L’objectif de cette thèse est d’analyser les parcours individuels au sein du dispositif VAE, à l’aune des discours de lutte contre les inégalités d’accès à la certification. Le dispositif de Validation des Acquis de l’Expérience (VAE), issu de la loi de modernisation sociale de 2002 , relative à la formation professionnelle tout au long de la vie, permet à tout individu (salarié, non salarié, demandeur d’emploi, bénévole, agent public), justifiant d’une expérience personnelle, professionnelle ou bénévole, continue ou discontinue, de trois ans au minimum, de certifier son expérience sans passer par une formation formelle (Encadré 1, p7). Tous les diplômes, les titres professionnels et les certificats de qualifications, contenus dans le Répertoire National de Certifications Professionnelles (RNCP) , sont concernés. Seules certaines certifications sont exemptées pour des raisons liées à la santé, ou à la sécurité.
Le parcours VAE se décompose en plusieurs étapes (Encadré 1, 1, p.7). L’individu débute sa démarche par une demande d’information (étape 1) auprès des organismes d’information et d’orientations. Il identifie une certification et adresse une demande de candidature au certificateur correspondant (dépôt du Livret 1 de demande ; étape 2). Si sa candidature est acceptée, le candidat entame une phase d’explicitation et de valorisation de son expérience (Livret 2 d’explicitation de l’expérience; étape 3). Il peut être accompagné ou non. Il présente le travail réalisé devant un jury (étape 4), composé de professionnels et de formateurs.
Plusieurs issues sont possibles :
– Le candidat obtient la certification visée en totalité. Il sort du dispositif.
– Le candidat n’a rien obtenu ou obtient une partie de la certification visée et doit accomplir les prescriptions du jury (expérience supplémentaire, formation, travaux supplémentaires). Il passera à nouveau devant le jury.
– L’abandon est possible à chaque étape du dispositif.
La VAE s’ajoute donc comme une quatrième voie dans le paysage de la certification, au même titre que la formation initiale, la formation continue et l’apprentissage. Intégrée au sein du Titre II « Travail, Emploi et Formation » de la loi de Modernisation Sociale, la VAE tente de devenir un nouveau vecteur d’articulation étroite entre certification et employabilité. Lutter contre les inégalités d’accès à la certification, sécuriser les trajectoires professionnelles, améliorer la promotion sociale et organiser la transférabilité des compétences, la VAE vise à relever ces défis manqués par la loi de 1971 sur la Formation Continue. Structurée comme une démarche personnelle, elle devrait permettre de favoriser des parcours pertinents et permettre un usage plus efficace du droit à la formation et à l’éducation tout au long de la vie (Aubry, 2000). Tous seront ainsi « gagnants : le salarié en général, (…) l’entreprise et finalement l’ensemble de la société » (Lindeperg, 2001). Néanmoins, par son mode de fonctionnement et ses caractéristiques, le dispositif VAE soulève trois grands enjeux à relever (Labruyère, Rose, 2004 ; 2004b ; Labruyère, Paddeu,Savoyant, Tessier, Rivoire, 2002). Tout d’abord, la VAE soulève la question de la certification (Section 1) et interroge la notion de l’expérience (Section 2). Afin d’approfondir ces questions, il convient ensuite de préciser dans quel cadre de convention d’évaluation des politiques publiques se situe le dispositif VAE (Section 3) pour ensuite proposer un cadre d’analyse alternatif des parcours individuels au sein du dispositif VAE (Etapes 2, 3 et 4, Encadré 1, p.7 ; Section 4) et, plus précisément, de la mise en œuvre de ce droit individuel, indépendamment des accès au dispositif et de la valorisation que l’on peut faire du passage par un tel dispositif.
Interroger le lien entre la formation et la certification
L’hypothèse fondamentale du dispositif VAE considère que l’expérience permet de développer des compétences et des savoirs qui ont la même valeur que des situations de formations formelles. Il s’agit d’un véritable bouleversement dans le contexte français, si déterminé par la formation initiale, permettant à des individus de potentiellement se repositionner sur le marché du travail ou au sein du système éducatif par l’obtention d’une certification, sans être passé par la formation formelle. L’indépendance entre la valeur d’une certification et le cursus pour l’obtenir est affirmée et, conformément au modèle français du diplôme, elle donne lieu à la même reconnaissance collective (Aubry, 2000 ; Terrier, 2002). Plusieurs implications découlent de ce choix.
La VAE soulève la question du diplôme en France, notamment en ce qui concerne les accès aux certifications, comme nous venons de le préciser, mais aussi au regard de leur rôle sur le marché du travail et au sein du système éducatif. Au regard de l’accès à la certification, le dispositif VAE pourrait transformer la décision individuelle d’investissement en capital humain. En effet, le fait que la formation formelle et l’expérience permettent toutes deux d’obtenir potentiellement une même certification pourrait induire des modifications dans l’arbitrage entre les différentes formes de capital humain. Pourquoi ne pas privilégier alors un apprentissage par le biais d’une activité rémunérée, plutôt que le passage par une formation formelle peut-être plus coûteuse? Cette question suppose évidemment ici qu’une certification, obtenue par le biais de la VAE, aboutisse à une valorisation similaire aux certifications issues de la formation formelle. La certification obtenue est la même selon la voie empruntée. La valorisation doit alors théoriquement s’observer à la fois au regard de la montée en productivité et en salaire, mais également au regard de la qualité du signalement émis au-près des employeurs, permettant un meilleur positionnement sur le marché du travail. En effet, si nous interrogeons le dispositif VAE dans une perspective de Capital Humain, la décision d’investir dans un tel processus supposerait que l’individu anticipe une hausse de salaire, supérieure aux coûts occasionnés par une telle démarche. Or, il paraît probable que le dispositif VAE parvienne à amoindrir les coûts d’opportunités (temps et coûts financier) d’obtention d’une certification, en comparaison à la formation formelle. L’individu n’est pas contraint en effet d’interrompre son activité professionnelle et n’a pas à suivre un nombre minimum d’heures de formation formelle. Au-delà des décisions individuelles, le dispositif VAE pourrait aussi modifier le comportement des employeurs quant aux décisions d’investissement dans la formation générale. La VAE soulève autrement la question du financement de la formation spécifique et générale au sein de l’entreprise. Si nous admettons les hypothèses de réduction des coûts, en comparaison à la formation formelle, ainsi que d’amélioration de la productivité et du système dans lequel s’initie la démarche (entreprise, territoire, etc.), les employeurs pourraient se déployer d’autant plus vers cet investissement. Le dispositif VAE est présenté comme un outil potentiel de gestion et d’amélioration des compétences individuelles et collectives, de professionnalisation, de gestion des emplois et de fidélisation des salariés, permettant une visibilité des stratégies à moyen terme, ainsi qu’une accentuation de la flexibilité. Par conséquent, le recours à des formations spécifiques d’adaptions, courtes et non diplômantes s’amoindriraient au profit d’un investissement en capital général. Néanmoins, la VAE reste un projet individuel et l’entreprise le soutiendra uniquement si celui-ci s’intègre dans sa stratégie ou correspond à ses besoins. Une question reste cependant en suspend. Pourquoi devoir faire reconnaître les compétences et connaissances acquises par l’obtention d’une certification ? La Théorie du Capital Humain tend à négliger l’existence de la certification, contrairement aux théories du Signal et du Filtre. La certification jouerait un rôle de signalement sur le marché du travail français (Béret, Daune-Richard, Dupray, Verdier, 1997). La valeur d’une certification serait fonction de l’information qu’elle apporte sur les capacités productives du futur travailleur. Ainsi, l’obtention d’une certification permettrait de signaler sa productivité aux employeurs. Selon la théorie du Filtre, les organismes certificateurs, ou l’employeur à l’initiative d’une telle démarche, filtreraient les candidats tout au long du parcours et seuls les meilleurs parviendraient à l’issue du processus. Néanmoins, pour parvenir à être un véritable signal légitime aux yeux des employeurs, une certification implique d’assurer une certaine homogénéité et sélection au sein du dispositif VAE. Mais répondre à cette exigence d’homogénéité semble complexe ; par définition, la VAE valide des expériences uniques et intrinsèques aux candidats. Au-delà de la perspective du marché du travail, l’objectif d’obtention de certification peut également être tourné vers le système éducatif, dans une logique de construction de cursus individuel éducatif. La VAE pourra alors être le premier pas du cursus ou participer à un désir de reprises d’études. De plus, dans une société fortement hiérarchisée par la certification, le fait de vouloir obtenir un diplôme peut aussi bien relever d’un besoin de reconnaissance et ainsi d’un projet personnel non tournée directement vers le marché du travail. Nous pouvons alors supposer que ceci influencera les parcours au sein du dispositif, ainsi que la valorisation de la certification obtenue. Si le diplôme joue un rôle déterminant sur le marché du travail (Goux et Maurin, 1994), sa valeur diffère lorsqu’il est combiné à d’autres caractéristiques individuelles, sociales ou environnementales. « Le diplôme ne joue donc pas un rôle unique (…) et représente des enjeux différents selon la situation des individus » (Berton, 2000), selon les contextes, les individus, les parcours, les projets et les institutions. En effet, « la différence sociale porte sur l’accès au diplôme ou sur son utilisation, elle est au cœur de tous ces processus et résulte des stratégies inégalement efficaces d’acteurs inégaux » (Duru-Bellat, 2002 et 2006; Bourdieu et Passeron, 1964; Boudon, 1973; Thélot, 1982). Il est donc pertinent de supposer que les parcours de Validation des Acquis de l’Expérience seront très différenciés.
Construire la notion d’expérience
Nous précisions précédemment que le dispositif de Validation des Acquis de l’Expérience suppose que cette dernière permet de développer des compétences et des savoirs de même valeur que des situations de formations formelles. Un deuxième enjeu s’impose alors, impliquant de questionner à nouveau plusieurs notions: la compétence, l’expérience ou encore les mécanismes de traductions de l’expérience (des activités) en connaissances et en compétences. En ce qui concerne la notion centrale du dispositif, à savoir l’expérience, le dispositif de Validation des Acquis de l’Expérience soulève la question de ce qui sera évalué précisément ? Qu’est-ce que l’expérience ? Les théories économiques optent pour différentes conceptions et induisent ainsi des hypothèses diverses. Leurs hypothèses sont principalement tournées vers le marché du travail, aussi nous les transposons pour éclairer la notion d’expérience au sein du dispositif VAE. Il ne s’agit donc pas de s’intéresser aux stratégies individuelles d’investissement en capital humain, mais bien d’observer quelle(s) conception(s) de l’expérience est valorisée au sein du dispositif, et comment ? Du point de vue de la théorie du Capital Humain (Becker, 1964; Schultz, 1961), l’expérience semble être une alternative à la formation formelle, permettant également d’améliorer sa productivité. Tout comme pour la formation formelle, l’individu décide d’investir dans l’expérience s’il a financièrement intérêt à la faire. Pour cela il opère un calcul coûts d’opportunité/gains anticipés et décide d’investir lorsque la différence est positive. Cette conception de l’expérience considère l’expérience professionnelle, exprimée en nombre d’années. L’expérience est ici un élément du stock de capital humain et représente un investissement volontaire. Elle peut être spécifique et sera observable au regard de l’ancienneté dans la firme, ou générale et correspondra au nombre d’années d’activité. Liée à l’âge, la rentabilité de l’expérience tend à augmenter, puis à stagner pour enfin se déprécier dans le temps (Ben Porath, 1967). Dans cette perspective, nous pouvons supposer que les chances de validation suivront le cycle de rentabilité de l’expérience professionnelle.
Le corpus du Capital Humain soulève par conséquent la question du caractère spécifique et général de l’expérience et son obsolescence. Nous nous approprions ces hypothèses, tournées vers le marché du travail, afin d’observer si ces dernières se valident aussi au sein du dispositif VAE. Plus précisément, dans le cas d’une validation, le processus VAE accorde une reconnaissance collective à l’expérience, ce qui permet à l’individu de valoriser son expérience en interne mais également en dehors de là où elle s’est développée. La VAE reconnaît alors une valeur générale à l’expérience. Par corollaire, nous pouvons supposer que la détention initiale d’une expérience générale dans le domaine du diplôme visé favorisera l’obtention d’une validation, au détriment d’une expérience spécifique. Le dispositif VAE légitimera la valeur générale de cette expérience en délivrant une certification à l’individu. Au regard de la théorie du Signal (Spence, 1973), l’expérience détient une valeur relative (Dupray, 2000). Tout comme la conception du Capital Humain, il s’agit tout d’abord d’un investissement volontaire et alternatif, néanmoins sa rentabilité sur le marché du travail se combine avec d’autres caractéristiques individuelles tel que le sexe ou bien avec d’autres signaux, tel que le niveau de qualification. En empruntant une telle conception et en la transposant au système VAE, nous pourrions supposer que ce qui sera évalué sera à la fois l’expérience professionnelle du candidat, exprimée en nombres d’années d’activités ou d’ancienneté, mais combinée avec les effets d’indices (données intangibles tel que le sexe) et de signaux individuels (ce qui peut être modifié par l’individu tel que le niveau de qualification ou le parcours professionnel). Cet « ensemble d’expérience » composé de l’expérience exprimée en nombre d’années, d’indices et de signaux, révèlerait, tout comme aux yeux des employeurs sur le marché du travail, les compétences des candidats aux membres du jury. Il resterait alors aux candidats à investir dans les signaux leur permettant l’obtention de la certification visée, ou aux certificateurs de filtrer les meilleurs candidats en s’appuyant sur cet « ensemble d’expérience » (Arrow, 1973). Dans cette perspective, une dimension qualitative apparaît et tend à épaissir la notion d’expérience. Cependant, l’expérience n’est pas seulement un résultat acquis mais peut être aussi un processus d’apprentissage et de formation (Vincens, 2001). Par conséquent, il ne s’agit pas obligatoirement d’un investissement volontaire et ne se limitera pas à la sphère professionnelle, mais pourra s’étendre à la sphère personnelle et celle de l’éducation. L’expérience relève alors de dimensions multiples (Rose et Grasset, 2000, 2000b and 2001) à la fois objectives et subjectives, mais également collectives et organisationnelles (LévyGarboua, 1994; Coriat, Weinstein, 1995). Autant de dimensions constitutives de l’expérience qui interviendront dans son évaluation au sein du dispositif VAE.
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Table des matières
Introduction
Les parcours individuels de VAE, à l’aune des discours sur l’égalité
Partie I. La Validation des Acquis de l’Expérience : un levier des transformations des pratiques individuelles et collectives, en recherche de justice sociale
Chapitre 1. Enjeux et transformations de la VAE sur le marché français de la certification
Chapitre 2. Le droit individuel à la VAE interroge les conceptions de la justice sociale et d’égalité
Partie II. Base informationnelle et conception représentationnelle du capital humain : un effet nuancé de l’expérience sur les parcours
Chapitre 3. Une conception représentationnelle de l’expérience au sein des Théories du Capital Humain et du Signal
Chapitre 4. Les parcours de VAE au regard de la base informationnelle du Capital Humain et du Signal
Partie III. La base informationnelle des Capabilités : les structures de contraintes et d’opportunités des candidats à la VAE
Chapitre 5. La base informationnelle des Capabilités : une convention alternative d’évaluation des parcours
Chapitre 6. La capabilité de parcours : l’estimation d’un ensemble expérientiel
Conclusion générale
Annexes
Tables des matières