Les Peptides pénétrants, une voie d’entrée dans les cellules

La cellule et sa membrane

La cellule comme compartiment

Si les peptides pénétrants ou « Cell Penetrating Peptide » (CPP) sont le sujet de cette thèse, la cellule est l’environnement dans lequel ils interagissent, leur terrain de jeu ! Une cellule est l’élément de base de tous les êtres vivants, elle représente la brique élémentaire du vivant. Elle permet de compartimenter et cloisonner des milieux réactionnels. L’apparition de cette compartimentation serait d’ailleurs une des étapes essentielles dans l’apparition du monde vivant. Une cellule est donc un milieu confiné, présentant un intérieur et un extérieur séparés par la membrane plasmique, avec une composition différente pour chacun des milieux. Nous nous concentrerons ici sur les cellules eucaryotes (figure I.1), constituant les organismes pluricellulaires et cibles des peptides pénétrants. Cette compartimentation se retrouve également au sein même de la cellule où des souscompartiments, appelés organites (ou organelles), sont présents dans un milieu aqueux, le cytosol (ou cytoplasme). Cette séparation en différents compartiments soulève la question de l’adressage des composants biologiques. En effet le bon fonctionnement d’une protéine impose une localisation précise or les protéines sont rarement produites sur leur lieu d’action. Cela implique de transporter ces composants biologiques vers leurs compartiments cibles au sein de la cellule qui peuvent être :
— Les endosomes qui sont des vésicules à l’intérieur des cellules. Il en existe plusieurs types et ils n’ont pas le même rôle. Les endosomes précoces (« early endosomes »), situés en périphérie du cytoplasme, vont permettre de dissocier et trier ligands et récepteurs où un pH légèrement acide (6 − 6, 8) minimise les risques d’endommagement des protéines qu’il va être possible de réutiliser tandis que les endosomes tardifs (« late endosomes ») et les lysosomes présentent un pH plus acide (∼ 5) et sont responsables de la dégradation des composés biologiques en vue de leur recyclage.
— Le noyau est le lieu où se retrouve l’information génétique de la cellule et de l’organisme. Les brins d’ADN y sont transcrits et répliqués. Il permet de réguler l’expression des gènes.
— Les mitochondries sont les usines à énergie de la cellule. Elles fournissent l’énergie par le biais de réactions d’oxydo-réduction qui sont couplées à la production de l’adénosine triphosphate (ATP), source d’énergie des réactions en biologie. Ces réactions au sein de la mitochondrie constituent la respiration cellulaire.
— Et d’autres encore pour lesquels nous ne rentrerons pas dans les détails tels que le réticulum endoplasmique ou l’appareil de Golgi qui servent notamment à la maturation des protéines, à synthétiser et trier les molécules biologiques de la cellule.

Tout comme la cellule avec la membrane plasmique, les organites intracellulaires sont définis par un intérieur et un extérieur délimités par une membrane. Ces membranes ont chacune leurs spécificités mais sont principalement composées de deux constituants : des protéines et des lipides. L’objet de cette thèse est justement l’étude de molécules capables de traverser ces membranes pour transporter efficacement une cargaison vers ces différents compartiments. Dans la suite de ce chapitre nous nous concentrerons sur la membrane plasmique et les différentes façons de la traverser.

La membrane cellulaire comme rempart imperméable ?

La membrane plasmique est donc un rempart plus ou moins imperméable (comme nous le verrons par la suite, cf. I.3) isolant l’intérieur de la cellule de l’extérieur. Ce rôle de barrière est assuré par les lipides qui s’organisent en bicouche. Les lipides sont des molécules amphiphiles constituées d’une tête polaire hydrophile (souvent chargée ou zwitterionique), et d’une partie apolaire hydrophobe (des chaînes carbonées). Dans la bicouche les têtes polaires sont tournées vers l’extérieur et les chaînes carbonées constituent le coeur qui représente un environnement hydrophobe défavorable pour les molécules hydrophiles et en particulier les ions. Au sein de ces lipides se retrouvent les protéines membranaires, insérées dans la bicouche, ainsi qu’un ensemble de glucides assemblés en chaîne d’oligosaccharides chargés négativement, liés covalemment aux lipides (les glycolipides) ou aux protéines (les glycoprotéines) et qui pointent vers l’extérieur de la cellule. Ces modifications des lipides et protéines, appelées glycosylation, sont post traductionnelles et se produisent dans l’appareil de Golgi. Ce « manteau » à la surface des cellules est appelé glycocalyx. Ces différents constituants forment un ensemble « fluide » dans lequel les lipides et les protéines difusent en permanence. C’est le modèle de la mosaïque fluide proposé par Singer et Nicolson [Singer and Nicolson, 1972] .

Les oligosaccharides du glycocalyx ont un rôle structurant en rigidifiant et augmentant l’adhérence de la cellule, et sont également les premiers partenaires lors d’une interaction à la surface de la cellule. Comme nous le verrons plus loin, certains de ces polysaccharides, aussi appelés glycosaminoglycanes (GAG) semblent jouer un rôle important dans l’interaction des CPP avec les cellules. Ils sont essentiellement de deux types, les sufates d’héparane (HS) et les chondroïtines sulfates (CS) .

Les protéines membranaires jouent plusieurs rôles. Elles peuvent avoir un rôle de production d’énergie (notamment au niveau de la membrane des mitochondries pour la respiration cellulaire), un rôle de transporteur de matière (en formant des canaux d’entrée ou de sortie) ou un rôle de transfert d’information (en fixant des hormones, des facteurs de croissance ou des neurotransmetteurs dans les neurones par exemple). Elles forment des liaisons non covalentes avec les lipides : des interactions polaires avec les têtes des lipides et des interactions apolaires avec le coeur de la membrane formant un ensemble dynamique. Finalement les lipides sont à la base de la structure membranaire. Ils diffusent au sein de la membrane, couvrant jusqu’à 10 µm2 par seconde [Thompson et al., 2007] et sont répartis de façon non homogènes. Au sein d’un même feuillet, il semble que des domaines lipidiques puissent se former avec une composition en lipide différente d’un domaine à un autre. Des domaines lipidiques de taille micrométrique (appelés radeaux) ont été abondamment décrits sur des vésicules artificielles (telles que les GUV [Bagatolli and Gratton, 2000] et les GPMV [Baumgart et al., 2007] dont nous parlons au chapitre III.1.1). Dans le cas des membranes cellulaires, les protéines membranaires pourraient recruter certains lipides spécifiquement entraînant une hétérogénéité de répartition lipidique et des domaines de quelques dizaines de nanomètres et transitoires seraient aussi présents [Harder et al., 1998]. Il existe également une asymétrie de composition entre les deux feuillets. La composition en lipides du feuillet externe n’est pas la même que celle du feuillet externe. Cela a été suggéré pour la première fois par Bretscher [Bretscher, 1972]. Cette asymétrie de composition entraîne une asymétrie de charge, les lipides chargés négativement se trouvant plutôt dans le feuillet interne de la membrane, participant au potentiel de repos des cellules. La membrane est donc une barrière complexe protégeant et confinant l’intérieur de la cellule. En effet, des gaz (oxygène, dioxyde de carbone), de petites molécules telles que les molécules d’eau et d’éthanol ou certains composés hydrophobes tels que les hormones stéroïdes peuvent diffuser lentement à travers la bicouche mais ce n’est pas le cas des molécules plus grosses comme la plupart des composés organiques polaires (tels que le glucose par exemple, ou les différents acides aminés) et des ions inorganiques (K+, Ca2+, N a+…) et des molécules hydrophiles plus généralement. Cependant la membrane n’est pas imperméable, la communication et les échanges avec le milieu extérieur sont en effet essentiels à la survie cellulaire. Différents moyens vont alors être mis en place par la cellule pour assurer ces échanges. Par exemple, des protéines membranaires vont permettrent le passage de petites molécules comme les ions de façon sélective ou non en formant des canaux ioniques qui vont s’ouvrir ou se fermer dans des conditions particulières : par interaction avec un ligand, par la mise en place d’un gradient chimique ou d’un potentiel électrique. L’endocytose, mécanisme d’internalisation sur lequel nous reviendront plus loin, constitue également une voie d’entrée dans la cellule. Ainsi il est possible pour certaines molécules de traverser la membrane, c’est également le cas, de façon étonnante, pour des peptides pénétrants ou « cell penetrating peptides » (CPP). Ces peptides sont de « grosses » molécules chargées et ont en effet cette capacité d’entrer dans les cellules en traversant la bicouche lipidique.

Découverte des CPPs et catalogue

La découverte des peptides pénétrants ou CPP (ou encore peptides « troyens ») remonte à la fin des années 1980, début des années 1990 avec l’étude de la protéine Tat issue du virus VIH [Frankel and Pabo, 1988] et l’homéodomaine de la protéine Antennapedia (pAntp), un facteur de transcription de la Drosophile melanogaster [Joliot et al., 1991]. Il est alors découvert que ces protéines ont la capacité de franchir la barrière membranaire et d’entrer dans les cellules vivantes. Par la suite, la séquence minimale d’acides aminés issus de Tat et de pAntp (alors nommée Pénétratine) pour assurer l’internalisation dans les cellules a été déterminée et d’autres nombreux CPP ont été découverts. Il est possible de les classer en deux catégories, ceux issus de protéines, les CPP « naturels » (tels que Tat et la Pénétratine) et ceux « synthétiques », créés en laboratoire (tableau I.1). Les CPP sont de petites protéines qui sont rarement constituées de plus d’une trentaine d’acides aminés. Ce sont des molécules chargées positivement pour la plupart qui sont capables de traverser la membrane cellulaire et qui conservent cette propriété lorsqu’ils sont couplés (de façon covalente ou non) à une cargaison telle qu’un brin d’ADN, une autre protéine, des nanoparticules ou des vésicules.

Les CPP sont donc constitués en partie de résidus basiques chargés positivement permettant ainsi une première interaction électrostatique avec la membrane et le glycocalyx qui présente des charges négatives dues aux polysaccharides comme nous l’avons vu précédemment. Notamment, l’arginine, acide aminé chargé négativement (figure I.4 (A)), semble être crucial pour le caractère pénétrant d’un peptide (ce point est rediscuté plus loin dans ce chapitre, cf b)). Futaki et al. [Futaki et al., 2001] ont pu noter que les peptides pénétrants les plus efficacement internalisés sont riches en arginine. De plus, un caractère amphiphile est également souvent présent chez les CPP, une partie de leur séquence présente ainsi des acides aminés hydrophobes. Ainsi le tryptophane, acide aminé hydrophobe (figure I.4 (B)) semble également être un acide aminé important chez les CPP. Bechara et al. [Bechara et al., 2013] ont pu déterminer que l’affinité des CPP pour les chondroïtines sulfate et les héparanes sulfate augmente avec le nombre de tryptophanes et que de plus, l’internalisation est plus efficace lorsque les tryptophanes sont plus nombreux dans la séquence des peptides pénétrants.

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Table des matières

Introduction
I Les Peptides pénétrants, une voie d’entrée dans les cellules
I.1 La cellule et sa membrane
I.1.1 La cellule comme compartiment
I.1.2 La membrane cellulaire comme rempart imperméable ?
I.2 Découverte des CPPs et catalogue
I.2.1 Les CPP naturels
a) Tat
b) La Pénétratine
I.2.2 Les CPP synthétiques
a) Le Transportane
b) Pep-1
c) Les peptides polyarginines et RxWy
I.3 Voies d’entrées et mécanisme lors de l’internalisation des CPPs
I.3.2 La translocation
I.3.3 Et pour les CPP : endocytose ou translocation ?
I.3.4 Les CPP, dans quel but ?
II Mesure de force et électrophysiologie en présence de peptides pénétrants
II.1 Mesure de force à l’échelle de la molécule unique : différentes techniques
II.1.1 Surface Force Apparatus (SFA)
II.1.2 Microscope à force atomique (AFM)
II.1.3 Pinces Optiques et Magnétique
II.1.4 BioMembrane Force Probe (BFP)
II.2 Le BFP et les peptides pénétrants
II.2.1 Mise en place et protocole
a) Réduction du bruit mécanique
b) Montage et chambre d’expérimentation
c) Les pipettes
d) La Pénétratine
e) La sonde de force
f) Les cellules et vésicules
g) Mesures et acquisition des données
II.2.2 Résultats
II.3 L’électrophysiologie et le patch-clamp
II.3.1 Historique et principe de l’électrophysiologie
II.3.2 Électrophysiologie et CPP
II.4 Couplage des mesures de force et d’électrophysiologie
II.4.1 Mise en place et protocole
a) Les pipettes
b) Les milieux cellulaires
c) Acquisition des mesures électriques
II.4.2 Les résultats
III L’activité des CPPs sur des membranes modèles
III.1 Les membranes artificielles comme modèle
III.1.1 Les vésicules
a) Les vésicules multilamellaires (MLV)
b) Les petites vésicules (SUV)
c) Les grandes vésicules (LUV)
d) Les vésicules géantes (GUV)
e) Les vésicules géantes de membrane plasmique (GPMV)
III.1.2 Les membranes supportées
III.1.3 Les membranes suspendues
III.1.4 Les nano-disques membranaires
III.1.5 Les bicouches à l’interface de goutte, BIG
III.2 Les Bicouches à l’interface de gouttes en présence de peptides pénétrants
III.2.1 Le principe
III.2.2 Mise en place et protocole
a) La phase aqueuse
b) La phase hydrophobe
c) Les Peptides
d) Le dépôt pour observation
e) Mesures et acquisition des données
III.2.3 Le contrôle du potentiel membranaire
III.3 Caractérisations des BIGs
III.3.1 L’asymétrie des bicouches
III.3.2 Épaisseur et résistance des BIG
III.4 Étude de la translocation des CPP à l’aide des BIG
III.4.1 Impact de différents lipides sur la translocation
III.4.2 Impact de l’asymétrie sur la translocation
III.4.3 Conclusion et perspective
Conclusion

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