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LA COGNITION MATHEMATIQUE
DEFINITIONS
La cognition mathématique
La cognition mathématique comprend « l’ensemble des états mentaux et les mécanismes par lesquels les nombres sont utilisés pour représenter, organiser, comprendre, prédire et transformer notre environnement ». De ce fait, cela englobe une grande variété de processus impliquant plusieurs systèmes. Certains sont dits « automatiques » comme l’identification de chiffres, l’activation de faits arithmétiques. D’autres sont « plus contrôlés » comme la résolution de problèmes, les opérations à plusieurs chiffres ou encore la manipulation de fractions (Camos et Barrouillet, 2014).
Quatre grands domaines sont analysés dans les études consultées : l’arithmétique, l’algèbre, la géométrie et la topologie.
L’arithmétique est l’étude des propriétés de l’ensemble des nombres rationnels (Le Robert illustré & son dictionnaire internet, 2013). Elle est caractérisée par un ensemble défini d’opérations réalisées sur des nombres, présentés sous leur forme symbolique et/ou verbale. Les opérations arithmétiques peuvent être basiques ou élaborées, ces dernières impliquent la mise en œuvre de stratégies appropriées. Si ces stratégies font l’objet d’un apprentissage explicite de procédures de traitement, certains principes sous-jacents à ces opérations ne nécessitent pas d’apprentissage formel. En fait, l’être humain dispose naturellement d’une sensibilité précoce à certains principes arithmétiques innés, par exemple l’intuition des additions et soustractions de nombres entiers, qui influence nos jugements numériques (Thevenot et Fayol, 2018).
Dans sa partie classique, l’algèbre se consacre à la résolution d’opérations par des formules explicites des équations, par des substitutions de lettres aux valeurs numériques et de la formule générale au calcul numérique particulier. Dans sa partie moderne, elle étudie des structures abstraites (groupes, anneaux, corps) définies sur des ensembles et des lois de composition (Le Robert illustré & son dictionnaire internet, 2013). En effet, depuis le XXe siècle, l’algèbre est considérée comme le domaine mathématique étudiant des structures algébriques telles que des groupes, des champs, des espaces vectoriels, ou des structures composées d’ensemble doté de lois de composition et satisfaisant certains axiomes. L’algèbre est réalisée à l’aide de structures imbriquées semblables à la syntaxe du langage.
La géométrie est la science des figures de l’espace (Le Robert illustré & son dictionnaire internet, 2013).
La topologie est l’étude des propriétés invariantes dans la déformation géométrique des objets et dans les transformations continues appliquées à des êtres mathématiques (Le Robert illustré & son dictionnaire internet, 2013).
Les évaluations des compétences mathématiques, les batteries de tests, sont élaborées et réalisées selon les connaissances actuelles de la cognition mathématique. Celle-ci est définie comme un ensemble de systèmes, contenant chacun plusieurs variables, dépendantes ou indépendantes. Ces composants recouvrent un large éventail de compétences, qui se répartit selon deux tendances. La première position comprend les capacités cognitives générales : attention, mémoire de travail, la vitesse de traitement et récemment, attitudes et émotions. La seconde position se concentre sur les performances spécifiquement arithmétiques ou mathématiques, telles la comparaison de collections ou de nombres, la dénomination de chiffres, qui portent parfois sur des domaines très restreints (le traitement de l’addition) ou au contraire sur l’ensemble des apprentissages arithmétiques (transcodage, opérations, résolution de problèmes).
Les dimensions cognitives impliquées
D’après Luis Radford et Mélanie André, « quelques fonctions cognitives particulièrement importantes en mathématiques sont l’attention, la planification, le raisonnement spatial et la production de symboles. Ces fonctions sont reliées à ce qui est appelé : les régions corticales du cerveau. […] Les régions du cerveau qui se sont le plus développées sont précisément celles reliées à la pensée, à la planification, à l’organisation et à la communication » (Radford et André, 2008).
Les études réalisées sur le développement des compétences arithmétiques ou mathématiques ne permettent pas de déterminer de manière certaine les corrélations ou les 4 effets des différentes variables impliquées dans les systèmes neuronaux lors des tâches arithmétiques.
Selon Michel Fayol, les travaux de Siegler et Lemaire « s’inscrivent dans le cadre théorique des » vagues qui se chevauchent » : à un moment donné de leur développement, les individus disposent de plusieurs stratégies qu’ils mobilisent de manière probabiliste en fonction des situations et dont la distribution évolue avec l’expérience. […] Avec le temps et l’expérience, la distribution des stratégies se modifie : la récupération en mémoire devient plus fréquente et le recours au comptage verbal diminue mais subsiste en certaines circonstances » (Siegler, 1999). Les différences inter- et intra-individuelles doivent être prises en considération. Par conséquent, il est nécessaire d’examiner les dimensions générales comme la mémoire de travail et les fonctions exécutives.
La mémoire de travail est une variable cognitive générale ayant un impact sur les performances des activités complexes. La cognition mathématique nécessite d’encoder les informations perceptives, de les transformer en représentations internes, dans les actions telles que comparer, calculer, transcrire. Cela implique un maintien temporaire des informations sous différents formats, tout en exerçant un ou plusieurs traitements cognitifs sur celles-ci, mis en œuvre et contrôlés par le système exécutif. « Comme toute activité complexe, l’arithmétique exige la mobilisation de concepts, de faits et de procédures dont la méthode doit être orchestrée dans les limites des capacités caractéristiques des êtres humains » (Fayol, 2013).
D’autres variables comme la vitesse de traitement, l’attention et d’autres fonctions exécutives (inhibition, flexibilité et mise à jour) sont également sollicitées lors de tâches complexes. La vitesse de traitement serait un facteur de base conditionnant le fonctionnement de toutes les autres variables : encodage, maintien temporaire (par autorépétition et articulation), manipulation des données, récupération des informations en mémoire, etc. L’attention peut apparaître comme une variable de base, au même titre que la vitesse de traitement (Geary, 2013). Cependant, peu de recherches expérimentales aussi poussées que celles concernant la vitesse de traitement ou la mémoire de travail ont été réalisées. Il est par conséquent difficile de conclure sur l’impact de cette fonction sur les activités arithmétiques.
Quant aux fonctions exécutives, « elles spécifient les procédures et concepts » devant être acquis et mis en œuvre pour passer du savoir à l’action. Elles contribuent à l’élaboration d’un plan de réalisation, au contrôle de ce plan et aux ajustements des actions planifiées, si nécessaire. « Elles redistribuent les fonctions cognitives en trois catégories : l’inhibition destinée à supprimer les pensées et actions non pertinentes pour l’exécution d’une tâche ; la flexibilité mentale permettant de passer d’une composante de l’activité à une autre en se désengageant mentalement de la première ; l’actualisation ou la mise à jour des contenus ou procédures en cours de la mémoire de travail » (Fayol, 2013).
En somme, les épreuves utilisées et les études actuelles ne permettent pas d’établir des liens déterminés entre ces fonctions cognitives et les activités mathématiques. Les résultats sont encore trop complexes et peuvent être variables selon les situations d’expériences. Si l’existence de corrélations est confirmée, les composantes distinguées par la théorie ne sont pas toujours retrouvées dans les recherches. En effet, certaines ne portent que sur un domaine délimité, quand d’autres recouvrent un large éventail d’habiletés.
Les données actuelles en imagerie cérébrale
Depuis les années 80, des analyses sur les liens entre le langage et le traitement des numéros ou les faits arithmétiques se sont développées. Leurs principaux auteurs sont Caramazza, McCloskey, Deloche, Seron, Butterworth, Dehaene et leurs collaborateurs.
Le fait que chaque humain possède dès sa naissance une intuition proto-mathématique fondée sur des circuits cérébraux dédiés est maintenant bien admis. Ces aptitudes dites proto-mathématiques correspondent à la discrimination des petites quantités, possible par le subitizing perceptif, le comptage préverbal ou un mécanisme d’individuation des unités perçues, soit l’estimation globale et perceptive des quantités. Selon Dehaene (1997), les « bébés disposent très rapidement après la naissance d’un système cognitif dédié au traitement des informations sur les quantités : le système numérique approximatif (SNA) » (Dehaene et Cohen, 1997). Ce système permet d’ordonner spatialement les quantités sur une ligne numérique mentale, de la gauche vers la droite. Selon Feigenson, Dehaene et Spelke (2004), « l’habileté à se représenter et à manipuler les grandeurs non symboliques sur cette ligne mentale serait à l’origine du sens du nombre » (Thevenot et Fayol, 2018).
Des travaux récents ont suggéré que les mathématiques formelles s’appuient sur les capacités proto-mathématiques non-verbales dont tous les humains sont dotés dès la naissance. En effet, même les nourrissons et des adultes non instruits avec une langue radicalement appauvrie pour les mathématiques peuvent posséder des intuitions proto-mathématiques abstraites de nombre, d’espace et de temps (Dehaene et coll, 2006 ; Pica et coll, 2004 ; cités par Amalric, 2017). Ces connaissances de base peuvent servir de fondation à la construction de concepts mathématiques abstraits (Elke, 2003 ; cité par Amalric, 2017). Les mathématiques avancées découleraient de représentations fondamentales du nombre et de l’espace par le dessin d’une série de liens systématiques, d’analogies et de généralisations inductives (Dehaene et coll, 2008 ; Lakoff et Nùñez, 2000 ; Piaget, 1952 ; cités par Amalric, 2017).
Comparativement à l’abondant corpus de données probantes sur le traitement des nombres et l’arithmétique élémentaire, les processus cognitifs impliqués dans des capacités mathématiques plus complexes et avancées, comme la résolution de fractions ou d’expressions algébriques, sont relativement peu documentés (Butterworth, 1999 ; Dehaene, 1997 ; cités par Amalric, 2017). De même, le rôle du langage dans ces processus reste à déterminer (Campbell et Epp, 2004 ; cités par Amalric, 2017). A ce jour, peu d’études neuropsychologiques font état de fonctions mathématiques supérieures chez les patients atteints de lésions cérébrales. En revanche, une thèse en neurosciences cognitives, réalisée en 2017, sous la Direction de Stanislas Dehaene, a étudié « les mécanismes cérébraux d’apprentissage et de traitement des concepts mathématiques de haut niveau » chez des experts en mathématique appariés à un groupe de non-experts en mathématique. Celle-ci a montré que le « traitement des expressions ou des concepts arithmétiques ne présentent que peu ou pas de chevauchement avec les zones linguistiques. Ainsi, la compréhension et le traitement de l’arithmétique, au moins chez les adultes, semblent indépendants du langage » (Amalric, 2017).
Selon Amalric et Dehaene, deux ensembles de zones cérébrales ont été associées au traitement des nombres : les aires intrapariétales bilatérales et les aires préfrontales ; celles-ci sont systématiquement activées pendant la perception et le calcul du nombre (Dehaene, et coll, 1999). Ce circuit est déjà actif chez les nourrissons et les singes non entraînés (Nieder et Dehaene, 2009 ; cités par Amalric, 2017). Les compétences numériques précoces chez le bébé sont la discrimination de quantités au sein de collections, l’appariement de collection selon leur taille et la manipulation de quantités.
Les mathématiques de haut niveau chez l’homme recrutent le même circuit cérébral non linguistique traitant l’arithmétique de base. Toutefois, dans les études présentées par Amalric et Dehaene (2017), il est « confirmé que la réflexion mathématique sur les concepts avancés ne fait pas appel aux aires cérébrales traitant la sémantique : la partie antérieure du sillon temporal supérieur et moyen, ainsi que la jonction temporo-pariétale du gyrus angulaire. Alors que le lobe temporal antérieur bilatéral a été systématiquement impliqué dans le traitement sémantique général des expériences antérieures et actuelles. […] Les résultats tendent à confirmer que la sémantique mathématique se dissocie de la sémantique générale dans le cerveau » (Amalric et Dehaene, 2016).
Dans le cadre de la recherche en neurosciences, l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle permet la réalisation de cartographie du fonctionnement cérébral. La difficulté réside encore dans l’observation des connexions cérébrales, des faisceaux sous-jacents, propres à chaque individu. Par conséquent, la généralisation de ces résultats est complexe.
En effet, des réseaux neuronaux spécialisés pour les activités cognitives interagissent constamment et dynamiquement avec les réseaux neuronaux spécialisés dans la langue.
En conclusion, dès qu’une activité mentale complexe est en jeu, il paraît évident que le sujet doit simultanément retenir des informations tout en réalisant sur une partie d’entre elles, des opérations mentales plus ou moins compliquées. La mémoire de travail intervient dans les activités mentales complexes. Elle est alors considérée comme un facteur prédictif des activités humaines supérieures et elle est reliée à d’autres concepts utilisés pour décrire les activités cognitives de niveau élevé, comme l’intelligence fluide ou les capacités de raisonnement.
LES PATIENTS APHASIQUES POST AVC ET LEUR PRISE EN SOINS
LES SEQUELLES DE L’AVC
Selon l’OMS, « un accident vasculaire cérébral résulte de l’interruption de la circulation sanguine dans le cerveau, en général quand un vaisseau sanguin éclate ou est bloqué par un caillot. L’apport en oxygène et en nutriments est stoppé, ce qui endommage les tissus cérébraux ».
Les répercussions de l’AVC sont nombreuses et multiples, elles touchent différentes sphères parmi lesquelles le fonctionnement cognitif. En France, l’âge moyen est de 73 ans, cependant 25 % des patients ont moins de 65 ans. Par ailleurs, le taux de reprise au travail est de 44%, pour les sujets en âge d’être encore actifs (Schnitzler, 2015).
La sévérité d’un AVC est variable, différents degrés sont observés de l’accident transitoire ne laissant pas de séquelles à l’AVC mortel en quelques heures ou quelques jours. En 2013, le taux de mortalité dû à un AVC est de 6% (Lecoffre, Olie, Bejot et et al., 2017). Si le patient ne décède pas de son accident cérébral, l’AVC handicape le sujet par des séquelles définitives plus ou moins invalidantes. La plupart des données documentées dans la littérature sur les déficiences séquellaires dues à l’AVC concernent essentiellement les phases aiguës et subaiguës. Le tableau 1 rassemble les données à la phase chronique, à titre informatif (Schnitzler, 2015).
LA PRISE EN CHARGE ORTHOPHONIQUE DES PATIENTS APHASIQUES
L’aphasie est une conséquence courante de l’AVC, mais elle peut aussi résulter d’autres affections neurologiques comme une tumeur cérébrale, une infection, une blessure à la tête ou une démence qui endommage le cerveau.
L’objectif du traitement est d’optimiser les capacités langagières et de réduire les impacts de l’aphasie pour le patient et son entourage.
« Ce traitement peut cibler une composante précise du langage et/ou de la communication de façon plus générale afin de la rendre la plus fonctionnelle possible » (National Aphasia Association, 2011). Les preuves de l’efficacité du traitement orthophonique de l’aphasie sont de plus en plus solides. Ainsi, Brady et ses collaborateurs concluent que, comparativement à l’absence de traitement, la thérapie orthophonique permet l’amélioration de la communication fonctionnelle, de la lecture, de l’écriture et du langage expressif (Brady, Kelly et Godwin, 2016).
Tout patient admis en UNV est évalué selon une batterie normée de mesures linguistiques, dès la phase aiguë, de nouvelles évaluations sont pratiquées lors de son séjour en SSR, permettant d’observer l’évolution des aptitudes de la personne. En fonction des résultats aux tests, la prise en charge orthophonique privilégiera la rééducation langagière de la compréhension, de l’expression ou des deux. Malgré un nombre grandissant de données scientifiques sur le sujet, il est difficile et laborieux d’établir des traitements orthophoniques précis en raison de l’hétérogénéité des méthodes utilisées et des résultats obtenus.
En fait, l’intervention orthophonique auprès du patient aphasique ne peut se résumer à la seule considération des symptômes langagiers, car l’utilisation des fonctions linguistiques implique nécessairement l’activation d’un réseau à la fois cognitif et neuro-anatomique. Selon l’orthophoniste Moritz-Gasser, la prise en compte des mécanismes cognitifs sous-jacents au traitement du langage s’avère aussi indispensable à l’établissement de thérapies personnalisées et efficaces (Moritz-Gasser, Herbet, Maldonado et et al., 2012).
Si actuellement la rééducation des patients aphasiques est principalement élaborée sur des fonctions langagières, il s’avère que la majeure partie de la compréhension des nombres et même des manipulations algébriques peut demeurer préservée chez les patients atteints d’aphasie globale ou de démence sémantique (Cappelletti, Klessinger, Varley, cités par Amalric, 2017).
LES PRINCIPES GENERAUX DE PRISES EN CHARGE ADAPTEES AUX PATIENTS
La prise en charge de patients atteints de pathologies neurologiques s’appuie sur la faculté du cerveau à se réorganiser après une lésion. Celle-ci est dépendante d’un ensemble de paramètres, en 2008, Kleim et Jones ont défini dix critères influençant cette plasticité chez ces patients (Kleim et Jones, 2008a).
Le premier est d’impliquer les circuits neuronaux lors de tâches cognitives dès que possible. En effet, la non-sollicitation de ces circuits sur un laps de temps plus ou moins long risque de détériorer leur fonctionnement. Une aptitude cognitive stimulée peut activer l’aire résiduelle, suite à la lésion, ou une autre zone cérébrale pouvant compenser. Le bilan permet de définir les déficits séquellaires aux lésions, mais également les fonctions préservées. Les stimulations cognitives contribuent à la remédiation.
Le deuxième point est de solliciter les capacités résiduelles qui participent à l’optimisation de la plasticité régénératrice du cerveau. Des modifications neuronales profondes peuvent se produire grâce à la rééducation et améliorer la récupération fonctionnelle du patient sur les plans sensoriel, moteur ou cognitif.
Le troisième principe est de choisir des outils spécifiques permettant de travailler la composante évaluée de la manière la plus uni-modale possible. Dans ce cadre : toute activité proposée doit être évaluée par une ligne de base afin de contrôler leur spécificité et ainsi permettre la mise en œuvre de la neuro plasticité.
Le quatrième point est la répétition. Pour obtenir un changement durable sur le plan neuronal, à la fois une amélioration sur le long terme et une généralisation à d’autres items, le patient doit être régulièrement et fréquemment exposé aux exercices. L’orthophoniste peut prendre appui sur des protocoles de rééducation afin d’obtenir une automatisation. D’autant plus, que ces patients peuvent également avoir des déficits des fonctions exécutives et par conséquent des difficultés dans la mise en place de stratégies.
L’intensité de la prise en charge arrive en cinquième position. Un entraînement de plus haute intensité permettrait un renforcement persistant des synapses, appelé potentialisation à long terme. Dans ce contexte, une évaluation cognitive du patient doit permettre d’identifier les capacités réelles du sujet et de proposer des tâches adaptées.
En sixième place vient la question du temps. Deux courants s’opposent : l’un préconisant une prise en charge précoce, qui serait bénéfique pour les patients, selon Glize et al. (2017) ; l’autre considère que cela n’est pas généralisable à tous les patients aphasiques. En effet, selon Watila (2015), « l’efficacité d’une prise en charge orthophonique précoce est dépendante d’un grand nombre de facteurs : la taille et la localisation de la lésion, le type et la sévérité de l’aphasie, le type d’AVC, l’âge et le sexe du patient » (Watila et Balarabe, 2015). En ce qui concerne la phase chronique de l’aphasie, l’idée qu’un effet-plafond de la récupération serait atteint à distance de l’AVC est répandue. Cependant, Marcotte et al. (2012) ont montré qu’une récupération est encore possible, même au-delà de cette phase chronique (Marcotte et al., 2012).
D’après Kleim et al., dans un contexte d’aphasie, l’installation de mécanismes compensatoires pour compenser des déficits langagiers est possible à la phase aiguë, par l’utilisation de gestes ou encore la mise en place de carnet de communication. Or, dans un premier temps, il est préconisé de solliciter la fonction langage avant d’installer des moyens de compensations afin que ceux-ci n’entravent pas la réhabilitation de la fonction.
En septième principe, se pose la question de la motivation pour ces patients atteints, pour lesquels certaines capacités sont altérées. Si le projet thérapeutique s’élabore à partir des résultats de l’évaluation, il faut nécessairement tenir compte de la plainte cognitive du patient, qui est un paramètre essentiel de sa motivation. L’orthophoniste proposera des activités variées et en lien avec les objectifs de la rééducation de la fonction cognitive déficitaire. L’investissement du patient peut être soutenu par la réalisation de lignes de bases matérialisant les progrès observés et ce qui peut encore être amélioré.
Le huitième principe recommande une rééducation orthophonique auprès de patient aphasique, quel que soit l’âge de celui-ci. Même si les effets sur un sujet âgé seront moins profonds et plus lents que chez le sujet jeune.
Un neuvième point est celui du transfert des compétences acquises en rééducation dans des situations de vie quotidienne. Pour cela, l’utilisation de matériel plus écologique pourra être mise en œuvre dans la rééducation.
Le dernier principe est celui de l’interférence. La plasticité neuronale peut être un élément favorable dans la réhabilitation, cependant elle peut aussi être un frein au changement à l’intérieur d’un circuit neuronal déjà existant : par la non utilisation acquise d’une fonction développée (Taub, et al, 2006 ; cités par Kleim et Jones, 2008).
Dans le cas de neuropathologies, il semble difficile d’obtenir un consensus applicable à tous les patients, vu le nombre de paramètres qui contribue à l’efficacité de la prise en charge. Le thérapeute doit tenir compte des caractéristiques intra-individuelles de chaque patient, de ses intérêts, ses ressources, sa plainte et son état de santé global.
OBJECTIFS DE LA REVUE DE LITTERATURE
Dans ce contexte évolutif de la neuroscience, possible grâce aux nouvelles technologies, les fonctions cérébrales supérieures du langage et des mathématiques seraient en partie indépendantes fonctionnellement. Des études récentes en neuro-imagerie ont montré que le traitement des expressions arithmétiques imbriquées ne présente que peu ou pas de chevauchement avec les zones linguistiques (Friedrich et Friederici, 2009; Maruyama et coll., 2012; Nakai et Sakai, 2014 ; cités par Amalric, 2017). Ainsi, la compréhension conceptuelle de l’arithmétique, au moins chez les adultes, semble indépendante du langage.
D’après ces conclusions, la construction d’un modèle contemporain complet des relations cerveau-langage s’élabore sur le concept de multifonctionnalité neuronale. Précisément, les réseaux neuronaux spécialisés pour les activités cognitives, affectives et praxiques interagissent constamment et dynamiquement avec les réseaux neuronaux spécialisés dans la langue pour soutenir et finalement constituer la langue telle qu’elle est. L’introduction d’approches multifonctionnelles émergentes à la neurobiologie du langage propose l’intégration des fonctions cognitives non linguistiques dans les modèles linguistiques du cerveau de patients sains, comme fondement théorique, pour comprendre les différents aspects des neurones, leur évolution avec l’âge et les mécanismes de rétablissement dans le cas de l’aphasie (Cahana-Amitay et Albert, 2014).
Le domaine de la cognition mathématique étant autant sollicité que celui du langage dans le quotidien : la question d’une stimulation précoce des compétences mathématiques auprès de patients aphasiques post AVC au cours de la rééducation orthophonique se pose. Dans les recommandations scientifiques, les patients aphasiques post-AVC doivent être rééduqués le plus précocement possible, après une évaluation la plus globale possible. D’autre part, la stimulation des différentes fonctions cérébrales et motrices contribuent à l’amélioration du patient et de ses capacités résiduelles et altérées.
La première hypothèse est que des patients aphasiques cérébrolésés post AVC peuvent améliorer leurs déficits linguistiques grâce à une stimulation en cognition mathématique.
La deuxième hypothèse est que la stimulation cognitive par les mathématiques est adaptée à tout patient aphasique, quel que soit son niveau antérieur à l’AVC.
METHODE
SELECTION DES RESSOURCES
La recherche bibliographique a été réalisée sur plusieurs bases de données bibliographiques : en santé sur PubMed (littérature dans le domaine de la médecine) et sur EBSCO (principal fournisseur de bases de données de recherche, de revues électroniques, d’abonnements à des magazines, de livres électroniques et de services de recherche aux bibliothèques depuis plus de 70 ans). A cela s’ajoute une recherche sur des sites d’actualité en médecine comme ceux de la Banque de Santé Publique (BDSP), réseau documentaire d’informations en santé publique ; du site de la Haute Autorité de santé (HAS), un organisme public indépendant d’expertise scientifique.
Une récente thèse en neurosciences a étudié « les mécanismes cérébraux impliqués dans l’apprentissage et le traitement des notions mathématiques de haut niveau ». Elle a été réalisée par Marie Amalric sous la direction de Stanislas Dehaene, neuroscientifique et Professeur au Collège de France sur la Chaire de Psychologie cognitive expérimentale. Celle-ci démontre que les aires cérébrales activées lors de tâches mathématiques sont distinctes de celles du langage (Amalric, 2017).
Cela a permis de vérifier l’existence d’articles scientifiques sur le sujet, la pertinence des mots –clés et de se documenter à partir de la bibliographie.
Trois critères ont été retenus pour la recherche : la population devenue aphasique suite à un AVC ; la rééducation orthophonique ; le domaine de la cognition mathématique (voir en annexe A).
Les types de publications recherchées étaient des études de cas (narratives et expérimentales), les études de groupe (expérimentales), les revues de littérature et méta-analyses, les thèses et mémoires de recherche.
A partir de la combinaison des mots-clés 265 ressources sont obtenues et ce sans limitation de période concernant les dates de publication, la recherche étant encore récente sur le sujet.
L’analyse des articles issus des recherches par mots-clés n’a permis d’isoler qu’un seul article. Car les autres ressources ne correspondaient pas complètement à l’objet de la revue de littérature (voir annexe B).
Les articles exclus portaient sur :
– D’autres rééducations et technologies (TMS) pour 31 %,
– D’autres pathologies et populations pour 26 %,
– Des pratiques médicales et des documents de réunions plénières pour 24 %,
– 19 % concernent la rééducation orthophonique, en partie du langage, mais sans prendre en compte la cognition mathématique.
La recherche bibliographique a sélectionné trois publications extraites des bases de données, dont une seule par les mots-clés, les deux autres par les noms d’auteurs et complétées par cinq publications issues de l’analyse de bibliographies.
Cette revue de littérature porte sur quatre études de cas unique ou avec maximum trois participants, un article de synthèse, une méta-analyse et deux études de groupe.
QUALITE DES ETUDES
Chaque étude a fait l’objet d’une lecture critique établie selon les critères décrits par Salmi (Salmi et Salamon, 2012). Cet auteur propose les prérequis et les objectifs à la lecture suivants (voir le détail en annexe C) :
Prérequis :
– Avoir en tête les critères les plus importants à considérer pour juger de la qualité et de la pertinence potentielle d’un article.
– Les algorithmes, définis comme des suites finies de questions élémentaires permettant la résolution d’un problème, sont des outils organisant les critères dans un ordre logique, optimisant ainsi le processus de décision de rejeter l’article ou de continuer sa lecture.
Objectifs :
– Utiliser les listes de contrôle et les grilles de lecture critique.
– La liste de contrôle permet de vérifier l’exhaustivité des items nécessaires à la rédaction d’un article.
– Les grilles permettent une analyse fine des méthodes utilisées dans les études critiquées.
Les revues internationales ont adopté une forme standard pour le contenu des articles.
Une liste de contrôle renseignée dans une grille de lecture permet de vérifier la cohérence de l’article avec le sujet étudié. Les principaux indicateurs de qualité retenus sont : la description des patients, l’appariement des participants, les outils de mesures et l’existence de lignes de bases. La grille de lecture est complétée par un résumé de l’étude permettant la rédaction de cette revue. En somme, la grille de lecture permet une analyse précise des méthodes d’un article (voir annexe D).
CARACTERISTIQUES DES ETUDES
Les principales caractéristiques retenues pour cette revue de littérature sont (voir annexe E) :
– La population : des patients aphasiques suite à un accident vasculaire cérébral,
– Le mode d’intervention orthophonique établie sur la remédiation en cognition mathématique.
Le critère du nombre de participants n’est pas retenu, car la pratique de la rééducation orthophonique du langage par la cognition mathématique auprès d’adultes cérébrolésés post-AVC est encore peu documentée.
Une attention particulière a été portée à la description des patients et la présence des données d’imagerie correspondant à celui-ci.
Seule une méta-analyse expose les différents modèles contemporains des relations cérébrales du langage et des autres fonctions cognitives. Cela sera présenté dans la partie résultats de cette revue.
RESULTATS
Cette revue de littérature porte sur huit articles, dont une revue de littérature, une méta-analyse, une expérimentation d’évaluation d’un outil de mesures cognitives, trois expérimentations d’évaluation des aptitudes langagières et mathématiques, une expérimentation de rééducation orthophonique du langage par des capacités mathématiques préservées et une expérimentation auprès d’experts en mathématique sains. Trois ont été obtenus par une recherche au sein des bases de données, cinq par l’analyse des bibliographies.
LES EVALUATIONS ET REEDUCATIONS ORTHOPHONIQUES
Peu d’études font référence à un modèle théorique, mais la plupart documente les résultats des expérimentations en neuro-imagerie et/ou les scores obtenus à des évaluations normées des capacités des patients dans leur publication.
Les évaluations orthophoniques
Les troubles cognitifs sont connus et étudiés dans les pathologies neurologiques et neurodégénératives de l’adulte. En revanche, leurs impacts dans le cadre de l’aphasie font récemment l’objet d’analyses. Pourtant ceux-ci sont source de handicap et ont des conséquences sur l’autonomie et le quotidien du patient, notamment sur sa récupération post AVC. Dans la pratique, si les orthophonistes prennent en compte les troubles cognitifs des patients aphasiques, l’évaluation de ces déficits est encore peu pratiquée.
Les principaux outils actuels sont :
– Le MMSE : Mini-Mental State Evaluation : en première intention pour évaluer globalement les déficits cognitifs, essentiellement utilisé dans le cadre de démences ;
– La MoCA : Montréal Cognitive Assessment : pour évaluer les déficits cognitifs légers, également développée pour l’évaluation de la démence. Cependant, Pendelebury et al. (2012), a montré une bonne sensibilité et spécificité pour la détection des déficits cognitifs modérés chez des patients atteints de pathologies neuro-vasculaires. A nuancer toutefois dans le cas de l’aphasie, car certaines épreuves nécessitent des productions orales. Puis, les épreuves langagières sont limitées à la dénomination de 3 images, une répétition de phrases, une épreuve de fluence et une épreuve de conceptualisation.
– Le CASP : Cognitive Assessment for Stroke Patient : actuellement utilisé dans un protocole hospitalier de Recherche Clinique pour établir sa validité, sa fiabilité et sa sensibilité (Benaim, Barnay, Wauquiez et et al., 2015).
Une étude a été de tester une nouvelle mesure non linguistique élaborée par des orthophonistes, des ergothérapeutes et des neuropsychologues cliniques de Lothian au Royaume-Uni, nommée LASCA : Lothian Assessment for Screening Cognition in Aphasia. Cette batterie a été proposée à un échantillon de 35 personnes en bonne santé, âgées de 50 à 92 ans. Ce groupe a été associé à l’échantillon de 35 sujets, de la précédente analyse relative à LASCA de Warren en 2011, soit une étude combinée sur une population de 70 individus sains (Faiz, 2016). Toutefois, des compléments d’analyse doivent enrichir ces premiers résultats, car des éléments ont dû être retirés suite aux tests statistiques de validité, ce qui pourrait apporter une conclusion erronée.
Par ailleurs, peu d’articles présentent des patients aphasiques évalués à la fois sur les capacités langagières et sur le traitement du calcul des nombres. De plus, la plupart de ces études ont été réalisées plusieurs années après l’AVC.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
Table des Tableaux
LISTE DES ABREVIATIONS
1 INTRODUCTION
2 LA COGNITION MATHEMATIQUE
2.1 Définitions
2.1.1 La cognition mathématique
2.1.2 Les dimensions cognitives impliquées
2.1.3 Les données actuelles en imagerie cérébrale
3 LES PATIENTS APHASIQUES POST AVC ET LEUR PRISE EN SOINS
3.1 Les séquelles de l’AVC
3.2 La prise en charge orthophonique des patients aphasiques
3.3 Les principes généraux de prises en charge adaptées aux patients
3.4 Objectifs de la revue de littérature
4 METHODE
4.1 Sélection des ressources
4.2 Qualité des études
4.3 Caractéristiques des études
5 RESULTATS
5.1 Les évaluations et rééducations orthophoniques
5.1.1 Les évaluations orthophoniques
5.1.2 Le cas d’un patient aphasique rééduqué par la cognition mathématique
5.2 Les apports de la neuro imagerie
5.2.1 L’implication des réseaux neuronaux lors de stimulation dans des domaines d’expertise
5.2.2 Multifonctionnalité neuronale et aphasie
6 DISCUSSION
6.1 Limites de la cognition mathématique dans le traitement de l’aphasie
6.1.1 La rééducation de patients aphasiques
6.1.2 Les recommandations de la rééducation des patients aphasiques
6.1.3 Les limites de cette revue
6.2 Perspectives : La connectomique
7 CONCLUSION
8 BIBLIOGRAPHIE
9 ANNEXES
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