffisamment important de situations écologiques ont été échantillonnées. Pour s’en rendre compte, il suffit de considérer les plantes comme des témoins des caractéristiques spectrales des milieux dans lesquels elles poussent. La concordance entre les diverses expressions de ces caractéristiques par des plantes de même milieu permet de juger de la pertinence de ces relations. Ainsi, les plantes permettent de localiser le milieu d’abord dans un espace relationnel, puis dans un espace géographique. La nature du milieu susceptible d’être mise en évidence est conditionnée non par la taille des échantillons, mais par leur éloignement les uns des autres. En l’occurrence, les relevés comme les pixels sont considérés sur des gradients à l’échelle du territoire français. A cette échelle, les gradients montrent principalement l’effet du climat sur la végétation, même si parfois on peut distinguer dans la carte d’une espèce l’effet des grands ensembles calcaires ou siliceux notamment sur des gradients plus réduits. A l’échelle de la parcelle ou de la formation, l’influence conjointe du sol et de l’action anthropique est encore plus marquée. Le passage du relevé au pixel provoque une augmentation de la taille de l’échantillon, qui elle-même augmente l’hétérogénéité du substrat et de l’influence humaine. En revanche, elle augmente peu l’hétérogénéité du climat, qui est le facteur principal et qui influence majoritairement la répartition de la végétation à cette échelle. Ainsi, des pixels de 5 kilomètres de côté reflètent les gradients climatiques : cela est démontré par un ensemble de résultats obtenus parallèlement aux calculs phytoclimatiques, qui sont issus du calcul de la flore probable, fondé sur des quadrats de 5 km de côté, afin d’atténuer les conséquences du sur-échantillonnage local de certaines espèces (La probabilité de présence d’une plante dans ces quadrats occupe Garbolino et al., article soumis), par ses valeurs supérieures, un territoire cohérent et montre souvent des gradients réguliers en relation avec des gradients climatiques.
Hypothèses de recherche
Le terme « écologie » a été défini par Ernest Haeckel en 1869 (Heinrich et Hergt, 1990) comme étant « la science des relations entre les êtres vivants et le monde qui les entoure ». Ces relations sont déduites à partir de l’influence des facteurs du milieu sur les êtres vivants. Ces facteurs environnementaux se manifestent par leurs effets sur la répartition de la végétation à l’échelle du globe.
Expression du lien entre une plante et un facteur du milieu
Trois hypothèses portent sur les relations entre plantes et facteurs environnementaux et suffisent à fonder les calculs proposés dans cette recherche :
1) L’effet d’un facteur est graduel, quelle que soit l’intermittence de la plante.
2) L’effet d’un facteur suit un gradient à tendance unimodale, quelle que soit l’irrégularité dans la distribution de la plante.
3) L’effet d’un facteur se manifeste par la concentration des présences de la plante dans la gamme du facteur.
De façon pratique, l’effet apparent qu’un facteur induit sur une plante s’exprime au niveau des occurrences de la plante et de ses abondances dans une localité donnée. En écologie, la localité peut être remplacée par la mesure d’un facteur du milieu comme la température du jour, par exemple. L’écologie cherche à connaître dans quelle partie de la gamme d’une variable se trouve une plante, mais également si cette plante est concentrée dans cette partie de la gamme. Ces deux paramètres de position et de concentration permettent de définir d’abord la valeur optimale de la variable dans laquelle une plante peut croître, mais aussi le degré de liaison entre cette valeur et la plante. Dans ce cas, le lien entre plante et variable du milieu est un lien quantitatif, qui s’exprime selon un gradient correspondant à la gamme de la variable. Le calcul de ce lien a l’intérêt de pouvoir considérer les plantes comme des indices quantitatifs de variables du milieu et de les utiliser, par la suite, pour estimer les valeurs de ces mesures. Ainsi, toutes les plantes sont considérées comme indicatrices des mesures du milieu, quelles soient rares ou fréquentes, leurs liens à l’égard d’une variable étant exprimés par des pourcentages. Cependant, la répartition d’un taxon sur un territoire n’est pas continue, même si le taxon peut coloniser bien plus de localités que ses observations ne le montrent. Son intermittence est le plus souvent liée à des facteurs contingents comme la capacité de dissémination des semences, la compétition interspécifique ou bien encore l’action anthropique. Il existe donc des hiatus au niveau de sa représentation spatiale, car il ne colonise jamais toutes les localités dans lesquelles les conditions environnementales lui seraient favorables. Par extension, un taxon présente des intermittences dans les rangs d’une variable climatique, se traduisant par exemple par des occurrences à –5°C et à +5°C, sans pour autant qu’il soit observé à 0°C. Evidemment, cela ne signifie pas que ce taxon ne puisse survivre à une température de 0°C, mais le hasard de sa distribution dans la gamme des températures du jour n’a pas permis de repérer des occurrences dans les valeurs intermédiaires. Dans ces conditions, il convient d’utiliser une méthode numérique, qui puisse tenir compte de ces intermittences : ce constat a motivé l’emploi d’une méthode probabiliste pour l’étude des relations entre plantes et climats à l’échelle de la France. Ce modèle probabiliste suppose qu’un taxon montre une distribution unimodale dans la gamme d’un facteur climatique, ce qui s’exprime par la probabilité pour ce taxon de présenter à la fois un optimum (position optimale) dans la gamme du facteur climatique et, d’autre part, de présenter un pouvoir indicateur (concentration) montrant le degré de liaison entre taxon et facteur.
Influences des facteurs climatiques sur les plantes
Parmi les facteurs environnementaux agissant sur l’écologie des plantes, le climat représente un des facteurs les plus importants. Son importance se manifeste par la répartition des biomes à l’échelle de la planète (Braque, 1988). Ces biomes correspondent à des formations végétales donnant des paysages globalement homogènes, qui peuvent représenter des couverts continus ou bien des mosaïques de végétation. Cependant, d’autres facteurs comme la roche mère ou le sol influencent également cette répartition, mais dans une moindre mesure que le climat (Douguedroit, 1976) : ce sont donc des influences hiérarchisées qui sont observées en fonction des échelles de perception des phénomènes. La France étant un territoire soumis à des climats relativement contrastés, des formes variées de végétation y sont observées et montrent leurs liens avec les ensembles climatiques. Ce constat a notamment été formulé par les botanistes, comme c’est le cas de la célèbre Flore de Fournier : « Pas plus que la France n’a un climat unique, elle n’a une flore unique. Le moins qu’on en puisse distinguer se ramène aux quatre flores indiquées dans le sous-titre de ce volume : générale, alpine, méditerranéenne, littorale. » (Fournier, 1947). Les premiers travaux suggérant le rôle du climat dans la répartition de la végétation ont été écrits par Théophraste au IVéme siècle avant J. C.. Plus tard, au siècle des lumières, le géographe et naturaliste Alexander von Humboldt insista sur la prise en compte de la géographie des climats pour expliquer la géographie des plantes : « La géographie des plantes, dont le nom même était presque inconnu il y a un demi siècle, offrirait une nomenclature aride et dépourvue d’intérêt si elle ne s’éclairait pas des études météorologiques » (Humboldt, 1845). Il conseilla d’appuyer la recherche des relations entre les paramètres du milieu et la géographie des plantes non seulement sur les cartes de distribution des plantes et des facteurs auxquelles elles sont soumises, mais également sur la recherche « des éléments numériques de la géographie des plantes » (1820, in Dettelbach, 1997). Il souligna ainsi l’importance des mesures des facteurs du milieu pour expliquer l’écologie des plantes.
Le climat : définition et caractérisation
Le climat représente l’état moyen de l’atmosphère et son évolution en un lieu donné. Deux notions sont contenues dans cette définition : la notion de climat moyen, qui correspond à l’ensemble des conditions qui caractérisent l’état moyen de l’atmosphère en un endroit ou une région, et la notion de variabilité climatique, qui correspond à la dispersion statistique des éléments caractéristiques climatiques autour de leur valeur moyenne (Guyot, 1997). Les paramètres cosmiques et les facteurs géographiques sont à l’origine de la diversité des climats. Les premiers se manifestent en fonction de l’angle d’éclairement de la terre par rapport aux rayons solaires, ce qui met en avant le rôle de la latitude et de l’épaisseur de la couche atmosphérique qui est traversée par les rayons. Ils sont responsables de l’organisation zonale des climats (Pagney, 1994). Les facteurs géographiques sont principalement la répartition des masses terrestres et marines, la présence des courants marins, l’orientation des masses continentales et l’existence de reliefs. Ces facteurs sont responsables des altérations azonales des climats.
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Table des matières
CHAPITRE 1 : INTRODUCTION GENERALE
1.1. Objectif de la recherche
1.2. Echelle de perception des phénomènes étudiés
1.2.1. Echelle de perception des relations entre plantes et climats
1.2.2. Echelle de perception des relations entre plantes et mesures satellitaires
1.3. Hypothèses de recherche
1.3.1. Expression du lien entre une plante et un facteur du milieu
1.3.2. Influences des facteurs climatiques sur les plantes
1.3.2.1. Le climat : définition et caractérisation
1.3.2.2. Importance des valeurs moyennes dans les relations entre plantes et climats
1.3.2.3. Action de la température et des précipitations sur les plantes
1.3.3. Evolution des méthodes en phytoclimatologie
1.3.3.1. La démarche géographique en phytoclimatologie : le problème des limites
1.3.3.2. La géographie des associations végétales
1.3.3.3. La démarche écologique stationnelle en phytoclimatologie
1.3.4. Propositions pour une démarche stationnelle et probabiliste en phytoclimatologie
1.3.4.1. Nature des données floristiques et climatiques
1.3.4.2. Schéma d’un traitement probabiliste
1.3.5. Télédétection de la végétation : concepts généraux et méthodes
1.3.5.1. Concepts généraux sur les propriétés optiques des végétaux
1.3.5.2. Intérêt de NOAA AVHRR pour la télédétection de la végétation
1.3.5.3. Les méthodes d’étude de la télédétection des végétaux terrestres
1.3.6. Une démarche écologique probabiliste pour la télédétection de la végétation
1.4. Conclusion : intérêt d’une démarche stationnelle et probabiliste pour l’étude des relations entre les plantes et leurs milieux
CHAPITRE 2 : DONNEES FLORISTIQUES ET CLIMATIQUES
2.1. Les données floristiques de la banque « Sophy »
2.1.1. Les relevés phytosociologiques
2.1.2. Localisation des relevés
2.1.3. Les codes floristiques
2.1.4. Références bibliographiques
2.1.5. Bilan de la banque « Sophy »
2.2. Les données climatiques de Météo-France
2.2.1. Variables climatiques utilisées
2.2.2. Estimation des données climatiques manquantes
2.2.2.1. Principe du calcul des données manquantes
2.2.2.2. Résultats du calcul des données manquantes
2.3. Echantillonnage des relevés aux alentours des postes climatiques
CHAPITRE 3 : UN MODELE PROBABILISTE DES RELATIONS ENTRE PLANTES ET CLIMATS
3.1. Introduction
3.2. Approches usuelles en écologie végétale et choix d’une méthode probabiliste
3.2.1. La méthode phyto-écologique
3.2.1.1. Découpage des mesures environnementales en classes
3.2.1.2. Fréquences corrigées et profils écologiques
3.2.1.3. Sélection des espèces et des descripteurs selon leur information mutuelle
3.2.1.4. Constitution des groupes écologiques de taxons
3.2.1.5. Conclusion sur l’analyse fréquentielle
3.2.2. Corrélations et régressions
3.2.3. Les analyses multidimensionnelles
3.2.4. Les classifications
3.2.5. Conclusion sur les hypothèses des procédés usuels en écologie végétale
3.3. Etalonnage climatique de la flore
3.3.1. Principes généraux
3.3.2. Codage des données ordinales par des rangs
3.4. Influence d’un facteur sur une plante
3.4.1. Proximité d’un taxon dans la gamme d’un facteur climatique
3.4.2. Caractérisation du comportement climatique d’un taxon
3.4.3. Représentation graphique des comportements climatiques
3.5. Estimation du climat d’après la flore
3.5.1. Position modale d’une distribution
3.5.2. Justesse et stabilité des estimations
3.6. Classification climatique des plantes
3.6.1. Pourquoi une classification climatique des plantes ?
3.6.2. Importance des fidélités cumulées comme moyen de comparaison des comportements
3.6.3. Choix d’une mesure de distance entre les comportements
3.6.4. Justesse des niveaux de synthèse
3.6.5. Comportement climatique d’un groupe phytoclimatique
3.6.6. Représentation graphique des comportements des groupes phytoclimatiques
3.6.7. Cartographie des groupes phytoclimatiques
3.7. Conclusion
CHAPITRE 4 : LES PLANTES INDICATRICES DU CLIMAT
4.1. Introduction
4.2. Exemples de comportements climatiques de taxons en France
4.3. Expression de comportements climatiques de taxons en fonction de leur abondance
4.4. Comportements climatiques de taxons issus de mêmes genres
4.4.1. Comportements climatiques des taxons du genre Cistus
4.4.2. Comportements climatiques des taxons du genre Genista
4.4.3. Comportements climatiques des taxons du genre Lonicera
4.5. Discussion sur les principaux catalogues de comportements climatiques
4.5.1. Le catalogue d’Ellenberg
4.5.2. Le catalogue de l’USGS
4.5.3. Apports du nouvel étalonnage climatique de la flore par rapport aux précédents
4.6. Conclusion et perspectives
CHAPITRE 5 : CONCLUSION GENERALE
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