Les plantes extrêmophiles réservoirs de biomolécules

Les plantes extrêmophiles réservoirs de biomolécules

Il s’agit de végétaux qui se développent de manière optimale dans des conditions abiotiques extrêmes, au sein desquelles d’autres végétaux ne peuvent subsister. Ce sont des plantes qui, de par la nature spécialement sévère de leur milieu, ont subi une forte pression de sélection qui s’est traduite par leur capacité d’adaptation. On distingue les halophytes, plantes tolérantes à la salinité, des xérophytes qui sont plutôt tolérantes aux conditions de sécheresse. Bien que tolérantes à des conditions abiotiques différentes, leur mécanisme de réponses à ces contraintes se rejoignent dans la mesure où la contrainte saline se traduit chez la plante par une situation de déficit en eau sur le plan physiologique.

Les plantes xérophytes

Les xérophytes peuplent les biotopes secs ou arides correspondant à un manque d’eau ou à sa faible disponibilité, notamment les zones à pluviosité réduite et les zones arides et sahariennes. Leurs capacités à subsister à de telles conditions est régie par deux stratégies adaptatives, la limitation des pertes d’eau ou le stockage de l’eau. Les xérophytes qui sont capables de limiter les pertes d’eau sont dites sclérophytes (laurier-rose ; olivier ; ect.). Ce sont des plantes coriaces caractérisées par un épiderme à cuticule épaisse qui permet de limiter la transpiration (Vartanian et al., 1984). Une autre forme de limitation des pertes d’eau se traduit par différents dispositifs de protection des stomates (stomates dans des cryptes pilifères, tissu bulliforme permettant l’enroulement de la feuille, poils gardant une atmosphère humide…). Les malacophytes sont des plantes succulentes caractérisées par un parenchyme aquifère à cellules hypertrophiées et à mucilages qui leur confère la capacité de rétention de l’eau (Aloès, Liliacées ; Mesembryanthemum, Aizoacées ; ect.) (Vartanian et al., 1984).

Les halophytes

Les halophytes couvrent les sols salins, y compris les régions côtières, les marais et les sebkhas (bassin occupant le fond d’une dépression à forte salinité). La contrainte saline induit des changements au niveau du statut hydrique de la plante, réduit le contenu relatif en eau des feuilles, diminue la transpiration et l’absorption hydrique par les racines, d’où une convergence des mécanismes d’adaptation avec ceux des xérophytes. On retrouve donc des réponses au stress salin par la réduction des surfaces foliaires permettant la diminution des pertes d’eau, mais aussi des mécanismes de stockage de l’eau grâce à la succulence caulinaire et foliaire (parenchyme aquifère). Il existe aussi d’autres types de mécanisme, notamment par des glandes excrétrices de sel au niveau des feuilles (Tamaris, Tamaricacées) ou encore par un développement important du parenchyme palissadique (Atriplex, Chénopodiacées ; Criste- marine, Apiacées) (Vartanian et al., 1984).

Le système antioxydant des halophytes et des xérophytes, une forme d’adaptation performante

La capacité d’adaptation des xérophytes et des halophytes ne se restreint pas aux formes anatomiques ; elle implique une large gamme de mécanismes physiologiques et biochimiques. Sur le plan biochimique, les réponses aux stress hydriques et salins, incluent l’induction de processus de détoxification des espèces oxygénées réactives. En effet, les conditions contraignantes de l’environnement des végétaux renforcent le pool des plantes en espèces oxygénées réactives (EOR) induisant une situation de stress oxydatif. Cette situation se traduit par une rupture d’un équilibre existant entre les « antioxydants » et les « oxydants » entraînant de multiples dégâts comme l’oxydation des bases de l’ADN ou la modification de la fluidité membranaire, dont les conséquences sont néfastes pour l’intégrité de la cellule (Demidchik, 2015). Ainsi, ces conditions imposent un grand défi pour les végétaux qui ne sont pas natives des biotopes arides et salins. Chez ces végétaux, l’adaptation se traduit, en réponse au stress oxydatif, par des réorientations métaboliques vers la constitution d’une certaine capacité antioxydante déterminant une résistance inachevée pouvant aboutir à la sénescence de l’individu. En contre partie, les halophytes et les xérophytes ont acquis au cours de l’évolution et sous la pression de sélection de l’environnement des mécanismes adaptées au stress oxydatif. Ils se trouvent équipés par un arsenal antioxydant performant leur procurant une maîtrise de l’équilibre oxydatif, et donc la possibilité de se développer, d’une manière optimale, dans les biotopes salins et arides.

Les halophytes et les xérophytes, sources riches en composés phénoliques

Le système antioxydant des halophytes et des xérophytes met en œuvre différentes lignes de défense antioxydantes. Celles-ci comprennent des antioxydants enzymatiques et non enzymatiques qui contrôlent les niveaux des oxydants et réparent les dommages oxydatifs cellulaires. La composante non enzymatique est représentée par les antioxydants de faible poids moléculaire qui sont connus par leur rôle de ″piégeurs de radicaux libres″ tels que les vitamines C et E, les terpènes et les phénols (Matkowski, 2008). Différentes études qui ont exploré le pouvoir antioxydant des halophytes et des xérophytes se sont focalisées sur des composés largement connus pour leur pouvoir antioxydant, les polyphénols, révélant qu’ils occupent une position déterminante dans la composante non enzymatique du système antioxydant des halophytes et des xérophytes (Falleh et al., 2008 ; Falleh et al., 2009 ; Ksouri et al., 2009 ; Ksouri et al., 2012). En effet, les stress hydriques et salins affectent négativement les contenus en polyphénols dans les tissus des végétaux non tolérants à la salinité et à la sécheresse, qui se trouve également comme étant l’une des causes de la vulnérabilité de leur système antioxydant. La diminution des composés phénoliques prend origine de la perturbation des principaux processus de l’activité vitale de la plante suite à un choc hydrique ou salin (Stocker, 1961). La capacité photosynthétique des plantes se voit toujours diminuée dans ces conditions (Maximov, 1931), de ce fait, les produits initiaux de la biosynthèse des polyphénols pourraient faire défaut. La baisse de la transpiration et la fermeture des stomates sont aussi observées. Ils sont suivis d’une augmentation de la température au niveau des feuilles (Zeltich, 1967) qui pourrait être une cause de la diminution des taux de polyphénols. Les contraintes de salinité et de sécheresse peuvent également engendrer un choc osmotique (Kursanov, 1952). Dans ce cas, le principal système énergétique des plantes cesse de fonctionner pendant une période prolongée. Ce qui, à son tour, entraîne inévitablement un ralentissement des processus synthétisants, et parmi eux, très vraisemblablement, ceux impliqués dans la formation des noyaux aromatiques. D’autre part, les situations de stress entraînent des modifications physiques des membranes chloroplastiques ou bien leur destruction, provoquant la libération dans le cytoplasme de certaines enzymes telles que les hydrolases et les oxydases contenues initialement dans les organites cellulaires (Stocker, 1961). La disparition de la compartimentation faciliterait, soit la dégradation des molécules phénoliques, par la mise en contact avec des enzymes, soit leur migration vers d’autres organes. L’ensemble de ces phénomènes sont observées à une très faible échelle chez les halophytes et les xérophytes. A titre d’exemple, une xérophyte, Gossypium anomalum (Malvacées) soumise à un choc hydrique, n’a montré qu’une très faible diminution de son contenu en polyphénols ; alors que d’autres espèces de Gossypium qui ne sont pas résistantes à la sécheresse ont montré une baisse importante en polyphénols (Brzozowska et Hanower, 1976). Pour certaines halophytes, l’accumulation en composés phénoliques est stimulée dans des conditions de salinité accentuées. L’exemple de Anethum graveolens cultivée dans un milieu à forte salinité, s’est montré capable de quadripler le contenu phénolique dans les racines et de le tripler au niveau des pousses (Mehr et al.,2012). Cet enrichissement en polyphénols totaux est un mécanisme d’adaptation des plantes à la salinité car les composés phénoliques améliorent les effets ioniques de NaCl dans les tissus (Parida et al., 2004).

Les composés phénoliques

Les composés phénoliques sont des métabolites secondaires qui constituent un des groupes le plus représenté et largement distribué dans le monde végétal avec plus de 8000 structures phénoliques. L’élément structural fondamental qui les caractérise est la présence d’au moins un noyau benzénique auquel est directement lié au moins un groupement hydroxyle, libre ou engagé dans une autre fonction: éther, ester, hétéroside (Bruneton, 2015 ; Šaponjac et al., 2016).

Les composés phénoliques des végétaux sont issus de deux grandes voies de biosynthèse:

– La voie des phénylpropanoïdes (C6-C3) ou de l’acide shikimique qui conduit à la synthèse de certains acides aminés aromatiques comme la L-phénylalanine et/ou la L tyrosine, puis par désamination de ces derniers, aux acides cinnamiques et à leurs dérivés comme les coumarines.
– La voie des flavonoïdes, combinant la voie des phénylpropanoïdes et celle de l’acide acétique conduisant aux polyacétates. Les acides benzoïques, composés en C6-C1, sont issus de la dégradation oxydante des acides cinnamiques ou p-hydroxy cinnamiques ce qui conduit à la formation d’acides hydroxybenzoïques. L’élaboration du squelette flavonoïde en C6-C3- C6 est effectuée par la chalcone synthase. Pour que cette enzyme soit fonctionnelle, il faut que l’acide p-coumarique soit activé sous la forme d’acide p-coumarique-Coenzyme A par une CoA-ligase non spécifique. Le précurseur ainsi activé pourra réagir avec trois molécules de malonyl-CoA. Par la suite, la cyclisation du triacétate s’effectue selon la réaction de Claisen et conduit à la formation d’une chalcone, la 4,2ʹ,4ʹ,6ʹ-tetrahydroxychalcone (Bruneton, 2015). Une cyclisation conduira à l’obtention du noyau flavone, intermédiaire de la synthèse des flavonoïdes, des tanins condensés et des anthocyanes (figure 1).

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Table des matières

INTRODUCTION
SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
I. Les plantes extrêmophiles réservoirs de biomolécules
I.1. Les plantes xérophytes
I.2. Les plantes halophytes
I.3. Le système antioxydant des halophytes et des xérophytes, une forme d’adaptation performante
I.4. Les halophytes et les xérophytes, sources riches en composés phénoliques
II. Les composés phénoliques
II.1. Les acides phénoliques
II.1.1. Les dérivés de l’acide hydroxybenzoïque
II.1.2. Les dérivés de l’acide hydroxycinnamique
II.2. Les flavonoïdes
II.2.1. Les flavonoïdes au sens strict
II.2.2. Les autres flavonoïdes
II.3. Les stilbénoïdes
II.3.1. Les stilbènes et les bis(bibenzyls)
II.3.2. Les phénanthrènes
II.4. Les tanins
II.4.1. Les tanins galliques ou hydrolysables
II.4.2. Les tanins condensés
III. La richesse des plantes halophytes et xérophytes en polyphénols leur procurent diverses vertus antimicrobiennes
III.1. Applications dans la lutte biologique contre les pathogènes des plantes cultivées
III.1.1. Les polyphénols offrent aux halophytes et aux xérophytes un pouvoir antifongique prometteur sur les pathogènes des cultures
III.1.2. Zymoseptoria tritici, un des pathogènes menaçants des cultures de blé…
III.2. Applications dans la santé humaine
III.2.1. Les halophytes et les xérophytes, des sources prometteuses en polyphénols anti-infectieux
III.2.2. Le problème de résistance aux antibiotiques
III.2.3. L’hépatite C, une maladie persistante dans le secteur de la santé publique
IV. Cas des plantes étudiées
IV.1. Exploration des plantes halophytes et xérophytes dans leurs biotopes
IV.2. Présentation des plantes étudiées, utilisations traditionelles et données phytochimiques et pharmacologiques
IV.2.1. Silene succulenta Forsk.
IV.2.2. Atriplex tatarica L.
IV.2.3. Aeluropus littoralis Parl
IV.2.4. Limonium virgatum Willd.
IV.2.5. Juncus maritimus Lamk
IV.2.6.Atractylis serratuloides (Cass.) Sieber ex Cass.
IV.2.7.Scabiosa atropurpurea L. subsp. maritima (L.) Fiori & Paoli
IV.2.8.Cirsium scarbrum (Poir.) Bonnet & Barratte
RESULTATS
I. Criblage biologique des plantes halophytes et xérophytes et initiation du fractionnement bioguidé pour les plantes les plus actives
II. Cirsium scabrum : isolement et caractérisation des composés responsables de son activité cytotoxique et révélation de son potentiel antibactérien
III. Juncus maritimus : activités antivirale (virus de l’hépatite C) et antibactérienne
III.1. Identification du composé responsable de l’activité de J. maritimus sur le virus de l’hépatite C et caractérisation de son activité
III.2.Purification de composés minoritaires et analyse de leurs activités sur le virus de l’hépatite C
III.2.1. Processus de purification des composés
III.2.2. Identification de certains des composés isolés
III.2.3. Analyse de l’activité de certains des composés purifiés sur le virus de l’hépatite C (VHC)
III.3. Fractionnement bioguidé du sous-extrait responsable de l’activité antibactérienne de J. maritimus et détermination des composés les plus actifs
III.3.1. Analyse de l’activité antibactérienne sur une nouvelle collection de bactéries à Gram positif
III.3.2. Détermination de la CMB du sous-extrait le plus actif sur les souches Streptococcus dysgalactiae T46C14 et Streptococcus pyogenes 13240
III.3.3. Détermination de la CMB du sous-extrait le plus actif sur d’autres souches de S. pyogenes
III.3.4. Localisation des composés potentiellement actifs sur S. pyogenes 16135.
III.3.5. Analyse de l’activité antibactérienne des composés purifiés sur S. pyogenes 16135
IV. Exploration des effets des plantes halophytes et xérophytes sur la santé du végétal, l’exemple de la septoriose du blé
CONCLUSION GENERALE

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