Les phénolates d’ammoniums quaternaires comme paires d’ions coopératives chirales en organocatalyse

Les phénolates d’ammoniums quaternaires comme paires d’ions coopératives chirales en organocatalyse 

Des fluorures d’ammoniums chiraux aux phénolates d’ammoniums chiraux

Introduit dans les années 1920 par Bjerrum lors d’une étude sur le comportement des ionophores (solutés comportant des ions) dans certains solvants, le concept de paire d’ions est défini en 2009 par Lacour et Moraleda comme l’association d’un cation et d’un anion proches dans l’espace où les seules interactions liant ces deux entités sont des interactions de type électrostatique (coulombiennes). L’apparition du concept de catalyse par paire d’ions coopératifs a amené à considérer des interactions secondaires (par exemple des interactions de type liaisons hydrogènes) entre deux espèces chargées, en général entre une des deux parties (anionique ou cationique) du catalyseur et un ou des substrats de la réaction. Comme énoncé dans l’introduction, le concept de paire d’ions coopératifs implique la participation de chacune des espèces chargées dans la réaction, l’une servant en général à activer des substrats et l’autre permettant d’apporter l’environnement chiral au système catalytique.

Dans la littérature, on trouve les premiers systèmes de paires d’ions coopératifs chirales sous la forme de fluorures d’ammoniums chiraux. La première utilisation de ces catalyseurs est décrite en 1978 par le groupe de Wynberg dans une réaction de Michael entre le nitrométhane 1a et la chalcone 2a. Le fluorure d’ammonium, formé via une métathèse ionique in situ entre du fluorure de potassium (introduit en excès) et l’halogénure d’ammonium chiral correspondant, est utilisé dans la réaction comme base de Brønsted : il permet ainsi la déprotonation du nitrométhane et l’obtention du produit d’addition 3 avec des rendements allant de bons à excellents, mais des excès énantiomériques faibles .

Il faut attendre le début des années 1990 pour que soient décrites des méthodes permettant l’isolation des fluorures d’ammoniums quaternaires chiraux dérivés du Quinquina. Le groupe de Shiori a proposé quatre méthodes pour l’obtention de ces composés : deux sont basées sur l’utilisation de résines échangeuses d’ions fluorures, une sur l’emploi d’une résine échangeuse d’ions hydroxydes suivi d’une neutralisation au HF, et enfin une dernière méthode est réalisée en phase homogène avec du fluorure d’argent .

Les fluorures d’ammoniums ainsi isolés ont été engagés dans une réaction d’aldolisation de type Mukaiyama entre différents éthers d’énols silylés 4a et le benzaldéhyde 5a pour tester leurs activités catalytiques, donnant de bons rendements et de bonnes énantiosélectivités . Les auteurs ont ainsi pu montrer que les rendements et les excès énantiomériques des produits 6 obtenus ne variaient pas de manière significative selon la méthode de préparation des catalyseurs.

Par la suite, ces fluorures d’ammoniums quaternaires, engagés directement dans la réaction ou générés in situ par métathèse ionique, ont montré une efficacité particulière dans d’autres réactions tant du point de vue de la réactivité que de l’induction asymétrique. Citons notamment la trifluorométhylation d’aldéhydes et de cétones  ou encore des réactions d’aldolisation de type Mukaiyama entre des éthers d’énols silylés et des aldéhydes. Plus récemment, le groupe de Lectka a développé une séquence d’addition-1,4/cyclisation mettant en jeu des acétals de cétène silylés 7 et l’ortho-méthylène quinone 8 pour obtenir une série de 2-chromanones énantioenrichies 9 avec de très bons rendements et de bonnes énantiosélectivités .

Il faut noter que dans cette réaction, seul le cycle catalytique initial est promu par un fluorure d’ammonium, les auteurs faisant référence à cette espèce en tant que « pré-catalyseur ». En effet, l’étape de cyclisation qui vient clôturer le cycle catalytique et permet la formation de la chroman-2-one 9 s’accompagne de la libération d’un naphtolate d’ammonium qui, par ses propriétés de base de Lewis, est également capable d’activer l’éther d’énol silylé 8. Ainsi, après le premier cycle, l’espèce catalytique mise en jeu lors de la réaction est un naphtolate d’ammonium quaternaire chiral .

L’utilisation des fluorures d’ammoniums quaternaires chiraux dérivés du Quinquina est cependant limitée par leur relative instabilité : il est en effet connu que le fluorure est capable de dégrader la partie cationique du sel via une élimination de Hoffmann. L’abstraction d’un proton en position β de l’atome d’azote conduit alors à un bifluorure d’ammonium et d’autres produits de dégradation .

A partir de cette observation, le groupe de Corey a synthétisé et isolé le bifluorure d’ammonium dérivé du Quinquina CD+ 1, HF2- , plus stable que son analogue monofluorure. Ce catalyseur a ensuite été engagé dans une réaction d’aldolisation de type Mukaiyama entre l’acétal de cétène dérivé de la glycine 10 et différents aldéhydes aliphatiques 5, permettant d’obtenir après acidification les amino-alcools 11 avec de bons rendements, des rapports diastéréoisomériques variables, et de très bonnes énantiosélectivités  .

Quelques années plus tard, le groupe de Maruoka a diversifié la gamme de structures disponibles pour les bifluorures d’ammoniums quaternaires en développant des sels dont la partie ammonium possède une chiralité axiale. Les auteurs ont ensuite testé les catalyseurs ainsi élaborés dans une réaction de Henry entre des nitroalcanes et des aldéhydes aromatiques. En modulant les groupements en positions 3,3’ sur la partie binaphtyle de l’ammonium, les nitroalcools issus de cette réaction ont pu être obtenus efficacement avec de bonnes diastéréosélectivités et de très bons excès énantiomériques .

Cette méthodologie a par la suite été étendue par le même groupe à l’addition de nitronates silylés sur d’autres électrophiles comme des énals, des énones ou encore des nitroalcènes. Il faut souligner ici l’efficacité du système catalytique employé dans toutes ces réactions puisque seuls 2 mol% de catalyseur (contre 10 mol% dans les méthodes précédemment rapportées) sont introduits dans le milieu réactionnel. Ce type d’ammoniums à chiralité axiale, qui ne possèdent pas de proton en position β prompt à des réactions d’élimination, permettent également d’envisager des fluorures d’ammoniums plus robustes que leurs analogues dérivés du Quinquina.

Néanmoins, malgré ces quelques exemples illustrant leur efficacité, l’utilisation de bifluorures d’ammoniums reste plutôt sporadique. Ces sels d’ammoniums quaternaires, tout comme leurs analogues monofluorés souffrent en effet d’un inconvénient majeur : ils sont fortement hygroscopiques, ce qui complique leur manipulation. En alternative aux fluorures ou bifluorures d’ammoniums chiraux, des sels d’ammoniums quaternaires avec d’autres parties anioniques ont commencé à émerger en organocatalyse asymétrique. C’est le cas des phénolates d’ammoniums quaternaires chiraux; ceux-ci sont connus depuis la fin des années 1990 mais n’ont été utilisés comme catalyseurs dans des réactions asymétriques qu’à partir de la fin des années 2000. Comme leurs équivalents fluorures, ils possèdent des propriétés de base de Lewis et de base de Brønsted et peuvent donc constituer des catalyseurs de choix dans un panel assez large de réactions. Mais surtout, ils présentent deux avantages notables par rapport aux fluorures d’ammoniums. Tout d’abord, ils sont beaucoup moins hygroscopiques et peuvent donc être conservés à température ambiante sous atmosphère inerte pendant au moins un mois. De plus, la partie phényle de l’anion phénolate est fonctionnalisable, ce qui permet contrairement aux fluorures d’introduire une modulation des propriétés de base de Lewis ou de Brønsted en jouant sur des effets stériques et/ou électroniques .

Les phénolates d’ammoniums quaternaires chiraux comme bases de Lewis

Activation d’un pronucléophile silylé 

En 2007, le groupe de Mukaiyama a reporté une étude approfondie sur la première utilisation de phénolates d’ammoniums quaternaires dérivés du Quinquina comme organocatalyseurs dans une réaction énantiosélective. Ceux-ci, à hauteur de seulement 5 mol%, permettent d’activer un acétal de cétène silylé 14 pour promouvoir une séquence comprenant une addition de Michael sur des chalcones 2 suivie d’une étape de lactonisation. La réaction permet d’obtenir les 3,4 dihydropyran-2-ones 15 avec d’excellents rendements et de très bonnes énantiosélectivités lorsque le sel dérivé de la cinchonidine (CD+ 2, PhO- ).PhOH est utilisé .

Comme nous l’avons vu précédemment , l’étape-clé repose sur la libération d’un anion phénolate lors de l’étape de lactonisation, qui est lui-même capable à son tour d’activer l’acétal de cétène silylé. Cependant, la réaction est ici entièrement catalysée par un phénolate d’ammonium quaternaire. Il a été montré que le groupement quaternarisant de l’azote joue un rôle crucial dans l’obtention de bons excès énantiomériques (le produit est obtenu avec 2% ee lorsque c’est un benzyle, et plus de 76% ee avec un 9-anthracénylméthyle), et que l’introduction sur l’oxygène en C9 de groupements benzyliques appauvris en électrons permet une augmentation significative de l’énantiosélectivité de la réaction. Notons également que lorsque le groupement hydroxyle en C9 de la partie ammonium n’est pas substitué, la stéréosélectivité de la réaction s’en trouve inversée.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 : PHENOLATES D’AMMONIUMS CHIRAUX ET DERIVÉS DE L’ACIDE DE MELDRUM, VERS UNE COMBINAISON D’INTERÊT EN ORGANOCATALYSE ASYMETRIQUE : ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
I. Les phénolates d’ammoniums quaternaires comme paires d’ions coopératives chirales en organocatalyse
I.1 Des fluorures d’ammoniums chiraux aux phénolates d’ammoniums chiraux
I.2 Les phénolates d’ammoniums quaternaires chiraux comme bases de Lewis
I.3 Les phénolates d’ammoniums quaternaires chiraux comme bases de Brønsted
I.4 Les bétaïnes chirales
I.5 Alternatives aux phénolates d’ammoniums quaternaires chiraux
II. L’acide de Meldrum et ses dérivés : structures, propriétés et utilisation en organocatalyse asymétrique
II.1 Historique et structure
II.2 pKa et utilisation comme nucléophile
II.3 Exploitation du caractère électrophile des groupements carbonyles en C4 et C6
II.4 O-substitution et cycloréversion – utilisation comme précurseur de cétène
CHAPITRE 2 : FORMATION D’ACYLCÉTÈNES PAR CYCLORÉVERSION DE L’ACIDE DE MELDRUM POUR LA SYNTHÈSE DE β-LACTONES ET β-LACTAMES
I. Formation organocatalysée de β-lactones et β-lactames à partir de cétènes : introduction
bibliographique
I.1 Catalyse par des DMAP chirales
I.2 Catalyse par des carbènes N-hétérocycliques
I.3 Catalyse par des phosphines chirales
I.4 Catalyse par des alcaloïdes dérivés du Quinquina
II. Approche envisagée
III. Résultats obtenus
III.1 Études préliminaires
III.2 Premier criblage de conditions réactionnelles
III.3 Piégeage du cétène par différents nucléophiles (séquence A)
III.4 Addition d’un malonate silylé sur un électrophile (séquence B)
III.5 Utilisation de l’imidazole pour stabiliser le cétène formé
IV. Conclusion
CHAPITRE 3 : EXPLOITATION DES PROPRIÉTES ÉLECTROPHILES DES DÉRIVÉS DISUBSTITUÉS DE L’ACIDE DE MELDRUM – FRAGMENTATION VIA UNE ADDITION NUCLÉOPHILE
Partie A : Ouverture énantiosélective en catalyse par transfert de phase de dérivés disubstitués de l’acide de Meldrum pour la synthèse de malonates énantioenrichis
I. Généralités sur la synthèse de dérivés maloniques énantioenrichis en organocatalyse
II. Approche initiale envisagée
III. Ouverture d’un acide de Meldrum disubstitué par un phénolate d’ammonium quaternaire chiral – obtention de malonates dissymétriques
III.1 Mise en place du système catalytique de la réaction
III.2 Développement d’une séquence monotope d’ouverture-alkylation
III.3 Premier criblage de catalyseurs
III.4 Problème de réactivité – ajustement des conditions réactionnelles
III.5 Second criblage de catalyseur
III.6 Changement de structure de l’acide de Meldrum
IV. Conclusion
Partie B : Mise au point d’une réaction de protonation décarboxylante énantiosélective d’acétals de cétènes générés in situ à partir de dérivés disubstitués de l’acide de Meldrum
I. Réactions de protonation asymétriques organocatalysées : revue bibliographique
I.1 Utilisation de dérivés d’énolates
I.2 Réactions de protonation énantiosélectives d’acétals de cétènes
I.3 Formation de l’énolate par addition conjuguée
I.4 Protonation décarboxylante
II. Approche envisagée
III. Résultats obtenus relatifs à l’approche envisagée
III.1 Validation du cycle catalytique
III.2 Premier criblage de conditions réactionnelles
III.3 Optimisation des conditions réactionnelles
III.4 Problèmes de reproductibilité et changement d’approche
IV. Passage à une réaction en transfert de phase solide-liquide
IV.1 Premiers essais
IV.2 Optimisation des conditions réactionnelles : catalyseur (S)-MK+2, Br-
IV.3 Optimisation des conditions réactionnelles : catalyseur LY+1, Br-
V. Exemplification de la méthode de synthèse
V.1 Synthèse des substrats de départ
V.2 Exemplification
VI. Certains aspects mécanistiques
VI.1 Étude sur la racémisation du produit de la réaction
VI.2 Proposition d’un état de transition
VII. Conclusion
CONCLUSION GÉNÉRALE

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