Les parcours des troupeaux et les pratiques d ’émondage.
Le pastoralisme vu par différentes disciplines
Il m’a semblé important de préciser les informations apportées par les ethnologues, les géographes, les zootechniciens et les pastoralistes et la spécificité de leurs approches. L’ethnologie L’ethnologie a identifié des liens entre les pratiques et l ’organisation de la société. La traite apparaît comme un des moments clés du rapport à l’animal et elle est au coeur des relations sociales. Un autre thème abordé intéresse les noms donnés au troupeau. Ceux-ci sont porteurs de deux sens : le premier reflète une pratique technique, le second une pratique sociale. Le terme dudal étudié par Bonfïglioli (1988 :46) en est un exemple. Dudal a pour sens les aires de parcage du troupeau mais aussi le troupeau lui-même. Il désigne par extension un groupe social composé de plusieurs unités domestiques et unités de production pastorale. Il inclut la notion de générations (op. cit.). La hiérarchie familiale et du lignage est traduite dans l’organisation spatiale du campement. A l ’identique, les veaux sont attachés à la corde selon un ordre préétabli, du sud au nord et du plus âgé au plus jeune (Dupire 1962 ed.1996 :157). Les soins apportés au bétail ont été étudiés par les ethnologues, et parmi eux Join-Lambert (1985) détaille les représentations qui s’y rattachent.
La géographie
La mobilité des pasteurs a particulièrement intéressé les géographes. Dans les armées 1950, les chercheurs ont établi des cartes des mouvements migratoires ou de transhumance en Afrique occidentale (Bonnet-Dupeyron 1951a, 1951b ; Gallais 1959). Jusqu’à la fin des années 1970, ce sont les grands déplacements qui ont été analysés puis ce type d ’approche devient moins courant. Barrai (1977:77) a créé le concept de «zone d ’endodromie pastorale » sur la base de ses observations dans l’Oudalan. Une telle zone se définit comme un espace exploité, selon un cycle annuel et à partir d ’un nombre variable de points d ’eau pérennes. Différents groupes d ’éleveurs, sédentaires ou nomades, sont les utilisateurs de ces points d ’eau en saison sèche et ont adopté empiriquement les mêmes aires et le même calendrier de transhumance. Dans la zone soudanienne, il n ’y a pas d ’ancrage des pasteurs autour de points d ’eau comme au Sahel, même en saison sèche. Les études géographiques en zone sahélienne ont bien mis en évidence les déplacements de transhumance ou ceux liés à la cure salée. Moins nombreuses sont les études qui dorment des informations sur les rythmes quotidiens de déplacement des troupeaux.
Les géographes ont rarement choisi l ’échelle du parcours quotidien. Picard (1999) a proposé une analyse des espaces pâturés en s’appuyant sur des suivis de troupeaux et d ’attelages, répétés chaque mois pendant un an dans deux terroirs du Nord- Cameroun. Déterminant au préalable des types d ’éleveurs, Picard a analysé au fil des mois les différents secteurs fréquentés du territoire villageois. Il a distingué, pour chaque type d ’éleveurs, des périodes et des aires de pâture spécifiques. Dans cette recherche, le rôle du bouvier dans la conduite du troupeau n ’a pas fait l’objet d ’un travail particulier. La conduite apparaît lâche en particulier en saison sèche, et la divagation du bétail est fréquente à cette période. Picard (1999Ï constate que les flux de bétail suivent un partage tacite de l’espace pastoral entre les éleveurs.
Boutrais (1995) ne décrit pas directement les activités du berger sur un parcours mais il s ’intéresse au travail fourni par le bouvier lors du gardiennage en fonction des saisons. Dans les reliefs accidentés des Grassfields du Nord-Cameroun que fréquentent les troupeaux, une des tâches principales et accaparantes du berger est de prévenir les chutes des bêtes, en les empêchant de s’aventurer dans les secteurs à risque. En saison des pluies, sur les hauts plateaux, la surveillance est lâche, surtout si le berger garde son troupeau à distance des champs. En saison sèche, au moment de la transhumance, le travail est plus ardu. Le berger doit veiller à ce que les animaux ne s’égarent pas, ne pénètrent pas dans les jachères de plaine où poussent des plantes toxiques, ne pâturent pas dans les plantations de caféiers où les herbicides déversés sont tout aussi nocifs. Enfin, il veille sur les bêtes convoitées par des voleurs à l’affût.
La zootechnie
Les zootechniciens retiennent le parcours comme l’échelle d’observation de la prise alimentaire. C’est le comportement alimentaire de l’animal qui est analysé. Le même animal est suivi au cours d’une journée et sa prise alimentaire est notée. De telles observations sont complétées par l’analyse de la composition chimique des fèces. Telle est la démarche retenue par Ickowicz (1995) qui dresse un bilan fourrager des formations pastorales du Sahel tchadien. Le comportement du bouvier n’est pas pris en compte dans ce travail. Bien que l’auteur signale son rôle significatif, il avance que ce facteur ne change pas l’interprétation des variations dues aux autres facteurs tels que l’espèce animale ou la saison. Le comportement alimentaire est abordé sur le parcours puis dans des parcelles de référence dont les formations végétales ont été analysées au préalable. L’objectif est d ’identifier les espèces choisies par l’animal parmi toutes celles que lui offre la parcelle. Sur les parcours, la prise alimentaire est appréhendée par la méthode dite de « collecte du berger ». Les espèces végétales sont récoltées par l’observateur qui imite l’animal. Les plantes cueillies sont signalées comme présentes et leur contribution au repas est calculée5. La méthode ne permet toutefois pas d ’évaluer les quantités ingérées par l’animal. Ces travaux partent généralement de l ’hypothèse que le parcours est dicté par l’instinct de l’animal et ils tiennent rarement compte du berger, comme si celui-ci ne faisait que « suivre » le troupeau.
Le parcours, dans ce type d ’approche, est perçu comme l’espace d’un prélèvement de ressources par l’animal. L’analyse des formations végétales faite par les pastoralistes est restituée sous forme de cartes des unités pastorales qui précisent les espèces végétales présentes et les pressions pastorales qu’elles subissent. Certains agronomes ont travaillé dans le champ de la zootechnie (Milleville 1982). Pour eux, le système d ’élevage est un système technique qui contribue au fonctionnement plus global d ’un système de production, étudié au niveau de la cellule de production familiale (Milleville 1982 :10). L’élevage est considéré en liaison avec les autres activités en particulier, l’agriculture. L’intérêt de l’étude conduite par Milleville dans l’Oudalan (nord du Burkina) est d ’avoir pris en compte les stratégies de différents groupes d ’éleveurs : Peuls Djelgobe, Iklan6 iderfane, Kamoga (Kel Tamachek7). Milleville a étudié les déplacements de troupeaux bovins et a dressé une typologie des rythmes quotidiens. Ils s’articulent entre le campement et le point d’eau, selon un mouvement diurne ou nocturne. Ce sont la distance au point d ’eau et la fréquence de Pabreuvement qui fondent la typologie des rythmes quotidiens (op. cit. :36). Au cours de la saison, un type de rythme va évoluer vers un autre, par exemple si le campement se rapproche du point d’eau. Ces schémas supposent un espace pastoral ouvert et ne tiennent pas compte des contraintes d’accès, notamment celles dues aux espaces agricoles, ce qui est fréquemment le cas dans la zone soudanienne.
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Table des matières
Introduction
Première partie
Les groupes Peuls, Sénoufo et Gouin de l’ouest burkinabé.
Historique de leurs déplacements et histoire particulière de notre rencontre.
Chapitre 1 : Environnement et migrations dans l’ouest du Burkina Faso
Chapitre 2 : Méthodes et outils d ’observation
Deuxième partie
Les parcours des troupeaux et les pratiques d ’émondage.
Description des pratiques, représentations des agropasteurs et analyse
Chapitre 3 : Les pratiques d ’élevage et la conduite des troupeaux
Chapitre 4 : L ’usage de l’arbre et la pratique d’émondage
Troisième partie
Evolution des systèmes de production et des savoirs
Chapitre 5 : Adaptation environnementale et changement social
Chapitre 6 : Evolution et confrontation des savoir-faire
Conclusion
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