Les phases η et δ dans les superalliages base nickel polycristallins

Les turbomachines fonctionnent sur le principe de la transformation de l’énergie chimique en énergie cinétique [1]. La poussée générée par le moteur résulte à la fois du flux primaire (flux chaud), qui traverse tout le réacteur et du flux secondaire (flux froid), qui contourne toute la partie chaude du moteur. La combustion interne du mélange carburant/comburant comprimé transforme l’énergie du carburant en flux gazeux de haute énergie qui servira d’énergie propulsive. Une turbomachine est composée de trois éléments principaux :
– Le compresseur, composé principalement des disques et des aubes qui vont compresser l’air entrant [1]. Un étage de compresseur comprend un disque mobile à aubes, appelé également rotor et un disque fixe aubagé, appelé également stator. Ce dernier permet de rétablir la direction axiale du flux d’air. Les disques mobiles, ou rotors, utilisent l’énergie mécanique fournie par la turbine via l’arbre de transmission pour accroître l’énergie cinétique et la pression du flux d’air. Le compresseur comprend une partie basse pression, après l’entrée d’air et une partie haute pression avant la chambre de combustion.
– La chambre de combustion, où a lieu le mélange entre l’air comprimé et le carburant [1]. L’énergie chimique de ce mélange est transformée en énergie thermique par la combustion. La température la plus haute relevée en sortie de chambre de combustion (et donc à l’entrée de la turbine) est de 1577 °C dans le moteur M88 de Snecma [1].
– La turbine, qui transforme l’énergie du flux de gaz chauds en énergie mécanique, énergie nécessaire au fonctionnement du moteur [2]. Un étage de turbine comprend un disque mobile à aubes dont la rotation est entraînée par la détente des gaz à la sortie de la chambre de combustion et un distributeur pour redresser le flux d’air. Comme pour le compresseur, la turbine est constituée d’une partie haute pression à la sortie de la chambre de combustion, la zone la plus critique du moteur, et d’une partie basse pression du côté de la sortie d’air. Le flux gazeux de haute énergie qui ressort par la tuyère produit une partie de la poussée. La rotation de la turbine haute pression entraîne la rotation du compresseur haute pression par l’intermédiaire de l’arbre externe et la rotation de la turbine basse pression entraîne la rotation du fan et du compresseur basse pression par l’intermédiaire de l’arbre interne [1].

Les superalliages pour disques de turbine

Les superalliages base nickel peuvent contenir plus de dix éléments chimiques, chaque élément jouant un rôle différent, ce qui rend ces matériaux très complexes. Ils doivent leurs excellentes propriétés mécaniques à haute température à leur microstructure spécifique qui résulte en plusieurs mécanismes de durcissement.

Les mécanismes de durcissement 

Le plus important est le durcissement par précipitation de la phase γ’. Il existe deux mécanismes pour que les dislocations franchissent les précipités et continuent leur mouvement : le contournement et cisaillement. La contrainte nécessaire pour contourner les précipités est inversement proportionnelle à la distance entre précipités (à fraction volumique donnée) et la contrainte nécessaire pour cisailler un précipité est proportionnelle à la racine carrée de sa taille. La limite d’élasticité est donc maximale pour une taille de précipités optimale [4]. La capacité d’une dislocation à cisailler un précipité dépend de l’énergie de paroi d’antiphase dans le précipité, de l’énergie interfaciale entre la matrice et le précipité et de la différence entre les modules d’élasticité du précipité et de la matrice [4]. Le durcissement produit par la distribution de précipités γ’ dans la matrice γ d’un superalliage résulte donc à la fois de la difficulté qu’ont les dislocations à contourner les précipités proches les uns des autres et de la difficulté qu’elles ont à pénétrer dans les précipités, puis à les cisailler. Les précipités de phase γ’ peuvent avoir plusieurs origines . Tout d’abord les précipités de phase γ’ primaires, résultants de l’élaboration et éventuellement non remis en solution, se retrouvent aux joints de grains. Ils ont une taille de quelques micromètres. Les précipités de phase γ’ secondaires germent pendant la partie haute température du refroidissement suivant la remise en solution et peuvent atteindre une taille comprise entre plusieurs dizaines et plusieurs centaines de nanomètres après revenus, tandis que les tertiaires germent pendant la partie basse température du refroidissement suivant la remise en solution et ont une taille inférieure à 50 nm. La présence de précipités de phase γ’ tertiaires dans les couloirs de matrice γ est essentielle pour de bonnes propriétés mécaniques [5]. Il existe également des superalliages base nickel durcis par la précipitation de la phase γ’’, comme l’Inconel 718.

La matrice est également durcie par un effet de solution solide, grâce à l’ajout d’éléments qui viennent substituer le Ni dans la phase γ. L’interprétation la plus simple du durcissement par effet de solution solide est que le rayon atomique des éléments ajoutés étant différent de celui du Ni, ils engendrent une distorsion de la matrice qui va augmenter la résistance au mouvement des dislocations. Un autre durcissement se produit par l’effet de taille de grainss. En effet, contrairement aux aubes de turbine, une petite taille de grainss est privilégiée dans les superalliages pour disques afin d’atteindre la limite d’élasticité la plus élevée et d’améliorer la résistance en fatigue, notamment au centre des disques [1]. Les superalliages base nickel ont une base commune de composition chimique, avec 10-20 % at. de Cr, 10-18 % de Co, jusqu’à environ 14 % de Al+Ti. Ils contiennent également une faible quantité de C, B et Zr. On peut ensuite ajouter des éléments supplémentaires comme le Mo, le W, le Ta, le Nb, le Fe ou le Hf [6]. Les éléments Ni, Co, Fe, Cr, Mo et W se retrouvent préférentiellement dans la matrice γ, tandis que les éléments Al, Ti, Nb et Ta seront responsables de la précipitation des phases durcissantes. Les éléments mineurs vont principalement ségréger aux joints de grains pour les renforcer ou former d’autres phases (comme les carbures).

Les phases rencontrées

Phase γ
La matrice γ est une solution solide à base de nickel, de structure cubique à faces centrées (CFC) avec un paramètre de maille a ≈ 3,56 Å à température ambiante .

Des éléments tels que le Co, le Cr, le Mo ou le W viennent en substitution du Ni pour produire le durcissement par effet de solution solide par distorsion du réseau cristallin de la matrice. Le durcissement de solution solide peut également être le résultat de la diminution de l’énergie de faute d’empilement par rapport à celle du Ni pur. Le glissement dévié des dislocations devient alors plus difficile et ne peux plus être utilisé par celles-ci pour contourner les précipités [1].

Phase γ’
La phase γ’ précipite par mise en ordre des atomes de Ni et d’Al sur les sites atomiques de la matrice [7]. Cette phase a la structure L12, de réseau cubique primitif avec la répétition d’un motif à quatre atomes . Elle a un paramètre de maille quasiment identique à celui de la phase γ : aγ’ ≈ aγ ≈ 3,56 Å et a une composition chimique de base Ni3Al.

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Table des matières

Introduction
Chapitre 1 Les phases η et δ dans les superalliages base nickel polycristallins
1.1. Les superalliages pour disques de turbine
1.1.1. Les mécanismes de durcissement
1.1.2. Les phases rencontrées
1.1.3. Éléments d’alliage
1.1.4. Développement
1.2. Les phases η et δ dans la littérature
1.2.1. Deux phases souvent confondues l’une avec l’autre
1.2.2. Le comportement mécanique des alliages contenant les phases η et δ
1.2.3. La stabilité en composition des phases η et δ
1.3. Conclusion du chapitre
Chapitre 2 Démarche de l’étude et définition des compositions expérimentales
2.1. Choix des compositions expérimentales
2.1.1. Alloy E
2.1.2. LCdM
2.1.3. VCdM
2.1.4. Alliages modèles à base fixe : BFTa et BFNbTa
2.1.5. Compositions des phases prédites par Thermo-Calc
2.1.6. Hypothèses sur la nature des phases susceptibles de précipiter
2.2. Élaboration
2.3. Méthodologie de caractérisation
2.3.1. Étape de remise en solution / homogénéisation des alliages
2.3.2. Homogénéité chimique
2.3.3. Morphologie et distribution spatiale des précipités
2.3.4. Détermination de la nature et de la composition des phases
2.3.5. Température de solvus et fraction volumique des phases : DRX Haute Énergie
2.4. Conclusion du chapitre
Chapitre 3 Nature, composition et température de solvus des phases
3.1. Nature des phases insolubles dans les alliages VCdM, BFTa+MoCrFe et BFNbTa+MoCrCo
3.1.1. Construction d’une projection stéréographique
3.1.2. Alliage VCdM
3.1.3. Alliage BFNbTa+MoCrCo
3.1.4. Alliage BFTa+MoCrFe
3.2. Morphologie et distribution des précipités après revenu à haute température (> 900 °C)
3.2.1. Morphologie des précipités en trois dimensions
3.3. Identification des phases dans les alliages étudiés
3.3.1. Alliages LCdM et VCdM
3.3.2. Alloy E brevet
3.3.3. Alliage BFTa
3.3.4. Alliage BFNbTa
3.3.5. Alliages dérivées du BFTa et du BFNbTa
3.4. Composition des phases η et δ dans les différents alliages de l’étude
3.5. Microstructure de précipitation après des revenus à basse température (< 900 °C)
3.5.1. Les phases en lattess
3.5.2. La phase γ’’
3.6. Récapitulatif : nature des phases précipitées dans les alliages de l’étude
3.7. Température de solvus à l’équilibre des phases η et δ
3.7.1. Affinement par la méthode de Rietveld
3.7.2. Température de solvus à l’équilibre
3.7.3. Récapitulatif
3.8. Cinétique de précipitation
3.8.1. Phase η dans l’alliage LCdM
3.8.2. Phase δ dans l’alliage VCdM
3.8.3. Paramètres pouvant jouer sur la cinétique de précipitation des phases η et δ
3.9. Fractions volumiques
3.9.1. Phase η dans l’alliage LCdM
3.9.2. Phase δ dans l’alliage VCdM
3.10. Conclusion du chapitre
Chapitre 4 Influence des éléments chimiques sur la stabilité en composition et en température des phases η et δ
4.1. Le chrome, élément favorisant la précipitation des phases η et δ
4.2. Influence du molybdène et du cobalt sur la précipitation des phases η et δ
4.3. Le fer, élément δ-gène
4.4. Effet du hafnium sur la formation de la phase η
4.5. Le niobium, élément δ-gène
4.6. Le tantale, élément δ-gène ou η-gène ?
4.6.1. Le tantale comme élément δ-gène
4.6.2. Le tantale comme élément η-gène
4.6.3. Le tantale dans les calculs thermodynamiques
4.7. Influence d’autres éléments sur la nature et la composition des phases
4.8. Influence des éléments sur les températures de solvus des phases η et δ
4.9. Influence des éléments sur la précipitation discontinue
4.10. Comparaison avec les calculs thermodynamiques
4.10.1. Sous-estimation de la teneur en cobalt, en chrome et en molybdène dans les phases η et δ
4.10.2. Sous-estimation de la teneur en niobium dans la phase η
4.11. Conclusion du chapitre
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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