L’oxygène moléculaire (O2) est omniprésent dans la vie d’une écrasante majorité des organismes vivants (bactéries, plantes, mammifères). Cette molécule possède deux fonctions essentielles : un rôle d’accepteur terminal d’électrons dans la chaine respiratoire et un rôle de réactif biosynthétique pour l’oxydation de composés chimiquement inertes, tels que des alcanes, des alcènes ou encore des substrats organiques aromatiques. L’oxydation de ces substrats constitue une étape clé dans de nombreux processus biologiques (dégradation des xénobiotiques, biosynthèse de briques moléculaires tels que l’ADN, les acides aminés, etc…). Cependant, les réactions entre ces substrats organiques et O2 sont cinétiquement défavorables. Dans ce cadre, il existe des systèmes naturels capables d’activer la molécule d’O2 par coordination de celle-ci avec un métal ou par réaction directe avec un radical. De nombreux chercheurs se sont donc évertués à comprendre le fonctionnement des oxygénases et/ou oxydases pour s’en inspirer afin de développer de nouvelles méthodologies de synthèse efficaces et plus respectueuses de l’environnement pour diverses réactions d’oxydation.
Les oxygénases et les oxydases comme source d’inspiration
Les oxygénases et les oxydases sont donc des enzymes extrêmement performantes capables d’activer O2 pour réaliser une très grande variété de réactions d’oxydation. Une oxydase est une enzyme capable d’oxyder un substrat organique sans l’insertion d’atomes d’oxygène. Une oxygénase est une enzyme capable d’insérer un (monooxygénase) ou deux (dioxygénases) atomes d’oxygène dans un substrat de manière efficace, en conditions très douces et avec une très grande sélectivité. Elles peuvent être classées en deux catégories distinctes : les enzymes hémiques et non hémiques. Bien que toutes ces enzymes possèdent de nombreuses différences au niveau de leurs structures, l’activation de O2 par un centre à fer ou à cuivre passe par le même type d’intermédiaire réactionnel, c’est à-dire une espèce métallique à haut degré d’oxydation .
Les premières oxygénases furent découvertes en 1955 par O. Hayaishi, avec l’identification d’une enzyme, la pyrocatéchase, capable de catalyser la conversion du catéchol en acide muconique par coupure oxydante, démontrant la capacité d’une enzyme à incorporer de l’oxygène moléculaire au sein d’une liaison C-H d’un substrat. De nombreuses investigations ont donc été réalisées par les chercheurs ces dernières décennies.
Les systèmes hémiques de type cytochrome P450
Les cytochromes P450 (Cyt. P450) sont l’une des familles les plus représentatives des monooxygénases avec plus de 15 000 enzymes différentes découvertes. On les retrouve dans de nombreux organismes vivants (mammifères, plantes, insectes, champignons). Ils sont impliqués dans de nombreux rôles biologiques comme la dégradation de xénobiotiques (médicaments, toxines) ou encore la biosynthèse de petites molécules de signalisation utilisées pour le contrôle de l’homéostasie des métaux. Les Cyt. P450 sont des enzymes à fer hémique, constituées d’un atome de fer (III) coordiné à quatre atomes d’azote d’une protoporphyrine IX et à un ligand cystéinate axial qui permet l’ancrage du complexe à la protéine . Les deux bras carboxylate de la protoporphyrine IX jouent un rôle important dans la stabilisation et la solubilité de l’hème.
De nombreuses réactions d’oxydation peuvent être réalisées avec les Cyt. P450, comme par exemple, l’hydroxylation d’alcanes, l’époxydation d’alcènes ou encore la sulfoxydation de thioéthers. Un exemple intéressant est apporté par le Cyt. P450 BM-3 (mutant 139 3) qui est capable de réaliser l’époxydation du styrène avec une chimiosélectivité de 100% et une activité catalytique très importante de 1100 Min-1. Ce même système est capable de réaliser l’hydroxylation de liaisons C-H aromatiques, comme le benzène ou même des alcènes peu réactifs comme le cyclohexène ou le propylène.
Grâce à de nombreuses études spectroscopiques et structurales . A l’état natif, l’ion ferrique est lié à une molécule d’eau (A). Lors de la première étape, l’approche du substrat à proximité du site actif perturbe la coordination de la molécule d’eau et force son départ (B). Cette perturbation entraine un changement de l’état de spin du fer qui devient haut spin (B) provoquant une augmentation de son potentiel d’oxydo-réduction. La réduction de l’ion ferrique en ion ferreux, plus aisée, va être réalisée grâce l’intermédiaire d’une réductase, la NADPH Cyt. P450 réductase (CPR) qui favorise le transfert d’électrons du NADPH au centre actif (C).
La molécule d’oxygène peut alors être activée pour former un intermédiaire de type Fe(III)- superoxo (D) qui va ensuite évoluer en intermédiaire de type Fe(III)-peroxo (E) en présence d’un deuxième électron délivré par la CPR. Cet intermédiaire est ensuite protoné, permettant l’obtention d’un intermédiaire de type Fe(III) hydroperoxo (F) qui, en présence d’un deuxième proton, est coupé hétérolytiquement au niveau de la liaison O-O avec élimination d’une molécule d’eau et production d’une espèce oxydante hautement réactive de type Fe(IV)-oxo coordiné par un ligand radicalaire porphyrinyle (G). Cette espèce présente une forme tautomère de type Fe(V)-oxo (G’), s’il n’y a pas délocalisation de l’électron sur le ligand porphyrininyle. La forme Fe(IV)-oxo radical cation (G) s’avère être une espèce hautement réactive capable de réagir avec des substrats peu réactifs en réalisant une abstraction d’un atome d’hydrogène conduisant à la formation d’un radical R● et d’une espèce Fe(IV)-hydroxo (H). Par un mécanisme appelé « oxygen rebound », le radical alkyle R● va récupérer le groupement hydroxyle lié au fer afin de former l’alcool correspondant et régénérer l’état natif du Cyt. P450 (A).
Les enzymes à fer non hémique
Les enzymes dinucléaires de fer non hémique : le cas de la méthane monooxygénase
Les enzymes dinucléaires de fer participent activement à de nombreuses réactions d’oxydation dans le métabolisme des êtres vivants. Par exemple, la première enzyme de cette catégorie à être découverte fut la ribonucléotide réductase qui catalyse la réduction des ribonucléotides en désoxyribonucléotides qui sont des précurseurs de l’ADN. De nombreux autres exemples d’oxygénases de cette catégorie pourraient être exemplifiés mais une enzyme en particulier a attiré notre attention par sa remarquable capacité à oxyder des substrats inertes tels que le méthane en méthanol : la méthane monooxygénase (MMO).
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I : Introduction bibliographique
1. Les oxygénases et les oxydases comme source d’inspiration
1-1. Les systèmes hémiques de type cytochrome P450
1-2. Les enzymes à fer non hémique
1-2-1. Les enzymes dinucléaires de fer non hémique : le cas de la méthane monooxygénase
1-2-2. Les systèmes mononucléaires de fer non hémique
1-2-2-1. Les catéchol dioxygénases
1-2-2-2. Les dioxygénases de Rieske
1-3. Les enzymes à cuivre
1-3-1. Les monooxygénases
1-3-2. Les oxydases
1-4. Conclusion
2. Les complexes bio-inspirés
2-1. Les complexes de fer bio-inspirés activant O2
2-2. Les complexes bio-inspirés à fer activant H2O2
2-3. Conclusion
3. Les métalloenzymes artificielles
3-1. Concept général
3-2. Conception de métalloenzymes artificielles
3-2-1. Choix de la biomolécule
3-2-2. Stratégies d’ancrage
3-2-2-1. Ancrage covalent
3-2-2-2. Insertion dative
3-2-2-3. Substitution d’un ion métallique
3-2-2-4. Interaction supramoléculaire
3-3. Réactions d’oxydation avec les métalloenzymes artificielles
3-3-1. Sulfoxydation
3-3-1-1. Sulfoxydases à base de myoglobine : comparaison des hybrides à base de chrome ou de manganèse
3-3-1-2. Sulfoxydase à base de streptavidine
3-3-1-3. Sulfoxydase à base de BSA/HSA
3-3-1-4. Sulfoxydase à base de NikA
3-3-1-5. Sulfoxydase à base d’anticorps
3-3-1-6. Conclusion
3-3-2. Epoxydation
3-4. Optimisation des métalloenzymes artificielles par évolution dirigée
3-4-1. Optimisation de la streptavidine
3-4-2. Vers une métalloenzyme artificielle avec des cinétiques comparables aux enzymes natives
3-4-3. Optimisation de métalloenzymes artificielles pour la réaction de métathèse in vivo
3-5. Conclusion
4. L’immobilisation d’enzymes
4-1. L’immobilisation sur surface
4-1-1. Adsorption
4-1-2. Liaisons covalentes
4-2. Encapsulation
4-3. L’inclusion
4-4. Réticulation d’enzymes
4-4-1. CLEA
4-4-2. CLEC
4-5. Conclusion
5. Chimie tandem
5-1. Cascades multi-étapes réalisées par des catalyseurs chimiques
5-2. Cascades multi-étapes réalisées par des enzymes
5-3. Cascades multi-étapes en combinant les catalyses enzymatiques et homogènes
5-4. Conclusion
6. Description de mon projet de thèse
Chapitre II : Conception de nouvelles métalloenzymes artificielles pour l’oxydation
1. Conception d’une nouvelle métalloenzyme artificielle pour l’oxydation d’alcools
1-1. Introduction
1-2. Evaluation des conditions réactionnelles
1-2-1. Passage en milieu aqueux
1-2-2. Variations des différents composants du système catalytique
1-2-3. Mise à l’échelle pour le passage en milieu protéique
1-3. Caractérisation et tests de réactivité de l’hybride HSA/Cu
1-3-1. Caractérisation de l’hybride
1-3-2. Tests catalytiques en présence de la protéine HSA
1-4. Caractérisations et tests de réactivité de l’hybride NikA/Cu
1-5. Conclusion
2. Conception d’une nouvelle métalloenzyme artificielle pour l’hydroxychloration d’alcènes
2-1. Introduction
2-2. Synthèse et caractérisations de l’hybride NikA/Ru-bpza
2-2-1. Synthèse et caractérisations du complexe Ru-bpza
2-2-1-1. Structure cristallographique
2-2-1-2. Spectroscopie infrarouge
2-2-1-3. Spectrométrie de masse
2-2-2. Synthèse et caractérisations de l’hybride NikA/Ru-bpza
2-2-2-1. Structure cristallographique de l’hybride
2-2-2-2. Spectroscopie infrarouge
2-2-2-3. Spectrométrie de masse
2-2-2-4. Conclusion
2-3. Propriétés catalytiques
2-3-1. Premiers tests catalytiques avec l’hybride NikA/Ru-bpza
2-3-2. Expansion de la gamme de substrat
2-3-3. Etude de la stabilité de la protéine vis-à-vis de PIDA
2-4. Mécanisme réactionnel
2-4-1. Addition électrophile
2-4-2. Recherche des intermédiaires réactionnels
2-4-3. Recherche de l’espèce oxydante
2-5. Conclusion
Références
Chapitre III : Développement d’une biocatalyse hétérogène
1. Introduction
2. Préparation et caractérisation des cristaux NikA/Fe-Lx
2-1. Contexte
2-2. Synthèse des ligands
2-2-1. Synthèse du ligand L2
2-2-2. Synthèse du ligand LIII
2-3. Synthèse des complexes
2-3-1. Synthèse du complexe Fe-L2
2-3-2. Synthèse du complexe Fe-LIII
2-4. Caractérisations des complexes
2-4-1. Caractérisation par spectrométrie de masse ESI
2-4-2. Caractérisation par spectroscopie d’absorption UV-Visible
2-5. Préparation et caractérisation des cristaux de NikA/Fe-Lx
2-5-1. Préparation des cristaux de NikA/Fe-Lx
2-5-2. Détermination des structures cristallographiques
2-5-3. Réactivité in cristallo des cristaux et NikA/Fe-L2
3. Mise en place des conditions de réticulation et caractérisations des systèmes
3-1. Variations des tampons de cristallisation
3-2. Variations de la concentration en glutaraldéhyde
3-3. Optimisation du temps de réticulation vis-à-vis du NaOCl
3-4. Caractérisations des CLEC NikA/Fe-Lx
3-4-1. Dosage en protéine et en fer
3-4-2. Cristallographie par diffraction aux rayons X
3-4-3. Fluorescence X
4. Réactivité sulfoxydation des CLEC NikA/Fe-LIII
4-1. Transposition de la réactivité de sulfoxydation des hybrides en solution à la catalyse hétérogène
4-2. Expansion de la gamme de substrats
4-3. Etude de stabilité des CLEC NikA/Fe-LIII
4-4. Conclusion
5. Réactivité d’hydroxychloration d’alcènes
5-1. Recherche d’une nouvelle réactivité
5-2. Développement du système
5-2-1. Expansion de la gamme de substrats
5-2-2. Etudes de stabilité des CLEC NikA/Fe-Lx
5-3. Etude du mécanisme réactionnel
5-4. Conclusion
6. Réactivité d’oxydation avec O2
Conclusion générale