Dans les anciennes colonies françaises, de l’Afrique à l’Asie, en passant par l’Amérique, la langue française ne cesse de se promouvoir et de jouer un rôle important dans ces sociétés. Entre autres, à cause du fait que les langues africaines sont multiples et manquent de langue locale véhiculaire « ou langue de communication entre des communautés de langue maternelles différentes » (Larousse en ligne), les autorités africaines d’après-indépendances ont favorisé l’expansion de la langue française. La langue française s’est introduite en Algérie et en Côte d’Ivoire, pays auxquels nous consacrerons ce mémoire, par le fait de la colonisation. Á la proclamation de l’indépendance (1960 pour la Côte d’Ivoire et 1962 pour l’Algérie), l’usage du français dans ces deux pays prend deux trajectoires différentes. L’Algérie rompt avec la langue française, langue de l’occupation et de l’oppression, en adoptant l’arabe comme langue officielle (Abid-Houcine 2007). Par contre, en Côte d’Ivoire, le français est fortifié et haussé à la dignité de langue officielle et surtout, il ne rencontre aucune opposition ni chez les élites, ni dans la population, mais au contraire, il acquiert « une position privilégiée » (Oboa 2008).
Dans ces pays, le marché linguistique présente plusieurs langues et plusieurs variétés de langues. Dés lors, les cohabitations et les contacts entre ces langues et ces variétés de langues conduisent à une interaction linguistique. Cette dernière fait que chacune de ses langues, y compris le français bien sûr, assimile et métamorphose l’autre langue. Alors, parmi les différentes manières de s’intéresser au français africain, nous présenterons dans ce présent mémoire un aspect qui peut paraitre intéressant. Il s’agit d’établir une comparaison entre les différents français à l’intérieur de l’Afrique ou avoir une image et opinion des différentes particularités du français ou plutôt des français. En l’occurrence, nous nous intéresserons au français de deux pays, qu’à première vue tout ou presque sépare. Il s’agit du français algérien et du français ivoirien. Ces variétés de français ont toutes deux évolué à partir du français standard, mais dû à leur position géographique, à leur adoption dans des communautés différentes et à leurs contacts avec des langues différentes, on peut s’attendre à des divergences linguistiques .
Les particularités linguistiques du français algérien
Dans ce pays plurilingue, l’Algérie, on dénombre comme nous avons remarqué précédemment la présence de quatre langues. Ce plurilinguisme fait qu’il y a des interactions entre ces langues dans plusieurs situations, car la plupart des Algériens font usage d’au moins deux langues et dans la plupart des cas, ces deux langues sont le français et l’arabe. Le côtoiement de ces langues, d’une manière alternée, a pour effet l’enfantement des particularités du français algérien. Plusieurs facteurs rendent le français algérien particulier. L’impact des langues locales et la création lexicale, qui ne suivent pas forcément les normes du français standard, font partie des éléments qui rendent spécifique le français des Algériens. Néanmoins, l’emprunt, la création lexicale et ses différents concepts sont très importants dans la conception de particularités algériennes. Voyons ces cas dans l’ordre, à l’aide des études antérieures faites sur le français algérien.
Emprunts
Selon Dubois et al (2002), il y a un emprunt lorsque « un parler A utilise et finit par intégrer une unité ou un trait linguistique qui existait précédemment dans un parler B et que A ne possédait pas ; l’unité ou le trait emprunté sont eux-mêmes appelés emprunt ».
Il semble donc évident que l’emprunt soit un des procédés qui permet l’enrichissement lexical, la pluralité et la diversité du vocabulaire. Pour designer la langue utilisée au quotidien en Algérie, nous parlerons plutôt de l’algérien. Ce dernier est généralement un mélange de l’arabe, du français et du berbère. Le croisement de ces langues fait la particularité type algérienne comparé aux autres pays arabophones. Les locuteurs algériens font beaucoup appel aux emprunts. Ils empruntent des mots d’origine française et autres, et ils incorporent ces mots dans leur système linguistique, c’est-à-dire dans l’arabe ou le berbère et vice versa. Les emprunts respectent ou non, de temps à autre, les normes d’où les mots empruntés sont originaires. De ce fait, les nouveaux mots créés, empruntés, doivent s’adapter au nouveau paysage linguistique, à l’usage de la langue emprunteuse. Les mots empruntés connaissent des transformations plus ou moins importantes, tout en gardant les traits de la langue d’origine (Youcefi 2009 : 37). Les nouveaux mots s’adaptent au nouvel environnement linguistique, d’où l’intégration phonologique, morphologique, dérivationnelle et sémantique.
Intégration phonétique
Quand il s’agit de l’intégration phonétique, Dubois et al. la décrivent comme suit : L’intégration, selon qu’elle est plus ou moins complète, comporte des degrés divers : le mot peut être reproduit à peu près tel qu’il se prononce (et s’écrit) dans la langue B ; il y a toutefois généralement, même dans ce cas, assimilation des phonèmes de la langue B aux phonèmes les plus proches de la langue A.
Cette définition explique qu’il y a quelquefois un léger changement phonétique en passant de la langue A à B c’est-à-dire la langue empruntée et celle emprunteuse. En effet afin de rapprocher les mots empruntés dans le nouveau paysage linguistique, car la langue française et la langue arabe ne disposent pas des mêmes phonèmes, les locuteurs essaient de retrouver un phonème qui est proche du phonème français. Nous devrons savoir aussi que « le système phonétique arabe est marqué par un consonantisme riche et un vocalisme pauvre » contraire au système phonétique du français qui est « riche en vocalisme » (Khelladi 2012 : 78). Donc comme nous avons mentionné précédemment, les sujets algériens doivent substituer certains sons par un son proche. Voici quelques illustrations de Khelladi.
« E » devient « a » Par exemple, le mot français « estomac » devient « astomac » et ainsi le son [e] se substitue en [a].
[y] devient [i]
La voyelle [y] est inexistante dans la phonétique arabe, les Algériens utilisent alors le [i] à la place de [y]. Le mot « costume » français devient « costime » en Algérie.
Le [v] devient [f]
Comme dans d’autres langues, la voyelle [v] français devient [f], car [f] est la variante sourde de [v] français. Exemple : bien « facant » au lieu de bien « vacant » .
Le [p] devient [b]
Toute comme le son [v], le son [p] est inexistant en algérien. Le son [p] est alors remplacé par le son [b] qui est très proche de [p]. Exemple : bochta au lieu de la poste .
Voici d’autres exemples présentés par Belkacem Boumedini (2011 : 27) concernant le son [œ]:
[œ] devient [u]
Selon Boumedini, beaucoup de locuteurs algériens ont des difficultés à prononcer le son [œ], car il n’est pas un phonème de l’arabe. Le [œ] est généralement remplacé par [u], par exemple, « inspecteur » qui se transforme en « sbactour », ou «directeur» en « diractour ».
Même si ce n’est pas le but de ce présent mémoire, il nous a paru intéressant de mentionner en passant, que l’arabe ne se caractérise pas par rapport au français uniquement au travers de phénomènes mentionnés. En effet, il y a certains sons existant dans l’arabe mais qui sont inexistant dans l’alphabet phonétique français. C’est le cas de [ ح ] ,[ع ] ,[خ .[ En langue française le [ ح [se prononce en [h], le [ ع [devient [a] et le [ خ [ s prononce en [kh], ce qui pourra aussi éventuellement avoir une influence sur la prononciation du français.
L’intégration morphologique
L’intégration au plan morphologique est un des critères les plus fréquents dans les différents types d’intégrations, car il se manifeste à plusieurs niveaux c’est-à-dire aux niveaux du genre, du nombre, etc. Ce critère est aussi important, puisqu’il est souvent employé dans le français algérien. Voyant un extrait sur les raisons des modifications morphologiques:
L’arabe algérien se base sur des règles syntaxiques spécifiques qui relèvent à moitié de l’arabe littéral et de la langue française. Le but, non intentionnel, de l’interlocuteur algérien est d’associer tant d’éléments afin de former une phrase à l’aide des mots qui portent un sens dans différentes stratégies de communication. C’est pourquoi le passage de ces unités, empruntées de la langue française, connait un déguisement morphologique qui rend ainsi ces mots distingués de leur origine (forme, prononciation et sens). (Khelladi : 76) .
Ainsi, la morphologie s’intéresse aux différentes formes que prennent les mots dans différentes catégories. Mais avant de passer aux différentes catégories, nous allons faire un petit schéma afin de mieux comprendre certaines notions que nous allons beaucoup utiliser. Pour exprimer un besoin culturel, religieux etc., le locuteur algérien est amené à emprunter des mots depuis sa langue maternelle l’arabe ou le berbère, ce que nous appelons la langue d’origine ou de source, pour intégrer dans le système français qui est la langue d’accueil.
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Table des matières
1 Introduction
1.1. But
1.2. Délimitation et plan de l’étude
1.3. Méthode et Matériaux
1.4 Le statut du français
2. Cadre théorique et études antérieures
2.1 Les particularités linguistiques du français algérien
2. 1.1 Emprunts
2. 1.2 Intégration phonétique
2. 1.3 Intégration morphologique
2. 1.4 Intégration dérivationnelle
2. 1.5 Détermination
2. 1.6 Intégration sémantique
2.2 Les particularités linguistiques du français ivoirien
2.2.1 Intégration phonétique
2.2.2 Intégration morpholosyntaxique
2.2.3 Intégration sémantique
2.2.4 Intégration dérivationnelle
3. Analyse
3.1 Les particularités linguistiques des auteurs Khadra et Kourouma
3.2 Les particularités linguistiques dans Les agneaux du seigneur de Khadra
3.2.1 Intégration morphologique
3.2.2 Intégration dérivationnelle
3.2.3 Intégration sémantique
3.2.4 Intégration phonétique
3.2.5 Emprunts
3.2.6 Expressions
3.2.7 Calques
3.2.8 Intégration morpholosyntaxique
3.3 Les particularités linguistiques dans Les soleils des indépendances de Kouroum
3.3.1 Intégration dérivationnelle
3.3.2 Néologisme
3.3.3. Intégration sémantique
3.3.4 Emprunts
3.3.5 Proverbes et Expressions
3.3.6 Comparaison
3.3.7 Calques
3.3.8 Répétitions
3.3.9 Intégration morpholosyntaxique
4. Synthèse
4.1 Les convergences et divergences du français : Les agneaux du seigneur (ADN) et Les soleils des indépendances (SDI)
4.1.1 Les divergences des particularités des deux œuvres
4.1.2 Les convergences des particularités des deux œuvres
5. Conclusion
6. Références