Les phénomènes physiques à l’échelle microscopique
Les polymères sont des molécules géantes constituées d’un enchaînement de Nm monomères, aussi appelé degré de polymérisation; Nm est généralement supérieur à plusieurs milliers. Ces chaînes sont généralement flexibles et ont accès à un grand nombre de configurations différentes, ce qui permet donc de traiter le polymère comme un objet statistique. Dans trois références bibliographiques [DOI ET EDWARDS 1986, LARSON 1988 ET MCLEISH 2002], nous constatons qu’une approche communément admise, basée sur une approche entropique de l’élasticité, permet de construire le tenseur des contraintes.
A l’état fondu et enchevêtré, chaque chaîne présente les propriétés statistiques d’une chaîne libre [FLORY 1969] car toute interaction avec elle-même n’est pas discernable d’avec celle d’une autre chaîne, car de même nature. Ceci permet de parler d’écrantage (screening) d’effets plus complexes par la présence d’autres chaînes. La chaîne libre est une chaîne idéale décrite comme étant une succession de N unités statistiques, de longueur b chacune appelée longueur de Kuhn, pouvant pointer dans toutes les directions, indépendamment les unes des autres (marche aléatoire).
Le modèle de Rouse est le modèle le plus simple capable de prévoir une distribution non triviale des temps de relaxation des polymères. Il décrit le comportement des polymères de petites masses molaires. En effet, dans ce cas, chaque chaîne va pouvoir évoluer à sa guise au sein du fondu; seul le coefficient de friction interviendra dans son temps caractéristique de déplacement. Pour des chaînes plus grandes, on constate expérimentalement que, d’une part la relaxation est retardée aux basses fréquences, et d’autre part qu’il se crée des enchevêtrements. Avec la théorie de la reptation, c’est de Gennes [DE GENNES 1971] qui a montré que ces deux phénomènes étaient corrélés; nous montrons dans la suite sa théorie.
La théorie de la reptation
Les enchevêtrements entre chaînes moléculaires sont des liaisons virtuelles de durée de vie finie (contrairement aux polymères réticulés) qui apparaissent au sein du matériau pour des masses moléculaires supérieures à une masse critique. Ils sont considérés ici comme des obstacles topologiques au mouvement transversal de chaque chaîne et sont caractérisés par la distance entre enchevêtrements a. La distance a introduit alors une seconde échelle intrinsèque du matériau au delà de laquelle une nouvelle théorie cinétique a été développée par [DE GENNES 1971] puis [DOI ET EDWARDS 1986] à partir de la théorie de Rouse. Nous résumons dans la suite les étapes principales permettant de développer le modèle de DoiEdwards [DOI ET EDWARDS, 1986], en omettant certains points plus complexes. De Gennes [DE GENNES 1971] a expliqué le ralentissement de la relaxation dans les polymères fondus dont la masse moléculaire est supérieure à la masse critique en considérant le problème simple d’une longue chaîne de polymère dans un réseau réticulé. Puisque la chaîne n’est plus isolée, les fluctuations dans les directions latérales sont limitées, donc le polymère se relaxe par glissement monodirectionnel le long de sa propre découpe de pas a (le tube), ce qu’il a appelé la reptation. On considère que la chaîne primitive est un objet de type haltère élastique où l’on remplace N et b par L/a et a, soumis à des forces de friction et des effets browniens de désorientation. L’équation de Smoluchowski (8) reste donc valable. Dans la limite de faibles taux de déformation (c’est-à-dire pour des basses fréquences et des temps longs), on pourra négliger les effets de mouvements relatifs entre la chaîne et son milieu environnant ainsi que l’étirement moyen (car la rétraction est supposée très rapide).
L’intérêt de considérer le module élastique pour des sous-segments de masse Me consiste à considérer la relaxation des chaînes (toutes supposées de masse supérieure à Me) comme une combinaison de relaxation d’orientation (à une échelle d’espace supérieure à Me) et d’étirement (des sous-chaînes à une échelle inférieure à Me), la relaxation d’orientation étant gouverné par la reptation. Le calcul du facteur 4/5 intervenant dans la définition du module plateau, et qui rend compte de la contribution seule de la composante d’orientation à la contrainte, est montré par [DOI ET EDWARDS 1986], en considérant que les chaînes ont une rétraction infiniment rapide, libérant alors 1/5 (soit 20%) de la contrainte.
Le modèle de reptation prévoit que η0 varie avec le cube de la masse moléculaire, de la même manière que le plus long temps du système. Cependant, la variation prédite varie avec 3 M alors qu’expérimentalement la variation est en 3.4 M . Ce désaccord a amené certains auteurs à affiner ce modèle par l’étude de mécanismes moléculaires complémentaires au mécanisme de reptation, tels que les mécanismes de fluctuation de longueur du tube, de renouvellement du tube et de relaxation du tube. Ces mécanismes sont présentés succinctement dans le paragraphe suivant; on en trouvera une description détaillée dans [LEONARDI 1996, VAN RUYMBEKE 2002].
Les enrichissements de la théorie de la reptation
Fluctuations du contour des longueurs de tube (contour length fluctuation, CLF) [DOI 1980]
Dans le cas du CLF, les segments situés aux extrémités des chaînes relaxent plus rapidement que les autres segments. Cela a pour effet d’accélérer la relaxation par reptation décrite plus haut. L’effet du CLF est important pour les polymères présentant un nombre d’enchevêtrements allant jusqu’à la centaine. Pour ces polymères, il en résulte que la variation de la viscosité plateau en fonction de la masse moléculaire est inférieure à celle prédite par la théorie de la reptation (loi M3 ) et qu’elle est approchée, par valeurs inférieures, par une loi M3,4 .
De Gennes a montré dans sa théorie, qui est valable pour une masse molaire unique, peut être étendue au cas de la polymolécularité. Tsenoglou et Des Cloizeaux [TSENOGLOU 1987, DES CLOIZEAUX 1988] ont appliqué ce modèle à des polymères polymoléculaires: c’est le modèle de double reptation (loi de mélange). Si on a un mélange de polymères de grandes et petites masses moléculaires, on constate que les petites chaînes vont relaxer plus rapidement que les grandes chaînes. Si l’on considère une petite chaîne test, l’effet de CR des grandes chaînes va retarder la relaxation; inversement les grandes chaînes vont relaxer plus vite car les petites chaînes avoisinantes vont libérer plus vite leur enchevêtrement.
Convective constraint release (CCR) [MARRUCCI 1996]
Ce mécanisme, proposé par Marrucci, est le point de départ des modèles que nous allons présenter. L’idée générale est la suivante; à l’équilibre, pour les écoulements lents, les chaînes enchevêtrées se relaxent par reptation, CLF et CR. Dans le cas des polymères linéaires, la relaxation se produit par deux mécanismes fonctionnant en parallèle; l’un d’eux est la diffusion due à l’agitation thermique, même en l’absence d’écoulement (reptation) ; le second mécanisme est convectif, les obstacles topologiques sont renouvelés par le mouvement relatif des chaînes (CR) même en l’absence de mouvement macroscopique.
Le cas des polymères branchés
Le concept de reptation n’est pas directement applicable aux polymères branchés. Le modèle Pom-Pom proposé par McLeish [BISHKO ET AL. 1997, MCLEISH ET LARSON 1998] considère une dynamique différente pour le « squelette » de la macromolécule (« backbone » en anglais) et pour les «branches» attachées à ses deux extrémités (d’où le vocable Pom-Pom, figure 1.6). Ceci amène en particulier à considérer des temps caractéristiques différents pour l’orientation du « squelette » de la macromolécule, paramètre principal du modèle, dont le temps de reptation est retardé par la fluctuation de ses « branches » et pour la déformation de la macromolécule dans la direction de cette orientation (que l’on identifie donc à l’extension de son «squelette»).
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Rhéologie
1.1 Les phénomènes physiques à l’échelle microscopique
1.2 Le modèle de l’haltère élastique
1.3 Les théories cinétiques
1.3.1. Le modèle de Rouse
1.3.3 Les enrichissements de la théorie de la reptation
1.3.4 Le cas des polymères branchés
1.4 Les lois de comportement pour les polymères linéaires
1.4.1 La traduction macroscopique du modèle de l’haltère élastique : le Modèle de Maxwell surconvecté (UCM)
1.4.2 Le modèle de Larson [1988]
1.4.3 Les modèles de Marrucci et Ianniruberto [2001, 2003]
1.5 Les lois de comportement pour les polymères branchés
1.5.1 Le modèle Pom Pom [VERBEETEN ET AL. 2001, MCLEISH ET LARSON 1998]
1.5.2 Le comportement du modéle Pom Pom
1.6 Conclusion
Chapitre 2 : La rhéometrie standard du polystyrène (PS) et polyéthylène basse densité (PEBD)
2.1 Présentation des deux matériaux
2.1.1 Le polyéthylène basse densité (PEBD)
2.1.2 Le polystyrène
2.2 Les techniques de mesures
2.2.1 La rhéologie dynamique
a) Résultats pour le PEBD
b) Résultats pour le PS
c) Comparaison des deux polymères
2.2.2 La rhéologie capillaire
2.2.3 La rhéologie élongationnelle uniaxiale transitoire
2.3 Identification des paramètres du modèle de Marrucci et Ianniruberto (2003) pour le PS
2.3.1 Le spectre des temps de relaxation
2.3.2 Identification des autres paramètres du modèle
2.4 Identification des paramètres du modèle Pom-Pom pour le PEBD
Chapitre. 3 : Mesure de champs en écoulement complexe
3.1 Le montage expérimental
3.1.1 Description du montage expérimental
3.1.2 Système d’extrusion
3.1.3 Géométrie de l’écoulement
3.2 La biréfringence induite par écoulement (FIB)
3.2.1 Le principe optique
3.2.2 Le coefficient de Brewster C
3.2.3 Le dispositif expérimental de biréfringence
3.2.4 Exemples de mesures pour le PEBD et le PS
3.2.5 Mesure de la taille de recirculation par FIB
3.3 La vélocimétrie Laser Doppler (LDV)
3.3.1 Le principe
3.3.2 Les dimensions du volume de mesure
3.3.3 Exemples de résultats
3.4 Conclusion
Chapitre 4 : Application au polystyrène
4.1 Rappel des résultats obtenus par rhéométrie classique
4.2 Le principe de la confrontation entre le modèle et les mesures
4.2.1 Les mesures de vitesse
4.2.2 Les mesures de FIB
4.3 Conclusion
Chapitre 5 : Application au polyéthylène basse densité
5.1 Mesure de taille de recirculation
5.1.1. Comparaison des deux méthodes
5.1.2 Synthèse des résultats de mesures de tailles de recirculations
5.1.3 Discussion et conclusion
5.2 Les mesures sur l’axe
5.2.1 Mesures de vitesses
5.2.2 Mesures de contraintes
5.3 Confrontation avec les paramètres identifiés au chapitre 2
5.3.1 Rappel des résultats obtenus au Chapitre 2
5.3.2 Ajustement des paramètres du modèle Pom-Pom à l’aide de mesures de champ
5.4 Conclusion
Conclusion générale
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